Discussion
Bernard Vandermersch : demande à J-L Chassaing de reprendre sa dernière phrase : « rendre à la langue… »
J-L Ch. : C’est de moi, ce n’est pas de Lacan. Tu veux que je la reprenne quand même ? Oui ? Merci, c’est gentil !
« Non-sens d’une intimité fixe ou fixée rendue à la structure de lalangue (en un seul mot) ». Effectivement, plutôt que le choc narcissique de ce mauvais moment, et plutôt lancé sur la question d’un signifiant, ça s’est déplacé de cette façon-là. Mais ce qui est curieux c’est que quand même qu’on me dise : « pneumatique, vous n’avez pas ça à Clermont-Ferrand », c’est quand même un peu gros.
Valentin Nusinovici : ça manque pas d’air !
J-L. Ch. : ça manque pas d’air, tout à fait !
V.N. C’est gonflé !
Martine Lerude : Je vais tout de suite enchaîner sur cette phrase que Jean-Louis a reprise. Est-ce qu’on a là, est-ce que tu nous proposes une définition de l’interprétation qui à la fois inscrit le rapport au particulier mais avec une dimension générale voire universelle « le non-sens d’une intimité fixe ou fixée », c’est quelque chose de particulier à cette trame langagière « somme toute rendue à la structure de lalangue », et la structure de lalangue c’est ce qui concerne chaque sujet qui parle. Est-ce qu’on aurait là cette conjonction quand Lacan – je vais avec cette question d’une façon directe – quand Lacan à un moment donné parle dans l’Acte, il donne une définition de l’interprétation, il dit qu’on ne peut pas faire de généralisation, mais ça a d’une certaine façon un côté couteau suisse, cette manière de faire immixtion, si peu cela soit-il, dans la trame langagière du patient, cette immixtion est toujours particulière et en même temps elle vaut pour tous.
J-L. Ch. : oui, c’est pour ça que je tenais à l’évoquer, à le dire, c’est un exemple de ce que j’ai pu dire en lisant partiellement Lacan sur cette question-là . A la fois il a une volonté très ferme d’être essentiellement du côté du signifiant et du langage, mais pas seulement. Mais dans ce « pas seulement » ça peut aller justement du côté du jugement. Mais comme disait Marcel, effectivement on juge tout le temps, Lacan parle du psychanalyste qui paye, qui paye de l’intimité de son jugement à aller jusqu’au cœur de l’être, le psychanalyste paye de son jugement. C’est pas seulement du signifiant, ça. Ça a un côté, sans prétention bien sûr, dans l’exemple que j’ai donné à la fin, le mien, ça a un côté universel dans la mesure où ça fait référence au langage et à lalangue. Est-ce que ça s’appelle interprétation ? Moi j’en sais rien, c’est moi qui l’ai interprété un peu comme ça sans doute, je ne sais pas si c’était une interprétation voulue, pas voulue, peu importe. En tout cas, ça m’a fait cet effet-là, et dans ce sens on peut dire transmissible et universel si l’on peut dire.
