Discussion du Grand séminaire de la séance du 26 novembre 2024
26 novembre 2024

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COLLECTIF
Le Grand Séminaire

 

Bernard Vandermersch : Bon, d’abord tu as été très concise mais ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas beaucoup de choses, justement, dans ce que tu viens d’apporter à partir d’une expérience personnelle, ce qui rend la discussion un peu plus délicate en ce qui me concerne, mais qui a le mérite de dire les choses telles qu’elles ont été entendues, vécues etc.

En tous cas tu parles de l’interprétation en tant qu’acte, c’est la question, et à partir de ce qu’avait proposé Christiane, à savoir, de qui est l’acte, notamment l’acte de l’interprétation. Dans ce que tu as apporté c’est relativement ambigu, parce que l’interprétation finale, la dernière interprétation, qui pourrait apparaitre, en tous cas au niveau du sens, comme l’analyste qui dit « Ben écoute tu pourras toujours pas dire que… » c’est comme une sorte de dégagement de sa propre responsabilité presque.

 

J.J. : Apparemment.

 

B.V. : Apparemment, c’est assez curieux. Mais toi, ce que tu entends, c’est une voix presque dévocalisée. Alors première question, comment est-ce possible que tu aies entendu ça sur ce mode-là ? Que cette voix t’ait apparu couleur de rien ?

 

J.J. : Parce que … Mon analyste parlait en italien mais elle n’était pas italienne, ça c’est quelque chose qui introduit une distance, une étrangeté. Mais à part cela, c’était sa façon de parler en séance qui n’était pas celle en dehors, et en séance, elle parlait très lentement, comme d’un autre lieu et elle ne donnait pas de couleur, ça c’est absolument caractéristique, et c’est justement ça, confrontée au moment où j’étais impliquée par mon désir, je fais le passage ou je ne le fais pas, il y a eu un moment de révélation parce que je le pensais avant. C’est la rencontre avec le vide qui m’a mise en condition de dire, « dépêche-toi, c’est à toi de prendre une position ». C’est le vide.

 

B.V. : J’ai presque l’impression que tout l’acte te revient dans l’affaire. Quand tu dis sa voix sans couleur, c’était un peu toujours sur ce mode.

 

J.J. : Ici c’était marqué.

 

B.V. : Ici c’était marqué, mais enfin c’était ta décision déjà.

 

J.J. : Qui n’avait pas encore été dite.

 

B.V. : En tous cas si je te comprends, si je te suis, l’évidement à la fois du sens et de la couleur de l’objet, c’est une chose qui me travaille. On parle de l’objet petit a comme pur trou, c’est une formulation qui m’a toujours inquiété parce que je vois pas trop, l’objet petit a Lacan l’a toujours proposé comme une partie du corps, séparable du corps, avec des lieus orificiels parfaitement déterminés, la voix, le regard etc. et tous ces trous ne sont pas très purs, je veux dire, est-ce que dans ton expérience, la voix qui est apparue comme une voix qui n’était plus une voix de désirant, une voix cause d’une énonciation, une voix qui était presque complètement … tu as parlé de désêtre, une désubjectivation de l’analyste, où tu t’es retrouvée seule, voilà, à partir de maintenant je ne peux plus me fonder sur un transfert, sur un sujet supposé savoir.

 

J.J. : Oui, non seulement parce que il y a eu ça, effectivement, mais il y a eu aussi le fait que dans ce désêtre, il y avait, comment dire, le mot me manque en français, le fait que c’était à moi maintenant d’assumer ma responsabilité.

 

B.V. : Oui, mais alors le désêtre là, il est presque entendu comme étant celui de l’analyste.

 

J.J. : Oui, évidemment, oui, elle a joué ce rôle.

 

B.V. : En tous cas, parce que dans ton exposé il y a aussi la référence à la vocation de Paul qui tombe de son cheval et tu as parlé d’une émotion violente à ce moment-là, c’est loin d’être de l’ordre de ce qu’on pourrait imaginer de ce que c’est qu’un désêtre, c’est là au contraire quelque chose où il y a un appel, quelque chose de très violent justement. Et comme tu le compares à la vocation, j’irais pas jusqu’à celle du martyre mais enfin, il y a là quelque chose qui …

 

J.J. : Mais le désêtre ça n’est pas le désespoir.

 

B.V. : Oui, je ne vois pas chez toi le désêtre, je le vois plutôt du côté de l’analyste là. Et en même temps surgit cet appel, je sais pas pourquoi tu as tellement insisté sur la conversion de Paul, si tu peux m’en dire plus.

