Actes et temporalités I
15 octobre 2023

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Pierre AREL
Journées d'études

 

Actes et temporalités

13 janvier 2022

Pierre Arel

L’apologue du temps logique, même s’il doit continuer à être considéré comme un apologue, nous ouvre sur la complexité des rapports entre différentes catégories de temps, et entre ces temps et l’espace, ainsi que sur les rapports entre l’individuel et le collectif. Le temps pour comprendre ne peut se faire que par la participation à un collectif, et le moment de conclure est un temps individuel. Et puis il y a cet apport extrêmement précieux du moment de conclure qui constitue l’invention d’une affirmation, d’une réponse, qui prend appui non pas sur quelque chose qui est déjà là, mais au contraire sur le constat qu’une réponse immédiate a fait défaut. C’est parce que la réponse n’est pas là qu’une hypothèse fausse est produite, et ce n’est qu’à la suite de l’invalidation de cette hypothèse fausse que la réponse va pouvoir être donnée.

Ceci nous sort d’une habitude de pensée qui est de considérer que pour que quelque chose advienne à l’existence, il lui faut être déjà là et advenir ensuite à la connaissance. C’est en sortant de cette habitude de pensée, qui implique une certaine forme de causalité fondée sur une construction linéaire, que nous pouvons entendre ce qui relève à la fois de la constitution du symptôme, qui relève d’un après coup, et aussi de la répétition dont Lacan fait remarquer qu’elle relève de ce qui n’était pas.

Le temps logique nous permet de l’entendre comme une succession de manques, un manque à avoir une solution immédiate, un manque à comprendre une hypothèse juste et un manque à conclure une assertion vraie. Cela rend compte de la temporalité de la constitution du symptôme, comme Freud l’a repéré chez ses patientes hystériques. Il ne se passera rien lors de la première rencontre avec le sexuel, mais c’est à partir de la deuxième rencontre que le symptôme vient à se constituer après coup, comme un premier mensonge, à savoir cette hypothèse fausse produite faute de mieux, en raison du défaut de symbolisation pour l’enfant du sexuel lors de cette première rencontre. Il y a ainsi répétition à reproduire cette hypothèse fausse chaque fois qu’une situation actuelle vient réactiver le « sans réponse » de la situation originelle, répétition qui comme nous le savons peu perdurer sur toute une vie.

Il nous arrive assez souvent d’entendre des formulations comme celle de ce patient qui dit : « j’ai beau savoir que la solution que j’ai essayée 50 fois ne marche pas, c’est encore celle-là que je vais tenter une 51e fois. » C’est là ce qui se présente comme une persévération dans l’hypothèse fausse qui résulte d’un échec à produire un moment de conclure, persévération qui fait bien sûr le charme et la désolation de notre vie sociale, dans les nombreuses situations où nous avons l’impression que cela tourne en rond. Ce que nous rencontrons tant dans la vie familiale, conjugale, institutionnelle que sociétale et politique.

D’où cette question que ravive la psychanalyse qui est de savoir comment sortir de ce tournage en rond du discours courant, que Lacan a écrit le disque ourcourant pour bien faire entendre son côté disque rayé, qui est un véritable tue l’amour, et même pour être plus précis, un véritable tue le désir. Face à ce fléau que nous chérissons tant, la psychanalyse a constitué dès Freud un recours, en privilégiant comme l’a fait remarquer Lacan la précipitation vers le moment de conclure qui seul peut permettre de dépasser cette réitération de récits toujours les mêmes ou si peu différents surtout au niveau de la vie familiale et conjugale, dans lesquels le luxe de détails vise à présenter comme une nouveauté ce qui n’est que l’énième répétition d’un même scénario dont vous finissez par connaître la geste et les répliques par cœur. C’est-à-dire que vous finissez par connaître les personnages qui se répartissent les rôles selon des hypothèses fausses qui tentent de rendre compte de ce qui manque, et de qui est responsable de ce défaut en référence à une loi positive qui ne fait pas consensus. D’où la dispute.

Mais comme le fait remarquer Lacan, le psychanalyste n’a ni à prendre parti, ni encore moins à rester sur le terrain de cette réalité qui fait sens. D’où son silence, qui est une nécessité structurale pour permettre que se déploie l’arrière-plan sur lequel va se faire la lecture, l’interprétation du symptôme et des automatismes de répétition. Dans un de ses séminaires Charles Melman donne un exemple extrêmement simple et éloquent : il y a un loupé dans la rencontre entre l’analysante et l’analyste, mettons un retard, et l’analysante part dans une première interprétation de ce qui vient de se passer. Silence de l’analyste. L’analysante surenchérit dans son interprétation. Silence de l’analyste. L’Interprétation devient scénario dramatique qui mène l’analysante au bord des larmes. L’analyste sort de son silence pour lui dire qu’en ce qui le concerne il n’en est rien de tout cela, ce qui apaise instantanément l’analysante et lui permet d’entendre dans quoi elle a été à nouveau prise, à savoir dans un nouveau temps pour comprendre avec sa même hypothèse fausse.