Ce que je voulais aussi ajouter c’est que je me souvienne, si je m’en souviens, ce n’était pas un signifiant qui avait été particulièrement mis sur le tapis au cours de mon analyse, pneumatique, j’ai jamais parlé à mon analyste de pneumatique, de ce que je sache. Bien évidemment, dans la mesure où c’est rendu à lalangue en un seul mot ou même en deux mots, ça a une valeur quasiment universelle et transmissible. J’évoquais un autre exemple, par rapport à cette question que tu commences à soulever de la transmission, j’avais une personne qui était proche qui était psychothérapeute, qui avait fait une analyse plutôt freudienne et pas lacanienne, et qui s’occupait d’enfants ; qui me téléphone un jour pour me soumettre une chose importante. Elle me parle d’amis, les parents étaient des ingénieurs de très haut niveau à Saclay – elle me fait l’apologie de ces gens-là qui ont un savoir extraordinaire, elle-même sans doute très fascinée par eux – et ils ont une fille qui est héroïnomane, et personne ne comprend que des parents aussi extraordinaires aient une fille héroïnomane ! Et donc elle me dit, je commençais à la voir venir, elle me dit « Je leur ai dit que tu t’occupais de ces questions-là, et ils m’ont demandé quels ouvrages ils pourraient lire sur la toxicomanie ; je lui ai répondu « aucun ! » Alors ça, comment ça se transmet ? Je dis ça parce que c’était à Reims avec mon ami Francisco-Hugo Freda, et il y avait quelqu’un du ministère qui à l’époque participait à nos réunions, d’ailleurs de façon tout à fait intéressante et sympathique, et mon ami Hugo Freda, tout en regardant du coin de l’œil l’envoyée du ministère « mais ça, comment ça se transmet ? Comment ça s’enseigne, comment ça se scientifise ? et quand même il y a quelque chose…
Martine Lerude : Je crois que quand même tout l’enjeu de ta présentation de ce soir, c’est de nous faire une proposition de transmission de ce que peut être l’interprétation. Tu as un parti pris, tout à fait ferme, on l’a entendu longtemps, c’est la trame signifiante, c’est le discours du patient ce parti pris du discours. Donc quelque chose peut se transmettre, c’est une intervention signifiante, dans la trame du discours, et pourtant ça n’est susceptible d’aucune généralisation qui puisse s’appeler savoir, c’est-à-dire quelque chose qui s’écrit dans les livres. et ça, je veux dire que la manière dont l’interprétation se mêle au discours du patient, Lacan dit dans l’acte que « l’acte se mêle à la tâche analysante », et la soutient. Je crois que c’est ça que tu nous racontes, tout ce trajet que tu fais, c’est véritablement tout un parcours, parcours qui va de ces aliénistes que tu connais si bien, de Clérambault à Lacan en insistant sur les séminaires Les quatre concepts, L’Envers et en passant par la musique et par le jazz. Donc c’est vrai que cette métaphore de la musique elle vient donner ta signature : on peut manquer, et en même temps on va pouvoir reprendre, ce sont des faits de déplacement. Je trouve que cette position qui consiste à ne pas sortir effectivement du tissu du discours, c’est tout à fait essentiel. Moustafa Safouan, ça me fait penser à ça quand on a honoré les cinquante ans du Discours de Rome écrit un texte : voilà ce que nous dit Lacan, c’est que la psychanalyse, c’est une question de discours, et on ne cesse pas de vouloir sortir de ce discours, et moi je tiens à le rappeler. Il y a un petit texte de Moustafa qui date de 2003. Et elle laisse plein de points d’interrogation, quand a eu lieu cette intervention, où exactement, Elles sont magnifiques ces phrases de Lacan que tu as citées, et en même temps elles laissent une dimension d’ouverture extrêmement large. Et pourtant en suivant les différents exposés que l’on a eus, j’ai la conviction qu’on a chez Lacan une série de manières de formuler la question de l’interprétation, la plus fine est peut-être au moment des discours, de l’Envers de le Psychanalyse, qui permet en effet une transmission qui n’est pas un savoir livresque, mais qui néanmoins soulève la question : voilà s’il n’y a pas de preuves, il y a quand même quelque chose, de l’objectivité. Il n’y a pas de preuves,
Tu as dit tellement de choses que je vais faire quelques remarques. Il en parle dans le premier séminaire, le premier séminaire s’ouvre sur quoi ? sur la référence à la fable du bon cuisinier qu’il a trouvé dans Chuang Tse, où il s’agit d’avoir le couteau bien affuté, la bonne lame, et la manière de s’en servir surtout, qui permettra d’intervenir juste au niveau de l’articulation, d’une manière juste. Ça ouvre le séminaire 1 de cette façon-là. Et il parle des dérives interprétatives qui ont lieu selon les époques, et par exemple les interprétations d’ego à ego, de mécanisme projectif, ou de ceux qui mettent en avant la question de la présence de l’analyste, qu’il va dénoncer pour revenir sur la question du discours. Dès le début, et pas seulement dès le début, à la fin de son enseignement, il fustige ceux qui ont l’habitude de se la boucler, de se la fermer. « J’ose croire que leur silence n’est pas seulement fait d’une mauvaise habitude, mais d’une suffisante appréhension de la portée d’un dire silencieux. Je n’en suis pas sûr » dit-il dans RSI le 11/02/75 (éd de l’ALI, p 76). Alors bien sûr à partir de moment où on entre dans ce champ, il n’y a pas de preuves. Pas de preuves mais en t’écoutant, je me suis dit, il ne nous parle pas des effets de l’interprétation, il ne nous parle pas des effets de sens réels, et pourtant tu nous en as donné un exemple magnifique, le tien.
