Pour ceux à qui ce mot n’évoquerait encore rien, le bootstrap n’est pas une discipline nouvelle pour les prochains Jeux Olympiques d’Hiver.
Il évoque dans notre domaine un mode opératoire particulier dans le champ du travail analytique, auquel Jean-Pierre Lebrun nous convie dans la conclusion de son dernier ouvrage, La perversion ordinaire (1).
Comment travailler avec un " néo-sujet ", tel qu’il dénomme cette catégorie si particulière de patients, habitants d’un monde post-moderne, et dont il a si bien décrit l’émergence tant clinique que sociale dans son ouvrage précédent, Un monde sans limite (2) , ainsi que dans le livre d’entretiens accordé par Charles Melman L’homme sans gravité (3).
Nous manquions jusqu’ici d’indications thérapeutiques claires ainsi que d’orientations sur la manière de conduire le travail avec de tels patients, dont la prévalence du rapport à la jouissance et le refus de se confronter à la dimension de la perte n’excluent cependant pas qu’ils viennent s’adresser à nous pour une demande de soins et d’aide, le plus souvent sur un bord de grande détresse ou d’effondrement psychique et d’angoisse, parfois encore sur le versant de l’apathie, de l’addiction, ou du vaste fourre tout actuel que nous autres cliniciens persistons encore à tort à nommer dépression.
Refusant les deux écueils, tant de la facilité qui serait de déclarer forfait et de décréter tout travail psychanalytique impossible avec de tels patients, que le déni de toute spécificité reconnue à cette catégorie de sujets, qui conduirait à se camper dans une attitude de soutien indéfectible du transfert envers et contre toute évidence qu’il n’y a pas chez ces sujets d’adresse à un analyste-supposé-savoir, Jean Pierre Lebrun nous incite au contraire à repenser, ré-orienter, nos interventions, d’un triple point de vue théorique, technique, et pratique.
Mais qu’est ce donc alors que ce bootstrap qu’il nous invite à mettre au travail?
Il s’agit d’un emprunt à la physique quantique, et notamment à un physicien du cosmos, Edgar Gunzig, dont il cite l’ouvrage autobiographique, " Relations d’incertitude(4) ", mis en forme romanesque avec l’aide de l’écrivain et journaliste scientifique Elisa Brune.
Edgar Gunzig emploie ce terme pour récuser la notion classique de Big Bang à l’origine de la formation du monde, et évoquer l’hypothèse d’un auto-engendrement de l’univers sans recours à une impulsion extérieure.
Le bootstrap est au départ le nom des sangles latérales, que l’on trouve sur les bottes d’équitation, et qui permettent d’enfiler ces bottes sur sa jambe jusqu’au talon.
L’allusion est ainsi faite à un épisode des célèbres Aventures du Baron de Münchhausen, qui, tombant dans un étang avec son cheval eut l’idée géniale de tirer sur les sangles de ses bottes pour provoquer le mouvement qui lui permettrait de se désengluer.
Le véritable baron de Münchhausen, de son vrai nom Karl Friedrich Hiéronymus a bel et bien existé (1720-1797), et il est possible de visiter sa maison, en Allemagne, qui a été transformée en musée.
Officier allemand à la solde des Russes, il combattit les Turcs en 1740. Démobilisé et revenu nostalgique de ses exploits guerriers, il s’amusa alors à les raconter avec faconde à ses amis.
En 1785, un exilé politique allemand Rudolph Erich Raspe, eut l’idée, pour gagner de quoi vivre, de publier une première fois à Londres ses récits picaresques et burlesques.
Leur succès à travers l’Europe fut d’emblée considérable, mais ne pouvaient être vendus tels quels en Allemagne du fait du bannissement de son auteur, si bien qu’un écrivain allemand Gottfried Bürger se chargea de les traduire sous son nom en 1786, mais en les remaniant à sa vision personnelle.
Il circule ainsi au moins deux versions de cet ouvrage très populaire. La traduction qui s’est imposée en France, grâce à Théophile Gauthier fils, et illustrée par Gustave Doré, n’enlève rien, bien au contraire, à la pertinence de la métaphore. Ici, ce n’est pas sur ses bottes, mais sur sa chevelure que le Baron dut tirer pour s’extirper du marais.
