Préparation au Séminaire d’été 2024
Étude du séminaire XVII de Jacques Lacan, L’envers de la psychanalyse (1969-1970)
Mardi 2 avril 2024
Président-discutant : Valentin Nusinovici
Leçon X du 8 avril 1970
Maria Elena Sota
Ceci est un travail en transfert. Depuis le premier jour. J’ai accepté l’invitation d’Omar Guerrero pour vous présenter ma lecture de cette leçon X, tout en voulant dire non, car je savais que ce serait un travail difficile pour moi, mais ce geste de confiance de mon collègue et ami m’a encouragée. Ensuite, ce courant de transfert s’est élargi vers d’autres collègues : ceux qui ont écrit dans le Livre compagnon de ce séminaire, livre riche. Les lunettes de différents collègues, le cristal des uns et des autres pour aborder le séminaire m’inspirent, m’accompagnent. On retrouve là le nom de ce livre. Je me suis sentie rassurée et moins seule quand j’ai lu que d’autres vivaient aussi ce que j’avais éprouvé à la lecture de la leçon qui m’a été assignée, en particulier lorsque nous lisons « Radiophonie » : le désarroi, la perplexité. Martine Lerude disait que cela pouvait même susciter le rejet. Charles Melman demande à ses auditeurs « s’ils ne se sont pas eux-mêmes arraché quelques cheveux sur ce texte. » Claire Pouget-Dompmartin écrit que Lacan perturbe notre passion pour la grammaire. J’apprécie et je remercie la clarté pour aborder des sujets complexes, mais c’est vrai que Lacan avec son style et son éthique, je crois, nous contraint à une suspension : celle du temps pour comprendre.
Dans La Nouvelle économie psychique, Charles Melman dit que la pente de notre pensée est d’exiger la compréhension pleine. Il parle de l’agressivité que nous pouvons éprouver à l’égard de l’enseignement de Lacan, dans la mesure où il applique dans son usage du signifiant cela même qu’il enseigne, à savoir : le signifiant ne renvoie pas à un signifié qui serait univoque et substantifiable. Lacan ne peut pas faire autrement, nous dit Melman, sauf à se démentir, que d’appliquer à sa propre démarche ce que précisément il enseigne.
Il me semble que Lacan veut montrer qu’on peut transmettre quelque chose de précieux, de précis, sans s’identifier complètement à celui qui enseigne ou à celui qui veut convaincre. Lacan inaugure-t-il une nouvelle forme de transmission ? Il y en a d’autres qui n’ont pas adopté le mode habituel pour s’adresser à ceux qui désirent apprendre. Socrate par exemple.
Voilà la première chose que je voulais aborder : le thème de la transmission. Comment Lacan s’y est pris ? Comment nous y prenons-nous aujourd’hui dans nos lieux d’étude avec d’autres ? Je pense à mon Grupo PLUS au Chili notamment. Lacan nous dit presqu’au début de cette leçon combien il est différent pour lui de s’adresser à son auditoire habituel, celui qui le suit à un rythme hebdomadaire où il se livre à l’inspiration du moment, « à ce frayage que je fais ici chaque fois que je suis en face de vous, mais nourri d’abondantes notes et qui passe, qui passe mon Dieu parce que vous me voyez en proie à ce frayage… C’est même peut-être la seule chose qui justifie votre présence ici ».
Combien cela est différent donc que de « se faire enregistrer à la radio » !
