Clinique de l'échec scolaire
01 mai 1997

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MOURAS Jean-Paul,HERAUD-BONNAURE Lucile
EPEP
Psychanalyse-enfants



L’échec scolaire ne peut se définir dans l’absolu, il est relatif aux objectifs jugés accessibles et souhaitables à un moment donné de l’histoire d’une société. L’échec est un véritable problème de société dans la mesure où l’écart entre les objectifs et la réalité se creuse. Il n’est en rien contradictoire que le  » niveau monte  » et que l’échec scolaire s’aggrave. S’il y a une dizaine d’années, on pensait que l’école était responsable de tout, actuellement, la tendance est de faire porter la responsabilité par la famille. En fait, s’il y a échec, c’est parce que la rencontre entre la famille et l’école se fait mal ou ne se fait pas.

Cependant, ce n’est pas à ce versant de l’échec que nous allons nous attacher, nous allons essayer d’aborder le vécu de l’adolescent et de l’enseignant face et à travers cette problématique de l’échec.

La non réussite d’un jeune face à la demande institutionnelle de l’école est vécue par ceux qui s’y trouvent confrontés comme un problème individuel et douloureux : des enfants et des adolescents se trouvent placés dans des situations où ils ne parviennent pas à répondre aux attentes dont ils sont l’objet et s’en trouvent durablement dévalorisés, des parents vivent l’échec de leur enfant sur un mode dramatique et le climat familial peut s’en trouver affecté au point d’aggraver à son tour la situation d’échec, des enseignants se trouvent désemparés d’échouer eux aussi à faire acquérir les notions d’un programme par une partie de leurs élèves.

L’observation du milieu scolaire alerte en effet sur le découragement de certains enseignants pris au piège d’une lecture oh combien pessimiste du bilan de leurs efforts pédagogiques pour conduire leur classe aux acquisitions minimales fixées par les objectifs de l’Education Nationale. Plus encore, nous avons constaté que l’échec de quelques élèves considérés comme irrécupérables tant leurs résultats scolaires viennent sanctionner des attitudes massivement hostiles au milieu scolaire en général et à l’enseignant en particulier, peut mettre en péril l’image du soi professionnel de l’enseignant et, par conséquent, l’estime qu’il a de lui-même.

Pourtant, face à ce constat, la prise en charge des enseignants confrontés à ce type de difficultés est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord : l’enseignant, en effet, se déprime alors qu’il a mis parallèlement en place un ensemble de mécanismes défensifs destinés précisément à lutter contre la dépression. Ces mécanismes échouent dans leur efficacité car ils ne règlent rien du problème, et ne servent qu’à protéger superficiellement le moi de l’enseignant. Ces mécanismes défensifs ont été mis en évidence par Ada Abraham grâce à une méthode exploratoire du soi professionnel de l’enseignant, méthode que nous décrirons dans cet article et que nous avons largement expérimentée auprès d’enseignants consultant à la MGEN, et d’enseignants en réadaptation pris en charge dans des stages organisés par l’Académie de Paris. Ces mécanismes étant mis en évidence, il s’agira ensuite d’introduire une autre issue qui peut nous être proposée par la clinique.

Après avoir abordé l’échec-symptôme de l’élève nous analyserons donc les mécanismes défensifs de l’enseignant face à l’échec. Nous ouvrirons enfin des perspectives d’aide (clinique de l’échec) tant pour l’élève que pour l’enseignant.

L’élève en échec scolaire

1.L’échec scolaire comme symptôme : le sens du message

Échec et identification paternelle

Freud a maintenu tout au long de son oeuvre le rôle fondateur du complexe d’Œdipe dans l’organisation psychique, même lorsqu’il s’est tourné vers l’approfondissement des phases les plus précoces du développement. Il a en outre introduit la notion d’identification primaire  » identification directe, immédiate, antérieure à toute concentration sur un objet quelconque « , qui pour Lacan sera assimilée à une identification primaire au nom du père, identification symbolique. Freud fait intervenir les qualités du père avant même que celui-ci ne puisse être différencié dans son rôle, et qui en fait recevra son plein sens lors du complexe oedipien par la voie des identifications secondaires à un père identifié comme tel.

Le père symbolique (le père) introduit par Lacan est  » issu de l’organisation nouvelle introduite par l’ordre oedipien qu’il s’agit pour chacun de nous de trouver, en même temps qu’il préexiste à nous puisque chacun de nos parents a du se situer par rapport à lui « . (M. Ody 1982)

La castration symbolique opérée par le père réel, porteur de la loi ouvre à la vie symbolique.

Avec l’oedipe, le garçon est séparé, c’est-à-dire castré de sa mère par le père qui a été lui-même castré par son propre père. Pour Freud, l’inéluctable est non pas la castration mais l’angoisse devant celle-ci.

La castration symbolique, c’est ce qui se transmet de génération en génération par la loi dont le père est le représentant.  » Si le père n’est pas en tant qu’homme marqué par la castration symbolique, le signifiant « père » anéanti, ne peut plus exercer ses effets. Qu’advient-il alors ? La procréation n’est plus pensée dans la différence sexuelle, père et mère sont confondus  » (B. This).

Le père réel peut ne pas être le géniteur. F. Dolto écrit :  » Etre père, c’est donner son nom à son enfant, c’est payer de son travail la subsistance de cet enfant, c’est l’éduquer, l’instruire, c’est l’appeler à plus de vie, plus de désir, c’est bien différent que d’être géniteur. Tant mieux si le père est géniteur, mais il n’y a que des pères adoptifs… Un père doit toujours adopter son enfant… il n’y a de père qu’adoptif « . Le père adopte son enfant en le nommant ; il l’inclut dans l’ordre des générations en le reconnaissant comme sujet d’un désir. Or, c’est avec la résolution de l’Œdipe que ce désir peut se manifester.

Chez les psychanalystes contemporains, il est beaucoup moins question de triangle oedipien que de triangulation. Le père, s’il trouve son véritable sens au moment de l’Œdipe, n’en est pas moins engagé, mais indirectement, dans la dynamique de cette dyade mère-enfant, spécifique à la relation primaire, il en assure le cadre. Cette situation de base est commune à la grande majorité des cultures. L’interaction des deux parents a ses conséquences pour l’enfant. Dans le cas où le père, ou son substitut est absent, cette absence est présente car la mère et la façon dont elle fera place ou non à cette absence orientera son interaction avec son enfant.