Autrement dit, sur le corps propre :
La traduction de Théophile Gauthier fils est la suivante : " Une autre fois, je voulus sauter une mare, et, lorsque je me trouvais au milieu, je m’aperçus qu’elle était plus grande que je ne me l’étais figuré d’abord : je tournais aussitôt bride au milieu de mon élan, et je revins sur le bord que je venais de quitter, pour reprendre plus de champ ; cette fois encore, je m’y pris mal, et tombais dans la mare jusqu’au cou : j’aurais péri infailliblement si, par la force de mon bras, je ne m’étais enlevé par ma propre queue, moi et mon cheval, que je serrai fortement entre les genoux. " (Les aventures du baron de Münchhausen. Paris. Gallimard. 1977. Pp. 46-47)
S’il ne s’agissait pas pour nous d’un véritable défi dans la cure, on ne saurait sans sourire trouver dans l’équivoque de la langue française description plus appropriée de sujets qui sont amenés dans le même mouvement à devoir, comme le souligne Lebrun, " prendre appui sur la signification phallique et ne pas l’avoir à leur disposition. "
Nous retrouvons là une des grandes difficultés du malaise contemporain dans la civilisation, que nous connaissons bien.
Nous reconnaissons là en effet un grand nombre de situations cliniques, qui ne concernent pas seulement les sujets que Jean-Pierre Lebrun évoque dans son travail, ces néo-sujets " déshabités " de leur parole, et qui ne se sentent pas engagés par elle, " non arrimés " au symbolique.
Mais elles concernent par exemple tout aussi bien la nécessité pour un père de trouver en lui une autorité suffisamment valide vis-à-vis de ses enfants, lesquels enfants, quant à eux, s’appuient et sont solidement confortés dans le social, si non par la mère, sur une négociation contractuelle à laquelle ils sont rompus et qui leur semble être la norme, et dont ils ne doutent pas un instant qu’ils ont raison.
Elle concernent le point d’appui, pour tout travailleur social, ou pour tout enseignant, qu’il va devoir trouver en lui même afin de lui permettre d’exercer dans des conditions de calme et d’autorité suffisamment convenables le métier qu’il a choisi et auquel il croit, et ce, parfois, à l’encontre de sa hiérarchie qui n’a plus, bien souvent, pour seule vision du monde que les consignes politiques dont on lui a délégué l’application, à savoir, la satisfaction de tous, en d’autres termes, la loi locale du plus fort et du plus fainéant.
Elles nous concernent chacun, directement, car il est bien rare que dans une vie, nous n’ayons pas eu à prendre au moins une fois une décision qui nous engage sans pouvoir cette fois là nous appuyer sur aucun référent antérieur.
À faire acte de fondation.
Seul.
À franchir le Rubicon.
Si non Lacan, César, De Gaulle, etc.., les exemples dans l’histoire sont nombreux.
Revenons cependant à une clinique de l’ordinaire.
Que cherche à nous transmettre Jean-Pierre Lebrun lorsqu’il utilise cette métaphore du bootstrap ?
En pratique, cela commence pour l’analyste à tenter de vivifier la place de l’Autre. Non pas, pour s’y substituer, ce qui serait une des formes de la canaillerie, mais d’occuper une place suffisamment consistante, avec comme objectif de permettre au patient d’établir ou de rétablir un dialogue avec lui même, une conversation en soi même, sur laquelle il puisse prendre appui pour vivre et s’orienter.
Pour le névrosé, en effet, il n’est supportable de découvrir que l’Autre est vide, qu’à la condition qu’il puisse s’assurer dans le même temps qu’il abrite également le trésor des signifiants.
Si cette garantie manque, alors, il n’y a plus place que pour un désespoir sans fin.
Ce qui maintient le courant de la vie, c’est précisément qu’un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, que l’objet du désir reste masqué et obscur, et surtout manquant, et ainsi de suite, indéfiniment, du moins le temps que la vie ordinaire épuise son crédit biologique.
