Discussion du Grand séminaire de la séance du 25 juin 2024
25 juin 2024

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COLLECTIF
Le Grand Séminaire

Thierry Roth : Merci Jean-Pierre. Je pense que Claude va tout de suite engager la discussion, n’est-ce pas Claude ?

 

Claude Landman : Oui évidemment. Merci Jean-Pierre.

Qu’est-ce qui pourrait permettre de dépasser cette opposition entre l’empirisme et le concept ? Est- ce qu’on part comme tu le disais de ce à quoi on est confronté concrètement, Il y a là une pente – je ne dis pas que c’est la tienne – une pente empiriste, ou bien est-ce qu’on se réfère aux concepts pour faire un certain nombre de déductions ? Cette opposition classique, est-ce que Lacan ne permet pas de la dépasser avec l’écriture de l’objet petit a, de la lettre ? C’est un premier point qui me semble venir dans nos échanges, Jean-Pierre.

Le deuxième point est la question de savoir si la castration est le dernier mot de la psychanalyse, parce que la manière dont tu le présentes c’est : un point.C’est tout, c’est un dernier mot.

 

Jean-Pierre Lebrun : Un premier mot !

 

Cl. L. le problème me semble-t-il c’est que la castration au sens où on l’entend implique un sacrifice, en tous cas traditionnellement, tu le sais très bien, il s’agissait de sacrifier sa sexualité pour donner au sexe sa valeur dans la procréation, de finalement sacrifier sa sexualité au père, au père mort, pas au père réel, pas au Nom du père, au père mort, au père de la religion. C’est comme ça que ça a démarré, il fallait sacrifier sa sexualité au père mort, et il est évident qu’avec l’avènement de la science et de ce qui en a découlé, le fait que la procréation n’implique plus nécessairement une relation sexuelle, en effet, avec l’avènement de la science il devient très compliqué de sacrifier, et notamment de sacrifier le sexe. C’est un point qui à mon avis est crucial. Il n’y a plus aujourd’hui à sacrifier au père. Voilà dans quoi nous sommes aujourd’hui plongés.

 

Alors je faisais référence aux grecs, je faisais référence à Rousseau, pourquoi ? Parce que dans les deux cas ce sont des tentatives différentes. Chez les Grecs c’était quoi la tragédie ? C’était la possibilité de montrer qu’il fallait surtout ne pas être dans la démesure. C’est ça que entre autres la tragédie d’Œdipe montre. La fonction de la tragédie, surtout dans l’antiquité grecque, était de se garder de la démesure, ça introduisait une limite, mais de manière originale par rapport à ce que nous connaissions, nous, comme tu dis dans l’ancien temps. C’était une solution originale, ça ne veut pas dire que chez les grecs il n’y avait pas de transmission de la castration de père en fils. On est bien d’accord, c’est bien ce que Lacan pointe avec le fait qu’Œdipe échappe aux lois de la succession. Mais il y avait une tentative de solution originale. Alors, une de tes grandes questions Jean-Pierre, et je la partage – c’est qu’est-ce qui pourrait aujourd’hui  permettre de trouver une solution originale  parce que comme tu le dis souvent on ne peut pas revenir en arrière, alors qu’est-ce que serait aujourd’hui une solution originale aux questions qui nous sont posées ; et est-ce que la psychanalyse ne serait  pas en mesure, si tant est qu’elle le soit, et tu as raison, la solution si tant est qu’il y en ait une, c’est de se référer aux lois du langage, en effet.  Mais est-ce que la parole -là je parle de la parole, pas du langage – la parole ne met pas toujours en mouvement une référence, en tout cas dans nos cultures, au père mort ? Parce que sinon, la parole à laquelle on assiste le plus souvent aujourd’hui c’est une parole hors discours, qui n’est plus en référence véritablement aux lois du langage. C’est une parole folle, on va dire ça comme ça.  Dans l’ouvrage de Jean-Luc Cacciali avec Melman, les Flâneries, il dit à un moment ce n’est pas la parole qui est mise en question dans les réseaux sociaux, qui circule dans les réseaux sociaux, c’est le discours qui est nié, c’est cette fonction des discours.