L’enfant n’est plus vu dans le cadre de son appareil psychique. Il s’agit de le situer dans son environnement.  » L’environnement parental est d’abord celui d’un parent avec son fonctionnement mental, c’est-à-dire avec son inconscient et les désirs contradictoires qui l’animent  » (M. Ody, 1982.)

Dès la naissance, la triangulation est en place. La suite ne sera plus qu’une série d’investissements et de contre investissements, une suite d’interactions entre chaque membre du triangle : l’enfant, l’objet maternel et le porteur de la loi.

Par sa seule présence, l’enfant met en jeu non tant la relation des parents à sa personne que le rapport de chaque parent à sa problématique personnelle. Ce qui se mobilise chez les parents dans leur couple dépend en fin de compte de leur propre élaboration mentale et oedipienne. Plus particulièrement, les aléas de celle-ci engagent les possibilités fantasmatiques de leur enfant. L’échec scolaire est un symptôme qui peut être mis en relation avec la pulsion sexuelle, d’où la nécessité de la différenciation sexuelle dans le développement en regard de ce symptôme.

L’absence d’une parole vraie sur sa propre conception peut bloquer l’enfant dans la suite de ses incursions intellectuelles. Selon M. Mannoni ( 1967) :  » Ce ne sont par les mythes (cigogne, choux) qui sont gênants pour l’enfant, c’est la tromperie de l’adulte qui se donne l’air de dire vrai… » On ne veut pas dire à l’enfant qu’il est né d’un père et d’une mère et cette parole lui est nécessaire pour qu’une identification virile ou féminine puisse prendre sens. Au père, l’enfant demande une vérité. La Vérité du Père. lorsqu’il se pose la question de savoir qui est son vrai père, c’est précisément de faire rentrer la dimension de la vérité dans sa vie d’être humain. Si des réponses doivent rester forcloses, l’enfant aura du mal à introduire sa question autrement que par le désordre de son comportement.

L’échec comme réponse au désir implicite des parents

Apprendre se situe dans la capacité à se séparer, à se quitter. Alors, pour des enfants ou adolescents  » intelligents « , que peut signifier le refus de la connaissance .Que redoutent les adolescents qui n’apprennent pas ? S’agit-il de craintes de connaître des secrets auxquels on ne doit pas avoir accès et par là même d’accéder à un nouveau statut (grandir) qui est générateur d’angoisse ?

L’accès à une certaine forme de connaissance, de la culture peut être transgression par rapport à un milieu familial qu’il pourrait être dangereux de dépasser ou de trahir : il est interdit de savoir, ou/et le fait de penser réveille des peurs anciennes qui engendrent une position de déséquilibre, de malaise. Alors il faut l’éviter et remettre en cause de cadre du savoir

 » S’il est interdit de savoir « : Pour certains adolescents, savoir, c’est transgresser et dépasser des interdits. Si ces adolescents-là faisaient fonctionner leur intelligence et leur curiosité, ils pourraient avoir accès à des  » choses  » qu’ils ne doivent pas connaître. L’enjeu serait de découvrir des non-dits, des silences familiaux. On comprend dès lors qu’apprendre soit perçu comme un risque. Les adolescents inhibent leur curiosité, fonctionner leur intelligence en secteurs et se conforment à ce qui est attendu d’eux. Ils demeurent ainsi en-deça d’un certain savoir et répondent à la demande implicite du groupe familial.

 » S’il est dangereux de penser  » : Apprendre et penser, c’est accepter de se situer face à des règles et des lois établies.

Apprendre, c’est ne pas être dans l’illusion du déjà savoir, et accepter par là même la frustration. L’écriture, la lecture accompagnent l’adolescent dans cette acceptation (a contrario, le  » tag  » est une forme d’écriture qui refuse la frustration).

Certains adolescents se situent dans le paradoxe où ils sont prêts à savoir, mais refusent la démarche qui consiste à penser, à apprendre. Ainsi, ces adolescents ne peuvent accepter un minimum de confrontation avec le doute : dès que les informations ne sont plus réglées par des liens de certitude, dès qu’un temps d’arrêt est nécessaire pour une élaboration même minime – ce qui doit être su n’étant pas donné d’emblée mais exigeant de leur part d’associer, de faire des liens, de chercher – alors, ils sont en proie au malaise. Ils semblent ne plus pouvoir rassembler leurs capacités intellectuelles pour prendre de la distance avec ce qui est perçu directement, pour délaisser momentanément certains de leurs repères afin d’entrer dans un code nouveau.

La perspective d’avoir à quitter leurs repères provoque chez ces adolescents des réactions défensives et peut se solder par une véritable déroute, comme s’ils se trouvaient confrontés à une brèche, à un vide. Il semble que se produise alors une réactivation des craintes, de peurs archaïques articulées à des thèmes de mort et de sexualité. L’agressivité et la libido ont du mal à être liées et négociées. En dernier ressort, ces craintes renvoient à une angoisse de castration.

Echouer c’est ne plus répondre à de multiples demandes et en particulier aux attentes parentales. Bannis, ils craignent de voir se raréfier l’investissement parental à leur égard. Les échanges avec les parents deviennent difficiles car les attentes de ces derniers deviennent de redoutables enjeux. Ceci ne fait qu’aggraver l’échec car, ne se sentant plus  » aimables « , ces adolescents endossent à long terme l’étiquette de la non-réussite.

L’échec comme impossibilité d’élaboration d’un espace transitionnel

Etre en échec, pour certains adolescents, c’est  » avoir réussi « . Cela peut paraître paradoxal. Mais seul le paradoxe permet d’avancer car il renvoie à l’ambivalence, matrice originelle de la plasticité du développement humain.

L’échec a une fonction cathartique, l’adolescent peut alors se positionner de façon économique face à un conflit qu’il ne peut surmonter et qui, faute de sens, n’est d’ailleurs pas surmontable. Par sa position d' » être en échec « , l’adolescent pose un temps d’arrêt, de cristallisation, afin de faire face au mieux à la situation conflictuelle qui s’apparente à un double lien.