Il y a tellement de choses à dire sur l’exposé de Jean-Louis, quand il a commencé son exposé en disant on interprète tout le temps, ou dans la parole de Czermak on est tout le temps dans le jugement, la position de l’analyste pour autant où il y a une position, celle que dans l’Acte il appelle celle du « je ne pense pas » en même temps qu’elle est celle du supposé savoir qui garantit le transfert, la position de l’analyste est quand même celle de pouvoir tendre à se débarrasser de ses préjugés, c’est ce que dit Freud, et celle de se déprendre du jugement pour pouvoir écouter son patient, et ça c’est une discipline éthique indissociable de l’interprétation Tu n’en as pas parlé et cela concerne l’interprétation au premier chef. Et puis je voulais aussi faire une remarque sur la psychopathologie de la vie quotidienne, je pense aux interprétations qui sont toujours là, celle de nos jeunes patients et de leurs SMS, la manière dont les adolescents peuvent venir en séance, avec leur téléphone, en disant : « et il m’a dit ça, et je lui ai répondu ça, est-ce que je peux vous lire ce qu’il m’avait écrit ? » Ce réseau interprétatif qui passe par le réseau de la communication d’aujourd’hui, ça fait partie de l’interprétation de la vie quotidienne, je pensais à ça en t’écoutant, les enfants de psychanalyste qui ont été soumis à des interprétations de la part des parents qui non seulement étaient les parents mais comme à une place de savoir, et des conséquences que cela a pu avoir quand ils ont été assignés à une certaine place sous un angle de signifiant. Il n’y a pas que les enfants d’analystes, mais il y a aussi les enfants d’analystes.
Je te remercie aussi de nous avoir permis ce passage du délire d’interprétation à la question de l’interprétation. Mais moi, ce qui me parait le plus intéressant et vif dans ton propos c’est effectivement comment transmettre ce savoir qui n’est pas un savoir tout en étant un savoir, en plus de venir par immixtion comme le dit Lacan, et comme nous en a parlé Valentin, dans la trame signifiante du patient, et ça suppose cette dissymétrie radicale des positions qu’il est important de rappeler. Bon, voilà quelques remarques bien minimes par rapport à tout ce que tu nous a apportés, Jean-Louis.
Je voudrais aussi quand même vous faire remarquer que le kern,
J-L. Ch. : le kern
M.L. : C’est la citation freudienne kern unseres wesen, qu’on trouve dans la Traumdeutung, les citations de Lacan sont très proches de Freud. Sur ces citations qu’est-ce que tu peux nous dire ?
J-L. Ch. : Elles sont très proches, mais en fait tous les séminaires de Lacan, en les reprenant sur ce thème-là, même si c’est de façon limitée, ce qui est curieux, c’est qu’il ne me semble pas qu’il s’agit d’un enseignement, alors que c’en est un quand même. Il ne va pas nous dire ce qu’il faut faire vraiment, tout en le disant. C’est pour ça que je ne suis pas vraiment d’accord avec le fait que c’est proche de Freud. Oui, c’est dans la succession de Freud, mais si on prend les excès des interprétations de Freud sur l’Homme aux rats, ce n’est pas ce qu’il nous dit là, il n’y a pas de directive absolue. Si on prend, par exemple cette question des S1, il les laisse, sur plusieurs séminaires, un petit peu voguer pour chacun, c’est ce qu’il pouvait dire, à l’issue des Conclusions de l’EFP sur la transmission, que chaque psychanalyste était obligé, forcé, de réinventer la psychanalyse. C‘est évidemment à chacun, parce que la façon dont il va terminer cette conclusion est tout à fait intéressante, parce qu’il va donner une explication à ça, même si on s’arrête toujours à cette phrase, il a dit que la psychanalyse était intransmissible après l’échec de la passe, mais il dit beaucoup d’autres choses même s’il n’y en a qu’une page dans ces Conclusions. Il dit je vous ai laissé quand même plusieurs choses, et il y a S(A)barré, et le sujet supposé savoir. Et là effectivement, je ne sais pas comment envisager la transmission, mais là il donne des choses, il dit des choses qui permettent de réfléchir à ce qu’est l’interprétation sans qu’il y ait, contrairement à Freud, il n’y a pas de contenu, c’est quelque chose qui a l’air de couler un peu tout seul dans sa recherche, et parfois il piétine, d’autres fois ça vient, et moi j’avais l’impression que ce n’est ni un enseignement ni une transmission mais une recherche. C’est les trois si on peut dire.