 

J.J. : Oui, c’était un moment de passage inattendu au point de vue conscient. Évidemment il y avait tout un travail qui m’avait amenée jusque-là. Mais je ne m’autorisais pas, je n’y pensais pas. Ça a été tout d’un coup.

 

B.V. Oui c’est une expérience. Tu as quand même essayé d’en dire quelque chose, notamment, tu dis, c’est parce qu’elle ne dit pas la vérité, mais tu l’as pas entendu au sens, elle ment.

 

J.J. : Non, non

 

B.V. : Parce qu’elle mentait quand même, positivement elle avait menti, elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour que tu évites d’aller chez les millériens. Donc elle mentait, et pourtant tu l’entends à ce moment-là au sens tout simple, ça ne concerne pas la vérité. Alors, il y a à la fois la chute du sens et en même temps cette espèce de chute de l’objet, mais je l’imagine mal en train de chuter cet objet, parce que c’est précisément à ce moment-là que tu perçois une émotion violente comme si l’objet était très présentifié à ce moment-là, au point que tu …

 

J.J : Ce sont je crois deux moments logiques différents. Il y a l’un et l’autre, c’est-à-dire, il y a le moment de la jouissance, parce que l’émotion violente a été rendue possible, parce que quelque hose de la jouissance a été touché et il y a eu le dégagement d’un espace complètement nouveau.

 

B.V. : Oui. Bon, il y a beaucoup de choses, tu as parlé de ton histoire et tu as accroché ça au père aussi, la transmission, si j’ai bien compris, quelque chose qui t’arrêtait dans cette espèce de réponse à une demande paternelle de réparer quelque chose, il y a aussi la voix du père là-dedans, et avec le changement de langues. Parce que tu dis que tu t’étais remis à parler croate, à l’appendre, tu l’avais perdue alors, la langue ?

 

J.J. : Je suis née à Rome, donc j’ai fait mes écoles en langue italienne.

 

B.V. : Mais à la maison on parlait le croate quand même ?

 

J.J. : Mais avant l’école.

 

B.V. : Oui, d’accord. Enfin là ça a une grande importance.

Il y a une chose qui m’a… et puis je vais laisser la parole à la salle, tu as reparlé du meurtre du père comme évidement de S1.

 

J.J. : Oui c’était une façon de mettre au travail, j’aurais pu dire autre chose encore, mais disons, ce que j’essaye, ce qui m’interroge aujourd’hui beaucoup, c’est quand j’écoute des collègues éminents qui disent aussi des choses très stimulantes, et dans leur façon de les présenter, comment dire, la prise en compte du fonctionnement de la paire signifiante S1, S2 s’évanouit, s’évanouit dans le sens qu’on n’en parle pas systématiquement, qu’est-ce qu’on en fait ? Cela à mon avis, c’est quelque chose qui risque de se perdre, parce que ce qui nous distingue, c’est justement l’écoute de quelque chose dans le discours du patient, une façon de mettre en bord et de cerner quelque chose de ce qui est non-dit face au dit. Et cela, même parmi les lacaniens, ça n’est pas si fréquent. Alors j’ai utilisé cela, qui du reste n’est pas de mon cru, mais c’est une façon de le mettre au travail, pour tâcher de m’interroger et de remettre au centre de notre travail, de notre attention, le travail sur la langue.

 

B.V. : Oui, enfin, remettre le non-dit, être attentif au non-dit, mais ce non-dit c’est pas quelque chose qui n’est pas dit, c’est quelque chose qui ne peut pas être dit.

 

J.J. : Oui, oui, sinon comment tu peux l’attraper justement ?

 

B.V. : On l’attrape dans l’intervalle signifiant, par justement ce qui est venu à cette place-là de l’impossible à dire et de l’absence de garantie de la vérité. C’est justement cet objet, l’objet petit a entraperçu, voilà.

Par contre je comprends pas pourquoi tu accroches ça au meurtre du père parce que le meurtre du père …

 

J.J. : Le meurtre du père c’est une façon imaginaire, freudienne, de dire peut-être ça

 

B.V. : Ce que Lacan montre c’est que en tuant le père, Freud a tendance à l’immortaliser, et le transformer en père éternel, et à le renforcer d’une certaine façon, et avec lui la jouissance phallique, enfin il y a plusieurs Lacan, il y a une évolution à cet égard bien sûr.