Laisser la place à l’école, lui donner sa place, c’est la meilleure des façons pour réussir. L’école c’est l’espace transitionnel, lieu de la séparation et lieu des identifications secondaires. Si cet espace est investi par des tiers, réussir devient alors risqué, car cela revient à se faire  » incorporer « . Inversement, échouer c’est réussir, réussir à se protéger de cette dévoration, mais à quel prix ?

Apprendre et réussir n’est possible que s’il y a  » défusion « . Ce sont précisément les parents qui ne peuvent accepter d’être dépassés qui ont des enfants pour qui réussir, c’est commettre un  » parricide « .

2. Etude du cas Patrice : l’identification invalidante.

La première fois que nous voyons cet enfant, il nous est adressé par l’enseignante de CM2 qui ne sait  » qu’en faire  » à la rentrée suivante. Patrice a déjà deux ans de retard, il est complètement dyslexique et dysorthographique. Par contre, il est capable de suivre avec une grande facilité les matières autres que la lecture et l’orthographe y compris les résolutions d’opérations mathématiques complexes, si les données lui sont apportées oralement.

Le dossier et les entretiens avec les différents enseignants et rééducateurs nous apprennent les faits suivants : la famille est très défavorisée sur le plan socio-culturel (père éthylique, parents analphabètes vivant dans des conditions matérielles assez misérables, deux pièces pour une famille de trois enfants) ; le père travaille à temps partiel  » quand il trouve un travail au noir  » (dans des ateliers clandestins, nombreux à l’époque dans le 3e arrondissement de Paris) ; la mère est au foyer, un éthylisme est suspecté chez elle également. Un frère aîné est en SES après avoir suivi la filière  » perfectionnement « , il est considéré à l’époque comme à la limite de la débilité moyenne. Une soeur en CE est en échec scolaire complet après deux redoublements, et doit elle-même fréquenter une filière spécialisée à la rentrée suivante.

Patrice, lui, a été signalé pour la première fois en grande section d’école maternelle car son institutrice trouvait son comportement  » bizarre  » : Patrice était un enfant très gentil, très éveillé, mais qui semblait se bloquer dès qu’on lui demandait une tâche de type scolaire. Elle note par ailleurs un fait curieux, selon elle :  » Le même effort de raisonnement, mais demandé de façon ludique, non scolaire, s’avère accompli par l’enfant avec une facilité déconcertante.  » L’examen psychologique pratiqué au sein des services scolaires révèle un fonctionnement cognitif des plus satisfaisants, et. après contact avec la famille, une prise en charge d’aide psychologique s’effectue quelque temps, mais la famille, négligente et/ou défensive, l’interrompt rapidement et devient par la suite sourde à tous les appels (convocations des psychologues, des enseignants, etc.)

En échec au CP par rapport à l’apprentissage de la lecture, Patrice est aidé en relation duelle une fois par semaine par la rééducatrice de l’école. Au bout de deux années scolaires, cette dernière est déconcertée. Elle note que ce n’est pas la peine de poursuivre l’aide : Patrice apprend et retient facilement, mais d’une semaine sur l’autre semble dépenser une énergie considérable à  » oublier  » tout ce qui lui a été enseigné. Il passe ainsi de classe en classe, avec ce handicap qui, consciemment, l’affecte beaucoup, puis redouble le CM1 et le CM2. C’est à cette époque que nous faisons sa connaissance. Patrice se présente comme un adolescent (il a 13 ans) gentil, serviable, un peu efféminé. Il dit être très gêné par cette dyslexie persistante d’autant qu’il aimerait devenir dessinateur industriel. Or, la seule orientation qui semble possible à l’époque vu son âge et ses difficultés, est au mieux la CCPN (classe pré-professionnelle de niveau) ou la SES (section d’éducation spécialisée). A notre étonnement, il obtient 129 de QI global au WISC, avec des résultats légèrement supérieurs en performance et avec la note la plus élevée à l’épreuve des cubes (ce qui témoigne d’une pensée analytico-synthétique très élaborée). Les résultats à d’autres épreuves (PM47 entre autres) complètent l’examen et confirment cette qualité du développement cognitif

Après un long entretien, il nous apparaît que Patrice à la fois s’identifie de manière massive à son père, mais parle de lui avec une grande tendresse et beaucoup de respect, excusant son éthylisme et essayant sans cesse de le réhabiliter à nos yeux :  » il est intelligent, mon père, faut pas croire… il sait faire des tas de choses et me raconte pleins de trucs… il dit qu’il s’en est toujours bien sorti sans savoir lire, alors, tant pis, je ferai pareil, ce doit être héréditaire.  » Effectivement, en classe, Patrice  » s’en sort bien  » malgré tout : il va régulièrement au Centre G. Pompidou emprunter des cassettes, apporte des documents sonores à l’école, est un des plus actifs dans les activités dites d’éveil, etc. Devant la maturité dont il fait preuve, nous tentons de lui expliquer que pour lui, et à son insu, apprendre à lire. c’est en quelque sorte trahir sa famille, son père surtout, puisque c’est le dépasser. Nous tentons en outre de le persuader qu’il se trompe, que les exigences de la société ont évolué et que pour réussir seulement comme son père, il faut maintenant savoir lire. Nous décidons ensemble d’une stratégie pour lui permettre d’accéder à la classe de sixième  » tout venant  » :

1. Essayer de faire accepter à l’école et aux commissions administratives qu’il triple son CM2 avec un instituteur homme (le seul de l’école), Patrice n’ayant eu jusque là affaire qu’à des femmes.

2. Adopter une stratégie de relation d’aide : Patrice prendra lui-même rendez-vous au CMPP voisin (nous les avons auparavant prévenus de l’importance de la qualité de leur réponse) pour qu’on l’aide à supporter l’angoisse accompagnant l’acceptation éventuelle de cette démarche vers l’adaptation. Il accomplira seul cette démarche.

L’instituteur de l’école, bien que sceptique, accepte de  » jouer le jeu  » et nous obtenons le triplement de Patrice à titre exceptionnel. Ce dernier tient ses engagements et se rend, dès la semaine suivante, au CMPP où une psychothérapie se met en place. L’année scolaire suivante, l’enseignant ne remarque aucun changement notoire chez Patrice jusqu’en novembre : il participe, est très actif et efficace (exposés oraux etc.) mais vite bloqué au niveau de la langue écrite. Puis, courant novembre, il amène un livre  » dont il fait cadeau à la bibliothèque de la classe « . Devant la réaction de l’instituteur affirmant qu’il accepte le cadeau mais qu’il aimerait que tout le monde, y compris lui, Patrice, puisse en profiter, ce dernier ne répond rien, mais deux jours après, demande à son instituteur de bénéficier de leçons particulières d’orthographe et de lecture pendant le temps libre de l’interclasse. (Ils déjeunent tous deux sur place, et cette proposition lui avait été faite gracieusement début septembre. Jusque là, il ne l’avait jamais relevée.)