Je lisais tout à l’heure pour me détendre un peu, la biographie de Martial Solal, je reviens au jazz, ce fabuleux pianiste qui ne jouait qu’en improvisant, parce qu’il ne voulait pas être influencé. Il a participé dès l’âge de cinq ou six ans à des bigbands, mais il n’écoutait pas les classiques. Je lisais sa biographie tout à l’heure, et il disait qu’il avait mis 20 ans à réfléchir à une méthode enseignant, transmettant l’improvisation. Enseigner l’improvisation par une méthode, il lui avait fallu une vingtaine d’années. Pas pour apprendre le piano, pour apprendre l’improvisation, qui sont deux termes antinomiques dès le départ.
M.L. : Je me demandais, dans le séminaire l’Acte analytique, ce qui est l’enjeu de ce séminaire, s’il ne s’agit pas de construire un système logique qui serait transmissible;
J.L. Ch. : Oui je serais assez d’accord.
M.L. : Des questions ?
Yvan Gattegno- Gluckman : Je pourrais intervenir ? je suis sur Zoom.
M.L. Allez-y monsieur, oui ?
Y.G. : Alors, je poserai ma question. Vous avez dit au début l’interprétation doit être lestée. Je vous poserai une question simple : lestée par quoi ? et puis une deuxième question, je ne vais pas être long, vous avez dit qu’il n’y a pas de fausses notes dans le jazz, mais est-ce qu’il peut y avoir des fausses notes dans l’analyse ?
J-L. Ch. : Oui, je vous remercie. Pour la première question, c’est vrai qu’en disant la phrase, je me la posais, cette question. Ce serait un peu facile de suivre à la lettre Lacan qui dit qu’une interprétation folle, ce serait de passer d’un signifiant à un autre signifiant, c’est vrai que ce serait une interprétation folle. Mais le lien d’un signifiant à un autre, c’est courant et habituel. Oui, c’est ça, c’est la base, si ce n’est que c’est pas toujours fou. Pourquoi ? Moi je dirais dans les suites de ce que j’ai pu lire de Lacan, du fait de son accrochage à la trame, je veux dire lestée par l’histoire, peut-être par les signifiés, pour le dire d’une façon qui est peut-être un peu rapide, lestée par un certain réel.
B.V. : Ce que je voulais dire là, c’est que c’était lesté par l’objet, ce qui fait que c’est pas fou dans le discours maniaque, c’est qu’une interprétation doit faire entrevoir ce qui s’est substitué au manque-à-être du sujet.
Ce qui m’a intéressé, à la fin, c’est ce que tu nous donnes, c’est quelque chose qui se passe dans une cure, à la fin, l’analyste dit une parole qui est un peu vexante, il te prend pour un débile mental, et là il te gonfle, quand même, il y a quelque chose du narcissisme qui est mis en jeu, et c’est toi qui fais l’interprétation finalement, qu’est-ce qui fait qu’il y a quelque chose qui se déleste quand tu arrives à dire, ah ben oui, Clermont-Ferrand, le pneumatique, j’aurais pu lui dire ce que Martine et toi vous étiez d’accord pour dire un retour à l’espèce d’universalité de la langue. Alors, qu’est-ce qui peut être soulageant là-dedans ? J’avoue que j’ai du mal à saisir. En tout cas, il semble qu’il y ait un effet de dissolution du sujet supposé savoir dans cette espèce de…c’est simplement une connerie, quoi.