Lacan nous parle de son inspiration, du frayage qu’il fait, de ses notes. Voilà ce dont il est muni. Et il est en face de ceux à qui il s’adresse. Ce mot « frayage », je l’ai lu souvent dans ses séminaires, quand il parle de la façon dont il procède. Le Petit Robert dit de ce mot, concernant la physiologie : « phénomène consistant dans le fait que le passage d’un flux nerveux dans les conducteurs devient plus facile en se répétant ». Je retiens le mot passage et le mot répétition. Puis, du verbe « frayer » le dictionnaire dit « tracer un chemin par le passage ; ouvrir, pratiquer un chemin en écartant les obstacles. » Tracer, ouvrir, chemin, obstacles. Des mots qui nous sont familiers dans notre pratique. Si je cherche la traduction en espagnol, je ne trouve pas « frayage » dans le Larousse, mais seulement « frayer. » Et là est indiqué tout de suite en français : « frayer la voie à quelqu’un », c’est-à-dire à l’intention non seulement de soi-même, mais aussi d’autres qui viennent avec moi ou derrière moi. Récemment lors de mes vacances d’été chez nous, j’étais avec une de mes filles dans une zone de montagne. Nous avons marché pendant des heures vers diverses destinations : une chute d’eau, une lagune… Les paysans de ces terres peu parcourues nous disaient pour éviter que nous nous perdions : « cherchez là où vous verrez un sentier trajinado. » Cela m’a plu d’entendre ce mot, plus commun du tout dans l’actualité, mais jadis utilisé par mes aînés. Un sentier trajinado voulait dire dans ces parages un chemin par où étaient déjà passés plusieurs personnes ou même des animaux. Quelques fois nous trouvâmes ces chemins, d’autres pas et nous devions revenir en arrière.
Le dictionnaire dit que le frayage implique « d’écarter les obstacles. » Lacan ne les évite pas, mais les affronte un à un, les obstacles eux aussi faisant partie du chemin.
En ce qui concerne « les abondantes notes », je ne peux pas ne pas penser à Marcel Czermak, élève de Lacan, qui alors qu’il devait prendre la parole pour s’adresser à un auditoire qui attendait de lui son enseignement, sortait des petites cartes de sa poche et les distribuait sur la table : c’étaient des notes qui l’accompagnaient, voire qui le soutenaient aussi un peu.
Quant à ce qui inspirait Lacan… J’imagine que son travail avec ses patients, ses lectures, ses rêves, ses rencontres, son inconscient… C’est sûr que sans inspiration on ne va pas très loin.
Lacan nous dit que ce mode qui était le sien diffère beaucoup de « cet exercice qui consiste à se faire enregistrer à la radio » où vous parlez, dit-il, « pour quelques dizaines de mille – enfin qui sait ? voire centaines de mille d’auditeurs auprès desquels le texte, abrupt de se présenter sans le support de la personne, peut causer d’autres effets. »
Voilà. Ça touche un thème qui m’intéresse beaucoup : celui de l’adresse. J’ai entendu ce terme pour la première fois au Chili, lorsque Claude Landman remerciait ceux qui l’avaient entendu dans une conférence qu’il avait donnée dans une université. Il les remerciait pour ce qu’il trouvait avoir été une écoute attentive de leur part. S’adresser à quelqu’un, s’adresser à un nombre important de personnes qui sont présentes, qui vous manifestent une attention, n’est bien sûr pas du tout pareil que de parler à une multitude, à une masse inconnue, anonyme, qui ne manifeste pas sa réaction qu’elle soit favorable, ou même défavorable, qui ne se manifeste pas. Ce sujet de l’adresse semble très pertinent alors que nous étudions les discours.
Je repense à Marcel Czermak qui, lui, à partir de ce qu’il avait appris avec Lacan, proposait deux formulations très aigües : « Parler dépend de celui qui écoute » et encore : « Qu’est-ce que parler veut dire ? »
Quand Lacan s’interroge quant au nombre d’auditeurs qui l’entendront, il ne connaît point ses auditeurs. Il dit : « qui sait ? » C’est donc un pari – de toute façon c’est toujours un pari que de s’adresser à quelqu’un ! – un pari donc que Lacan fait en cédant, comme il dit, à répondre aux questions que lui pose M. Georgin, réponses qui se proposent de resituer ce qu’il en est de la psychanalyse avec Freud puis avec Lacan. Il me semble que c’est de cela qu’il s’agit dans « Radiophonie » : reprendre et restituer quelques questions fondamentales de la théorie psychanalytique, en allant même au moment de son surgissement. Et le séminaire L’envers [de la psychanalyse] fait de même, me semble-t-il : reprendre des points clés apportés par Freud en les articulant « à la Lacan », avec ses propres recherches et trouvailles. C’est surtout ainsi que j’entends le titre de ce séminaire. Lacan nous dit que le discours de l’analyste est l’envers de celui du maître. En effet, ce séminaire qui se veut l’envers de la psychanalyse ne manque pas de courage pour interroger par exemple ce qu’il en est de la question du père pour aller plus loin en s’appuyant sur le langage et la structure.
