Le Monde du mercredi 28 septembre 2011 rapporte qu’une collégienne pakistanaise de 13 ans a été battue pour blasphème et bannie avec sa mère de leur ville pour une faute d’orthographe. L’évènement se situe sur un fond d’intolérance islamiste au pakistan, alors que la petite fille et sa mère sont de confession catholique.
« Jeudi 22 septembre, au terme d’un devoir consacré à un poème à la gloire du prophète, l’enseignante de Faryal Tausseef Bhatti découvre sur la copie de son élève le mot « laanat » au lieu de « naat ». En ourddou, la transcription de ce mot est proche mais une petite erreur commise par Faryal lui a fait écrire le mot « malédiction » à la place de « louanges au prophète ». Après avoir battu et réprimandé Faryal, le professeur en a informé le reste de la classe puis son administration. Le vendredi, l’école de garçon voisine en était également avisée et une manifestation était organisée devant l’établissement des filles. Le même jour, lors de la grande prière hebdomadaire, les religieux de la ville se sont emparés de l’affaire et ont exigé dans leur prêche que la collégienne ainsi que toute sa famille soient condamnées et emprisonnées pour « blasphème ». Convoquées samedi par les autorités locales, la mère et la fille ont plaidé l’erreur et demandé le pardon de la communauté. En vain. « Elle a avoué avoir fait une erreur. La direction de l’école a décidé de la renvoyer pour avoir utilisé des termes interdits » a indiqué la directrice de l’école ».
Cet événement, s’il est avéré, nous rappelle plusieurs points de structure qui ne doivent pas nous le faire considérer comme étranger à nos propres préoccupations.
Le caractère de la faute d’orthographe de cette petite fille en fait un lapsus. Le type de ce lapsus se rapporte structurellement à la logique d’une manifestation obsessionnelle et n’a pas à proprement parler un parti pris de provocation. Il nous rappelle que la névrose obsessionnelle est considérée par S. Freud comme une religion privée, ce qui nous explique l’écho qu’entraine la diffusion sur la scène sociale de la logique intime de cet enfant, vu l’intolérance religieuse ambiante.
Cet exemple illustre aussi comment les difficultés de l’apprentissage scolaire consistent en ce que le savoir constitué qui est enseigné à un enfant ne lui semble pas préserver la savoir intime et inconscient qui définit sa propre place dans la langue. La faute d’orthographe est la résurgence de ce savoir intime que l’enfant ne perçoit pas légitime en regard du savoir constitué. A ce titre, la stigmatisation de l’erreur d’écriture, si elle est traitée comme une faute, ne fait que confirmer à l’enfant l’illégitimité dans laquelle il se débat et ne lui permet pas de s’approprier les traces de cette résurgence.
Enfin, il nous faut nous garder de supposer que cet évènement serait étranger à notre vie sociale actuelle, où nous pouvons faire des constats analogues. Combien de fois, la découverte inopinée par des parents ou par des beaux parents, de jeux sexuels de découvertes réciproques entre enfants, comme cela se rencontre souvent dans les familles, débouchent maintenant sur des dénonciations et sur des plaintes au commissariat de police. Car la sexualité est mise en scène par les enfants au sein de la famille, dans une recherche de limites, dans une recherche de sanction, dans une recherche de reconnaissance de questions et dans une quête de réponses qui n’ont pas pu se formuler. Or les adultes se désistent souvent de leur propre responsabilité au moment où ils sont mis à l’épreuve dans leur structure d’êtres de parole et dans la structure de leur désir. Ils cherchent auprès de la police et des lois de la cité ce qui est du ressort des lois de la parole dont ils sont les représentants. Ils déplacent dans le champ public, ce qui correspond à l’intimité du désir. Mais en dénonçant cette illégitimité, ils reproduisent les modalités initiales de ces manifestations, où les questions concernant la sexualité et le désir n’avaient pas voix au chapitre, n’avaient pas de légitimité puisqu’elles donnaient lieu à une mise en scène.
Nous voyons donc se développer dans des lieux et dans des contextes différents une même méfiance à l’égard de ce qui échappe à chacun dans la structure de son désir et qui ressortit à son propre inconscient. Cette méfiance témoigne du malaise des adultes à l’égard d’un inconscient, qu’ils veulent éluder, dont ils redoutent l’émergence et qu’ils cherchent à faire disparaitre. Ceci du fait d’un intégrisme religieux ou de l’impératif d’un consumérisme débridé qui témoignent dans ces deux cas d’une inconséquence des adultes à l’égard de leur subjectivité et de leur désir. L’insistance des jeunes à trouver une reconnaissance appropriée à ce qui les anime les révèlerait plus consistants.
La faute du désir chez les enfants est-elle faute de désir chez l’adulte ?
Jean Marie Forget
Septembre 2011