 

Alors voilà je réponds, mais c’est pas mal qu’on ait un échange sur ces questions parce que c’est la seule façon d’avancer, je n’en vois pas d’autre, parce qu’on ne peut pas être seul, ça c’est sûr.

 

Thierry Roth : Jean-Pierre ?

 

J-P. L. Pas tout de suite, peut-être d’autres un peu…

 

Th. R. Est-ce quelqu’un dans la salle ?

 

Pierre-Christophe Cathelineau. Moi je veux bien parler si ça ne vous dérange pas. Je pense que les considérations de Lacan dans les derniers séminaires de son travail vont un peu au-delà de castration ou pas. Dans la mesure où quand on voit RSI par exemple, on voit que le Phallus, le grand phi longe la dimension du Réel à l’extérieur, et qu’il est constitutif du nœud, indéniablement que la castration est constitutive du Nœud. Il est mis en perspective par rapport au nœud. Et ça c’est un point qui permet de faire un pas de plus par rapport à la castration ou pas. On peut considérer que du point de vue du concept, pas du point de vue de l’empirisme, du point de vue du concept, on est en droit de penser que la castration, ce grand Phi, prend appui sur une structure qui le dépasse, et qui le relativise. C’est tout le sens de la démarche de Lacan. D’ailleurs à la fin Lacan se demandait lui-même ce que voulait bien dire la question de la castration. Il le pose comme ça dans un de ses derniers séminaires, il ne savait plus ce que c’était. Alors peut-être que lui-même était entraîné dans le mouvement de civilisation auquel, Jean-Pierre, tu faisais référence, mais je pense que du point de vue théorique, comme l’a dit très bien Claude à l’instant, on est amené du fait de ces changements civilisationnels on est amené à s’interroger sur la place de la castration dans le nœud borroméen, comme place décalée, et c’est sans doute ça que les jeunes qui viennent nous voir viennent solliciter. Ils y sont sans y être, et peut-être aussi une façon de penser la castration autrement que sur un mode « un point c’est tout ». C’est comme ça que personnellement j’aborde les choses avec eux. Je ne sais pas ce que vous en pensez, Claude ? Jean-Pierre ?

 

J-P L Vous n’allez pas m’identifier à « Un point c’est tout », c’est vrai que je l’ai dit, je le soutiens, mais ce n’est pas « un point c’est tout », final. C’est « un point, c’est tout », originel. Malgré le fait que Lacan, comme Melman l’a plusieurs fois rappelé, il ne savait plus très bien ce que ça voulait dire à la fin, comme tu viens de le rappeler à l’instant. C’est un point nonal ( ?) ça se tient. J’ai un peu l’impression parfois qu’on fait des acrobaties très finaudes, très pertinentes, très brillantes pour ne pas vouloir prendre en compte des points qui sont des butées. Je ne vois pas en quoi si, comme on le dit, c’est le fait de la découverte de Freud, de la question du langage et le fait du parlêtre qui importent, je pense que ça reste vrai, du coup.

 

P-C C. Ca reste vrai, mais à l’intérieur d’une structure qui dépasse la question de la castration. Ça reste vrai bien sûr, mais à l’intérieur d’une structure qui dépasse la question du Grand Phi. Le Grand Phi, il est au bord d’autre chose, mais autour de ce bord il y a autre chose, et c’est avec cette autre chose que dans la cure on peut travailler, s’il y a un problème du côté de la castration. En tout cas c’est comme ça que je fais, moi, je ne sais pas comment vous faites, mais moi je fais comme ça avec mes patients.

