Acte, décision, événement
Énigme
Je voudrais tout d’abord remercier Pierre Marchal et Michel Jeanvoine d’avoir initié ces journées sur un thème qui me paraît toujours aussi difficile, malgré l’abondante littérature qu’il a suscitée et qu’il suscite encore.Thème rétif à une compréhension disons « apaisée », telle que celle qui surgit lorsqu’en mathématiques on « démontre » un théorème, ou lorsqu’en physique on « explique » un phénomène. Cet apologue, ce sophisme, cette petite histoire des trois prisonniers reste pour moi quelque chose qui garde tous les caractères d’une énigme, et ceci à plusieurs égards :
Tout d’abord, il peut nous sembler dans un premier abord qu’on peut la considérer comme une « expérience de pensée », mais que la réalisation de cette expérience n’apporterait aucun éclaircissement à sa compréhension. Comme l’a fait remarquer Fabrizio Gambini, au cours de la préparation de ces journées,
Si un directeur de prison avait l’idée de proposer à trois prisonniers ce qu’il a été proposé aux trois prisonniers de l’apologue de Lacan, j’ai l’impression qu’ils resteraient en prison tous les trois.
Je veux dire par là que l’apologue ne se prête pas tellement à éclaircir l’espace de l’intuition supporté par la logique, malgré le fait qu’il semble parler exactement de ça. Plutôt c’est du fonctionnement subjectif qu’il s’agit, et le sujet, ça nous le savons, n’a pas d’intuitions.
L’expérience de pensée serait donc, d’une manière ou d’une autre « mal pensée ». Un peu comme une question « mal posée », comme peut l’être par exemple la question : « pourquoi un miroir inverse-t-il la droite et la gauche et pas le haut et le bas ? ». Mais alors, ou est-ce que ça cloche ? Énigme.
Ensuite, Jean-Jacques Gorog dans un article de 2006 cite une conversation avec Lacan datant de 1966 où celui-ci :
« J’ai introduit une nouvelle dimension dans le temps logique, celle de la « précipitation identificatoire », comme ce qui s’autodétermine dans le fond et qui ne peut s’exercer que d’une certaine manière que j’appelle le a-temps logique. […]
« Je m’en sers toujours comme d’un ustensile rudimentaire mais nouveau qui s’applique assez bien à sa fonction. Je ne prétends naturellement pas avoir fait toutes les constructions nécessaires »
Nous serions bien sûr, bien contents si Lacan nous avait informé des constructions nécessaires qu’il avait en tête pour rendre compte de son apologue « avec toute l’ampleur que cela implique » ! Il est peu probable qu’il l’ai fait, en tout cas de manière explicite. Le travail important, effectué par Eric Porge, de « pistage » et de repérage des diverses références et des divers compléments dispersés dans l’oeuvre de Lacan à propos de son sophisme, ne nous permet pas – à mon sens – de conclure que nous possédons ces « constructions nécessaires ». Mais peut-être suis-je là simplement en train de témoigner de mon incapacité à faire bon usage des formalisations que Lacan nous a laissées, topologie des surfaces, mathèmes des discours, topologie des nœuds, etc. Nous pourrions attendre de ces journées qu’elle nous fassent avancer sur ce point.
Alexandre Grothendieck, dans son ouvrage monumental Récoltes et semailles parle à de nombreuses reprises des conditions du travail du mathématicien, et il m’a semblé que nous pourrions nous inspirer, pour remettre sur le métier le « petit sophisme personnel » de Lacan, par le passage suivant :
« Prenons par exemple la tâche de démontrer un théorème qui reste hypothétique (à quoi, pour certains, semblerait se réduire le travail mathématique). Je vois deux approches extrêmes pour s’y prendre. L’une est celle du marteau et du burin, quand le problème posé est vu comme une grosse noix, dure et lisse, dont il s’agit d’atteindre l’intérieur, la chair nourricière protégée par la coque. Le principe est simple : on pose le tranchant du burin contre la coque, et on tape fort. Au besoin, on recommence en plusieurs endroits différents, jusqu’à ce que la coque se casse – et on est content. […]. Je pourrais illustrer la deuxième approche, en gardant l’image de la noix qu’il s’agit d’ouvrir. La première parabole qui m’est venue à l’esprit tantôt, c’est qu’on plonge la noix dans un liquide émollient, de l’eau simplement pourquoi pas, de temps en temps on frotte pour qu’elle pénètre mieux, pour le reste on laisse faire le temps. La coque s’assouplit au fil des semaines et des mois – quand le temps est mûr, une pression de la main suffit, la coque s’ouvre comme celle d’un avocat mûr à point.