Cet exemple permet d’ailleurs d’entendre aussi ce que Lacan avançait concernant le couple analysant – analyste qui est en fait un ensemble à trois constitué du couple analysant-analyste et de l’analysant qui fait la lecture de ce qui se passe dans cette relation, tant avec son corps qui peut arriver en retard, s’absenter, s’émouvoir que dans ses propos qui en disent toujours un peu plus ou un peu moins que ce qui est entendu. C’est en quoi nous pouvons nous inscrire dans la chorégraphie du temps logique à partir de deux acteurs, et cela jusqu’à un très grand nombre.

En théorie, il n’est guère possible de réaliser le temps logique avec un grand nombre de personnages, puisqu’il faut autant de scansions suspensives qu’il y a d’acteurs moins un. C’est-à-dire que pour trois acteurs, il faut deux scansions suspensives, pour quatre acteurs trois scansions suspensives etc. Autant dire qu’au-delà d’un nombre assez limité de participants, cela est proprement irréalisable.

Mais il serait dommage de se priver des services de cet apologue sur cet argument du nombre, puisque nous ne cessons de faire des hypothèses fausses dans nos relations sociales qui sont quoi qu’il en soit fort nombreuses, et nous impliquent souvent avec des groupes de personnes très importants. C’est le cas notamment de tout ce qui implique notre vie institutionnelle et politique. Dans ces derniers cas, certains ont pu dire qu’il s’agit de relations de foule qui comme nous le savons présentent une grande inertie dans leur production du tournage en rond, du discours courant, mais cela ne doit pas nous masquer qu’il y a dans notre vie collective une dynamique temporelle qui obéit aux trois temps du temps logique. Nous y produisons un certain nombre d’hypothèses fausses, mais aussi, à la suite de désenchantements, un certain nombre d’actes dont les conséquences peuvent se répercuter sur des temps extrêmement longs. La difficulté pour chacun est d’être pris en compte dans ces grands ensembles, ce qui ne risque pas de s’arranger avec une démographie de près de 8 milliards d’habitants sur notre planète.

Comme je vous le disais la dernière fois, le grand danger au niveau du temps pour comprendre est celui de cette position supposée d’exclusion, de spoliation où se met chaque participant, dans la mesure où l’hypothèse est que les deux autres sont plus avancés que lui-même. Si le moment de conclure ne se produit pas, la pérennisation de l’hypothèse fausse peut conduire à des phénomènes agrégatifs et ségrégatifs fondés sur une argumentation victimaire, comme cela se présente aujourd’hui.

Ces phénomènes font courir le risque à chacun de l’éloigner un peu plus de la question qui le fonde comme sujet, question qui dans le temps pour comprendre est encore ignorée de lui. Dans la petite chorégraphie de Dora, la jeune patiente de Freud est engagée dans une intrigue virevoltante qui implique son père ainsi qu’un homme et une femme amis de ce dernier. Faute d’avoir pu repérer par qui de ces personnages Dora posait sa question, Freud ne put empêcher que cette dernière lui donne son congé. L’alter ego qui comptait pour Dora, celle par qui elle posait sa question qui était : qu’est-ce qu’une femme ? était Madame K., la maîtresse de son père. Faute d’avoir pu conclure cette question il semblerait d’après les témoignages que nous en avons eus que ladite Dora ait conservé ce mode relationnel difficile aux autres, qu’elle manifestait déjà du temps où elle est allée se confier à Freud.

La question de Dora rejoint la question de beaucoup de gens qui est de savoir ce qu’est un homme ou une femme. Si nous nous lançons les et les autres dans des intrigues qui remettent en jeu le temps logique, ce n’est bien sûr pas pour savoir si nous avons un disque blanc ou noir sur le dos, mais bien pour savoir si nous pouvons être reconnus comme homme ou comme femme. Après tout, quand nous nous lançons dans une relation amoureuse avec une personne, ce n’est ni notre anatomie ni notre état civil qui peut nous garantir que nous sommes en adéquation avec cela. Ce n’est qu’après quelques temps passés ensemble, et quelques actions menées, qu’il est possible de dire qui se situe de tel ou tel côté, à la condition qu’ils aient bien voulu jouer le jeu. Sinon ils restent pris dans l’indécidable de la guerre des sexes, telle qu’elle se déploie actuellement.