 

J.J. : Tout à fait.

 

B.V. : Moi, personnellement, je vois pas ça, l’image du meurtre du père, de la même façon que le shofar qui a pu être évoqué comme le cri de la bête, de l’ancêtre abattu …

 

J.J. : Oui mais il n’y a pas que cette dimension, il y a cette dimension assurément, mais il y a aussi le fait de la non réponse de Dieu, c’est ça, c’est la non réponse du grand Autre qui nous met en condition alors de …

 

B.V. : Oui, j’ai l’impression que, excuse-moi alors pour le coup, s’il ne répond pas, c’est pas parce qu’il est mort.

 

J.J. : Oui, le père freudien.

 

B.V. : Je pense que le père freudien, à ce niveau-là, c’est quelque chose qui est un peu caduc dans l’œuvre de Freud, et qui reste encore chez Lacan, puisque quand il parle du Nom du Père, il évoque quelque chose, même s’il l’amène de façon très différente, il reste qu’il parle toujours du père.

Bon, je vais laisser la parole à la salle qui va t’interroger sur des choses qui leur ont apparu à la fois passionnantes et surtout je te remercie d’avoir mis cette énonciation dans ton exposé. Enfin tu t’es pas trop dissimulée derrière les concepts.

 

Valentin Nusinovici : Oui merci beaucoup, je vais dire quelque chose qui m’est venu dans un second temps. D’abord j’ai entendu le « vous reconnaitrez », sur le mode de ce que Bernard a dit, c’est à-dire dans une sorte de dénégation et une défense, mais je l’ai laissé un peu poursuivre et je l’ai entendu dans une dimension, alors je sais pas comment c’est en italien, mais j’ai entendu un futur là, dans la dimension que Lacan utilise parfois pour l’interprétation, celle de l’oracle, celle de la prophétie, quelque chose « vous le reconnaitrez un jour », une espèce de mouvement futur, c’est l’impression que ça m’a donné, pour vous ça a fonctionné comme ça et je sais pas si ça dépends de la langue, mais c’est comme si il y avait eu deux qualités de futur : « Vous reconnaitrez tout de suite avant de sortir », et puis « vous reconnaitrez » ;

 

J.J. : Écoutez, je ne crois pas qu’en italien dans ce cas-là, il y ait cette nuance. Étant donné que l’analyste n’était pas de langue italienne, je ne sais pas, mais moi je ne l’ai pas entendu de cette façon-là. Ce qui me semble à souligner, c’est que moi aussi je l’ai entendu tout de suite comme une sorte de justification, mais justement c’est le travail après coup qui m’a permis de me connecter à la situation initiale qui quand même a creusé quelque chose dans mon imaginaire, c’est ça. Lacan il le dit clairement qu’une interprétation elle peut être même fausse, si elle produit des effets elle est efficace.

 

Martine Lerude : Je voudrais rebondir sur ce que vient de dire Valentin, et sur cette dimension de dénégation qui me parait effectivement très remarquable, puisque cette dénégation reprend la citation ancienne, c’est-à-dire que Lacan pouvait dire qu’une interprétation est à la fois citation et énigme. Il y a la citation, le texte, ton texte à toi, et puis cette levée, cette Aufhebung propre à la dénégation qui est là comme l’entrée, c’est aussi ce qui permet au sujet d’entrer, la négation, dans le langage. Et ça, je trouve que ça un côté formidable de terminer sur cette dimension de dénégation. Effectivement, comme tu le remarques il y a cet effet d’après-coup, tout est joué ou tout n’est pas joué mais quelque chose est ouvert.

 

J.J. : Tout à fait.

 

B.V. : En tous cas on se demande si on est en train de sauver l’analyste qui fait une superbe interprétation finale, ou si au contraire on a un analysant qui est confronté à la fois à une sorte d’abolition de … parce que au fond, ou elle ment ou elle dit rien, tu le présentais  comme un énoncé presque vide, et donc ta confrontation, à la fois à l’absence de la couleur de l’objet qui pourrait donner le sentiment : j’ai quelqu’un de vivant en face de moi, et je vais pouvoir encore m’opposer à lui, puisque mon fait de gloire c’est de lui avoir dit « écoutez, maintenant vous m’embêtez plus, vous me laisserez aller écouter qui je veux, quand je veux », et là tout d’un coup il y a plus personne à qui s’opposer, il y a plus de voix, il y a même plus de consistance du sens, alors, je dirais, c’est vraiment un art extraordinaire de l’analyste de pouvoir à son insu, parce que c’est pas pour rien, je pense, que Lacan parle de l’acte psychanalytique à partir de l’acte manqué, c’est après coup que … et là les effets que nous supposons heureux, je crois, sont quand même liés à quelque chose qui pourrait apparaitre … parce que ma question, je me mets à la place de ton analyste, comment pourrais-je tenir volontairement un propos qui serait à la fois dépourvu de tout sens et de toute couleur, c’est-à-dire comment pourrais-je moi, volontairement, me poser comme un analyste quasiment mort ?