Quand Lacan affirme que le discours de l’analyste est l’envers du discours du maître, est-ce que cela veut aussi dire qu’il est l’envers du discours de la constitution du sujet ? Je ne crois pas. Et l’envers de la psychanalyse ce serait l’endroit du maître, voire la place, le lieu du maître ? Je ne crois pas non plus. Mais on est en droit de se le demander, en travaillant sur le titre que Lacan a donné à ce séminaire. L’envers ici est du côté du pas tout, de ce qui ne fait pas cercle. Par sonorité je suis venue à mettre les noms des séminaires L’Envers [de la psychanalyse] et Encore l’un à côté de l’autre. Il n’y a que deux lettres qui les différencient. Finalement je vous propose de rester avec la lecture poétique
d’En vers : les discours.
Reprenons les mots de Lacan, toujours au début de la leçon X, dans l’avertissement qu’il fait à son auditoire, les psychanalystes qu’il se propose de former – ce qui n’est pas le cas, explicite-t-il, lorsqu’il parle à la radio. Il leur dit que ce qu’il présentera à la radio sera un texte abrupt « de se présenter sans le support de la personne ». À la radio il n’y aura que sa voix, ce qui n’est pas rien, nous le savons avec lui et par expérience. Mais, ce n’est pas pareil. Ce texte donc, le sien, qui répond à une demande, ne compte pas avec le support de sa personne et, dit-il, ça peut causer d’autres effets. Voici un mot qui apparaît souvent lors de cette leçon : « effets ». Je signale en passant que j’ai toujours été surprise par l’utilisation que fait Lacan de certains termes, dont celui de fonction par exemple. Il y a des mots qui lui sont chers à certains moments, paraît-il, et qui lui servent pour nous donner à voir ce dont il s’agit. Quant à la présence de la personne de Lacan et puisque rien n’est tout, on peut penser avec Melman – dans son texte à la fin du Livre compagnon – à un autre élément : combien la personne de Lacan pouvait faire écran à ce qu’il avançait. Lacan disait, nous dit Melman : « ma seule faute est d’être là. » Ceux qui assistaient à son séminaire ne pouvaient pas manquer du fait de la présence physique de Lacan de se référer à ce qu’il en était de son être, à jouir de cet être, effet de bêtise dit Melman.
Lacan nous dit que l’effet (est fait ?) qu’il cherche avec son séminaire est celui de la formation des analystes. Un effet formateur, pourrait-on dire, du fait d’être là, entendant, accompagnant, soutenant de leur présence cet homme qui est en train de frayer un chemin, le chemin inauguré par Freud. Assistant au travail que réalise cet auteur au fur et à mesure de son cheminement, où il revient tant de fois sur des sujets déjà abordés (le dictionnaire disait que le terme frayer comporte l’idée de répétition), mais avec des nouvelles formulations, des nouveaux tours. Il y avait un « être là » des assistants, comme ils le pouvaient – je sais que dans cette salle il y a des collègues qui faisaient partie de ces assistants – un « être là » qui les engageait toutes les semaines, pendant des années souvent.
Lacan dit dans cette leçon qu’il y a différentes façons de s’informer. Il parle de cela et de la propagation de ce qui se dit aussi. Il nous dit que M. Georgin « s’est attiré son estime », car il avait lu ses Écrits. Cela compte : comment choisit-on de s’informer ? Comment choisit-on de se former, si tant est qu’on veuille se former ? J’ai pensé à Freud lorsque Lacan parle dans cette leçon sur l’effet de propagation. À Freud en arrivant aux États-Unis lorsqu’il dit apporter la peste. Une peste se propage. Nous venons de le vivre. Mais qu’est-ce qui se propage et comment ?