C’est à ce niveau d’ailleurs que nous pouvons utiliser cette distinction que je vous ai signalée la dernière fois de l’acting out et du symptôme que Lacan fait dans son séminaire sur l’angoisse. L’acting out, qui est un terme de théâtre qui désigne un jeu théâtral en dehors de la scène, a été repris par Lacan pour parler de ces mises en acte d’un désir méconnu autant du sujet que des protagonistes, à l’instar de Dora qui semblait se mouvoir avec facilité dans cette petite intrigue amoureuse viennoise jusqu’à ce que cela dépasse ce qui était supportable, et la pousse à recourir à l’analyse de Freud. L’acting out est une monstration de ce qui reste voilé, un désir qui est causé justement par ce qui rate, ce qui chute. Ce qui chute ici, entre autres c’est que Monsieur K. n’est pas insensible au charme de Dora, et que de plus il lui dit qu’il n’a rien pour sa femme. Ce qui déclenche un petit passage à l’acte chez Dora, à savoir une gifle qui a poussé à une conclusion hâtive, à savoir que certaines bornes ont été franchies. D’où le recours à Freud pour tenter d’interpréter tout cela.

Lacan précise que l’acting out, c’est un symptôme qui se montre comme Autre, lui aussi. La preuve, c’est qu’il doit être interprété. À quoi il précise que le symptôme ne peut l’être, interprété directement, « puisqu’il faut le transfert c’est-à-dire l’introduction de l’Autre. Le symptôme n’appelle pas l’interprétation comme l’acting out puisqu’il n’est pas appel à l’Autre, il n’est pas ce qui se montre à l’Autre. Le symptôme est dans sa nature jouissance. Le symptôme n’a pas besoin de vous comme l’acting out, il se suffit. Il est de l’ordre de ce que je vous ai appris à distinguer du désir comme étant la jouissance, c’est-à-dire qu’il va, lui, vers la Chose, ayant passé la barrière du bien, c’est-à-dire du principe de plaisir. » Cette jouissance est un Unlust, un déplaisir.

« A la différence du symptôme, l’acting out, lui, c’est l’amorce du transfert. C’est le transfert sauvage. Y’a pas besoin d’analyse, vous en doutez, pour qu’il y ait transfert. Mais le transfert sans analyse c’est l’acting out, l’acting out sans analyse, c’est le transfert. »

Ce passage me paraît extrêmement important pour situer le transfert par rapport à l’analyse, et par conséquent la place de la psychanalyse dans la cité, tout particulièrement aujourd’hui, où nous avons à nous interroger, à partir des nombreux actes qui sont produits dans notre vie sociale, sur ce qui relève du symptôme et ce qui relève de l’acting out. Il me semble que nous avons à déplorer un alourdissement du symptôme, à savoir d’une jouissance qui se suffit à elle-même, dans tous ces phénomènes d’affirmation identitaire rageuse, quel que soit le trait identitaire affirmé, qu’il soit ethnique, religieux, de classe, ou de genre – cette dernière revendication identitaire constitue la grande nouveauté de notre époque –, et comme en témoigne cette collectivisation de symptômes dans des phénomènes de masse qui s’organisent pour faire taire l’Autre, c’est-à-dire n’en doutons pas une seconde, pour l’éliminer.

Bien sûr ce constat pessimiste ne doit pas nous détourner d’aller chercher ce qui peut être acting out dans ces mises en acte, c’est-à-dire appel à l’interprétation. C’est un point qui, cliniquement, est encore plus sensible dans le travail institutionnel en psychiatrie avec les jeunes adultes, dans la mesure où des jeunes gens de plus en plus en roue libre, en raison du dépassement voire même de la démission des adultes et des institutions chargées de faire tenir un cadre dans laquelle le désir mis en acte pourrait s’interpréter, s’enferment dans des nominations qui viennent verrouiller leur symptôme sur sa jouissance, aussi déplaisante soit-elle.

C’est pourquoi, tout particulièrement dans le champ institutionnel il y aurait à reprendre la question posée par Lacan de savoir « comment, le transfert sauvage, on peut le domestiquer : comment faire entrer l’éléphant sauvage dans l’enclos, et le cheval, comment on le met au rond, là où on le fait tourner dans le manège. » C’est une des façons de poser le problème du transfert, qu’il serait bien utile de poser par ce bout-là parce que c’est la seule façon de poser la question de savoir comment se positionner avec l’acting out. En effet, il est très facile d’entrer dans la ronde, dans la ronde des temps pour comprendre, et de ne plus rien y comprendre du tout. C’est comme cela que des soignants, après les parents et les enseignants, se retrouvent dépassés par les tourmentes de l’acting out, transfert sauvage où plus personne ne sait où il habite, ni quel rôle il peut jouer dans ce qui se passe. En bref, ça rate tant et plus, et que l’on prenne la faute sur soi ou qu’on l’attribue à l’autre, cela ne change rien au ratage qui est structurel, puisque la donne symbolique ne permet pas de répondre à toutes les situations.

C’est pourquoi il est important de respecter les règles de l’apologue du temps logique, dont le non-respect ne fait qu’aggraver le ratage, et reculer l’échéance de la trouvaille d’un moment de conclure qui soit une invention. Le non-respect de ces règles passe notamment par le refus des consignes du directeur, mais aussi par un refus d’entrer dans la danse du temps pour comprendre, et enfin dans un refus d’accepter l’échec des hypothèses fausses pour se hâter à conclure.