Patrice apprend à lire couramment et orthographie à peu près la langue française pendant les mois qui suivent. Il est admis en 6ème à la rentrée suivante. Son professeur principal, mis au courant de la situation, accepte d’être très indulgent au départ et de servir de médiateur auprès de ses collègues. Après des débuts difficiles, il passe finalement en 5ème.

Nous avons su que Patrice avait obtenu son BEPC quatre ans plus tard. Mais la conseillère d’orientation-psychologue, qui l’a vu à plusieurs reprises, a été saisie de la progression de l’aspect efféminé de cet adolescent, puis de ce jeune homme, aspect que j’avais déjà remarqué lorsqu’il était au CM2.

Le cas de cet enfant nous paraît typique des interdictions qui peuvent peser sur certains enfants de la part de leur milieu familial. Ici, le blocage tellement massif a permis de décrypter malgré tout assez facilement les difficultés de fonctionnement avec lesquelles cet enfant était aux prises. Il aura tout de même fallu attendre sept ans, de la fin de section maternelle au deuxième CM2, pour que le message soit clair. Mais aurait-on pu intervenir avant, en grande section en particulier, au moment où, pour l’enfant de cet âge, les valeurs de la famille sont des absolus ? Nous ne le croyons pas. Patrice s’est  » adapté  » grâce à un équipement cognitif particulièrement brillant, lui ayant permis de comprendre, puis de mieux s’organiser dans son fonctionnement. On ne peut s’empêcher de penser à tous ceux pour qui le jeu des identifications et des choix d’objets se déroule de manière plus discrète, mais peut-être tout aussi  » efficace « , agissant sur la motivation, sur le manque d’investissement de l’école, traduction du transfert impossible sur l’enseignant qui symbolise cette institution.

On peut d’autre part s’interroger sur le  » prix  » que cet enfant a certainement payé pour s’adapter : l’émergence, puis la confirmation de plus en plus importante de cet aspect efféminé n’est-elle pas en relation avec ce prix : cliver entre le concept  » d’homme  » et  » d’érudit « , abandonner une partie de sa masculinité, négociant ainsi ces concepts et sauvegardant de ce fait l’imago paternelle associée à la virilité, mais aussi à l’illétrisme. En renonçant à l’identification paternelle, il a aussi renoncé à devenir homme. Ce n’est qu’à ce prix qu’il a pu accepter de devenir  » cultivé « , son père devenant alors un choix d’objet libidinal.

L’ENSEIGNANT FACE A L’ECHEC

La situation scolaire de chaque enfant répond à un ensemble complexe dans lequel les désirs des adultes (parents et enseignants), les identifications diverses de l’enfant, les multiples jeux transférentiels s’entremêlent et interagissent. De plus, l’enfant, dès son plus jeune âge s’inscrit dans une constante tension entre des enjeux souvent contradictoires : faire plaisir à ses parents pour maintenir sa sécurité affective et satisfaire des besoins essentiels en rapport avec son âge et ses motivations personnelles : jeux, investigations multiples, détente corporelle, relations aux autres enfants etc..

Nous allons examiner sur quel terrain clinique les enseignants voient se briser leurs efforts pédagogiques pour aider les entants en difficulté, et quel coût psychologique il en découle tant pour la profession que pour leurs élèves.

1. Analyse de l’enseignant face à l’échec scolaire

La réception du message : l’étude clinique présentée plus haut mérite quelques commentaires ; lorsqu’un enfant en échec scolaire a fait l’objet d’un bilan intellectuel qui situe ses performances à un niveau moyen, il importe de cerner, par un diagnostic clinique précis, le message véhiculé par ce symptôme : l’échec. Pour que l’enseignant soit lui-même un partenaire efficace de la lutte contre l’échec, il importe également que ses propres mécanismes défensifs soient pris en compte. Chaque enseignant va réagir différemment et à l’échec, et à tel enfant mis en échec. Il va chercher à préserver son image d’enseignant (mécanisme de défense du soi professionnel) contre les attaques de son idéal du moi, des parents de l’élève en difficulté et des autorités administratives, mais il se verra aussi réagir au transfert de l’enfant sur lui sans vraiment posséder les outils d’analyse de son propre contre-transfert. Toutes les interactions entre les acteurs du système scolaire se trouvent par conséquent mises en jeu dans cette problématique de l’échec scolaire. Le confort psychologique de l’enseignant, ses connaissances tant sur le mécanisme de l’échec chez l’entant que sur son propre fonctionnement professionnel vont par conséquent jouer dans l’approche du problème de la lutte contre l’échec scolaire.

Les dangers de la répétition : l’enseignant est parfois tenté de reproduire sur les élèves en échec les pressions dont il a été lui-même l’objet lorsqu’il était enfant, même si ces pressions s’avéraient inefficaces, voire même inhibitrices. Il contribue ainsi à entretenir des mécanismes d’échec chez l’enfant par une sorte d’angoisse devant le changement tant de ses comportements que de ses conduites pédagogiques. Car si les enseignants reproduisent parfois les comportements éducatifs qu’ils ont eux-mêmes subi, ils peuvent aussi connaître la répétition dans leur pratique pédagogique et ainsi vivre et faire vivre l’ennui.