En tout cas, en lisant ce Séminaire en 2023-2024 au Chili, grâce aux effets de propagation, on ne peut pas ne pas penser à la multiplicité des formes d’information qui existent à l’heure actuelle : ce trop d’informations qui est là, disponible, souvent envahissant nos vies. Quel effet cela a sur nous ? Probablement la place de la lecture n’est plus la même que du temps de Lacan. À la presse écrite, à la radio et à la télévision sont venues s’ajouter encore d’autres formes de s’informer et de s’intoxiquer aussi. Puis quant au « support de la personne », que devient-il au temps du travail à distance, de tout genre de relations à distance entre les personnes, sans support de leur personne justement ? Qu’est-ce la personne aujourd’hui ? Image et voix ? Image et voix à distance. C’est une vraie question aujourd’hui alors que là-même nous nous entendons, nous nous regardons. De quel « être là » s’agit-il ? Puisque nous sommes là, on peut même sentir une certaine chaleur éventuellement ou bien son contraire quand nous échangeons. Je donne témoignage de ma possibilité d’apprendre avec vous en vous écoutant. Bon, quand on lit un livre, il peut nous arriver beaucoup de choses et là il n’y a ni image ni voix, juste ces petites lettres dont j’espère vous dire quelque chose un peu plus loin. La lecture peut provoquer des effets de formation aussi, nous le savons, je crois. Alors qu’apporte ce « support de la personne » dont nous parle là Lacan ? Est-ce qu’on s’engage autrement quand on est là avec tout son corps ? Cela me fait penser aux sites virtuels de rencontres. Certains de nos patients nous disent l’importance qu’ils mettent à chercher ou à construire une bonne photo pout l’afficher dans l’application. Je pense à la dimension du risque. En parlant de vive voix on peut commettre des lapsus, rester en silence parce que quelque chose nous arrête… Il y a la dimension de l’imprévu. Lacan allait lire ses réponses lorsqu’il allait être enregistré à la radio. Ce n’est pas du tout sa démarche dans son séminaire où, comme il le dit, il se « livrait à l’inspiration du moment », même s’il était accompagné de ses abondantes notes. Il était « en face de vous », comme il leur a dit. C’est-à-dire qu’il y a le corps propre (c’est une expression qui souvent me fait rire) et le corps et la présence des autres, ce qui n’est plus le cas à la radio.
Lacan va dire aussi dans cette leçon combien Freud appréciait le travail de lecture réalisé par les juifs, le Midrash, nous dit-il : la pratique de la lettre, le fait de savoir lire. Je ne prétends pas faire ceci dans mon commentaire. Je me souviens d’un véritable travail de Midrash réalisé par Stéphane Thibierge il y a des années chez nous, pour nous, avec nous, en dégageant phrase après phrase le texte Le stade du miroir [comme formateur de la fonction du Je]. On conçoit bien que ce texte mérite un tel travail. Cela dit, ce que je lis des dits de Lacan dans ce début de leçon m’inspire, me touche, m’enseigne. Alors pour quitter ce premier point, je restitue la dernière phrase avant qu’un oiseau, semble-t-il, se manifeste : « … qui passe, qui passe, mon Dieu, parce que vous me voyez en proie à ce frayage…C’est peut-être la seule chose qui justifie votre présence ici. » Qui passe, qui passe, oui, c’est de cela dont il est question : ses paroles sont-elles entendues ? Passent-elles ? Ce n’est jamais garanti ! Et Lacan se demande si la justification de la présence de ses auditeurs est d’être là justement au moment où il est en train de réaliser « ce frayage ». Oui, c’est sûr que d’assister à ce moment créatif, avec tous ses trébuchements a pu être angoissant et très émouvant à la fois. Nous constatons que Lacan ne parle, ne s’adresse pas à ses interlocuteurs depuis une position de maîtrise. Ce n’est pas le discours du maître qui est là en action, ni celui de l’université, mais par moments un Lacan poète, un Lacan analysant.