" Ainsi va la vie ", ou " C’est la vie " , " il y aura des jours meilleurs ", dit on de manière générale pour parer et surmonter ses aléas, et permettre que continue la marche libidinale ordinaire dans l’organisme, la succession des bons et des mauvais moments, et la reprise des investissements, la course du désir, avec son cortège d’échecs et d’insatisfactions, mais aussi de réussites et de joies, et si non atteintes, du moins attendues, prévisibles, ou espérées. C’est ce que traduit à sa façon le dicton populaire " L’espoir fait vivre ". Quelque chose du courant libidinal circule encore dans l’organisme, s’organise autour du manque, et ce malgré les difficultés réelles, permettant la reprise des projets, la croyance en un avenir meilleur, ou du moins, améliorable, une bande de moebius qui permet ainsi d’alterner les moments de découragement aux moments d’espoir.
Mais qu’en est-il lorsque l’Autre n’abrite plus de manière repérable que des signes réels, des images, affectées du signe plus, toujours plus, objets de consommation télévisuelle, ou industrielle, assurant l’excitation des organes en lieu de libido, et lorsque que ces signes n’assurent plus leur office de substitution, et ne font même plus signe pour le sujet?
Lorsque ces objets qui remplissent l’Autre ne le saturent plus, soit parce qu’ils sont passés de mode, et que leur interchangeabilité n’est plus envisageable, soit parce que le patient, pour une raison ou une autre qui tient aux aléas de sa vie, n’y a plus accès ?
Bons à mettre au rebut, comme nous entendons parfois certains patients dire d’eux même, identifiés à ces objets, lorsque ce n’est plus la reconnaissance attendue de l’autre qui est au rendez vous, mais la perte de l’autre- objet ?
Comment fera t-il pour ne pas s’effondrer, dans la dépression ou dans l’addiction, l’alcoolisme, la toxicomanie, censées lui procurer objets pharmakon non défaillants?
C’est ici qu’intervient un tour de force qui n’a rien à envier à celui princeps du Baron, et qui n’est pas si facile à attraper, difficulté en tous les cas tout à fait perceptible dans l’ouvrage de Jean Pierre Lebrun, par ailleurs d’une très louable et rare clarté pédagogique que l’on retrouve dans le style de tous ses ouvrages.
Il s’agit de permettre au patient de retrouver une position subjective, d’abandonner le " on " des images, qui constitue le point d’interlocution du sujet, point d’embourbement, d’enlisement, qu’il qualifie du néologisme d’ "entousement ", forgé à partir du tous.
" Dans le cas de figure, il ne s’agit plus de penser qu’il dispose encore d’avance d’une place d’exception. Il s’agit en revanche de se mettre à la recherche, avec le sujet, de cette place en lui, et ainsi d’amorcer un processus. Se constituer cheville ouvrière du travail, ce n’est alors ni la conséquence d’un volontarisme analytique, ni non plus la marque d’une éthique nouvelle de l’engagement de l’analyste, mais tout simplement une façon de diriger la cure qui tient compte du régime d’évitement de la subjectivation dans lequel s’inscrit le sujet contemporain. Un tel choix, évidemment, ne sera pas sans conséquences. "
Il met en avant la valeur de ce qu’il appelle l’interlocution, en jouant sur l’homophonie du terme, tel qu’elle est utilisée par Lacan dans les Ecrits : " Quand le sujet s’engage dans l’analyse, il accepte une position plus constituante en elle-même que toutes les consignes dont il se laisse plus ou moins leurrer : celle de l’interlocution, et nous ne voyons pas d’inconvénient à ce qu’il se laisse interloquer. (5) "
Ré-éprouver en se les appropriant, les lois de la parole, pas celles de la parlotte, mais celles qui permettent de " nouer ce qui se dit et le lieu du dire ", et qui reposent sur un vide initial, sur la perte inaugurale que donne l’accès à la condition d’être parlant, afin de redécouvrir la force du langage et de la parole, que les mots ont ce pouvoir sur la chose, qui est de la faire apparaitre et disparaître, et qu’ils nous ont été légués en héritage par les générations qui nous ont précédé. Et cela passe par faire taire le brouhaha extérieur, si non en soi, à s’autoriser à penser dans le cabinet de l’analyste.
