Leçon V du 10 janvier 1968
03 décembre 2024

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Paula DE MEDEIROS ROCHA
Préparation au séminaire d'été

Préparation au séminaire d’été 2025 – Étude du séminaire, L’Acte psychanalytique

Mardi 3 Décembre 2024

Présidente-Discutante : Lene Scharling

Paula De Medeiros Rocha

 

  • En quoi l’acte est-il fondateur ?

 

Jacques Lacan ouvre sa leçon en attirant notre attention sur le fait que l’acte est lié à la détermination du commencement, là où il y a besoin d’en faire un. Dans le réel en effet, il n’y a pas de commencement assignable. Le signifiant reste, pour les parlants que nous sommes, l’unique possibilité de repérage.

 

Il n’y a donc pas « d’action qui ne se présente avec une pointe signifiante ».[1]

 

D’emblée l’acte est fondateur.

 

Nous trouvons là l’aliénation au signifiant comme condition de l’émergence du sujet. Aliénation qui impose un « choix forcé et forcément perdant »[2]. Or, cette inscription au langage ne se fait qu’au prix d’un renoncement à une certaine jouissance. Le sujet doit consentir à se laisser représenter par le signifiant. Il y a là une contrainte de structure qui oriente déjà la pratique analytique.

 

Puis, Lacan ajoute (p.83) que le résultat nécessaire de l’aliénation, c’est qu’il n’y a pas le choix entre la marque et l’être.

 

Dans un article intitulé Clinique de l’acte psychanalytique de Erik Porge, j’ai trouvé un passage qui aide à comprendre la question de la marque : « L’acte fonde le sujet : en ceci qu’il se confond avec la double boucle de la répétition, de l’identité de la différence, appelée trait unaire. Ce tracé en huit intérieur est le tracé du bord de coupure d’une bande de Moebius que Lacan fait équivaloir au sujet. Le tracé du bord est le même que celui au  » milieu  » de la bande, celui qui la transforme en surface bilatère ».

 

Par ailleurs, dans L’étourdit Lacan explique que la bande de Moebius n’est rien d’autre que la coupure même, « celle par quoi de sa surface elle disparaît »[3]. La coupure est donc l’acte fondateur du sujet. Pour cette raison, dans l’acte, le sujet est incapable de reconnaître et de s’en rendre compte puisqu’il est simultanément fondé par celui-ci.

 

De plus, ce choix « forcément perdant » n’est pas sans en appeler à la question du désir. Désir qui provient de l’impératif de faire passer le besoin par les défilés du signifiant.[4] C’est là que l’acte prend « son sens de commencement déjà tracé »[5], puisque le grand Autre est bel et bien déjà là.

 

Lacan nous citera Rimbaud pour en désigner « la formule de l’acte »[6]afin que l’on n’oublie pas que l’amour est le signe qu’on change de raison, qu’on change de discours, là où le discours en place n’arrive plus à faire lien. C’est à ce moment qu’il y a émergence du discours de l’analyste et le nouvel amour n’est autre que l’amour de transfert.

 

  • Quelles sont les conséquences de l’acte ?

 

L’acte suppose que l’auteur qui l’a posé en soit changé. Coupure radicale des points de ressemblance entre un avant et un après. Ce qui est primordial ce sont les suites de l’acte. Jacques Lacan va ainsi se servir de l’exemple de César franchissant le Rubicon. Acte qui n’est pas sans se faire repérer, après coup, dans l’histoire.

 

L’acte est donc associé au maniement du temps, cadence qui ouvre à la possibilité d’opérer des déplacements dans la façon dont le sujet se situe dans son rapport au réel, à l’Autre et à la jouissance. L’acte est ainsi pensé comme un passage, un pas, un mouvement. Il possède une dimension spatiale et temporelle et n’est pas sans rapport avec la loi. Le vrai acte se situe à la fois dans la reconnaissance de la loi et sa traversée.

 

  • Quelles articulations entre la question du ça pense (inconscient) et sa rupture avec le cogito ?

 

Lacan va inviter les psychanalystes à une réflexion sur l’aventure de Pasteur dans l’histoire de la médecine. Pourquoi ? Parce que, et comme remarque Lacan (p.81) : « Pour être là comme inconscient, il ne faut pas encore que je le pense comme pensée ». Alors, on pourrait se demander si Pasteur, lui, a-t-il pu se défaire de ses préjugés scientifiques dans ses avancées. Cela reste une question. Tandis que le psychanalyste, comme Lacan le démontre dans cette leçon, doit, au contraire, se défaire de tout préjugé.

 

En tout cas, c’est autour de cette question de la pensée, que faire un retour sur Descartes prend tout son intérêt puisque c’est bien Descartes qui a produit la formule du sujet supposé à la science, c’est-à-dire d’un sujet restreint à sa représentation de pensée.