Le refus des consignes du directeur s’entend très bien dans ce refus exprimé des attributions de place dont chacun va découvrir progressivement le prix, dont le prix suprême est d’être reconnu comme homme pour pouvoir appartenir à la communauté humaine. Mais comme le fait remarquer Lacan à la fin de son texte sur le temps logique, «l’affirmation je suis un homme est tout à fait inadéquate, puisqu’il n’y a rien de plus difficile que de définir ce que peut être un homme. » A fortiori dans la langue française où il existe une équivoque qui n’existe pas dans la plupart des langues. C’est pourquoi Lacan propose de soumettre cette affirmation du « je suis un homme », à « l’assertion subjectivement anticipante comme suit :

premièrement – un homme sait ce qui n’est pas un homme ;

deuxièmement – les hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes ;

troisièmement – je m’affirme être un homme, de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme.

Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation « humaine », en tant précisément qu’elle se pose comme assimilatrice d’une barbarie, et qui pourtant réserve la détermination essentielle du « je »… »

Au fur et à mesure qu’avance l’histoire, se sont multipliées les définitions de ce qu’est un homme, en même temps que le nombre des directeurs qui énoncent les consignes pour entrer dans le jeu, et avec elle cette atomisation qui conduit au communautarisme et à l’individualisme. J’ai brièvement évoqué la dernière fois le déconstructionisme qui à la fois est un mouvement inéluctable, puisqu’il provient des inventions symboliques qui se font de génération en génération, mais qui aussi nécessite d’être interrogé dans sa forme actuelle qui se caractérise par sa volonté de renverser complètement la table, comme cela a pu être le cas lors de périodes révolutionnaires.

Dans ce renversement de table, ce qui est le plus sensible pour les psychanalystes est à repérer du côté du sort fait à l’Œdipe et donc à la place du père. Le refus le plus énergique concerne sa place et sa fonction qui est d’être un représentant de la fonction phallique qui vient se saisir d’une part du réel pour définir notre humanité. Il est notable que si cette définition de notre humanité s’est faite en nous distinguant de la nature, certaines revendications actuelles reviennent sur cela pour donner une priorité absolue à la vie biologique. Cela s’entend très bien dans ces mouvements qui non seulement prônent la protection de la vie, mais également découragent la reproduction humaine, comme en témoigne ce recours récent et massif à « la contraception définitive », c’est-à-dire la stérilisation des hommes et des femmes.

Voilà pour ce qu’il en est du refus des règles du directeur. Venons-en maintenant à ce qu’il en est du refus d’entrer dans la danse du temps pour comprendre qui est à situer dans une espèce de passivité déterminée par le discours courant et son instantanéité ainsi que la richesse de ses propositions. L’offre symbolique contemporaine permet de se laisser guider en restant spectateur, sans jamais être acteur ni même pour certains sans jamais quitter leur maison. Ce que je vous disais la dernière fois sur les hikikomori rend bien compte de cette jouissance sans appel à l’Autre ni à l’interprétation symbolique. L’acting out par contre est une entrée dans la danse et un appel à l’Autre, avec ses pas en avant et ses pas en arrière qui, s’ils sont suivis de près, permettent de comprendre l’erreur de départ et la conclusion qui s’impose dans la hâte.

Ce qui fait les joies et les malheurs du transfert sauvage, c’est que personne ne respecte les consignes de silence du directeur, et que chacun y va de la diffusion de ses fake news, ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion et rendre impossible le moment de conclure. Toutefois, c’est ce que je vous disais déjà la dernière fois, il suffit d’offrir une écoute silencieuse pour que celui qui est pris dans sa déjà longue histoire personnelle d’actings out puisse à la fois repérer où ils ont échoué et produire des conclusions résolutives. C’est par son silence et surtout par la priorité absolue qu’il donne aux temps de resubjectivation que constituent les divers après coup du symptôme, c’est-à-dire leur réactualisation dans des moments conflictuels avec l’entourage, que le psychanalyste « annule les temps pour comprendre au profit des moments de conclure qui précipitent la méditation du sujet vers le sens à décider de l’événement originel. »