Lorsqu’on évoque la répétition chez l’enseignant, on fait référence à tous les blocages qui l’empêchent d’innover et qui le conduisent à se retrouver identique à lui-même à chaque rentrée scolaire. Ainsi, muni des mêmes armes personnelles, des mêmes outils pédagogiques, ces  » produits  » qu’il consomme toujours de la même façon, il se donne l’illusion de maîtriser ses outils professionnels. Or la maîtrise d’une technique bien entretenue et répétée pendant X années, ne garantit en rien l’efficacité pédagogique. Comme nous l’explique Pascal Bouchard1, les élèves pris dans cette pseudo-maîtrise finissent même par ne plus pouvoir s’en passer et deviennent les complices d’un système dont ils sont persuadés, malheureusement à tort, qu’il va faire d’eux des élèves modèles, obtenant grâce à ces méthodes des performances garanties. Dans  » Métier impossible « , p. 30 cet auteur écrit :  » (L’enseignant) s’aperçoit… que rien ne .satisfait davantage ces adolescents que les lignes à copier, les dictée.s les plus sottes, les aspects les plus formels du système scolaire qui les met en échec, pourtant. Doit-il jouer son rôle (au sens théâtral du terme) et tenter de leur apprendre un peu d’orthographe, (ou doit-il leur donner envie de s’exprimer ? Quoiqu’il fasse il a le sentiment de la vanité de ses efforts. « 

Mais si l’enseignant persévère dans ses répétitions, il le fait avec le sentiment d’accomplir son devoir sans faillir, et le renoncement au plaisir d’enseigner viendra même justifier l’exemplarité de son sacrifice et donc le sentiment de bien faire.

La répétition a été définie par Freud sous le terme de  » compulsion de répétition  » pour désigner un processus incoercible, d’origine inconsciente  » par lequel le sujet se place activement dans des situations pénibles, répétant ainsi des expériences anciennes sans se souvenir du prototype et avec au contraire l’impression très vive qu’il s’agit de quelque chose qui est pleinement motivé dans l’actuel2 « .

Freud reconnaît dans la compulsion de répétition le type de résistance propre à l’inconscient. La répétition s’introduirait pour faire opposition à l’émergence de facteurs inconscients. Elle aurait donc une fonction défensive à l’égard de la pression exercée par les désirs inconscients.

Ces quelques rappels théoriques trouvent un écho chez certains enseignants qui se voient dans l’impossibilité d’avoir recours à une réflexion innovante : ils sont comme pétrifiés dans leurs méthodes, leurs comportements et leurs modalités relationnelles comme s’ils attendaient du changement des catastrophes irréparables, bien pires que la médiocrité dans laquelle ils se disent eux-mêmes englués.

La répétition permet à l’enseignant de se protéger d’un sens qui l’engagerait personnellement et qui engagerait les enfants à prendre une position personnelle (celle du sujet énonciateur de son désir) à l’égard du sens et des affects qui y seraient obligatoirement liés. Chacun répète ainsi les modèles qu’il a eus sous les yeux lorsqu’il était enfant, même si ceux-ci ont été une occasion de souffrance ou d’échec ; ils répètent aussi les modèles inculqués par l’autorité, car seule la soumission à l’autorité garantit au sujet une protection efficace contre le danger pulsionnel ou émotionnel.

Mais quel est donc ce danger à être vraiment sujet dans l’acte de transmettre le savoir à des jeunes ?

La responsabilité personnelle implique qu’on inscrive dans ses actes qui on est ; l’accepter pour soi comme pour ses élèves implique également le renoncement au pouvoir et à la pression exercée sur les enfants. L’inertie éducative s’alimente de petits pouvoirs qui innocentent l’enseignant (tout le monde les pratique, ils sont réputés utiles) et qui, du simple fait qu’on s’en empare pour contraindre l’enfant, donnent l’illusion d’une maîtrise alors qu’ils génèrent la répétition et l’ennui.

Philippe Meirieu3 pose une question fondamentale à propos de l’éthique de l’enseignant :  » Est-ce que je le (l’autre) reconnais comme tel dans sa radicale altérité, ou est-ce que j’en fais l’objet de mes manipulations pour servir à ma satisfaction ? Est-ce que je permets à l’Autre d’être, face à moi, un sujet ? «  Le malaise de l’enseignant viendrait pour une part de l’inquiétude devant l’inconnu qu’incarne l’enfant différent de ce qu’on attend de lui, alors que l’enfant lui, a besoin, (surtout lorsqu’il est en échec), qu’on prenne en compte qui il est.

La pression des parents sur les enseignants : face à l’échec de leur enfant, les parents eux-mêmes peuvent faire pression sur les maîtres pour qu’ils reproduisent les bons vieux modèles auxquels ils ont été eux mêmes soumis, au risque d’accentuer le malaise de l’enfant (et son rejet de l’école) et de placer l’enseignant dans une position contre-transférentielle de soumission infantile au désir d’autrui. Cette situation se rencontre généralement dans les établissements scolaires situés dans les quartiers bourgeois, où la famille exerce puissamment son droit de regard sur la façon dont leurs enfants sont pris en charge par les enseignants.

Le groupe classe en échec et ses conséquences : la souffrance extrême pour un enseignant peut être provoquée par le constat d’un désintérêt massif de la majorité de ses élèves pour la matière qu’il enseigne s’accompagnant de résultats nettement inférieurs à la moyenne attendue. Ce constat prive bien évidemment l’enseignant du plaisir d’enseigner et le pousse à exercer de plus en plus son pouvoir de contrainte sur les enfants ; le résultat peut s’avérer catastrophique tant pour l’enseignant que pour ses élèves ; alors, un diagnostic s’impose. Les enfants s’ennuient, la  » pulsion de savoir  » n’est pas satisfaite, que se passe-t-il ? Les causes peuvent être multiples mais si l’enseignant s’interroge sur les aspects transférentiels de sa relation pédagogique, s’il se demande à qui il s’identifie lui-même dans cette répétition mortifère, s’il analyse pourquoi la demande des enfants l’angoisse au point de le conduire, lui, à occuper tout le terrain pour l’empêcher de s’exprimer, alors des solutions peuvent commencer à émerger.