La vie d’Edgard Gunzig n’a rien à envier aux aventures du Baron de Münchhausen et est tout aussi rocambolesque. A ceci qu’elle est véridique. Enfant du XXème siècle, né sur le front de la guerre d’Espagne de parents juifs polonais communistes, enfant caché durant la guerre, puis, le père ayant disparu à Auschwitz, entrainé après la Libération par sa mère dans le piège du retour en Pologne pour " bâtir le socialisme réel ", passeur occasionnel de diamants bruts arrêté et incarcéré six mois en Inde, il aura à faire preuve d’une capacité d’adaptation et d’imagination extraordinaire et hors du commun, pour se sortir de situations de prime abord totalement inextricables et figées.
Ami intime du physicien et prix Nobel Ilya Prygogine, spécialiste de la thermodynamique, la théorie du bootstrap selon Edgard Gunzig est une théorie de la transformation de la matière à partir du vide, qui se réfère aux lois de la théorie quantique, et de la relativité générale. En effet, le vide tel que le conceptualise la physique quantique n’est qu’un état virtuel des molécules, en état dit de plus faible énergie. Il fourmille d’une énergie latente, et n’est donc pas le néant. A ce titre, le vide peut être considéré come du non-actualisé, non pas l’absence de toute chose, mais un état particulier des choses. Il reste une énergie inamovible, irréductible.
Le Boootstrap tel qu’il le décrit recouvre en fait un processus complexe de création de l’univers qui rend compte de la combinaison de plusieurs phases en chaine, l’amorçage, soit la production initiale de particules réelles à partir de particules virtuelles, émergeant du vide quantique, fluctuant et instable, par paires de signes opposés, particules et antiparticules, qui s’y annihilent immédiatement. Cette fluctuation, cette instabilité créent ainsi une énergie susceptible de produire ces particules réelles. C’est le principe d’Heisenberg, ou principe d’incertitudes, sur lequel le titre du livre d’E. Gunzig joue. Le bluff, qui repose sur cette instabilité du vide quantique, sa fluctuation, soit une énergie auto-produite par l’expansion de l’espace, qui a pour effet d’ "exciter " le vide, et d’apporter cette énergie nécessaire, qui ne provient donc d’aucune énergie extérieure. L’ajustement réciproque, soit la production de particules alimente l’expansion, qui alimente en retour la production de particules, en effet " boule de neige ". Le bouclage temporel, soit le vide qui génère l’univers qui génère le vide. Enfin l’interdépendance des constituants du système, l’univers est une forme cristallisée du vide, le vide est un état particulier de la matière.
Gunzig illustre chacune de ces étapes par un des épisodes de sa vie, où il dut faire appel à sa propre intelligence créative pour ne pas succomber. Bien qu’il s’agisse d’un ouvrage très émouvant, captivant, et poignant, on retrouve cependant l’écueil des procédés ordinaires de vulgarisation, à savoir que l’analogie qu’il souhaite établir entre la démonstration scientifique pourtant d’une grande clarté pédagogique et les péripéties de sa vie semblent parfois, au risque du mauvais mot d’esprit, " tirées par les cheveux ", qui ne rendent pas si facile la compréhension de ce que cette notion peut impliquer dans la vie courante.
Cependant, le bootstrap a pris son envol dans différents domaines, et ce de manière indépendante, caractérisant grossièrement ce qui a rapport avec l’auto engendrement, ou l’autoconservation d’un système sans apport extérieur.
Par exemple, en Statistique, le bootstrap recouvre une méthode d’ajustement de la fiabilité d’un modèle prédictif, sans avoir besoin de recourir à de nouvelles observations. En Economie, il désigne le démarrage d’une activité sur ses fonds propres, sans faire appel à des financements extérieurs. En informatique, il décrit le problème complexe du premier compilateur destiné à écrire le compilateur d’un nouveau langage de programmation. En Histoire, cette notion fut surtout utilisée par Arnold Toynbee, pour qui l’apparition et la disparition des civilisations venait en réponse à des défis extrêmes, menés par des minorités particulièrement créatrices.
Les artistes, les créateurs, utilisent avec bonheur le " bootstrap ".
Comment le processus même de création pourrait il se passer d’un vide inaugural, de ce " vide puissant du travail qui est devant chaque page blanche ", disait Rodin conseillant le jeune Rilke?