 

J.J. : Mais quand même il y avait une résonnance au niveau de mon corps, de ma jouissance, elle le savait, parce que la voix c’était quelque chose qui, comment dire, pointait mon histoire.

 

B.V. : Oui, ça n’a pas tellement d’importance mais ton idée c’est qu’il y avait là quelque chose d’intentionnel.

 

J.J. : Ça je ne peux pas l’affirmer, mais je dis qu’il y a eu une conjoncture.

 

B.V. : Oui, ton exposé me fait aussi penser à ceci, c’est qu’il y a vraiment du contingent dans l’analyse et les effets sont toujours là où l’analyste se montre le plus brillant.

 

J.J. : Tout à fait, c’est pour ça que je l’ai souligné.

 

M.L. : Ou bien ça montre que l’interprétation est du côté de l’analysant.

 

J.J. : Je ne dirais pas, parce que c’est la relation, c’est la dimension transférentielle.

 

B.V. : Il se peut que quelquefois on essaie de faire entendre des choses, mais peut-être que si chacun ici se souvenait des moments importants de leur cure, peut-être que c’est pas toujours une interprétation volontaire, volontaire, enfin, assumée par l’analyste, qui a eu les effets les plus importants. D’ailleurs Lacan disait « L’interprétation est le joyau le plus autiste, comment il disait ? de notre personne ». Celle-là aussi si elle marche, elle est vraiment pas mijotée.

Oui, peut-être dans la salle virtuelle.

 

Jean-Luc Cacciali : Une remarque, merci Janja, sur ce que dit Lacan sur le sonore qui doit consonner avec ce qu’il en est de l’inconscient, comment tu l’entends ? Le sonore de la voix.

 

J.J. : Comment je l’entends ? Cela m’a parlé à travers la référence qui est mienne, bien que je le lie dans Lacan à la poésie chinoise, au fait que les poètes chinois chantonnent, c’est-à-dire il y a quelque chose du corps, d’une jouissance du corps qui est touché et le sonore a cet effet de réveiller ça, de le faire résonner justement.

 

B.V. : Le mot là, c’est que ce qui a été dit, ça résonne ou pas, on sait pas à priori, la pierre qu’on jette, si elle va tomber dans un lieu qui résonne ou si elle va tomber, plouf! C’est vrai que c’est pas le sens, c’est pas seulement le sens, enfin voilà. Lacan disait aussi qu’il y avait des significations qui devaient quand même être délivrées dans l’analyse, mais ce n’est pas la fin.

 

Pierre Coerchon : Janja, il y a aussi la question du passage de l’analysant à l’analyste dans tout le mouvement de la fin de cure que tu évoques. Si on reprend le séminaire qu’on a à l’étude, du passage du faire à l’acte.

 

J.J. : Mais qu’est-ce que tu veux introduire ?

 

P.C : C’est quand même si j’ai bien compris, ce qui te permet de changer de position et qui te permet de passer de la position d’analysant à la position d’analyste. C’est comme ça que tu l’as présenté initialement, c’est-à-dire qu’il y a aussi cette question du passage de la position, dans le discours analytique, de l’analysant au travail, du S barré en place de travail, de jouissance, à la place de l’agent, à l’analyste comme faisant agir aussi un travail de l’autre côté.

 

J.J. : C’est ce qui a produit aussi les tentatives de l’interprétation de mon côté.