Ou encore, on laisse mûrir la noix sous le soleil et sous la pluie et peut-être aussi sous les gelées de l’hiver. Quand le temps est mûr c’est une pousse délicate sortie de la substantifique chair qui aura percé la coque, comme en se jouant – ou pour mieux dire, la coque se sera ouverte d’elle-même, pour lui laisser passage. […] Le lecteur qui serait tant soit peu familier avec certains de mes travaux n’aura aucune difficulté à reconnaître lequel de ces deux modes d’approche est “le mien” . »
Notre propos se bornera donc à travailler dans le sens de la deuxième approche. Il s’agira pour nous de préparer la suite de nos cogitations en contribuant à la confection de ce liquide émollient susceptible de nous ouvrir à une compréhension plus correcte de cette histoire des prisonniers quoiqu’elle puisse être, expérience de pensée, apologue ou sophisme.
Je souhaite donc vous livrer quelques remarque sur ce qui pourrait constituer ce « liquide » en rouvrant quelques questionnements connexes entourant cette histoire.
Ruse interdite !
L’article de Lacan, rappelons-le, paraît pratiquement en même temps que le livre de Von Neumann et Morgenstern qui marque le début du développement de la théorie des jeux. Il semble certain que Lacan fondait de notables espoirs sur cette théorie pour formaliser, voire mathématiser ce qu’il en serait d’une certaine forme d’intersubjectivité. En témoignent par exemple ce passage de « La science et la vérité » :
Dans la théorie des jeux, on profite du caractère entièrement calculable d’un sujet strictement réduit à la formule d’une matrice de combinaisons signifiantes
ou encore ce qu’il dit dans le discours de Rome :
Mais la mathématique peut symboliser un autre temps, notamment le temps intersubjectif qui structure l’action humaine, dont la théorie des jeux dite encore stratégie, [qu’il vaudrait mieux appeler stochastique] commence à nous livrer les formules.
Une première approche serait donc de considérer l’affaire des trois prisonniers comme un jeu dont on connait les règles et qu’il s’agirait de formaliser. Or dans cette perspective, une remarque est qu’une partie de la règle du jeu proposé est totalement passée sous silence dans le texte de Lacan, et dans la plupart de ses commentaires. Cette règle pourrait être désignée par le terme d’exclusion de la ruse.
En effet, dès qu’on admet que les agents concernés sont susceptibles de ruse, il est tout à fait légitime de raisonner comme suit :
A voir deux noirs, je sais que je suis blanc, certes. Mais dois-je pour autant m’élancer vers la porte, informant par là mes deux adversaires de ma certitude ? Certainement pas ! Il suffit en effet que l’un des deux autres se déplace plus rapidement que moi, me rattrape puis me dépasse, pour que l’avantage que je tirais du fait de voir deux noirs soit annulé.
De la même façon, l’argumentation « de pure logique » qui est requise par la règle pour que le directeur accepte la sortie d’un prisonnier comme légitime sera toujours formulée sous un forme du type : « j’ai vu que les autres portaient des disques de telle ou telle couleur, et faisaient ceci ou cela » à quoi le directeur pourra toujours répondre : « Comment savez vous que tout ceci et cela, les autres ne l’ont pas fait dans le but de vous tromper et de vous induire à franchir la porte avec une fausse certitude ? »
Car enfin, à ce jeu, il peut nous sembler qu’il y a deux manières de gagner : franchir la porte avec une argumentation qui tienne, ou induire l’autre à la franchir avec une certitude erronée. La règle implicite, dans ce jeu, est donc une certaine forme de sincérité qu’il est demandé aux joueurs de respecter. Nul, dans ce jeu, n’est autorisé à entamer un déplacement ( s’élancer, suspendre son élan, accélérer, ralentir, voire simplement rester immobile) dans le but d’induire ses codétenus en erreur quant au disque qu’ils portent.