Francis Imbert1 exprime ce qui se passe lorsque les pulsions agressives de l’enfant ne sont pas accueillies par les adultes :  » Cette séquence (agressivité/ culpabilité/ réparation) ou encore cette capacité à transférer qui débouche sur la création de nouveaux espaces, de nouveaux objets à conquérir, peut se voir perturbée, et cela pour des raisons internes ou externes… «  (p. 58). Les raisons internes concernent la culpabilité de l’enfant qui le pousse à refouler ses fantasmes agressifs et donc à bloquer son désir d’exploration, d’investigation vécu comme une  » effraction  » (et donc à censurer), du monde extérieur. Les raisons externes concernent l’action des adultes :  » lorsque les adultes, parents, enseignants interdisent le jeu de la pulsion agressive de l’enfant et répriment ainsi toute action transformante de la réalité.  » (p. 59)

Ce que cherchent les enfants, et que l’enseignant tolère mal, c’est à provoquer une brèche dans le comportement de l’enseignant afin que quelque chose d’autre advienne, qui pourra rompre la monotonie de la relation au maître et au savoir :  » C’est l’éclatement de cette clôture où se préserve le Moi enseignant qu’aspirent ces enfants.  » (p. 61)

Ainsi, l’agressivité d’un élève ou du groupe classe peut signer cette tentative d’effectuer une brèche pour qu’un changement s’introduise, changement à la faveur duquel l’enseignant est appelé, parfois violemment, à manifester son  » humanité « .

Et F. Imbert de constater (p. 59) :  » Le milieu scolaire est bien souvent un ventre vide : un ventre qui ne contient rien ni aucun objet ; dans lequel il n’y a rien à prendre ; ou encore un ventre fragile, si fragile que tout mouvement risque de le détruire… un ventre dans lequel il n’y a plus qu’à rester sagement assis, parfaitement « cuculisé ». Il en résulte que l’enfant refoule sa pulsion de savoir : il se tait, se terre et s’enterre… « 

Ces deux pôles que sont l’agressivité non canalisée et l’inhibition et que les enseignants ont tant de mal à vivre révèlent généralement chez les enfants en difficulté, une incapacité souvent consécutive à l’action du milieu à utiliser des pulsions fondamentales au profit du savoir.

2. Les mécanismes défensifs de l’enseignant confronté à l’échec scolaire

Les principaux mécanismes défensifs rencontrés dans les cas cliniques que nous avons étudiés ont été soumis à la MISPE d’Ada Abraham5. Cette  » Matrice interpersonnelle du Soi professionnel de l’enseignant  » a été étalonnée par nos soins sur une population d’enseignants français  » tout venants « . Nous disposons, outre l’échantillon ayant servi à l’étalonnage, d’un groupe d’enseignants en difficultés qui vivent les problèmes scolaires de leurs élèves sur un mode particulièrement exacerbé.

La MISPE se présente sous la forme d’un ensemble de 60 traits (réduits à 30 dans la version abrégée ou dans l’IBISPE) décrivant l’enseignant dans son fonctionnement professionnel, par exemple :  » Je tente de plaire aux élèves  » ou :  » Les élèves faibles m’ennuient…  » L’enseignant doit se situer pour chacun des traits sur une échelle à 7 degrés (du plus ressemblant à soi au moins ressemblant). Les 60 traits sont classés quatre fois afin que le sujet se décrive pour chacun des traits selon quatre critères : tel qu’il se perçoit lui même (le soi réel), tel que les élèves le voient (le soi pour les élèves), tel que l’inspecteur ou le chef d’établissement le perçoit (le soi pour l’autorité) et tel qu’il souhaiterait être idéalement en tant qu’enseignant (le soi idéal )

Le profil de l’enseignant sera établi, non sur ses réponses au questionnaire mais sur le degré de congruence entre les quatre images du soi professionnel de l’enseignant. Cette méthode permet de cerner douze  » configurations « 

Configuration n° 1 : S = I = A = E6- Harmonie parfaite.

Configuration n° 2 : S = I = A et S ‚ E- Identification à l’autorité.

Configuration n° 3 : S = I — A et S ‚ A- Identification à l’enfant

Configuration n° 4 : S = I et S ‚ A et de E – Accusation des autres.

Configuration n° 5 : S ‚I et S = A = E – Ouverture aux autres pour changer.

Configuration n° 6 : S ‚I ‚ E et S = A- Soumission à l’autorité.

(E du même côté que I : les élèves sur-estiment l’enseignant.)

Configuration n° 7 : S ‚ I ‚ E et S = A- Recours à l’autorité contre l’enfant menaçant.

(I et E de part et d’autre de S : les élèves sous-estiment l’enseignant.)

Configuration N° 8 : S ‚ I ‚ A et S = E- Masque devant l’autorité, ouverture à l’enfant.

(A et I du même côté : l’autorité sur-estime l’enseignant)

Configuration n° 9 : S ‚ I ‚ A et S = E- Ouverture à l’enfant condamnée par l’autorité.

(I et A de part et d’autre de S : l’autorité sous-estime l’enseignant).

Configuration n° 10 : S ‚ I ‚ A ‚ E- Angoisse d’être démasqué.

(A, E, et I du même côté : les élèves et l’autorité sur-estiment l’enseignant.)

Configuration n° 11 : S ‚ I ‚ E ‚ A- Jugement conflictuel.

(I du même côté que A ou E par rapport à S : incompatibilité entre le jugement des élèves et celui de l’autorité).

Configuration n° 12 : S ‚ I ‚ A ‚ E- Rejet total.

(I d’un côté de S, A et E de l’autre côté : les élèves et l’autorité perçoivent l’enseignant encore plus éloigné de son idéal qu’il ne s’en perçoit lui-même.)

Ces configurations nous permettent d’identifier plusieurs types de mécanismes défensifs que nous présentons ci-dessous

a) Le déni.(Configuration n° l )

Dans ce mécanisme, l’enseignant préserve son  » soi professionnel  » en s’identifiant à son idéal, ce qui le conduit à ne pas prendre en considération les réalités qui pourraient déranger un confort dont il ressent par ailleurs la précarité.

A la MISPE, pour un grand nombre de traits, les quatre évaluations se retrouvent au même degré : l’enseignant considère qu’il fonctionne conformément à son idéal et estime par ailleurs que les élèves et l’autorité le voient tel qu’il est. C’est l’harmonie parfaite. Cliniquement, nous avons vérifié sur un enseignant souffrant de troubles thymiques, que cette position (évaluée à 3 écarts types de la moyenne chez ce sujet) renvoyait à un déni de la réalité de type submaniaque ; cependant, ce mécanisme se retrouve chez des enseignants qui ne souffrent pas de troubles psychiques à proprement parler, mais qui se protègent ainsi des difficultés professionnelles qu’ils rencontrent. Le déni ne s’applique pas particulièrement à l’échec scolaire, mais quand échec il y a, l’enseignant le minimise ou  » fait avec  » sans vraiment chercher à le diagnostiquer pour ne pas risquer de fragiliser l’édifice idéal, nous avons observé que ces enseignants risquaient de sous-évaluer les difficultés réelles rencontrées par certains élèves, tellement il importe pour eux que soit préservée l’image du bon fonctionnement du groupe classe et donc de lui-même.

