Je me suis efforcée de suivre le mouvement de la pensée de Lacan le long de ce chapitre même si mon intérêt s’est finalement tourné vers la place qu’il donne à l’analyste et aussi la manière dont il va rendre compte de la répétition. Il débute par cette remarque, il y a la nécessité d’écrire les quatre discours, parce qu’il estime que même si les permutations paraissent simples, il faut les écrire, qu’il y a un problème de représentation.
Puis il en vient au Congrès de Bonneval (dix ans avant) où par le désir d’un Maître, Henri Ey (le fait du prince), c’est le signifiant inconscient qui a été mis à l’ordre du jour avec l’appui de deux de ses élèves.
Mais peut-être, dit Lacan (à la lumière de la thèse universitaire qui vient d’être inscrite sur son œuvre en 1970), peut-être que ce qui s’est passé au Congrès de Bonneval était déjà du côté du Discours Universitaire.
Pourquoi ?
À l’époque du Congrès de Bonneval, il n’y avait pas de contestation par rapport à l’autorité du savoir.
L’inconscient a été pris, si l’on en croit Lacan, comme un S2 en place d’agent.
Et du coup, peut-être que la thèse universitaire qui vient de sortir, à propos de son œuvre à lui, Lacan, se trouve en continuité avec ce qui s’est passé à Bonneval.
À mettre l’inconscient en place d’agent, c’est-à-dire comme objet d’étude, on rate la véritable portée de ce qu’est l’inconscient.
Le langage est la condition de l’inconscient et non pas l’inverse.
Le travail de Lacan traduit en Discours Universitaire a entraîné des distorsions par rapport au Discours de l’Analyste.
Mais, dit Lacan, il y a toujours le risque pour les analystes au regard d’un enseignement de se trouver du côté du Discours Universitaire. Ce qui fait la différence avec le Discours Universitaire, c’est que dans le Discours de l’Analyste, celui qui enseigne doit se trouver proche de cette formule : « il y a du psychanalyste », c’est-à-dire que son statut n’a été réglé d’aucune façon qui lui convienne. Il est Autre, c’est l’altérité qui le concerne (à la différence du Maître Henri Ey).
Comme si les diplômes, le statut d’un universitaire avaient un effet sur le savoir qu’il professe, un effet rigidifiant. Pour qu’il y ait du psychanalyste, pas de pratique frileuse de sélection, d’identification à une figure, à un type humain, à un rituel, pas de permis de conduire, sinon un discours avec sa structure, structure qui est faite de l’objet a en position dominante. La particularité de ce Discours de l’Analyste, c’est un effet de rejet. Le Discours de l’Analyste rejette de l’objet a en tant que c’est l’analyste dans son acte qui permet que de l’objet a soit rejeté. Sinon, selon les discours, si l’analyste se trouve tenir un autre discours, pas d’objet a qui se produit, on peut même dire qu’il rejette quelque chose de la psychanalyse.
Ces lettres qui composent chaque discours, ces quatre places, ne se conçoivent qu’en tant qu’elles sont liées par une structure (ça travaille ensemble) et selon des places déterminées par le discours.
C’est ainsi qu’il faut recevoir le maniement du signifiant dans l’expérience analytique et c’est peut-être aussi qu’il faut entendre les deux temps de l’énonciation de Freud, le principe de plaisir et, au-delà du principe, le plaisir. Un temps où d’abord pour Freud il y a eu la découverte de l’inconscient qui lui permet de situer le désir, et un second temps, quand Freud articule cette fonction de la répétition. Et Lacan va développer, en partant de Freud, cette importance de ce que Freud développe dans « Au-delà du principe de plaisir. » Il y a sa formule : « Ce que nécessite la répétition, c’est la jouissance. » Il y a dans le phénomène de la répétition, et donc de la jouissance, quelque chose qui va contre la vie. C’est dans la structure du discours du patient. Et Freud y est comme contraint d’y ajouter « instinct de mort » (qui n’est pas de l’instinct, dit Lacan).
La répétition ce n’est pas seulement la fonction des cycles (besoin, satisfaction…), mais c’est aussi ce qui déborde ces cycles et emporte la disparition de cette vie, c’est-à-dire le retour à l’inanimé.
Et si nous faisons une analyse structurale, nous dit Lacan, nous pouvons concevoir que la jouissance déborde le principe de plaisir en même temps que le principe de plaisir limite la jouissance. Principe de plaisir qu’il définit comme le principe de moindre tension, de la tension minimale, pour que la vie se maintienne.
Quant à la répétition, elle est faite d’un retour de la jouissance. Elle est aussi faite de la jouissance perdue, celle de l’objet perdu. Il a fallu cette perte de jouissance du fait d’être entré dans le langage et la parole et d’être séparé de la Chose pour qu’une jouissance se mette en place. Et dans la répétition elle-même, il y a déperdition de jouissance qui fait retour et remobilise la jouissance.
