Préparation au séminaire d’été 2025 – Étude du séminaire, L’Acte psychanalytique
Mardi 3 Décembre 2024
Présidente-Discutante : Lene Scharling
Annie Delannoy : « En quoi l’acte psychanalytique est-il un commencement ? »
Cette question est passionnante, merci Thatyana de me l’avoir soumise comme thème pour ce soir en appui sur cette leçon.
D’emblée, quand j’ai reçu son appel il y a déjà quelque temps a surgi « au commencement était le verbe », donc là, revisitée par la question « au commencement était l’action » ou encore « au commencement était l’inconscient », ou encore « au commencement était le transfert »…
Et puis, ajouter « psychanalytique » à « acte », le spécifie, cet acte…
Tenons alors, pour corde que « acte psychanalytique » ne peut s’entendre que dans le champ de la cure et que ce sont ses effets qui, à opérer dans ce champ, produisent quelque chose en dehors de l’espace de la cure.
Et ceci étant posé, si l’acte psychanalytique est un commencement, il est un commencement de quoi ? Ou à quoi ?
Poser la question comme cela laisse entendre que l’acte analytique se propose comme une ouverture vers quelque chose, ouverture qui implique cet acte, un instant qui advient pour qu’un trajet se fasse, qu’un temps se déploie et un moment pour qu’il prenne sa valeur d’acte, c’est-à-dire se marque en inscrivant ce parcours comme une cure analytique. Mais cela contient en soit la question de savoir sur quoi « ça débouche » comme me le disait un patient qui ne croyait pas si bien dire !
Aussi, si l’acte analytique est un commencement, implique-il une fin ? Et laquelle ?
Sans doute et cela a été plusieurs fois souligné, elle ne sera pas de la même teinte, de la même coloration, qu’il s’agisse d’une cure produisant un analyste qu’une cure lambda.
Pour une cure lambda, cette fin d’analyse fait entendre l’ouverture du sujet à l’invention dont il est capable pour se tenir dans sa vie à partir de la découverte qu’il n’est déterminé par rien d’autre qu’un trou. « Ríen à savoir d’autre, « ce n’est que ça », sinon que ce trou est le lieu d’un possible appui à votre curiosité, et qui oriente désormais, votre chemin, « vos pas-de plus », à condition d’ne tenir compte !»
Mais finalement, on pourrait considérer que le passage à l’analyste n’est rien d’autre non plus qu’une invention singulière aussi… Particulière peut-être qui le pousse à remettre l’ouvrage, « la tâche », sur le métier. Relever le gant, accepter le défi ! Et se trouver pris dans une invention renouvelée de son acte…
Poursuivons. Ce terme implique que si quelque chose commence c’est toujours en appui sur la fin de ce qui précède. Cela fait entendre d’emblée que « commencement » s’inscrit sur fond de fin. Ici, pour notre propos il s’agirait donc de la fin de l’analyse dudit analyste. La question serait donc de savoir ce qui permet à un sujet de se dire analyste pour être en posture de proposer ses services à un autre sujet.
Aussi, donc, insistons, l’acte analytique, celui qui préside au commencement de la cure du patient a à voir avec la fin de l’analyse du psychanalyste qui le reçoit.
Dans le langage courant, commencement se définit ainsi :
Prémisse, au sens d’un fait d’où découle une conséquence si on l’écrit avec deux S. Dans ce sens, prémisse désigne aussi les propositions logiques dont on tire la conclusion ;
Une marque en quelque sorte, qui implique des nuances dans ces façons de cerner ce signifiant. Une marque qui aura sans doute à se répéter, pour qu’en éclose sa fécondité.
Retenons donc, cette idée de prémiss(c)e, de déclenchement et d’origine : une marque à la fois posée comme origine et en même temps saisissable dans un mouvement d’après-coup. Peut-être en retenir une lecture plus poétique : comme en semant ?…
Comment le situer ce commencement ?
Nous ne saurions le faire correspondre au moment de l’appel téléphonique au psychanalyste, ni non plus au moment du franchissement de la porte de son cabinet, en tout cas pas sans tenir compte de la suite … Mais c’est un début … Peut-être prémiss(c)e de l’acte ?
Il faut donc s’interroger sur ce qui se passe du côté de celui qui prend rendez-vous et du côté de celui qui ouvre sa porte.
L’acte n’est ni dans l’un ni dans l’autre.
Nous apercevons d’emblée qu’il s’agit dans l’acte analytique d’un nouage entre le psychanalysant et le psychanalyste, nouage qui l’inscrit dans une suite, temporelle, une suite faite de transmission, de passage, d’un savoir éprouvé dans l’analyse et qui préside et conditionne ladite analyse et son issue.