 

Bernard Vandermersch. Effectivement le terme de castration, on peut se demander ce que ça peut vouloir dire, alors il faudrait peut-être s’arranger sur une définition, et celle de Melman me semble juste. C’est pas le manque dans l’Autre, c’est l’interprétation sexuelle du manque dans l’Autre, ce qui suppose  que le désir de la mère soit interprété comme ayant ou non affaire à quelque chose qui a rapport au père, et que pour le sacrifice, le fils a non pas à sacrifier, comme tu le dis Claude, sa sexualité au père, mais la mettre  au service…

 

Cl. L. …du père symbolique

 

B.V. Oui, mais elle n’est pas sacrifiée. « Jouissez, multipliez-vous », enfin, il y va ! c’est mis au service de. Alors il y a une part sacrifiée, mais pas totalement. La jouissance sexuelle n’est pas interdite comme telle. Enfin, c’est une question.

 

Quand Marie-Laure Susini parle du pouvoir de la mère, il y a une ambigüité, il faut faire attention. Ce n’est pas la mère qui est toute-puissante, c’est qu’elle transmet un Autre tout-puissant, elle se trouve très vite impuissante par rapport à son gamin qu’elle aura engendré de cette façon-là, mais le fait qu’elle aura la possibilité de décider toute seule fait qu’elle transmet un Autre apparemment sans manque pour l’enfant, avec la très grande difficulté de lui faire entendre par la suite la dimension de castration, à savoir une interprétation sexuelle de son manque, puisqu’elle l’aura fait, cet enfant, sans cette dimension du désir sexuel. Ce sont des questions terminologiques peut-être un peu pinailleuses mais ça me semble important. Pas plus qu’il n’y a de toute-puissance infantile, il n’y a de toute-puissance maternelle. Il y a une toute-puissance de l’Autre qui est transmise à son insu et à ses dépens par une mère qui est très vite bien emmerdée.

 

Cl. L. Pas toujours. Ça arrive.

 

B.V. ça arrive effectivement. Parfois c’est l’enfant qui restera perpétuellement esquinté, et la mère qui triomphera au-dessus. Enfin, on ne peut pas dire qu’elle soit puissante, elle est stérile dans cette histoire, elle fait rien. Bon excusez-moi.

 

Cl. L. Non, tu n’as pas à t’excuser.

 

Th. R. Elle est toute-puissante malgré elle. C’est le fait qu’elle soit seule avec l’enfant qui la renforce dans cette toute-puissance, très souvent au détriment de l’enfant comme tu le dis.

Ça me pousse à reposer la question à Jean-Pierre, parce que c’est en lien avec les remarques de Bernard, quand tu dis : peut-on penser un social sans père, est-ce que tu pourrais éventuellement aller un peu plus loin sur cette question-là ?

 

J-P. L. Oui parce que ce que vous appelez castration et, comme vient de le rappeler Bernard, interprétation sexuelle, en restant du côté de la mère il n’y a pas vraiment d’introduction au lien social, ni au sexuel. Je mets sur deux lignes différentes le père, le sexuel le social, ou la mère le genre plutôt que le sexe, et le cocon d’existence, ou la communauté d’existence.  Mais qui n’est  pas un vrai lien social, le lien social ça suppose une « tiercéïsation » qui dépasse les interlocuteurs.

 

Jean-Luc Cacciali :  A propos du père, d’un social sans père, Melman dit que la question de Lacan était : existe-t-il un père dans l’Autre qui ne serait pas figuré par le fétiche phallique ? Par rapport à ta question, Jean-Pierre, on pourrait se demander est-ce qu’il peut y avoir un social sans père ? ou est-ce qu’il y a un social, avec un père, mais qui ne serait plus figuré par le fétiche phallique ?

 

J-P. L. Oui…

 

J-L. C. Du coup on revient à la question, un père dans le langage, un père dans l’Autre.