Pour vous donner une séquence banale, un homme parle depuis très longtemps de l’amour qu’il peut vouer à son père, tout en faisant part de ses craintes incompréhensibles que lorsqu’il lui téléphone, le téléphone ne bugue. Et cela dure pendant des semaines. La scansion analytique purement temporelle vient cerner cette crainte incompréhensible jusqu’à ce qu’il énonce cette phrase un peu plus explicite, lorsque, parlant du grand âge de son père il dit : mais à 93 ans on est mort. Je manifeste mon étonnement, à quoi succède chez lui cette énonciation encore plus explicite : j’ai envie qu’il crève. C’est là une de ces surprises que peut nous réserver l’inconscient lorsqu’il nous est possible d’en faire la lecture. Surprise qui n’est pas mince chez cet homme qui se caractérise par sa prévenance, sa politesse, sa gentillesse de tous les instants à l’égard de tout ses proches. Le voilà un peu plus à même d’assumer comme sujet son histoire, « en tant qu’elle est constituée par la parole adressée à l’Autre, qui fait le fond de la nouvelle méthode à quoi Freud donne le nom de psychanalyse. » En l’occurrence pour cet homme il s’agit de repérer comment, en bon obsessionnel, il a passé son temps à attendre la mort du maître, « mais en attendant quoi il s’identifie à lui comme mort, et ce moyennant quoi il est lui-même déjà mort ». Ce passage est dans les dernières pages du discours de Rome où Lacan trace justement en quelques lignes certains traits de la temporalité de la névrose obsessionnelle centrée sur cette attente de la mort du maître.

*****

Je vais éviter d’utiliser cette attente de la mort du maître pour faire une transition avec certaines questions que je veux aborder avec vous cette année. J’aurai l’occasion de revenir sur le discours de Rome, mais il me tarde d’ouvrir ces questions qui m’ont amené à vous proposer ce sujet sur la temporalité et l’acte, questions qui sont parties la lecture d’un livre de François Hartog intitulé Chronos, l’Occident aux prises avec le temps. Dans cet ouvrage, François Hartog qui est historien et historiographe spécialisé dans les études des formes historiques du rapport au temps, vient interroger comment notre rapport au temps peut évoluer d’une époque à une autre, à partir de temps qui sont événements, à savoir rupture sur le passé et ouverture de perspectives sur le futur. Pour cela il va utiliser trois termes grecs qui se rapportent tous les trois au temps à savoir Chronos, Kairos et Krisis. Il nous dit que ces trois notions sont difficiles à définir, surtout chronos que nous dédoublons entre un temps originaire immortel, immuable, enveloppant l’univers et un temps humain périssable. Chronos est ainsi le temps de la durée, le temps qui s’écoule, mais en même temps il est celui qui nous échappe, qui est inscrutable.

Alors que « kairos, -qu’il désigne un point vital du corps dont la lésion fait passer de vie à trépas, un lieu stratégique ou un instant crucial-, implique à chaque fois une coupure, une rupture dans la continuité spatiale et temporelle. » Ce que l’auteur précise en disant que dans la tragédie grecque, le Kairos joue un rôle important, mais la tragédie est un parfait contre-exemple, dans la mesure où elle met en scène des héros qui manquent toutes les occasions et qu’ils manquent encore plus au moment précis où ils croient les saisir vraiment. C’est ce qui nous renvoie à la notion la plus connu du Kairos, à savoir que c’est l’instant décisif qui, lorsqu’il est saisi, permet de placer son acte au bon endroit. D’où l’intérêt de ce qu’il nous dit sur la tragédie comme étant l’exploration d’un monde privé du temps Kairos, dans la mesure où les personnages, agissant à contretemps, entretiennent un rapport perturbé avec le temps. Calculant à chaque fois de travers, ils sont incapables de réintégrer le temps Chronos, celui qui fait l’ordinaire d’une vie civique réglée. Vous entendez là que c’est précisément ce qui se passe au niveau de l’acting out, pour celui qui rate les moments de conclure tout en produisant des histoires.

Et puis il y a cet autre temps qui est la krisis. Krisis, qui signifie le jugement, vient du verbe krinein signifiant séparer, trancher, trier, faire passer en jugement. L’issue d’une bataille était décidée par un jugement divin qui allait accorder la victoire à un côté plutôt qu’à un autre. Ainsi, puisque nous avons dans la langue française cet adjectif critique, nous pouvons entendre combien cet adjectif se rapporte aussi bien à ce que nous appelons aujourd’hui la crise, à savoir une situation de déséquilibre des forces, de conflits, et ce qui se rapporte au jugement, à la critique.

Ces trois concepts grecs du temps vont devenir le temps de l’Europe et plus tard du monde occidental, après qu’ils aient rencontré le texte biblique suite à la traduction de celui-ci au troisième siècle avant J.-C. C’est de cette rencontre que va émerger cette temporalité qui se tend vers un jugement, voire un jugement dernier, universel qui est un acte de séparation où il s’agit de mettre les mauvais à part. Il existe un moment que l’on pourrait dire de crise durant lesquelles les bons et les mauvais vivent ensemble dans une confrontation jusqu’à l’avènement de ce jugement qui viendra les séparer.