Lacan estime que Freud a fait tourner cette jouissance autour du masochisme, c’est-à-dire la recherche d’une jouissance qu’il estime ruineuse pour le sujet (ça c’est Freud). Lacan ne dit pas tout à fait la même chose. Parce qu’il dit qu’avec la répétition, il y a une identification de la jouissance, c’est la fonction du trait unaire. Cette jouissance est identifiée par une marque. Une marque qu’il appelle aussi l’origine du signifiant et qu’il appelle aussi le savoir. Au fond, pour Lacan, d’être entré dans le langage et la parole, il reste au sujet un lien avec ce qui a été perdu par le biais de la jouissance et aussi par une marque. Et quant à notre appréhension du monde, elle n’est pas naturelle, elle n’est pas directe. Il y a des filtres avec lesquels on se débrouille, c’est à cause de cette épuration du savoir.
Et d’ajouter : « il y a dans notre appréhension du monde quelque chose en-dessous, une articulation signifiante primaire » qu’il nomme un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant qui trouble notre représentation du monde.
Aristote avec La Logique l’avait appréhendé quand, pour ce qui concerne le savoir, il distingue hypokeimenon et ousia (substance et essence). Nous partons donc de cette formule, le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, pour donner sens à cette répétition inaugurale, c’est un savoir qui ne peut être attrapé que par la logique et c’est cela qui est en jeu quand il s’agit de mesurer dans la clinique analytique l’incidence de la répétition.
Et Lacan de récapituler : la racine de ce savoir sous la forme du trait unaire se trouve, ce savoir, être le moyen de la jouissance et il subvertit le principe de plaisir. Pour cela, il a fallu qu’il y ait perte de jouissance et c’est ainsi que surgit la fonction de l’objet perdu, le a.
Et nous voilà arrivés à l’entropie, le savoir travaillant produit une entropie. Et c’est un jeu avec l’écriture d’entropie et anthropie ; le sujet est une machine, un appareil de la jouissance produit par le signifiant.
Il y a une machinerie signifiante qui est conductrice de quoi ? Eh bien, de volupté. La volupté c’est bien du plaisir, du plaisir intense. Mais la volupté, c’est de la jouissance.
Si on prend l’exemple de la flagellation, il y a deux dimensions dans la flagellation : par la marque sur le corps le sujet peut s’identifier, s’identifier comme objet de jouissance. Par le geste qui marque, c’est la voie d’entrée de la présence de l’autre, c’est la relation d’objet.
C’est la voie, la jouissance avec le trait unaire par lequel s’établit cette division dont se distingue le narcissisme de la relation d’objet.
C’est au niveau de la jouissance, au niveau de cette marque première que le sujet est soutenu, qu’il prend consistance, consistance de l’image spéculaire.
Bien que la jouissance soit interdite, il faut un hasard, une éventualité pour que la jouissance se mette en jeu. Cette éventualité de la jouissance, il lui donne une impossibilité, un statut dans les faits d’entropie qui est déperdition d’énergie qu’il faudrait compenser et c’est la répétition qui réanimerait cette énergie ou plutôt comme il formule : « C’est l’entropie qui fait prendre corps à ceci, qu’il y a un plus-de-jouir à récupérer. » En tous cas il insiste de nouveau sur le trait unaire, c’est de cela que relève le savoir et surtout le savoir travaillant, comme il dit. Et l’être humain n’a qu’à s’ap-paroler à cet appareil.
À la fin il évoque, dans ce travail qui est produit, un savoir dont la vérité ne peut que se mi-dire. La vérité de ce savoir ne sera accessible que pour partie et pour le reste rien, et ne parlons pas de l’indicible, dit-il. Comme si se préoccuper de l’indicible c’était de ne pas prendre en compte que nous sommes pour partie séparés de nous-mêmes.
Et c’est cette séparation d’avec nous-mêmes qui conditionne et anime notre désir et l’amour de la vérité. « L’amour de la vérité est quelque chose qui se cause de ce manque à être de la vérité. »
C’est ça la castration.
Il semble insister beaucoup à l’endroit des analystes qui l’écoutent : la vérité, c’est l’impuissance. C’est l’impuissance à rejoindre la vérité, c’est notre faiblesse originelle et l’amour de la faiblesse c’est l’essence de l’amour. Quant à l’amour, c’est un chiffon qui fait voile à la vérité.
Et enfin, il revient sur l’analyste : « nous sommes supposés savoir… pas grand-chose. » C’est l’analysant qui nous institue comme supposé savoir. Le transfert se fonde là-dessus. L’analysant me dit de me comporter comme si je savais de quoi il s’agissait. Et de dire à son public : « le plus-de-jouir, c’est vous. »
Comme si d’aller à son séminaire avait permis à ceux qui l’écoutaient de prolonger leur analyse. Mais le lire n’a-t-il pas parfois ce même effet ? Un effet de a.
Ce qu’on attend d’un analyste, « c’est de faire fonctionner son savoir en termes de vérité… C’est bien pour ça qu’il confine à un mi-dire. »
Avec l’accord de l’auteur pour publication.