 

B.V. Il me semble que le père il faut qu’il ait, je ne sais pas ce qu’on entend par fétiche phallique à ce moment-là, mais le père il faut bien qu’il ait un semblant à faire valoir pour que ça marche comme avant.

 

J-L.C. Oui ?

 

B.V. Et qu’est-ce ça voudrait dire un père dans l’Autre pas figuré par le fétiche phallique ? Il faudrait s’entendre sur ce que ça veut dire. Un père qui se ferait valoir par son désir et sa castration, « il a droit au respect et à l’amour…  parce qu’il fait d’une femme l’objet de son désir », et non pas un père qui se présente sous l’aspect d’un fétiche phallique que je suppose positivé, qu’on voit parfois, d’un être qui justement ne transmet pas la question du désir. Il y a de ces pères extraordinaires, merveilleux, fabuleux, et ça ne passe pas. Il arrive assez souvent ce genre de situation.

 

J-L. C. A propos de la remarque de Claude qui insistait sur le père mort, le père de la religion, Lacan a pu dire aussi que le père de la psychanalyse c’est le père mort. C’est quand même à ce moment-là un père dans l’Autre, un père que la religion a installé dans la parole, avec la religion révélée, mais qui n’est pas figuré par le fétiche phallique.

 

Cl. L. Ecoute, moi il me semble, Jean-Luc, mais ça répond peut-être aussi à la remarque de Bernard, il me semble que Lacan a avancé que la castration se transmet de père en fils…en fils, c’est-à-dire en effet à ce moment-là  on peut entendre quelque chose du phallus, ça se transmet de père en fils ; et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles on assiste au retournement culturel actuel. Si la castration se transmet de père en fils, à tort, car elle permet aussi à une femme d’incarner la signifiance phallique, il y aurait eu une préférence pour le fils, je dis bien : à tort, et un retournement culturel qui fait que justement il n’y a plus à penser la castration, parce que justement la castration est ce qui se transmet de père en fils. Elle n’est pas pour autant lésée.

 

J-L. C. Alors c’est la castration symbolique. Du fait de ce défaut elle reviendrait de façon réelle, la castration.

 

Cl. L. peut-être.

 

Pierre Coerchon : Il me semble que ce que Pierre-Christophe avançait et la topologie des nœuds peuvent nous aider dans l’analyse des situations contemporaines. Moi je voulais dire que j’avais beaucoup apprécié l’intervention de Claude Landman, en ce qu’elle fait retour sur l’antiquité et le polythéisme.  Je trouve ça très intéressant, ce moment de la culture où la castration symbolique qui se transmet de père en fils, ce qui implique une succession, et pour le Lacan topologique des nœuds c’est une chaîne borroméenne le support d’une succession. C’est la chaîne borroméenne potentiellement à l’infini, et sa fragilité symbolique interne c’est qu’il suffit qu’un des maillons pète dans la chaîne pour que toute la succession soit en péril, et la transmission de cette civilisation qui va avec. J’ai bien aimé aussi cette dialectique que Claude a reprise, le fait des barbares par rapport à cette civilisation-là, ce qui nous aide à penser que le sujet qui ne serait pas pris dans cette succession de père en fils, il se retrouve pris dans des impératifs structuraux qui le renvoient plutôt vers une castration réelle. Effectivement avec tout ce qui se passe de tragique dans cette opposition-là. Et alors l’ambition de Lacan et l’issue qu’il souhaite donner à la démarche psychanalytique, c’est quand même de sortir un peu de ça. C’est là que la chaîne-noeud borroméenne à trois nous permet de sortir de ça, d’une chaine borroméenne d’une succession de père en fils, qui sous-tend probablement la structure des discours et le lien social phallocentrique et cette situation que tu décrivais, paranoïaque, on n’est plus dans la succession mais dans le nœud le plus simple qui soit, le nœud de trèfle, qui comporte la mise en continuité des trois registres.  Mais voilà justement, Lacan cherche cette voie alternative, tierce, et trinitaire au final qui nous sort de ces problèmes qui nous condamnent tragiquement à la névrose ou de l’autre côté à la paranoïa. Voilà ce que je voulais souligner, et notre clinique contemporaine a à voir avec ça aussi, et – je ne pense pas que ce soit anachronique de dire ça – on se retrouve dans une certaine proximité clinique avec ce qui pouvait se passer dans l’antiquité. Et je trouve judicieux de ramener la question de la tragédie d’oedipe à son origine du côté de Sophocle, et Lacan est très critique là-dessus plutôt que d’entretenir le phallicisme au Nom du père avec le psychisme de Freud, qui tire les choses du côté de son propre mythe, qu’il reprend à cet endroit avec le complexe d’oedipe. Donc il me semble que cette voie de retour à l’antiquité par rapport à la clinique contemporaine est quand même une voie très importante, c’est la naissance de la civilisation, ces temps-là, ça nous concerne, la naissance du lien social et de la civilisation, à l’endroit où peut-être elle est remise en cause fondamentalement.