Cette leçon X est riche. Je le disais, Lacan va revisiter plusieurs points de la théorie psychanalytique à partir des questions qui lui ont été adressées en vue de l’enregistrement à la radio belge. Quand il trouve qu’une question est maladroite, voire repose sur des bases erronées, il la déplace pour faire ressortir ce qui lui semble important d’être soutenu.
Un des fils qui parcourent la leçon est celui du cristal : le cristal linguistique, le cristal de sa langue, les effets du cristal. Cristal qui réfracte, qui part dans des nouvelles directions. C’est une trouvaille lacanienne me semble-t-il, cette référence au cristal qu’il reprend à plusieurs reprises dans cette leçon, dont une de ses phrases les plus intéressantes où il se sert de ce mot me semble être la suivante : … « Je joue décidément du cristal de ma langue où réfracter le signifiant pour décomposer le sujet. »
Plusieurs des questions que lui ont été posées concernent le rapport entre linguistique et psychanalyse. Il me semble que c’est la première fois et peut-être la seule où Lacan dit que l’inconscient est la condition de la linguistique. Il dit que c’est « la formule qu’il libère maintenant. » Nous étions habitués à ce qu’il nous rappelle que le langage est la condition de l’inconscient. Outre ce qu’il avance ici, à savoir que sans Freud la linguistique serait restée enfermée à l’université, il note que si l’inconscient peut être la condition de la linguistique, cette dernière n’a pas la moindre prise sur lui.
Lacan nous dit qu’il y a une gageure qui se soutient de la coupure inaugurale : celle de la barre entre signifiant et signifié. Voilà qui est important. Lacan dira plus loin qu’il s’agit là d’une barrière réelle. Ça c’est encore de la linguistique. Pas n’importe laquelle, celle de Saussure et de Jakobson. Avec cette coupure inaugurale, nous rencontrons le désêtre, dit Lacan. Voilà cette fois-ci une affirmation psychanalytique. Ce n’est plus la relation entre signifié et signifiant qui est privilégiée, mais c’est de l’autonomie du signifiant dont il s’agit, ce qui aura des effets. Il nous faut tenir compte des effets, non des contenus. Désêtre : « aucune signification ne sera désormais tenue pour aller de soi. » Voici le pas de plus opéré par Lacan. Distance donc entre linguistique et psychanalyse où Lacan avertit du leurre du signe.
Le signe suppose quelqu’un et il suffit à ce que ce quelqu’un se fasse du langage appropriation, comme d’un simple outil. Là, on est très loin de la psychanalyse lacanienne qui ne fait pas de crédit à « l’effusion communicative. »
Reprenons : désêtre, division. Au lieu d’un quelqu’un, nous avons affaire à un « quelque deux », nous dit Lacan. La question de l’être se pose plusieurs fois dans la leçon. Pourrions-nous penser que si être il y a, ça serait les lettres ? Il y a une référence dont Lacan nous fait part qui me plaît beaucoup : il nous dit que Platon dans son Cratyle montre une vive curiosité pour « ces petites bêtes que paraissent être les mots, à n’en faire qu’à leur tête. » N’est-ce pas beau et éloquent ? En tout cas, pas d’être du sujet, mais manque à être. Il n’y aurait pas d’autre être que l’objet a, dit Bernard Vandermersch dans le Livre compagnon.
Toujours concernant les rapports linguistique-psychanalyse, Lacan ajoute : « c’est tout de même de trébuchements dans les pas du langage, dans ce qu’on appelle la parole, qu’elle (la linguistique) a pris son élan, pour nous, psychanalystes. »
Dans Radiophonie Lacan nous offre cette sentence : « L’être ne naît que de la faille que produit l’étant de se dire. » Une autre phrase de Lacan qui est parue dans L’Étourdit et qui est devenue classique m’est venue tout de suite à l’esprit : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. » Qu’ont-elles en commun ? Peut-être le fait que le sujet se faufile. Il y est, mais pas d’une façon stable. Dans la première phrase, Lacan fait travailler ou laisse travailler le cristal de sa langue à propos de la faille. Faux, tomber, faillir… On peut entendre le fading du sujet. Lacan est ferme : « aucune ontologie. »
Lacan nous dit qu’à cet « étant » il faut le temps de se dire et que « ce faut du temps » est proprement ce par quoi l’être nous sollicite dans l’inconscient. Lacan joue décidément du cristal de sa langue, comme il nous redit où réfracter le signifiant pour… décomposer le sujet.