J-L. Ch. : Oui, parce que quand j’ai pensé évoquer cela, je me suis dit : est-ce que c’était de sa part une interprétation ? disons qu’effectivement c’est non, je n’en sais rien, et puis je m’en fous. C’est quelque chose qui m’a fait passer d’une certaine passivité d’un imaginaire, à la question du langage et de lalangue. Quand je lis des textes comme ça, les gens disent toujours est-ce que c’était véritablement voulu ou pas, c’était intentionnel ou pas, ou est-ce que c’était une interprétation ? Peu importe, peu importe. Ce n’est pas la question, la question c’est l’effet que ça m’a fait.
V.N. : Oui à la suite de ce qui est dit là, puisque ça roulait déjà, et j’étais arrêté, amorti dans ton affaire. Mais je me suis arrêté un moment sur le dérailleur. Ça, j’ai trouvé que c’était vraiment bien, changer de chaine… (quelques mots inaudibles) mais il y avait un autre élément, je pense que ce n’est pas par hasard que ça assone, on avait le rail de l’objet a … ça rejoint les questions qui ont été posées, ça déraille, mais même si c’est différentes chaînes, est-ce que l’objet, c’est le même ? Celui qui soutient la métonymie dans les différentes chaînes, je ne sais pas si c’est lui qui leste, ou si ce que tu as repris de Lacan, ce n’est pas quand même le refoulement originaire qui leste la métaphore, et n’importe quelle (interprétation ?) pourvue qu’elle ne soit pas folle, bon allez j’arrête mon erre là.
B.V. : Je voudrais quand même dire que quand tu dérailles tu ne changes pas de chaîne, mais de pignon.
V.N. : C’est vrai, je ne sais pas comment j’ai pu dire une bêtise pareille !
B.V. : On arrive à dire n’importe quoi.
J-L.Ch : Ah oui, faudrait que je vérifie ça. Il me semblait que le pignon faisait changer de chaine.
B.V. : Quand tu pètes la chaîne, il faut la changer, oui.
Martine Campion : Merci beaucoup, Jean-Louis, et pour ton exemple, je trouve ça très intéressant parce que ce que tu amènes c’est un scénario dans ton exemple personnel. Il n’y a pas une dimension signifiante au premier plan, il y a un scénario. Tu dis quelque chose d’important, « j’étais investi d’une mission importante », et dans ce scénario il y a quelque chose qui tombe petit à petit, ça m’a rappelé, Martine tu te souviens sûrement d’un séminaire que tu avais fait avec Josée Lapeyrère où Josée amenait des scénario, on dit scénarii, qui faisaient effet d’interprétation. Je voulais juste souligner ça.
M.L. : Oui, un effet de sens réel. L’objet peut faire effet de sens réel, parce que là il y a un objet.
J-L. Ch. : Il me semble que c’est difficile de le retranscrire dans un cas clinique. Il y a quelque chose qui se transmet mais quand je le raconte, c’est pas la même chose. C’est pour ça que Lacan dit que ce n’est pas possible de le mettre en communication scientifique, il fait bien évidemment référence au Witz. Si tu le racontes et si tu l’écris et que tu le racontes après, c’est pas la même chose.
M.L. : Il n’y a pas la surprise.
Y. G-G. : Et sur la question de la note, la fausse note ? La bonne note en analyse ? Est-ce qu’il y aurait des fausses notes dans une cure, et qui feraient sens quand même ?
J-L. Ch. : Moi je pense que oui. Dans une des citations, Lacan dit qu’elle ne doit pas être ratée. C’est assez surprenant. Je ne sais pas s’il dit ça souvent.