 

Th. R. Est-ce que Claude, Jean-Pierre vous voulez répondre ? Il y a Valentin qui a une question.

 

Valentin Nusinovici : J’essaie de comprendre ce que Claude a dit par « la castration comme sacrifice de la sexualité au père mort ». C’est vrai que d’abord ça m’a arrêté, comme Bernard. Mais j’aurais tendance à le comprendre ainsi : C’est que, si je me souviens bien, Lacan dit que par la castration, le garçon, l’homme n’est plus le maître, il devient Autre d’une certaine façon, et c’est comme ça qu’il peut fonctionner vraiment bien. Je ne pense pas que ce soit le sacrifice de sa sexualité. Il abandonne d’une certaine façon la maîtrise de son instrument, et si quelque chose est sacrifié dans cette opération, je sais bien que c’est un terme qu’on n’aime plus beaucoup utiliser mais ce serait plutôt la sexualité pré-oedipienne. Pour ajouter à cette discussion, oedipienne,  post-oedipienne, pré-oedipienne. C’est celle-là qui est sacrifiée, qu’on lui demande de se passer. Voilà, c’est comme ça que je comprends les choses.

 

Cl. L. Oui, on va donner la parole à Martine, mais je suis d’accord, Valentin, bien sûr. Seulement c’est l’autre face de la question, parce qu’en principe c’est réservé à la procréation, je dis bien en principe, dans la civilisation monothéiste. En principe réservé au père et à la procréation comme disait Bernard. « Croissez et multipliez », c’est la procréation qui était déterminante. Mais ça a aussi pour effet de faire que l’instrument, l’homme ne peut s’en servir qu’à cette condition d’en être passé par là, bien sûr. Ca implique aussi en retour un sacrifice de la sexualité du dit instrument, à commencer par la masturbation, d’ailleurs.

 

V.N. Mais dire que la procréation est réservée au père, ça ne va pas très bien avec cette chose qui est un peu mystérieuse quand Lacan dit : c’est transmission du phallus de père en fils à la condition – c’est pas sûr qu’il dise à la condition –  mais en tout cas ce qui implique qu’il a été annulé chez le père.

 

Cl. L. Mais là c’est du père réel dont tu parles. Le père mort, il ne va pas annuler quoi que ce soit.

 

V.N. Je ne sais pas si c’est vraiment le père réel, peut-être, on peut le prendre comme ça. Là, il se réfère à Jupiter et à Chronos.

 

Cl. L. Le dieu monothéiste, il est inentamé, le dieu monothéiste.

 

V.N. Oui tu as raison. Oui, c’est sûrement du côté du père réel. Mais en tous cas, voilà. C’est le fils qui va assurer la suite de la… Si on ne dit plus procréation, est-ce qu’on va dire fécondation, conception ?