Raillant à sa façon ce qu’elle appelle les peintres du dimanche, Elisa Brune, co-rédactrice de l’ouvrage, le commente ainsi:
" Il faut n’avoir jamais tenu un pinceau en main pour croire que l’artiste sait par principe ce qu’il va peindre avant de peindre. C’est souvent une interaction subtile entre l’intention et la matière qui va causer l’apparition de ce qui n’existait pas auparavant, ni dans le monde, ni dans la tête de l’artiste. A chaque instant, une foule de propositions émerge, des poussées élémentaires qui habitent le vide. Une série de sélections s’opère, de façon plus ou moins consciente, par lesquelles l’artiste retient certaines propositions et en ignore d’autres, exploite ce qu’il voit au moment où il le voit. C’est une co-création entre son esprit, la matière et le temps. Le grand artiste a l’esprit vide. Il va où son mouvement l’emporte. Pour savoir ce que l’on veut peindre, disait Picasso, il faut commencer à le peindre. Si surgit un homme, je peins un homme, si surgit une femme, je peins une femme. "
La question se pose de la pertinence de ce concept dans notre domaine. La réponse n’est pas évidente, d’une part, en raison de la polymorphie du bootstrap, qui peut s’appliquer à de nombreuses interventions d’essence différente, et d’autre part, parce que si la métaphore du bootstrap est facilement attrapable dans sa deuxième partie, en revanche il n’y a pas de compréhension intuitive du vide initial nécessaire à la création. Car pour chacun de nous, dans le meilleur des cas, la présence de l’instance phallique vient border, et donc masquer ce vide, nous en rendant sa perception délicate.
" Se tenir dans une jachère tranquille " commentait ainsi Masud Kahn, pour décrire le vide en soi nécessaire à accueillir de façon constructive la parole de l’autre.
En réalité, le bootstrap pourrait facilement apparaître comme un gigantesque fourre-tout, où chacun pourrait y trouver son compte.
A commencer par tout raisonnement auto-référentiel, par exemple, " Je ne compte que sur moi-même ", ou " je préfère maintenant penser par moi-même ".
A ceux là, Jean Pierre Lebrun répond :
" Penser "- écrit il – " c’est déjà se soutenir dans le vide. C’est comme nager, ou comme faire le funambule. C’est un exercice qu’il faut apprendre. Une pratique à laquelle il est nécessaire de s’initier, certes, mais surtout d’être initié. Pour pouvoir penser, il faut avoir appris à se soutenir dans le vide. Autrement dit, il faut avoir pu prendre appui, au moins une fois, sur un autre qui déjà se soutenait dans le vide, qui lui même avait appris cela d’un autre encore. " Et, plus loin, " C’est à cela que servent-allons nous devoir le dire à l’imparfait ?- les maitres. "
A l’inverse, il y a bootstrap dès lors que l’on sort de la répétition, et que cela produit un effet dans le réel.
Je donnerais un petit exemple, parmi d’autres, de " bootstrap ".
A un analysant venu se plaindre une fois de plus de la situation de chaos de sa vie personnelle dans laquelle il s’était lui-même engouffré depuis plusieurs années, et interpellant l’analyste sur son indifférence feinte et sa non-intervention: " Mais, Monsieur, vous me laissez donc livré à moi-même ", l’analyste répondit : " Pardi, à qui d’autre voudriez vous être livré ? "
L’effet de mise en ordre fut radical.
Un autre exemple de bootstrap, moins évident. Il m’arrive pour ma part, de laisser régulièrement trainer dans ma salle d’attente un exemplaire du petit livre de Jacqueline Légaut, Les lois de la parole (6), parce que j’apprécie particulièrement l’adresse, dans tous les sens du terme, de son contenu, et de son style ; et c’est une litote pour moi d’avouer que je ne ressens ni amertume, ni tristesse lorsque je constate que celui-ci en est venu à disparaître.
A chacun, donc, d’attraper son bootstrap.
Pour conclure, je retiendrais cette très belle phrase de l’ouvrage de Jean-Pierre Lebrun : " C’est la réussite des débrouilles du sujet qui lui tient lieu d’appropriation de l’impossible. "
Notes :
(1) La perversion ordinaire. Vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007
(2) Un monde sans limite, Erès, 1997
(3) Charles Melman, J.-P. Lebrun. L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, Denoël, 2002
(4) E.Gunzig, E.Brune, Relations d’incertitude. Ramsay, 2004
(5) P. 258
(6) Éres, 2003, réed. 2006