Si cette attitude psychique préserve le moi de la dépression, elle se révèle préjudiciable à l’élève en difficulté pour lequel la prise en charge serait plus efficace si elle s’effectuait précocement. L’enfant risque de devoir attendre de changer d’enseignant (dans le primaire) pour que l’on prenne acte de ses difficultés.

b) L’accusation des autres. (Configuration n° 4).

Dans ce mécanisme, la satisfaction de soi (soi en accord avec l’idéal) s’accompagne du sentiment d’être perçu très différemment par les élèves et par l’autorité. Cette configuration a pour moteur la projection sur les autres des conflits existants :  » ce sont les autres qui doivent changer, pas moi. « 

Pour certains enseignants, la défense de l’estime de soi consiste à rejeter la responsabilité de l’échec scolaire sur autrui en considérant que sa manière de traiter le problème de l’échec est la meilleure, et que si ça ne marche pas pour l’élève, d’autres facteurs sont à incriminer.

Le système scolaireil arrive fréquemment que certains enseignants invoquent la responsabilité du système scolaire dans l’échec de certains types d’élèves ; par cette observation nous ne disons pas que ce système doit être considéré comme parfait, mais que le recours à cet argument coupant court à toute tentative d’effectuer un diagnostic clinique sur un élève en échec stérilise l’action : que faire dans ce cas pour aider cet enfant ?

L’élève lui-même : l’attention due à l’entant risque de se trouver perturbée par ce mécanisme qui tendra à lui faire endosser injustement  » la faute  » de son échec, comme l’indique justement J.P. Mouras, l’enfant qui échoue se trouve placé généralement dans un contexte conflictuel qui lui échappe totalement; la culpabilisation de l’enfant risque non seulement d’aggraver son échec mais aussi de provoquer d’authentiques anorexies scolaires, l’enfant désinvestissant ce domaine où ses efforts n’aboutissent jamais. Notons également que beaucoup d’élèves pris dans leur crise d’adolescence étalent des prises de position négatives qui ont pour but d’afficher une identité qui en fait se trouve seulement au stade de l’ébauche ; prendre cet étalage pour une réalité authentique risque d’enfermer l’adolescent dans l’apparence qu’il se donne. En l’accusant, on renvoie à l’élève une caricature de lui-même qu’il ne nous donne, en fait, qu’à titre d’expérience.

Ses parentsle fait de renvoyer la faute de l’échec sur les parents soit parce qu’ils sont absents, soit parce qu’ils ne sont pas suffisamment stimulants en raison de leur niveau socio-culturel ou leurs méthodes éducatives aboutit généralement à une impasse. L’exemple clinique du cas Patrice est à ce titre assez exemplaire ; un enfant de milieu défavorisé peut réussir scolairement, à condition que son environnement éducatif ne considère pas comme rédhibitoire la pauvreté du terrain intellectuel dans lequel il s’est développé.

Les autres enseignantsil arrive parfois que certains enseignants déplorent la faiblesse des élèves d’une classe en invoquant le manque d’exigence des enseignants qui l’ont précédé.

c) L’auto-accusation, la culpabilité, ou encore le retournement sur soi : Configuration n° 11 : jugement conflictuel.

A l’inverse de ce qui a été précédemment décrit, il existe des enseignants particulièrement enclins à se considérer comme responsables des problèmes d’échec rencontrés dans leur classe ; ils estiment qu’ils sont à l’opposé de leur idéal et se considèrent comme indignes de leur métier ou incapables d’exercer correctement leur mission. Cette tendance renvoie bien-sûr à une symptomatologie clinique obsessionnelle et relève de traitements psychothérapiques ; néanmoins, l’enfant en difficulté fera naître chez ce type d’enseignant une angoisse intolérable et un découragement qui le freineront considérablement dans la recherche d’une aide constructive pour lutter contre l’échec.

d) La régression : configuration n° 3 (identification à l’enfant).

Dans cette configuration, l’enseignant s’identifie à l’enfant avec lequel il se sent pleinement solidaire ; il effectue un retour à son passé infantile, retour qui le place en porte à faux vis-à-vis de sa mission d’enseignant : son ouverture excessive à l’enfant lui permet de comprendre ses difficultés mais le place dans une position d’hostilité vis-à-vis des exigences scolaires dont il a lui-même souffert, position qui l’empêche de devenir un modèle identificatoire dont l’enfant aurait sans doute besoin (par exemple dans le cas Patrice). Nous illustrerons ce cas par un exemple clinique dans notre chapitre III.

Cette liste de modalités défensives ne se veut pas exhaustive ; elle illustre de quelle façon l’expérience clinique peut venir en aide à l’enseignant en lui proposant une sorte d’identification de son fonctionnement professionnel, identification qui ne saurait se suffire à elle même, comme il est de toute évidence qu’un diagnostic ne guérit pas un malade, mais pose la base d’une prise en charge thérapeutique efficace.

Il s’agit donc d’effectuer une sorte de bilan qui se doit d’être la radiographie d’une relation pédagogique d’aide où seront pris en compte les aspects défensifs, transférentiels et contre-transférentiels en jeu, et pas uniquement la mise en examen des déficits instrumentaux de l’enfant ou ses troubles caractériels ou affectifs.

PERSPECTIVES D’AIDE : CLINIQUE DE L’ÉCHEC

1. L’élève:

Le livre permet d’accéder à la culture, l’écriture permet de s’inscrire dans la culture.

 » J’aime les mots

Je respecte les mots

Il en est qui tombent dans notre vie au moment précis où vous pouvez, où vous devez les entendre.

Des mots parfois tout simples, entendus bien souvent, mais dont le sens ne vous a jamais

pénétré

Et tout à coup ils sont des clés. « 

(Annie Duperey. Le voile noir).

L’écriture peut aider l’adolescent à franchir le  » passage  » dans lequel il se trouve. En effet l’adolescence est un passage qui renvoie au remaniement pulsionnel.