 

Martine Lerude. Moi je voudrais revenir en arrière, aux fondamentaux, au moment où Lacan situe la castration comme opération symbolique centrale qui porte sur un objet imaginaire, par un agent, un agent, c’est ce que disait Jean-Pierre tout à l’heure, en disant l’agent du père réel, un agent qui n’est pas identifié au père réel, qui est l’agent du père réel. Et à ce moment-là, c’est dans La relation d’objet, Lacan parle de la dialectique mère-enfant-phallus, vous vous en souvenez. Et dans cette dialectique, tout enfant peut en être déplacé, d’avoir été pour un temps donné l’incarnation du phallus pour la mère. Il devra choir de cette place de phallus qu’il aura été, de phallus imaginaire. Et c’est dans cette opération que se situe la castration première je dirais, le moment où il a pu y avoir un écart entre ce qu’il est et le phallus qu’il a pu représenter voire incarner pour la mère. Donc, cette dialectique tierce, où on a ces trois termes, c’est tout à fait fondamental d’y revenir parce que tout enfant est amené à perdre cette place, à s’en écarter, et donc là il y a une castration qui s’opère qui sera reprise par celui qui pourra être celui qui se lève et qui va introduire l’enfant dans le discours, être celui qui désire la mère, qui interdit la mère. Ces opérations, à la fois dans le langage, dans la parole d’un homme désirant la mère et du désir pour la mère ailleurs, tout enfant est amené à choir de cette position de phallus, et c’est dans cet écart-là que se situe aussi la castration. Je crois qu’ il ne faut pas oublier cette dialectique mère-enfant-phallus.

 

Cl. L. Tu as entièrement raison, sauf que Lacan est revenu sur la question de l’agent. Je crois que c’est dans le séminaire L’Envers de la psychanalyse. Il dit : j’ai été très prudent en ce qui concerne l’agent, c’était pas très assuré.

 

M.L. Lors du tableau, c’était pas très assuré.

 

Cl. L. C’était pas très assuré au sens où dans la relation d’objet ça s’inscrit par rapport à Freud, dans son retour à Freud, mais plus tard il est revenu sur l’agent.  Qu’est-ce que c’est l’agent ? Il parle de l’agent au sens de l’agent commercial, de celui qui fait le boulot. Mais ce n’est plus nécessairement le père réel. Parce qu’aujourd’hui ; où il est le père réel ?  Quelle est sa fonction aujourd’hui ?

 

M.L. A un moment donné, il dit : faut qu’il y en ait un qui se lève.

 

Cl. L. ça c’est autre chose. Ce n’est pas le père réel. C’est le Nom du père qui se lève, ce n’est pas le père réel.

 

V. N. Ce qui m’embarrasse c’est que dans l’Envers il dit : ce père réel-agent, il fait le travail de l’agence-maître. Qu’est-ce que c’est le travail de l’agence-maître ? Est-ce que c’est ce qui est représenté par le S1 ? Mais S1, ce n’est jamais qu’un représentant ? Le père réel, il serait ce dont le S1 est le représentant, il serait le trou dans l’Autre ? Comme tu l’as dit un agent c’est rien du tout, moi je paye mon agent, etc. mais le père réel il fait le boulot de l’agence-maître, il ne dit pas le boulot de la structure.

 

Cl. L. La structure du langage, et le S1 émerge de l’ensemble des signifiants.

 

V. N. et donc dans l’Envers, il ne le place pas au même endroit du discours. Il met le Nom du père dans le discours de l’analyste.

 

Cl. L.   Non, c’est pas pareil.

 

V. N. Si je me souviens bien. Et le S1 qui est le produit du travail de ce discours, il est évidemment de l’autre côté, du côté du produit avec l’écriture du discours analytique.

 

Cl. L. Lacan ne savait plus très bien ce que c’était que la castration. Avec le nœud borroméen la référence à la castration comme coupure ça marche plus. Melman l’a  dit très souvent. La coupure, elle est pathologique dans le nœud borroméen.