D’ailleurs, cette leçon, nous confronte à l’écueil de vouloir disjoindre radicalement la question de l’acte entre analysant et analyste. Il me semble intuitivement que c’est dans l’entre-deux que nous pourrions admettre de situer ce qu’il en est de l’acte analytique en tant que nous dit Lacan : que peut-être, dans l’acte « il doit y avoir un rapport à la tâche » et d’ailleurs que ce rapport ne se laisse pas saisir si facilement.
Aussi, la tâche de l’analyse va produire l’acte. C’est curieux de le dire comme ça mais c’est vraiment me semble-t-il faire entendre qu’il ne s’agit pas d’un temps chronologique mais d’un temps logique, d’un processus à l’œuvre, où advient quelque chose par un acte qui le fonde, ce quelque chose, en même temps qu’il en permet le surgissement. Aussi, et l’analysant et l’analyste sont concernés par la tâche. Disymétrie des places et du rapport à la tâche bien sûr.
Alors pour prendre les choses simplement : peut-être y faut-il quelques ingrédients ? Ingrédients qui fassent prémiss(c)e à ce qu’un acte inaugure une cure et instaure un commencement au-delà de la cure.
Côté patient : peut-être peut-on y situer « au commencement était le verbe ». Après tout, cet appel téléphonique est une parole qui vaut demande. Elle s’articule et comme toujours on ne sait pas d’emblée ce qu’on demande. En tout cas cela pose d’emblée la dimension signifiante au principe d’une cure. Biensûr ce n’est pas suffisant, parce qu’il va falloir que cette dimension prenne épaisseur et insiste jusqu’à ce qui s’y repère une demande vaine en ce qu’elle croit viser.
Prémiss(c)es donc, à ce qu’une cure analytique nécessite de mise en place de cet espace des dit-mansions du dit, pour qu’elles puissent se déployer et s’éprouver jusqu’à ce qu’en émerge une vérité aux confins du réel, d’où émerge et qui constitue le sujet.
Côté analyste :
La tâche, côté analyste, dans ces premières rencontres où le patient s’adresse à lui, serait de l’ordre de le mettre, son patient, sur la scène de l’inconscient, lui en ouvrir la porte et lui faire franchir le seuil. Le faire passer en quelque sorte de patient à analysant.
En somme, ce qui positionne le psychanalyste qui reçoit son patient, est cette hypothèse que de l’inconscient il y a et qu’il va être nécessaire de le faire résonner. « POSER L’INCONSCIENT », dit Lacan.
Si cela ne s’impose pas d’emblée, c’est bien que la fonction « analyste » doit entrer en manœuvre. Et c’est là que Lacan va situer ce qu’il en est de ce commencement, au lieu de la fin de l’analyse du psychanalyste. Et cela impose l’ingrédient incontournable d’une cure analytique : le transfert.
Alors, « au commencement est le transfert. » Voici sans doute, ce lieu où se joue la scène de l’entre-deux entre analysant et analyste. Dans son propos Lacan indique que « le transfert s’installe en fonction du sujet supposé savoir ».
Remarque au passage, côté patient, est-ce d’évidence que le sujet qui vient rencontrer un analyste suppose ce savoir ? Je ne suis pas convaincue, dans nos coordonnées contemporaines, que cela soit toujours là d’emblée. Le psychanalyste, souvent réduit au psy – tout court – dans l’adresse qu’il constitue pour le patient, est souvent interpellé comme sachant, aujourd’hui. Ce supposé de départ, côté patient, il va falloir qu’il s’instaure. Autre prémiss(c)e donc, cette place de sachant aura en premier lieu à s’évider voire à choir pour que s’instaure la fonction de sujet supposé savoir.
Côté analyste alors… « Au commencement était le transfert » et dans cet espace « au commencement était l’acte ».
Je ne vais pas reprendre ici les 3 opérations qui président à la cure analytique, je pense que Paula nous a fait entendre leur ressort.
Ce qui m’intéresse c’est cette place inaugurale qui est nécessaire à ce qu’une cure soit dite analytique. De l’analyste il faut. Mais il semble que ce qui instaure ce « y a de l’analyste » relève non pas de « l’être analyste » qui n’existe pas, mais bien de ce que du désir de l’analyste il y ait. Et c’est cela qui inaugure la possibilité qu’une analyse pour un autre, commence.
Faisons un détour par le 7e art. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce film de de Patrick Leconte qui date un peu car il est de 2003 je crois. « Confidences trop intimes. » Il s’agit d’une jeune femme (Sandrine Bonnaire) qui vient à son premier rendez-vous chez le psychanalyste et se trompe de porte (acte manqué !) Elle se trouve à parler à Lucchini qui est analyste… financier ! Et ça marche : elle l’instaure comme psychanalyste. Et lui, saisi par l’incongruité de la situation et plein d’humilité, l’accueille, sûrement curieux de savoir un peu ce qui se passe pour elle et se faisant pour lui… Il y a peut-on dire erreur sur la personne, erreur, qui très vite se dévoile sans pour autant contrevenir à ce que les rendez-vous se poursuivent : illustration assez sympathique de ce que l’instauration du transfert et de la fonction sujet supposé savoir veut dire.