Encore quelques citations de Lacan quant à l’être et à l’inconscient. Il nous donne plusieurs formulations de l’inconscient, dans cet effort qu’il fait dans cette leçon, me semble-t-il, de reprendre et de resituer les choses. Je ne vous en livre que quelques-unes qui me frappent par leur poids et/ou leur beauté : l’inconscient n’est pas une notion, il nous suffit de poser que l’inconscient est. Ni plus ni moins, nous dit-il. L’inconscient n’est pas ancrage mais dépôt du langage, alluvion. Puis : « à quel niveau pour l’articulation de l’inconscient trouver l’attache du dire à l’être ? » Et encore : « ce qui de l’être s’articule, n’ayant qu’être de fait, soit d’être dit de quelque part. »
Voilà. Tout cela ne recouvre que quelques traits du riche abord que fait Lacan de l’inconscient dans cette leçon. La question du savoir par exemple n’apparaît pas dans ce que j’ai repris, malgré son importance. Ce qui est privilégié dans ma lecture, je me rends compte a posteriori, c’est ce qui a trait au langage, en concordance avec mon intérêt pour la linguistique.
Pour finir, quelques mots sur la structure, dont Lacan parle beaucoup dans cette leçon. Lacan nous dit qu’il fait confiance à la structure. Ça ressemble à dire qu’il fait confiance à l’inconscient, me semble-t-il. Structure est le mot dont s’indique l’entrée en jeu de l’effet de langage, avance-t-il encore. Stéphane Thibierge propose à ce propos qu’il s’agit surtout de « l’effet de localisation et de différence irréductible des places que comporte nécessairement le langage, effet qui va au-delà de la parole et qui n’a pas besoin de la parole pour être réel. » Ceci me semble très pertinent quant aux discours. Lacan affirme : « s’il y a quelque chose dans l’histoire à illustrer la définition que j’ai donné de la structure, c’est la formule que Newton met à la clé de cette chute des corps (celle qui intéressait déjà Galilée). Le terme effet me semble proche de celui de chute. » « C’est aussi la présence en tout point du réel », souligne Lacan. Je profite pour dire que Lacan insiste à plusieurs reprises dans cette leçon sur la place centrale du réel (et du danger de l’illusion d’une connaissance simple, imaginaire, mirage.) Dans la leçon précédente, Lacan avait donné une belle définition du réel : c’est « de ce qui du symbolique s’énonce à proprement parler comme impossible, que le réel surgit. »
Restent beaucoup de points intéressants, importants de cette leçon que je n’ai pas abordés.
Je vous fais part d’une de mes questions :
Comment est-ce possible que la jouissance soit ce qui va au-delà et en même temps qu’elle soit une limite ?
Je vous fais part aussi du fait que j’aimerais travailler les rapports entre l’écrit et la parole, pensant qu’il y aurait d’abord une écriture dans l’inconscient.
Et une petite trouvaille pour moi : la répétition propre au langage engendre une perte où le plus-de-jouir prend corps. Lacan appelle cette insistance « création répétitive. » Ceci éclaire pour moi cette dimension du plus-de-jouir qui me semble difficile.
Reprenant ce nouvel apport de Lacan : le cristal, je crois que nous pouvons nous demander si le cristal de la psychanalyse est toujours actif, vivant. Je crois que le Livre compagnon est un effet de son cristal. Espérons que ce que nous faisons aujourd’hui le soit aussi, nous gardant de ne pas rester serfs du sens.