 

Alors que l’acte même de poser l’inconscient opère déjà une rupture sur le cogito, à savoir une désarticulation entre la pensée et l’être. Ainsi, Lacan va non seulement désarticuler la formule du cogito mais il va également introduire un registre de négation. À noter que si Freud a pu poser que l’inconscient ignore la négation, Lacan n’a pas manqué d’ajouter que c’est de l’inconscient même que la négation est issue.

 

Pour faire cette opération sur la formule du cogito, Lacan va prendre pour base les avancées d’un logicien qui a formalisé le concept de négation de l’intersection appelé De Morgan. De cette manière, du postulat cartésien, on va obtenir : ou je ne pense pas ou je ne suis pas, qui seront placés au point d’origine de ce que Lacan appelle un demi-groupe de Klein et d’où vont prendre source les trois opérations logiques de l’analyse : l’opération aliénation ouvrant, du côté du ça (lié à la pulsion), la voie de l’acte, définie par le je ne pense pas dont le psychanalyste révèle la nécessité, l’opération vérité qui ouvre, du côté de l’inconscient, la voie du faire, de la poësis de la tâche analysante, représentée par le je ne suis pas, et, au milieu l’opération transfert.

 

La question de la pensée, dans cette leçon, me semble être un point capital.

 

Nous savons que Lacan a pu poser à l’endroit de l’inconscient son : « ça pense ».

 

Par exemple, ce « ça pense », est très sensible dans le rêve, puisque le rêve est la mise en image du rapport du sujet à la jouissance. Dans le rêve, ça pense mais, on ne sait pas trop où est le sujet puisque dans ce cas, il s’agit des pensées dont je ne veux rien savoir. Il y a donc le ça pense (savoir inconscient) et la pensée (réalité pensée).

 

Pour cette raison Lacan évoquera le fantasme. Fantasme où la réalité est justement pensée, ce qui fait la vérité même de l’aliénation du sujet. Par ailleurs, dans le texte De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité[7], on peut lire que le choix de la pensée (en tant que faux être) écarte le je suis de la jouissance, de façon que ce je suis est ce « je ne pense pas »[8]. En effet, Lacan ajoute (p.88) : « le rejet du corps hors de la pensée c’est la grande forclusion de Descartes ». Il y a un réel dont assurément Descartes ne veut rien savoir – (résidu corporel – objet a).

 

De plus, ce je suis renoncé a été déjà repéré par Freud lorsqu’il formule la question du fantasme dans les termes de « on bat un enfant ». Notons qu’au niveau du fantasme, le je n’est pas avoué puisque ce je ne peut pas se situer dans ce lieu troué de l’inconscient réel.

 

Pour cette raison, Lacan fera allusion à la structure du fantasme où le « désir ne peut pas se soutenir que du rapport qu’il méconnaît, de la division à un objet qui la cause ».[9]

 

Le je en question est aliéné dans un faux être qui refoule le je ne suis pas, en tant que dimension de l’inconscient.

 

Le choix de la marque, c’est-à-dire de l’identification signifiante, le fait que l’être n’est que cette marque nous montre que c’est bien cette marque qui appuie la fausseté de l’être. Ce faux-être soutient ce que l’on croit être, d’où « l’être bouffi de l’imaginaire » désigné par Lacan.

 

  • Quel franchissement l’acte analytique opère ?

 

Lacan va parler de l’acte tel qu’il s’est d’abord imposé dans la psychanalyse, c’est-à-dire l’acte manqué, formation de l’inconscient, qui donne à l’analyste l’opportunité de poser l’inconscient sans pour autant tomber dans la connerie de la vérité. Autrement dit, sans enfermer dans le sens quelque chose qui vient d’échapper…

 

Pour cela, Lacan nous dit que l’acte, il ne faut pas le manquer. D’où le dire silencieux qui peut venir à justifier « la suspension de tout acte » parfois nécessaire dans la cure.

 

Il y a, peut-être, une autre façon de lire ce principe de commander « la suspension de tout acte »[10], voire « sa démission »[11], si nous prenons en compte que l’acte analytique n’est pas un pousse-à-faire, puisqu’il ouvre plutôt à un questionnement sur le rapport du sujet non seulement avec l’inconscient mais, aussi, avec une articulation signifiante qui permet de faire le tri entre désir de l’Autre et désir qui le divise. Alors que dans le passage à l’acte le sujet ne peut ni l’assumer ni s’y reconnaître en tant qu’auteur.