Les difficultés que nous pointe ce livre ne sont pas tant de saisir cette temporalité qui nous reste familière dans notre monde de tradition chrétienne, mais bien de saisir comment cette temporalité-là est le résultat d’une invention, invention qui s’est faite sur plusieurs siècles dans un contexte théologico-politique très particulier. C’est l’idée qu’il y a un jugement dernier qui nous est familière, et que même si nous avons fait un pas vers la laïcité, l’agnosticisme ou l’athéisme, il peut très bien rester dans nos attentes la perspective qu’un jour le jugement de l’histoire saura faire le bon tri. (Ex. : Les Ecossais sont en discussion pour gracier les sorcières condamnées du XVI au XVIIIème siècle)

L’invention qui a eu lieu à ce moment-là a été d’eschatologiser Kronos avec Kairos et Krisis, que ce soit dans une perspective prophétique qui est d’annoncer l’arrivée du Messie, ou apocalyptique, qui est d’annoncer le retour du Messie au moment du jugement dernier. Cette invention implique qu’il y a eu un acte, un événement qui a fait coupure dans le temps. C’est tout à fait audible dans la distinction qui est faite entre l’ancien et le nouveau testament, puisqu’il y a là séparation entre un temps d’avant et un temps d’après, séparation qui continue à organiser notre temporalité, comme en témoigne le fait que nous avons fêté récemment la 2022ème année après cet événement.

Comme vous pouvez vous en douter, non seulement la mise en place de ce temps-là a pris du temps, mais elle a commencé plusieurs siècles avant l’an zéro.

Pour suivre certains points majeurs de cette évolution il faut remonter quelques siècles avant en lisant les textes prophétiques et apocalyptiques de l’Ancien Testament. Il en est un qui à lui seul nous permet d’entrer assez loin dans la complexité de ces inventions sur la temporalité, qui est le livre de Daniel.

C’est un livre qui reste d’un intérêt majeur aujourd’hui, notamment par ce qu’il soulève comme questions sur notre rapport au politique. Je n’hésiterai pas à dire, vu les problèmes qui s’y rencontrent, qu’il devrait être proposé à la lecture des étudiants des instituts d’études politiques de France, cela les sortirait certainement un peu des méchantes polémiques animées par l’amour qu’ils vouent à leurs symptômes.

Le livre de Daniel est un livre éminemment politique. Il s’ouvre comme une page d’histoire : « à la cour de Babylone. La troisième année du règne de Joachim, roi de Juda, Nabuchodonosor, roi de Babylone, marcha contre Jérusalem et l’assiégea. Le seigneur livra entre ses mains Joachim, roi de Juda et une partie des ustensiles de la maison de Dieu ; et il les emporta au pays de Senaar, dans la maison de son dieu et mis les ustensiles dans la maison du trésor de son dieu. »

C’est l’histoire d’une catastrophe, la catastrophe d’un peuple qui après bien des pérégrinations avait réussi à se constituer son petit chez-soi, dont le symbole sacré était ce temple construit par Salomon, et en même temps le lieu où se célébraient selon un calendrier bien réglé la mémoire de cette alliance avec celui qui constitue l’autorité suprême. Et là, patatras, un voisin à la force militaire supérieure vient les envahir, détruit ce temple, et emmène chez lui toute l’élite intellectuelle de ce peuple. Cela s’est passé, cette troisième année du règne de Joachim, en 587 av. J.-C. Petite précision chronologique qui nous permet de pointer qu’avant cette unification du temps sur un événement commun à une grande part de l’humanité, il était courant de compter la chronologie à partir des temps de royaume de chaque peuple.

Enfin, quoi qu’il en soit, c’est là le premier contexte historique important concernant ce texte, mais non le seul, puisqu’il y en a un autre que je préciserai plus loin.

Après le bref récit de cette catastrophe et de cette déportation des élites, Daniel nous est présenté comme faisant partie d’un groupe de quatre jeunes gens remarquables par leur intelligence, leur sagesse et leur fidélité à leur dieu. Ces qualités leur sont reconnues par le roi Nabuchodonosor qui va même jusqu’à les préférer aux sages et aux devins issus de son propre peuple. Et ce roi, qui avait ses soucis de roi, a fait un rêve qui suscita chez lui un très grand trouble. Il demanda aux sages et aux devins de son peuple d’interpréter ce rêve. Leurs propositions ne firent que susciter sa colère qui se traduisit par l’ordre de les tuer tous.

Suite à ces interprétations manquées, Daniel est sollicité et va reprendre ce rêve point par point. Ce rêve est assez connu. Se dresse devant le roi une statue, grande, d’une splendeur extraordinaire. La tête de cette statue était d’or fin, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les cuisses d’airain, les jambes de fer, les pieds en partie de fer et d’argile. A un moment une pierre vint frapper la statue qui se brisa. Alors furent brisés en même temps le fer, l’argile, l’airain, l’argent et l’or qui furent enlevés dans le ciel sans laisser de traces. Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne et remplit toute la terre. (Fin du rêve)