 

B.V. : Je suis pas très sûr d’avoir bien entendu mais tu as parlé d’une tendance que tu aurais eu autrefois de prendre la voix de l’Autre, c’est-à-dire donner dans ta façon de parler, donner corps à ce qui serait dans l’Autre une voix qui serait de type surmoïque, et ça me questionne sur la façon dont, puisque tu parles de la voix de l’analyste, en fin de compte, comment ne pas donner corps dans notre parole, dans ce que nous disons, à cette voix dans l’Autre ? Parce que ça donne corps à ce que toute l’analyse est quand même là pour dissiper, accepter l’idée que dans l’Autre il y a pas plus de voix que de … et que c’est le grand silence. Je pensais à ce que disait Marie-Christine Laznik par exemple, à quel point Lacan savait jouer de la voix sur un mode un peu théâtral. Ce qu’elle disait, qui était important, elle entendait bien qu’il y avait là à la fois quelque chose de juste et en même temps de faux, de jouer pour laisser entendre un décalage entre, voilà. Je ne sais pas si, tous autant qu’on est, si on fait attention à la voix, à la vocifération, quelquefois, ça arrive, enfin, c’est dans chaque cas bien sûr.

Enfin ce qui me frappe, c’est que toi, ce qui a été déterminant, c’est la neutralisation de cette voix dans l’Autre, qui devait être quelque chose d’inhabituel, d’inaccoutumé pour que ça ait eu cet effet.

 

V.N. : Si c’est cette, comment tu as dit ? cette neutralisation, neutralisation de la voix dans l’Autre, alors c’est vraiment vidage de l’Autre, c’est-à-dire on donne à S de grand A barré, il est là purement barré, l’objet il est présent dans un certain registre mais il est absent au niveau de la jouissance, c’est-à-dire que véritablement, je fais un peu de théorie facile, je brode là-dessus, c’est-à-dire qu’à ce moment-là, le trou dans l’Autre il serait vidé de la jouissance, pour suivre l’hypothèse de Bernard. Je dis pas du tout que je sois persuadé de ça, c’était juste pour rebondir là-dessus, parce que c’est vrai que c’est la question, c’est une des questions de la fin. Est-ce qu’éventuellement ce qu’il y a eu comme jouissance au niveau de … puisqu’en principe il est nettoyé de la jouissance. Bon j’arrête mes disgressions.

 

B.V. : Non, tu t’es risqué, continue.

 

V.N. : Ça m’a vraiment accroché cette insistance sur la couleur du vide, et puis sur le fait que tu aies parlé du vide, Janja aussi a parlé du vidage ; c’est peut-être une des choses qui est attendue, c’est-à-dire, là ce qui est particulier c’est qu’il répond, en principe il répond pas, mais là il répond, alors, tout cela est assez compliqué, j’ai juste voulu dire ça sur cette question.

 

J.J. : Oui moi je voudrais simplement dire que je ne parlerais pas de neutralisation, c’est ça la question. Parce que la couleur de rien, c’est autre chose ce que j’ai eu comme expérience disons. C’était probablement quelque chose de l’ordre de ce que Marie-Christine Laznik disait, c’est-à-dire percevoir qu’il y avait une autre force, probablement.

 

Thierry Roth : Oui c’est toujours compliqué d’essayer d’interpréter l’interprétation parce que c’est tellement pris dans le transfert que chacun va broder ses intuitions, ses idées, alors que de toute façon il n’y a que toi qui peux dire comment tu l’as entendu, c’est ça qui fait interprétation, c’est la manière dont tu as entendu l’interprétation, qu’elle soit majestueuse ou banale ou ratée ou réussie de l’analyste. Ce que j’entends dans ce que tu dis c’est qu’il y a un double effacement de ce Un dans l’Autre, à la fois dans la forme, dans la voix, qui est quasiment une voix qui cesse d’exister, c’est une façon de te dire « bon vent, tu vas te débrouiller sans moi maintenant, ma voix va presque s’arrêter ». Même dans ce qu’elle dit qui peut paraitre une dénégation, c’est pas simplement une dénégation, si tu passes ton temps à dire que tu es devenue psychanalyste sous la pression de ta psychanalyste, c’est plus ton désir à ce moment-là. N’importe quel analyste devrait presque dire en fin de cure « c’est pas moi qui vous ai poussé, c’est votre désir à vous, si c’est pour moi que vous le faites, il y a déjà un petit truc un peu raté ». Donc finalement c’est une façon de te dire « bon vent quelque part, vous ne pouvez pas dire que c’est moi qui vous ai poussée » quand bien même elle t’ait un peu poussée, mais tu es obligée d’assumer ton désir à toi, donc même si c’est le cas tu ne pourras pas le dire. De ce point de vue-là c’est pas complètement une dénégation, même si c’est le cas tu ne pourras pas le dire, et si tu le dis, c’est plus ton désir à toi, ça veut dire que tu fais juste qu’obéir à ce que je t’ai demandé, et en plus de ça la voix accompagne ce « bon vent » entre guillemets qu’elle aurait pu te dire. Voilà moi je brode là-dessus.