Le lecteur se convaincra aisément du fait que si cette règle non formulée n’est pas supposée, aucun des raisonnements proposés par Lacan ne tient. Le jeu se ramène à une variante du jeu de pair-impair où celui qui sort ne peut en aucun cas justifier sa décision par un argument autre que probabiliste, ce que Lacan interdit explicitement dans son texte.
Mais voyons cela de plus près : de quelle sincérité s’agit-il ? Il me semble qu’on peut pointer simplement le lieu de cette sincérité nécessaire : elle concerne la conversion d’une conviction en action, ou encore en d’autres termes l’obligation de faire signe. Il est interdit aux prisonniers de communiquer entre eux, mais il leur est obligatoire de traduire leur conviction, la connaissance qu’ils pensent avoir à l’instant t de la couleur du disque qu’ils portent par un mouvement : s’élancer vers la porte. De la même façon, lorsqu’au deuxième temps de la solution « dansée » proposée par Lacan chacun voit les autres s’élancer du même[1] pas, le fait qu’il est dès lors plongé dans l’incertitude doit le conduire à suspendre son élan, traduisant là encore son doute par un signe, perceptible aux autres. On le voit, chaque étape de la solution du sophisme telle que présentée par Lacan suppose des « agents sincères », qui traduisent leur état de connaissance par une action, sans le filtre que pourrait constituer une quelconque intention.
De la même façon, les raisonnements prêtés aux joueurs sont tous fondés sur une certaine forme de confiance dans le fait que les signes observés par les uns chez les autres traduisent vraiment leur état de connaissance. Cette confiance est au fondement de l’ensemble du développement de Lacan.[2] Elle est à l’origine de ce qu’on pourrait appeler un court-circuit entre :
Gardons donc pour le moment à l’esprit cette première remarque : Pour que le dispositif fonctionne, nous devons demander aux agents impliqués d’être de bonne foi dans leurs manifestations. C’est ce qu’on pourrait appeler, comme dans une démonstration mathématique, un postulat : celui de la bonne foi, corrélatif de la confiance.
Pourquoi pas 2 ?
Une seconde remarque, toujours en se situant dans le contexte de la théorie des jeux est que rien, a priori ne nous oblige à traiter le problème à 3 prisonniers.
Lacan nous indique en effet expressément que le problème est de structure récurrente :
Mais rien n’empêche dans une perspective strictement logique, de descendre à :
2 prisonniers, 2 ronds blancs, 1 rond noir, 1 scansion,
qui nous semble être le problème « nucléaire ». Illustrons cela, en nous calquant sur le texte de Lacan :
Le directeur appelle 2 prisonniers, leur présente 2 ronds blancs et un rond noir, et leur dit « etc … »
La solution parfaite s’énonce : au bout d’un certain temps, les deux prisonniers s’élancent et franchissent la porte en même temps et déclarent : « Je suis blanc, car si j’étais noir, l’autre aurait conclu sans délai qu’il était blanc et se serait élancé. Comme il ne l’a pas fait, j’en ai conclu que j’étais blanc. »
La solution scandée (dansée) s’énonce : au bout d’un certain temps, les deux s’élancent, convaincus d’être des blancs, pour la raison ci-dessus. Mais chacun puise dans le mouvement de l’autre une raison de douter de sa conclusion. Il suspendent donc leur élan. Puis, chacun réalise que l’hésitation de l’autre prouve que celui-ci peut douter de la couleur du disque qu’il porte, ce qui ne peut arriver que s’il a vu un blanc. Chacun repart donc, convaincu définitivement cette fois, d’être un blanc.