B.V. : « Elle ne doit pas être manquée », je crois que c’est un peu autre chose, ça veut dire qu’il faut dire quelque chose. La fausse note c’est plutôt celle qui se veut trop vraie, quand l’analysant va se trouver coincé sous un signifiant qui le désigne, qui l’assigne à une position comme peut le faire une parole parentale, ou quelque chose comme ça. Il y a des paroles de Freud qui ressemblent à ça, vous êtes un ceci, ou vous avez pensé cela. Il y a quand même un différence radicale entre Freud et Lacan, c’est ce que je voulais dire aussi. C’est ce que faisait remarquer Melman. L’objet petit a, c’est anti-paranoïaque, c’est ce qui vient impacter la réussite du sens. Il y a toujours un défaut, et c’est ça qui est intéressant, l’entropie etc, il y a toujours un défaut, c’est faire entendre ce qui manque à l’énonciation pour qu’elle soit vraie. Et c’est le peu de jouissance qui a été à l’origine du sujet, ou du signifiant. C’est pour ça que in fine il faut viser, y a pas de sens mais quelque chose où le sujet a été pris pour la première fois dans quelque chose, où sa jouissance a été prise pour la première fois dans l’appareil langagier. Je crois que c’est important, c’est lesté quand même l’interprétation psychanalytique.
M.L. : Est-ce qu’on peut dire ça ? Mais quand Lacan dit que l’interprétation doit être à la fois énigme et citation, il ne s’agit pas de résoudre l’énigme, mais de pouvoir l’énoncer. Càd que la fausse note c’est peut-être quand l’énigme se trouve je dirais annulée, ce qui viendrait là figer le sujet sous un signifiant.
B.V. : Je crois que c’est dans Les quatre concepts, où il dit que les trous du corps et l’énigme du signifiant, (quelques mots inaudibles) qui est à l’origine du sujet, que veut-il que je sois ? Quelque chose qui a été investi heureusement dans la névrose par des objets pulsionnels, des objets des orifices. Je pense que c’est très important cette affaire.
Pascale Bélot-Fourcade : C’est pour ça qu’il dit qu’il faut être une peu poète, il finit sur la langue, quand même.
J-L Ch. : c’est pour ça que la postface des quatre concepts de 70 me parait importante, très différente de ce qu’il dit en 64 sur l’interprétation, et où il réintroduit la question du plus-de-jouir.
B.V. : Oui, parce que la lettre ça n’a pas de sens, alpha, beta, gamma, ça n’a pas de sens. Quand un gosse joue avec les lettres c’est plein de caca, de pipi, de pulsions. Au départ il y a quand même un corps qui est là et qui va être pris dans l’appareil, langagier. C’est important de le rappeler quand même.
Y. G. : J’aurais juste une remarque qui me vient, comme ça. Peut-être que la finalité d’une analyse, c’est qu’un névrosé ne soit pas dupe de son objet petit a. Melman l’a souvent rappelé, qu’il sache ce qui le détermine. Alors que le psychotique, il est dupe, il l’a, il l’a dans sa poche, l’objet a enkysté. Et le névrosé n’est pas dupe, lui de son objet petit a. Peut-être que ce serait ça, finalement la fin d’une analyse…
B.V. : Je ne suis pas tout à fait sûr, nous ne sommes pas tout à fait sûrs, mon copain et moi, que ce soit la bonne formule, Je ne crois pas qu’on puisse être dupe de l’objet parce que c’est un objet dont on n’a pas d’idée, aucune …
J-L Ch. : C’est un peu l’entifier, oui.
B.V. : On peut être dupe d’une parole, on peut être dupe d’un idéal, ça sûrement. Le but de la cure, c’est certainement, comme disait Lacan, c’est de mettre l’écart maximal entre l’idéal et l’objet petit a. Nos interprétations, elles visent à ça. Et je trouve que dans ce que tu racontes, il y a là quelque chose où l’idéal de l’analyste en a pris un coup quand même, et l’idéal du moi. Je me demande s’il n’avait pas quand même une idée, ton analyste ?
J-L. Ch. : Sûrement, oui, bien sûr.
V.N. : C’est sûr. Mais il y a quelque chose qui est en abîme dedans, car ce qu’on te demande, c’est une transmission réelle, d’effectuer une transmission réelle.
M.L. : Eh bien merci à tous.
B.V. : Merci à Jean-Louis.
J-L. Ch. : Merci.