 

B.V. Oui mais quand même, quand on dit il y a un pur trou, dans ce trou-là il vient l’objet petit a, en limitation de la jouissance phallique, en limitation de la jouissance Autre et en limitation du sens. Alors là il vient coordonner, unifier trois manques différents, c’est quand même important. C’est peut-être pas par coupure mais c’est quand même une forme d’amputation, en tout cas une limite de chacune de ces jouissances.

 

Cl. L. Oui, mais il y a façon et façon de poser la limite.

 

B. V. Oui, on n’est pas obligé de la symboliser par le couteau.

 

Cl. L. Dans la tragédie, ce n’était pas symbolisé par le couteau. Celà dit, il y avait des sacrifices humains dans la Grèce antique.

 

B.V. Oui… Dans le S1, il y a le signifiant S et puis le Un. Je crois que la fonction de l’agent, c’est d’introduire le trait, le trait qui vient sortir le signifiant-maître, mais aussi le semblant. L’agent ce n’est pas forcément le géniteur mais il y a quand même quelque chose qui fait de l’effet pour légitimer, donner un sens à cette amputation de la jouissance qui de toutes façons est là, du simple fait qu’on parle, mais ça ne suffit pas. … Il faut encore qu’il soit interprété, ce manque de jouissance, ce fait qu’on n’a pas l’objet. Il y a peut-être plusieurs façons de faire de l’effet sur un enfant.

 

Cl. L. Tout à fait.

 

B.V. La façon sexuelle en est une, le semblant mâle ; il y en a peut -être d’autres.

 

P-C. C. En tout cas, ce qui est frappant dans RSI, Lacan désigne comme père réel celui qui désire la mère comme objet, et c’est seulement à ce titre qu’il a une valeur de père réel. C’est ce qu’il dit explicitement dans RSI si vous vous en souvenez.

 

B.V. C’est pas très réel ; Il a droit au respect et à l’amour !

 

P-C. C. Oui. IL le situe du côté de la question du sexe et du désir de la mère comme objet. C’est une reprise intéressante. Çà situe bien les enjeux du Nom du père par rapport à RSI, du côté de la sexualisation de l’objet, de ce trou central qui fait office de pôle d’attraction pour le sujet désirant. Et là encore, on voit que Lacan déplace la problématique du phallus vers celle de l’objet. C’était juste une remarque pour situer le Nom du père.

 

Cl. L. Pierre-Christophe, je me souviens du cas d’un enfant de quatre ans, peut-être un peu moins, qui était manifestement l’enfant-phallus comme le disait Martine, dans cette période-là, il incarnait à ses propres yeux le phallus maternel, et donc évidemment il parlait très bien, et puis il est arrivé un jour tout content à dire devant une assemblée : papa ça s’écrit p-a-p-a. Un homme qui était là, qui n’était pas son père mais qui avait une certaine importance pour lui, malgré tout,  lui a dit : Et comment tu écris pipi? Cà a fait interprétation, parce que là, il fallait qu’il use autrement que d’un savoir de perroquet. Là, c’était clair sur ce qui était mis en jeu, C’est-à-dire qu’il fallait qu’il en passe par le fait d’une reconnaissance….. de la castration du sexuel. Et ça, ça a permis à cet enfant de choir de cette position d’être le phallus imaginaire de la mère. Enfin, c’est un petit cas-clinique comme ça.

 

Th. R. Jean-Pierre, veux-tu dire un mot ?

 

J-P. L  Non, j’écoute. Rien à dire.

 

Th. R. Alors une dernière question, soit sur Zoom, soit dans la salle ?

 

B.V. J’y vois plus clair.

 

Th. R.  Alors Bernard est éclairci, on va finir l’année sur ça. Et puis à bientôt. Merci.

 

 

 

Transcription non relue de Nathalie-Delafond