L’adolescence exerce une action spécifique à trois niveaux :

– Elle agit comme un révélateur d’une problématique de dépendance à l’égard des objets externes dont l’enfance autorisait l’aménagement et le camouflage mais que l’adolescent conflictualise.

– Elle crée des conditions d’un écart narcissico-pulsionnel qui traduit l’émergence d’un antagonisme entre la satisfaction des besoins et désirs objectaux et la sauvegarde de l’autonomie du sujet et de son identité, c’est-à-dire de son narcissisme.

– Elle réactive Les conflits d’identification mettant en cause ce qui, du sentiment d’identité repose sur la permanence d’identifications stables.

La première question à se poser est la suivante : est-ce entendu ?

L’échec est un message vers trois instances :

– les parents

– l’école

– la société.

Echouer c’est ne plus répondre aux attentes parentales, c’est ne plus répondre aux attentes des enseignants ni à celles de la société…

Si l’échec est un prétexte (ou un pré-texte), un symptôme qui ne parvient pas à servir de support, si son message ne passe pas, si le compromis défensif qu’il sous-tend n’est pas perçu, alors les bénéfices secondaires que l’échec véhicule tombent à l’eau. L’entendre c’est déjà accepter crises et ruptures, comprendre  » crises et ruptures  » comme processus de maturation et non béance.

Le deuxième point est l’accompagnement de l’adolescent en proie à ses contradictions ; accompagnement certainement défaillant au niveau des interdits et règles parentales.

Accompagner, c’est réaliser l’angoisse de l’échec, c’est permettre de parler. Si l’école n’est pas le lieu où peuvent s’actualiser les problèmes, c’est que le détachement familial est difficile. Il faut à cet égard ménager un  » entre-deux  » permettant à l’adolescent de se laisser aller à ses potentialités, de donner un sens à ses désirs. Il faut lui apprendre à ne plus satisfaire pleinement ses parents, à accepter l’ambivalence des sentiments qu’il leur porte, et à laisser se déployer un minimum d’agressivité pour se préparer à grandir.

L’échec est limitation du plaisir à se symboliser. L’adolescent exprime par ce comportement un message positif qui ne pourrait pas passer.

Refus d’entendre pour une école, pour une société et des parents en position de toute puissance et pour lesquels la moindre faille remet en péril leur intégrité : impasse où le prix pavé pour échouer est de plus en plus important. Mais réussir est-il alors plus économique ?

Pour Patrice, grâce à l’identification secondaire à un enseignant, une issue a pu être trouvée. Patrice a trouvé du sens au plaisir de penser mais au niveau affectif-identification virile-un noeud s’est cristallisé (dans tous les sens du terme )

2. L’enseignant:

L’aide psychologique aux enseignants trouve sa place lorsque les techniques pédagogiques et les recyclages divers (concernant les disciplines enseignées, les réformes à mettre en application etc ) ne suffisent plus pour lutter contre l’échec scolaire. Même s’il est juste de considérer que la connaissance approfondie d’une discipline permet de se sentir à l’aise dans sa pratique avec les élèves, un excès d’assurance peut aussi isoler l’enseignant et le rendre inefficace dans sa manière de transmettre le savoir. Les techniques pédagogiques peuvent elles aussi constituer un support extrêmement pertinent pour une majorité d’élève mais se révéler sans aucun effet auprès de certains élèves récalcitrants.

Notre propos ne consiste pas à privilégier une approche au détriment des autres ; il importe d’éviter le recours systématique à une formule unique qui deviendrait un remède universel. Le monde de l’enseignement véhicule comme bien d’autres mondes, ses modes, ses mythes et ses recettes miraculeuses. Une certaine pratique clinique peut venir en aide à ceux qui refusent de considérer l’échec scolaire comme une conséquence inévitable de l’allongement de la scolarité, des problèmes migratoires, de la démission parentale et des problèmes de société. Elle ne doit pas se substituer à d’autres méthodes mais constituer un complément permettant une réflexion pertinente sur les conduites professionnelles.

Il existe de nombreux stages proposés par les missions académiques pour aider les enseignants à améliorer leur parcours professionnel, mais nous avons souvent constaté les résistances considérables de l’Education Nationale à introduire des stages portant sur la prise en compte du développement personnel des maîtres et à faire référence à des techniques d’inspiration clinique ou psychanalytique. Actuellement, et ce depuis une bonne vingtaine d’années, la plupart des grandes entreprises invitent leur personnel à réfléchir individuellement et dans le cadre de séminaires appropriés, à leur manière de gérer les conflits interindividuels, de lutter contre le stress, d’optimiser leur efficacité de cadre, ou simplement de mieux se connaître pour utiliser le meilleur de leurs ressources personnelles. Cette immense entreprise qu’est l’Education Nationale semble ignorer un tel recours pour aider son personnel.

L’univers de l’école expose la personne de l’enseignant plus qu’aucune autre du fait des enjeux interpersonnels puissants qui s’y engagent ; pourtant, il existe bien peu de groupes de paroles où les maîtres peuvent évoquer ces enjeux.

Il s’agit donc ici de tenter de les aider dans une tâche tellement difficile qu’elle faisait partie, disait Freud7 d’un des trois métiers  » impossibles  » ; citons cette phrase maintenant célèbre qui a été au centre des cinquièmes rencontres psychanalytiques d’Aix-en Provence8 et dont Mireille Cifali s’est inspirée dans son texte sur  » L’infini éducatif : mise en perspective  » (même ouvrage)

 » Il semble presque qu’analyser .soit le troisième de ces métiers « impossibles » dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant. Les deux autres, connus depuis beaucoup plus longtemps, sont éduquer et gouverner. « 

Lorsque Mireille Cifali s’interroge sur ce que Freud cherche à dire aux analystes par cette phrase, elle conclut :  » On peut donc être désormais convaincu que si le succès incomplet de la psychanalyse tient d’une part à la constitution du psychisme humain avec ses conflits internes, ses tensions entre Eros et Thanatos, il renvoie d’autre part à la présence de cet humain dont dépend l’acte psychanalytique. «  (p. 19)

De cet humain trop humain, les analystes peuvent en débattre avec leur contrôleur ou dans leurs séminaires, les enseignants, eux, sont le plus souvent seuls, et souffrent de ne pouvoir disposer d’un lieu pour en rendre compte. S’il s’avère que ce lieu se généralise (car il existe quand même à notre connaissance quelques exp