Interprétation de Daniel au roi des rois, qualification qu’il n’hésite pas à lui reconnaître, avant de lui dire ce qu’il va lui dire, à savoir que son royaume a bien des qualités et que lui est bien la tête d’or de ce royaume, mais cela n’empêchera pas qu’après lui s’élève un autre royaume, moindre que lui et puis un troisième et un quatrième. Il s’arrête à quatre, chiffre qui a son importance dans ce texte et dans ceux qui s’en inspireront par la suite. Il ajoute que ce qui a fait la fragilité de ces royaumes successifs, c’est leur division, comme la division des pieds entre le fer et l’argile. Ce qui fait que ces royaumes divisés vont être anéantis et qu’à la place viendra cette montagne qui sera « un royaume qui ne sera jamais détruit et dont la domination ne passera pas à un autre peuple ; il(le grand Dieu) brisera et anéantira tous ces royaumes là et lui-même subsistera à jamais, conformément à ce que tu as vu qu’une pierre s’est détachée de la montagne sans l’aide d’aucune main et qu’elle a brisé le fer, l’airain, l’argile, l’argent et l’or ».

Interprétation qui ne manque pas de courage, et qui est éminemment politique, puisque d’une part l’interprétant risque plus que jamais sa peau en parlant ainsi à ce maitre ombrageux et d’autre part il ne fait rien de moins qu’un diagnostic sur la force et la durée des pouvoirs séculiers, temporels. Et il invente, puisque nous sommes à ce moment-là au temps de cette invention, la perspective d’un royaume plus fort que celui de tous ces royaumes temporels et donc temporaires, et d’un royaume qui ne connaît pas la division. Laquelle perspective temporelle de l’avènement d’un royaume enfin unifié sous l’égide de l’instance supérieure, le grand Dieu, serait le remède à ce mal endémique qu’est la division qui règne entre les royaumes, et même à l’intérieur des royaumes. C’est là une sérieuse invention, qui n’a pour ainsi dire pas pris une ride tant en ce qui concerne son diagnostic que sa proposition de remède qui continue à avoir cours même dans des versions laïcisées.

La suite du texte est tout aussi riche. Je sélectionnerai seulement quelques points. Le premier est que Daniel a évidemment suscité bien des jalousies après le succès de cette interprétation auprès du roi. Si bien que les jaloux contraignent le roi à faire jeter Daniel dans la fosse en présence de lions affamés. Je cite le texte. « Préservation de Daniel. Le roi s’en alla ensuite dans son palais et passât la nuit à jeun sans faire venir de concubine auprès de lui et le sommeil s’enfuit loin de lui. » C’est vous dire si cela va mal puisque le roi abandonne temporairement ce qui l’inscrit dans la fonction phallique, à savoir son appétit pour la vie et pour les femmes, du fait qu’il est contrarié d’avoir dû céder aux jaloux. Mais au petit matin tout va bien puisqu’il retrouve Daniel vivant qui lui affirme que si les lions ne l’ont pas mangé, c’est que Dieu leur a envoyé un ange pour le délivrer de leur appétit en raison de ses bons et loyaux services. À la suite de quoi le roi envoie tous les jaloux dans la fosse aux lions affamés qui les mangèrent sans laisser de restes. Ce passage est aussi une invention, celle du martyr qui risque sa vie pour témoigner de sa foi, invention qui va prendre toute son ampleur chez les juifs après cet exil à Babylone, dans la période qui a suivi et où effectivement les royaumes se sont succédés pour le plus grand malheur des juifs et des autres peuples (Perses, Mèdes, Grecs).

C’est ce que nous laisse entendre ce texte quand il cite un certain nombre de royaumes et de rois pour en arriver au roi Antiochos IV qui en 168 avant J.-C. a profané le nouveau temple des juifs, et a mené une persécution très dure et cruelle contre les juifs pour leur faire abjurer leur foi, persécution dont nous avons le récit dans les livres des Macchabées, qui sont des frères qui ont été martyrisés comme le seront plus tard les chrétiens.

Ainsi, lorsque nous en arrivons à ce texte, nous découvrons qu’il ne s’est pas passé moins de quatre siècles entre ce qui nous est rapporté de Daniel et de l’exil des juifs à Babylone, et le moment où ce texte a été écrit, c’est-à-dire sous la domination grecque et pendant la persécution menée par Antiochos IV. Ce qui laisse entendre que non seulement il y eut la mémoire de la geste de Daniel, mais qu’elle s’est réactivée jusqu’à la production de ce texte pour rendre compte d’une situation présente dans laquelle les juifs se sont montrés beaucoup plus nombreux à soutenir la détermination de Daniel.