Les trois temps isolés par Lacan, qui constituent à notre sens la trouvaille de base de Lacan dans cet article, sont parfaitement repérables dans le scénario à 2 prisonniers :
L’instant de voir est le temps qu’il faut au sujet, mais aussi bien à une machine, à un robot qui peut lui être substitué, pour mettre en œuvre les conséquence d’un énoncé intemporel qui est ici :
Le temps pour comprendre est celui qu’il faut au sujet (cette fois plus tout à fait assimilable à une machine logique, plutôt au sujet réciproque de l’identification paranoïaque) pour mettre en œuvre les conséquences de l’énoncé suivant :
Le moment de conclure est le moment d’émergence du sujet véritable : celui qui réalise que le temps qu’il convient d’attendre avant de s’élancer (parce qu’il voit un blanc, ne l’oublions pas) doit être à la fois :
La scansion suspensive survient après cet événement improbable mais néanmoins imaginé par Lacan, qui est le départ simultané des deux prisonniers. Elle est logiquement suivie par le départ, cette fois définitif des deux prisonniers vers la porte.
Par ailleurs, le caractère d’ « enchâssement » (en poupées russes) des différents problèmes à 2, 3, … n prisonniers peut s’illustrer en développant l’activité développée au moment des temps pour comprendre : de la façon suivante :
« si j’étais noir, l’autre (que je sais blanc) partirait immédiatement »
n prisonniers :
Il y a donc bien au moins un aspect de l’expérience de pensée proposée par Lacan qui commence non pas à 3 mais à 2 prisonniers.
Il nous semble que la ternarité nécessaire du « tres faciunt collegium » se situe très précisément au delà de ce que nous avons jusqu’ici considéré, à savoir des agents astreints à un comportement rationnel asservi à des règles. Ce qui, à notre sens fait le nerf de l’apologue de Lacan, est ce qu’il dit du surgissement d’un sujet dans la hâte, de la conversion d’un agent rationnel en sujet, lorsque le signe constitué par son mouvement (élan ou suspension) se convertit en signifiant.
Connaissance commune ?
Une troisième remarque qui mérite à notre sens d’être ajoutée au dossier est que le sophisme proposé par Lacan en 1945 a été étudié de près par les théoriciens des jeux et a donné lieu à de nombreux développements, notamment ceux de l’école de Robert Aumann (prix Nobel d’économie 2005). La théorie développée par Aumann est centrée autour de l’idée que les processus collectifs sont gouvernés par ce qu’il désigne comme « Common Knowledge » : la connaissance commune[4]. Pour résumer, la connaissance commune est ce qui non seulement est su de tous, mais aussi ce dont tous savent que tous le savent. Pour des raisons strictement logiques, Aumann est conduit à associer à ce corps de connaissances communes un sujet, qu’il considère comme un agent de nature identique aux autres participants au jeu[5].
Il est intéressant d’examiner le traitement que fait subir cette théorie au problème proposé par Lacan.
Sans entrer dans le détail de la théorie, Aumann et ses élèves proposent une version pacifiée de l’apologue, sous la forme suivante :
Le directeur de la prison est maintenant un meneur de jeu qui énonce la règle :
« Vous pouvez chacun avoir, sur le dos un rond blanc ou noir. Dans une heure, vous me remettrez une enveloppe dans laquelle vous aurez glissé une feuille sur laquelle vous aurez écrit votre opinion sur la situation : soit « je sais » si vous croyez connaître la couleur du rond que vous portez, soit « je ne sais pas » en cas contraire. Je lirai alors publiquement le contenu de vos réponses, et vous me donnerez à nouveau vos opinions par écrit l’heure suivante. » Le jeu continue jusqu’à ce que l’un au moins d’entre vous écrive « je sais » sur sa feuille. Il sera alors entendu pour qu’il présente les justifications logiques de sa position.
Le jeu commence par une annonce du meneur qui dit : « L’un au moins d’entre vous a un rond blanc sur le dos ». Comme chaque protagoniste porte un rond blanc, le jeu se poursuit ainsi[6] :
La question qui me paraît digne d’intérêt ici est la suivante : que se passe-t-il exactement, lorsqu’on passe de l’abord lacanien du problème à sa version « bien ordonnée » par la théorie des jeux, pour que l’aspect dramatique de l’apologue lacanien se trouve ainsi pacifié ? Qu’avons nous abandonné en route pour qu’une descente logique que Lacan nous montre gouvernée par la hâte et l’hésitation se transforme en un processus bien tempéré progressant à pas comptés vers une vérité commune et sans faille ?