 

J.J. : Oui je suis d’accord.

 

B.V. : C’est une façon de dire que l’analyste ne s’autorise que de lui-même.

 

J.J : Et de quelques autres.

 

B.V. : Les quelques autres ils ont été rajoutés après pour éviter le scandale, et effectivement c’est un peu prudent. À vrai dire ça pose aussi la question de cette histoire de grand Autre nettoyé de la jouissance. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que le grand Autre en tant que lieu des signifiants, une articulation signifiante qui n’est plus quoi ? Où il n’y a plus rien, il n’y a plus d’objet petit a, il n’y a pas de plus de jouir dedans, c’est quoi ? C’est un texte mort, c’est quoi ? Il n’y a pas d’Autre. C’est intéressant parce que c’est pas l’Autre au niveau du sens, bien sûr, il n’a rien à me dire, et en plus il ne jouit même pas, personne ne se réjouit de ce que je suis en train de dire, enfin dans l’Autre.

 

J.J. : Peut-être que je me trompe mais quelque part Lacan, à propos de la fin de l’analyse parle de déréliction, de Hilflosigkeit, sans désespoir.

 

B.V. : Mais là c’est du côté de l’analysant.

 

J.J. : Oui, l’analysant face …

 

B.V. : Selon Lacan sans espoir non plus, en tous cas sans espérance parce qu’il dit, j’ai connu bien des gens qui avaient mis leur désir, leur vie dans des espérances et qui s’en sont trouvés très mal.

 

JL.C. : Une dernière remarque, à propos de cette interprétation, la voix elle a la particularité qu’elle tient de l’objet petit a, c’est un objet petit a et elle tient aussi du phallus, de la fonction phallique. Alors est-ce que dans l’interprétation ce qui opère, elle est la voix couleur de rien, donc du côté de l’objet petit a, mais est-ce qu’elle n’opère pas aussi dans une dimension phallique ?

 

J.J. : Oui, dans mon cas oui.

 

B.V. : Tous les objets petits a, quand ils sont en position d’objets cause du désir, ils ont été, comme dirait Lacan, tombés dans le pot de la castration, ils ont une fonction phallique. Là évidemment,

 

JL.C. : Ils sont phallicisés, ils ont une fonction phallique.

 

J.J. : Jean-Luc, dans le cross cap, au centre de la rondelle il y a le point du phallus, donc la valeur phallique de l’objet.

 

B.V. : Jean-Paul qui est derrière, qui ne dit rien, tu as peut-être une petite remarque ?

 

Jean-Paul Beaumont : Je ne tiens pas à parler, tout ce que j’aurais pu dire a été dit je trouve. J’ai trouvé très intéressant les trois temps que Janja a mis en évidence, d’une part cette espèce de voix à la fin qui devient atone, qui perd tout, c’est plus la voix de quelqu’un, et en même temps, si j’ai bien compris ce qu’a dit Janja, c’est quand même une voix qui reste associée à une jouissance, ça reste un objet petit a. Deuxièmement il y a cette espèce d’effacement du sujet supposé savoir dans cette espèce de bizarre phrase, dans ce futur injonctif, quand elle dit « vous reconnaitrez, etc. » c’est bien un futur injonctif, c’est bien comme ça que tu l’as dit ?

 

J.J. : Oui.

 

JP.B. : C’est à la fois un futur au sens de ce qui va venir, et en même temps une injonction, comme on dit « Tu ne tueras pas » ou « Tu respecteras ton père et ta mère ». Et la troisième chose c’est, tout a été dit, c’est que, en même temps elle te laisse à ton désir, elle te laisse devenir analyste. « Vous reconnaitrez que je n’ai exercé aucune pression sur vous », c’est bien dire « c’est à toi de savoir ce que tu veux faire ». C’est pour ça qu’il y a trois temps qui sont intéressants dans cette interprétation.

 

B.V. : Tu me fais penser que j’ai pas du tout relevé, c’est toi qui a dit « Consummatum est » ?

 

J.J. : Oui.

 

B.V. : Qu’est-ce qui t’as pris là ?

 

J.J. : Qu’est-ce qui m’as pris, oui ?

 

B.V. : C’est un cri du cœur, mais bon.