Études sur l'hystérie (Freud 150 ans), suite et fin
18 mai 2006

-

FREUD Sigmund
Billets



Extrait des "Études sur l’hystérie", paru en avril 1895.

Lire aussi :

Nos expériences nous ont montré que les phénomènes hystériques découlaient des traumatismes psychiques. Nous avons déjà parlé des états anormaux du conscient dans lesquels se produisaient ces représentations pathogènes et avons été forcés de souligner que le souvenir du traumatisme psychique actif ne pouvait se découvrir dans la mémoire normale du malade mais seulement dans celle de l’hypnotisé. En étudiant de plus près ces phénomènes nous nous sommes davantage convaincus du fait que la dissociation du conscient appelée double conscience dans les observations classiques, existe rudimentairement dans toutes les hystéries. La tendance à cette dissociation et par là à l’apparition des états de conscience anormaux que nous rassemblons sous le nom d’états hypnoïdes serait dans cette névrose, un phénomène fondamental…

Lorsque ces états hypnoïdes ont déjà précédé la maladie manifeste, ils fournissaient le terrain sur lequel l’affect va édifier le souvenir pathogène avec ses conséquences somatiques. Ce fait correspondà une prédisposition à l’hystérie. Mais nos observations montrent qu’un traumatisme grave (comme celui de la névrose traumatique), une répression pénible (celle de l’affect sexuel, par exemple) peuvent provoquer, même chez un sujet normal, une dissociation des groupes de représentations et c’est en cela que consisterait le mécanisme de l’hystérie psychiquement acquise. Il faut tenir compte du fait qu’entre les cas extrêmes de ces deux formes, il existe toute une série de représentations au sein desquelles la facile production d’une dissociation, chez un sujet donné, et l’importance de la charge affective du traumatisme varient en sens inverse…

La question de la ténacité des associations pathologiques formées dans ces états et de leur actionsur les processus somatiques, bien plus forte que celle des autres associations, s’intègre dans le problème relatif aux effets de la suggestion hypnotique. Nos expériences ne nous ont rien apportées sur ce point; en revanche elles mettent en lumière la contradiction existant entre l’assertion selon laquelle l’hystérie serait une psychose et le fait qu’on trouve parfois, parmi les hystériques des personnes possédant une grande clarté de vues, une très forte volonté, un caractère des plus fermes, un esprit des plus critiques. Tout cela est exact, dans ces cas-là, quand le sujet se trouve à l’état de veille normal. Dans les états hypnoïdes, il ne s’agit plus que d’un aliéné, comme nous le sommes tous dans nos rêves. Toutefois tandis que nos psychoses oniriques n’exercent à l’état de veille, aucune action, les productions de l’état hypnoïde pénètrent dans la vie du sujet éveillé sons la forme de phénomènes hystériques…

Je me propose d’examiner si les cas que j’ai décrits corroborent ma façon de concevoir l’autonome clinique de l’hystérie. Anna O., la malade de Breuer, semble réfuter mon opinion et être affectée d’un trouble purement hystérique. Mais ce cas si riche en renseignement sur le cas de l’hystérie, ne fut nullement considéré par son observateur sous l’angle de la névrose sexuelle et ne saurait aujourd’hui nous servir de démonstration. En commençant l’analyse de la deuxième malade, Mme Emmy v. N, j’étais assez loin de donner comme support à l’hystérie une névrose sexuelle. À peine sorti de l’École de Charcot, je rougissais de la connexion entre l’hystérie et le thème de la sexualité, à peu près comme les patientes elles-mêmes le font en général. Quand je relis aujourd’hui les notes relatives à ce cas, j’y reconnais une névrose d’angoisse grave, avec atteinte anxieuse et phobies, névrose provenant d’une continence sexuelle et qui s’était combinée à une hystérie. Le troisième cas, celui de Miss Lucy R est de tous, celui qui pourrait peut-être tenu pour un cas limite d’hystérie pure; il s’agit ici d’une hystérie de courte durée, épisodique, avec une étiologie sexuelle impossible à méconnaître et pareille à celle de la névrose d’angoisse. Il s’agissait d’une jeune fille un peu mûre, avide d’amour, dont l’inclination fut trop vite éveillée par un malentendu. Mais le diagnostic de névrose d’angoisse ne put être confirmé et m’échappa alors. Le quatrième cas, celui de Katharina nous fournit vraiment le modèle de ce que j’ai appelé la peur virginale ; c’est une combinaison de névrose d’angoisse et d’hystérie, la première créant les symptômes et la seconde renouvelant ceux-ci et les utilisant. Il y faut voir d’ailleurs le cas typique d’une quantité de névroses de jeunesse qualifiées d’hystéries. Le cinquième cas, celui d’Elisabeth v. R, n’a pas non plus été étudié sous l’angle de la névrose sexuelle. J’ai soupçonné, sans pouvoir le confirmer, qu’une neurasthénie spinale se trouvait à la base du trouble. Ajoutons cependant que depuis, les cas d’hystéries pures se sont faits, en ce qui me concerne, de plus en plus rares. Si j’ai groupé ces quatre cas sous la dénomination d’hystéries, si j’ai pu négliger, en en parlant, certains points de vue essentiels en matière de névroses sexuelles, c’est parce qu’il s’agit là de cas anciens et que je me livrais alors à des recherches systématiques et pressantes sur les fondements sexuels des névroses. Si je n’ai exposé que ces quatre cas et non les douze où l’analyse aurait pu confirmer l’existence pour nous certaine du mécanisme psychique en question, c’est qu’une circonstance m’y obligea: le fait justement que l’analyse de ces cas pathologiques démontra qu’il s’agissait encore de névroses sexuelles, encore qu’aucun médecin n’eût refusé de les qualifier d’hystéries.