Plusieurs points nous paraissent importants :
Le premier réside dans le découpage artificiel du temps. Dans l’apologue lacanien, aucun besoin de découper le temps en étapes successives. Chaque prisonnier décide à sa guise quand il est temps de partir. Dans le jeu formalisé, en revanche, chacun remet son enveloppe à l’heure dite.
Le second réside dans l’obligation faite, dans le jeu « bien tempéré », de déclarer publiquement son état de connaissance par écrit de surcroît ! Le résultat est que par étapes, ce que chacun savait devient connu de tous, versé, selon Aumann dans le « pot commun » du common knowledge .
Il n’est certainement pas indifférent de remplacer un geste, s’élancer, suspendre son mouvement, par une déclaration écrite, lettre morte qui ne peut plus que faire signe, puisque son sens est absolument univoque, réduit au pur système de signalisation binaire : « je sais » ou « je ne sais pas ».
On remarque en effet qu’à l’inverse, dans le jeu lacanien, lorsque l’un des prisonniers s’élance, que ce soit la première ou la deuxième fois, il ne peut jamais être totalement sûr de son fait. Il s’agit d’un mouvement qui résulte nécessairement d’une certitude incomplète, obérée par la question « ai-je attendu assez longtemps pour être sûr que les autres ont vraiment attendu ? ». On peut d’ailleurs montrer que l’alternative entre certitude et victoire est ici exactement superposable à l’alternative entre la bourse et la vie que Lacan utilise comme exemple pour définir l’aliénation.
Le fait qu’un prisonnier s’élance est donc un authentique signifiant : il peut avoir au moins deux sens différents, et représente ainsi un sujet pour un autre signifiant.
En revanche, la déclaration, publiée à heure fixe « je ne sais pas » aurait pu être rédigée par une machine : une analyse logique de l’information disponible suffit, seul l’instant de voir, associé à un petit temps de calcul est ici en jeu.
Enfin, il n’est pas indifférent de noter la différence d’enjeu entre les deux versions du problème :
Physiologie de la décision ?
Pour terminer cette exploration de quelques composantes de ce « bain émollient » que je souhaitais vous proposer pour y plonger cette affaire des trois prisonniers, je voudrais évoquer quelque chose dont il me paraît surprenant qu’on ne l’évoque pas plus souvent quand il s’agit de la hâte.
Depuis les expériences séminales de Helmut Kornhuber et Lüder Decke (1965) reprises par Benjamin Libet (1980) et par de très nombreux autres chercheurs, nous savons avec certitude, par des observations de notre activité cérébrale, que le processus présidant à une action motrice volontaire se déroule de façon extrêmement paradoxale et contre-intuitive.
Pour le dire simplement, une action motrice à l’instant t est précédée par une décision consciente à l’instant t-τ, ce qui semble « logique », mais cette décision est elle même précédée de plusieurs secondes (!) par des événements observables dans l’activité corticale du sujet, qui :
Tout se passe comme si contrairement à ce que nous croyons, « nous ne faisons pas ce que nous voulons, mais nous voulons ce que nous faisons »[7]. Le fait que nos actes sont précédés et causés par une décision serait une pure illusion. Ce qui présiderait à nos mouvements (par exemple élan, puis suspension, puis redépart, pour un des prisonniers) serait – pour ces chercheurs – un événement essentiellement non-conscient précédant de loin l’assomption par le sujet de cet événement en tant que décision.
Ces observations ne sont certes pas pour étonner les psychanalystes. Nous savons faire la différence entre le moi et le sujet. La question subsistant seulement de préciser la relation entre ces observations et ce qui relève de la robuste trilogie dégagée par Lacan
(instant de voir, temps pour comprendre, moment de conclure) et aussi les transformations dont elles sont susceptibles lorsqu’un affect comme la hâte est en jeu[8].
Après ce petit parcours de quelques questions qui restent – j’en suis conscient – à la périphérie de problèmes soulevés par l’apologue proposé par Lacan, je n’ai pas le sentiment d’avoir clarifié les choses. Simplement peut-être d’avoir accentué ce qui rend cet apologue si attachant, à savoir la façon dont il met en lumière l’écart entre