Il y a là un effet d’après coup, et de travail sur une mémoire collective qui renvoie à ce que Lacan dit dans le discours de Rome sur la fonction symbolique dans ses implications sur l’action humaine. « La fonction symbolique se présente comme un double mouvement dans le sujet : l’homme fait objet de son action, mais pour rendre à celle-ci en temps voulu sa place fondatrice. Dans cette équivoque, opérant à tout instant, gît tout le progrès d’une fonction où alternent action et connaissance. » Exemple historique de Lacan : premier temps, l’homme qui travaille à la production dans notre société, se compte au rang des prolétaires, – deuxième temps, au nom de cette appartenance, il fait la grève générale. »

Pour en revenir à Daniel, premier temps, les juifs en exil se comptent au rang des juifs, et deuxième temps, dans cette appartenance ils opposent une résistance inflexible au souverain. Et comme vous le savez cette action n’a fait que se renforcer puisque lorsque les Romains ont pris la succession de la souveraineté sur le peuple juif, la réaction de certaines fractions de ce peuple juif, les zélotes et les esséniens notamment, a été particulièrement forte. Et c’est dans ce contexte que la parole de l’un de ces juifs va faire événement, à savoir la parole de celui que nous connaissons comme étant Jésus-Christ.

Jésus-Christ qui nous amène au dernier point que je souhaite relever dans ce texte, à savoir ce chapitre intitulé « royaume messianique » dans lequel il est question d’ « un ancien des jours » qui vient s’asseoir sur un trône et qui va présider un tribunal au cours duquel les livres vont être ouverts. À la suite de quoi un jugement, krisis, est prononcé qui condamne certains à mort et d’autres à une vie à durée très limitée. Et après ce jugement, arrive quelqu’un « comme un fils d’homme, il parvint jusqu’à l’ancien des jours, il fut amené devant lui. Il lui fut donné domination, gloire et règne, et tous les peuples, nations et langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas et son règne, un règne éternel qui ne sera jamais détruit. »

À la lecture de ces textes, nous ne pouvons qu’être touchés par l’ampleur des questions que soulevaient ces hommes confrontés au réel de la vie politique qui faisait, et qui fait toujours que ce qui vient faire monde pour nous un jour, peut être défait le lendemain sans possibilité de retour en arrière, laissant des populations entières au rebut, c’est-à-dire sans cette possibilité d’être reconnu comme homme.

Alors ils se sont mis à croire que cette autorité placée dans l’Autre pourrait advenir comme royaume, c’est-à-dire un Un, un grand Un qui viendrait nous soigner de nos divisions et donc de nos différences de classe sociale, de naissance, de langue, de territoire, et c’est une idée qui nous porte, depuis le temps de cette invention, à penser que si chacun fait le bon sacrifice au bon endroit un jour ce royaume d’harmonie adviendra.

J’ai lu très récemment un petit essai qui proposait son diagnostic très laïc et très bien informé sur les maux qui gâchent quotidiennement notre vie sociale, que je trouvais de bonne facture. Mais à la fin je n’ai pas été surpris de découvrir que sa proposition de remède n’était rien de moins que la proposition d’une constitution universelle d’un futur État mondial. Cet homme relève d’une tradition religieuse fondée sur le postulat que le texte fondateur est un texte incréé, c’est-à-dire qu’il n’a jamais appartenu qu’à Kronos, au temps éternel sans que jamais aucun cas kairos humain ne soit intervenu. Ce qui est au fond le pire, en termes de totalitarisme, que l’on puisse faire à partir de la proposition du livre de Daniel.

En notre époque déconstructioniste, nous trouvons une myriade de relectures hâtives de notre passé et de ses Kairos successifs dont le degré de fantaisie peut se mesurer à l’ampleur des anachronismes qui sont faits dans la lecture de telle ou telle période de notre histoire. Les anachronismes évacuent toujours le fait que ces inventions dont certaines peuvent paraître naïves, et d’autres féroces, ont toujours été faites dans la confrontation à un réel, c’est-à-dire à ce qui pouvait échapper aux possibilités de symbolisation des hommes à tel ou tel moment.

Pour terminer brièvement pour ce soir, et ramener mon propos vers la psychanalyse, je rappellerai que quel que soit le système symbolique dans lequel nous sommes plongés dès avant notre naissance et même notre conception, celui-ci ne nous permettra pas de répondre à certaines situations dans notre confrontation au réel, et que la meilleure façon de pouvoir dépasser ces situations est de s’engager dans une action et d’en sortir des connaissances.

Ce n’est pas en s’appuyant sur un symptôme collectif que l’on va inventer quoi que ce soit. Un symptôme collectif est incurable. Si vous voulez soigner vos passions œdipiennes dans l’action politique, cela ne fera qu’exacerber celles-ci sans faire autre chose que la mauvaise politique. Par exemple si l’homme dont je vous ai parlé tout à l’heure avec son vœu de mort sur son père se mettait à faire de la politique, il se mettrait bien sûr à prêcher la réconciliation entre les hommes, mais son vœu de mort ne manquerait pas de ressortir, à son insu, dans son action politique.

La précipitation que prône Lacan vers le moment de conclure est une invitation à aller au bout de toutes les hypothèses fausses que chacun a pu émettre au cours de sa vie et qui viennent, au gré des rencontres perturber son jugement, et l’empêcher de saisir le moment de conclure, son Kairos.