Que s’y passe-t-il ? Il me semble que ce que montre ce film c’est la façon dont s’installe le discours analytique côté analysant certes, mais aussi côté analyste. Il y va, il paie de sa personne, on pourrait dire, en appui à l’énigme que constitue pour lui la place à laquelle il se trouve convoqué mais qu’il accepte, soutenu par le semblant qui prévaut. Ledit analyste se tient dans le semblant et le patient dans le vrai semblant… Cela ouvre cet entre-deux entre l’un et l’autre. Chacun se trouve embarqué dans le discours psychanalytique, à sa place. Doit-on y voir là ce changement de discours qui, en surgissant, et à qui chacun dit oui, (Bejahung) instaure le transfert et permet que s’ouvre la dimension de l’inconscient ?
Dans la leçon, Lacan propose le poème de Rimbaud comme la formule de l’acte. « À une raison ». Ce poème il le reprend dans Encore en 1972, pour nous dire que pour Rimbaud, l’amour fait signe que l’on change de raison, de discours.
« Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tête se détourne : le nouvel amour !
Ta tête se retourne, – le nouvel amour !… »
« C’est la formule de l’acte », assène Lacan, et cela nous donne un indice qu’un acte aussi infime soit-il, un coup sur le tambour, un pas, un détournement-retournement de l’autre, produit des effets incitant à un changement d’envergure… Une harmonie d’un autre ordre, une mise en mouvement et l’advenue d’un nouvel amour. Un amour d’une autre dimension, celle du transfert, et poussons jusqu’à dire que l’effet produit un basculement subjectif qui fait passer à la dimension désirante. Susciter le désir. Situons là « au commencement était l’acte ».
Ce film nous montre très bien cette dimension de l’amour, qui respecte toute abstinence et se colore d’une teneur particulière, puisqu’il supporte toute l’énonciation entre les deux personnages. Et ce faisant, permet que commence à s’interroger le désir, dévoilant au passage la question fantasmatique qui éclaire la demande initiale de la patiente. À ce titre, ce film qui nous amène à voir s’ouvrir, se mettre en mouvement et commencer donc, une vie organisée à partir du lieu du désir et non pas d’une demande d’amour vouée à sa perte.
De la méprise de départ, s’instaure, grâce au trajet de la cure, un nouveau sujet, ou plutôt pour reprendre le terme de Lacan, un sujet renouvelé. Acte psychanalytique d’un changement de discours qui augure du renouvellement. S’orienter dans la vie à partir de là.
Voilà en partie, comment répondre à cette question posée : En quoi l’acte psychanalytique est-il un commencement côté patient ? Celui d’une route non plus guidée par l’objet perdu à retrouver mais orientée par un objet cause, d’un désir, parce que révélé par l’opération vérité, d’un « je ne suis pas » qui vaut structure subjective.
Pour finir (!)
Côté analyste, je reprendrai à mon compte ce propos de Pierre Bruno, que « le désir de l’analyste, c’est prendre acte, de l’impossible à l’être ».[1]
Nous pourrions dire que cela équivaut à poser que ce que l’analyste a à faire valoir, relève de ce renouvellement pour lui de sa position dans le discours dans lequel il accueille son patient : là où il a lui-même fait l’expérience du trajet d’une cure menée jusqu’à son terme. Poser la dimension de savoir comme supposée et relever le défi d’endosser cette supposition qu’il a pour lui-même déconstruite. Il me semble que c’est là toute la dimension du semblant qui opère : il fonctionne en place de semblant de manque de son analysant. Ne pas être analyste mais en faire office. Il s’agit d’une déconstruction qui ne vise pas une politique de terre brûlée, puisqu’elle préside à l’invention nécessaire à son acte : celui d’ouvrir cet espace d’une parole qu’il va guider jusqu’à l’épuisement pour son patient, de ce savoir qui ne se sait pas-tout. Dépliement d’une parole qui aura à faire les tours des opérations de la cure pour « déboucher » ce trou qui le fonde et que lui soit révélé ce savoir pas-sans-objet, d’en être décomplété.
Son acte donc réside peut-être à se tenir à la corde du semblant d’objet a, pour qu’elle lâche côté psychanalysant, lui-même au seuil de son destin alors… Qui sait peut-être de relever le gant ! L’acte analytique, acte qui commence par la fin et ramène au commencement…. Et qui se renouvelle à chaque patient accueilli.
Je vous remercie.
[1] Pierre Bruno, « Au commencement, jamais » in Vétu, 2018