 

Il faudrait peut-être distinguer l’acte analytique d’un certain nombre d’actes que l’analyste doit poser dans la cure. N’oublions pas que l’acte analytique, lui, ne se produit que par un certain franchissement du sujet dans la cure. Puis, ce temps de franchissement (temps pour voir, comprendre, conclure), particulier à chaque analysant, reste imprévisible. Alors, un acte posé par l’analyste, ne fait pas nécessairement acte analytique. Tout acte est susceptible de ratage.

 

Par ailleurs, dans La méprise du sujet supposé savoir, on peut lire que l’acte est fondé sur une structure paradoxale « de ce que l’objet y soit actif et le sujet subverti ».[12]

 

Lacan remarquera que l’efficience de l’acte, n’est pas l’efficience d’un faire. Ce que la structure même du discours analytique peut venir nous renseigner par la répartition de son mathème en deux côtés : le côté de l’autre, du sujet, où on peut placer un faire qu’accouche des signifiants et du dire, soit d’une pensée basée sur le signifiant. De l’autre côté, la place où agit l’objet, en tant que c’est à ne pas penser que l’analyste opère.

 

Alors, comment penser ce je ne pense pas de ce côté-là (côté analyste) ? Il me semble qu’il ne saurait être autre que ce je suis de la jouissance non avouée de l’analysant au travail dans la cure et… qui se livre à la subversion.

 

Lacan va donc faire part d’une « utilisation renouvelée » (p.81) du fameux « wo Es war soll Ich werden ». Tout en marquant que le das Ich, dans la phrase, est bien traduit par le terme sujet. Mais, comment faire si, dans la cure, l’analyste n’est pas sujet ?

 

Je cite Lacan dans le compte-rendu du séminaire : « […] Si le transfert apparaît se motiver déjà suffisamment de la primarité signifiante du trait unaire, rien n’indique que l’objet a n’a pas une consistance qui se soutienne de logique pure. […] le psychanalyste dans la psychanalyse n’est pas sujet, et qu’à situer son acte de la topologie idéale de l’objet a, il se déduit que c’est à ne pas penser qu’il opère ».

 

Il faut prendre en compte que ce je ne pense pas côté analyste, de droit comme le qualifie Lacan, est lié à l’objet a et son maniement dans la cure. C’est en réalité ce qui permettra à l’analysant d’atteindre le savoir sans sujet qui est l’inconscient.

 

L’acte est donc un dire qui porte la fonction de l’objet, mais cela n’est possible que parce que l’objet était déjà là, opérant pour l’analysant. C’est pourquoi, dans le Compte rendu du séminaire Lacan écrit : « Le psychanalyste se fait de l’objet a. Se fait, à entendre : se fait produire ; de l’objet a : avec de l’objet a ».[13]

 

En revanche, du côté de l’analysant : « là où c’était » ce je dois advenir comme sujet, en tant que je d’une énonciation, capable d’assumer ce qui est dit ainsi que les conséquences.

 

Si le transfert prend départ de ce je ne pense pas, (choix forcé et forcément perdant), côté analysant c’est justement parce que ce je suis (non-avoué) est en réalité manque à être. Ce qui mène à une quête d’être, quête d’une vérité sur le symptôme.

 

Alors, c’est par cette ligne en diagonale de l’opération transfert, que l’acte supporte, que le passage du je ne pense pas (je suis – faux être) au je ne suis pas là où je pense va se faire. Du manque à être désigné par (– ϕ), à la mise en acte de l’inconscient – passage qui ouvre à la liaison de l’objet a et le (– ϕ).

 

Et, ce n’est qu’après avoir passé avec le savoir (c’est la citation de Lacan) « avec le savoir on l’a passé », (p.86) que le sujet se rend compte que la supposition d’un sujet en mesure de savoir masquait la vérité mise en travail dans le processus de la cure puisque ce qui se révèle à la fin est la vérité de l’objet a. L’analysant à la fin de la cure réalise l’objet a. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’il pourra, à la place de l’analyste, soutenir l’objet a d’un autre.

 

La cure ne s’arrête donc pas sur la castration (le mi-dire de la vérité ne permet pas d’aboutir au savoir attendu) ni sur la résolution du sujet supposé savoir. Il ne faut pas confondre la chute du SsS avec la chute de l’analyste réduit à l’objet a., suite nécessaire pour qu’une cure arrive à sa fin.

 

Il me semble qu’après la chute du SsS, l’analyste, en tant qu’objet a, reste cause du processus de la cure.

 

Alors, l’acte est le franchissement de l’être au désêtre. Côté analysant, nous pourrions dire que l’acte est le franchissement par la pensée (celle du « ça pense » inconscient, mis en acte et qui se révèle au fur et à mesure), de l’être à sa destitution. Et, si l’acte a lieu d’un dire, l’acte analytique a lieu d’un dire de l’analyse.

 

  • Pour en finir, il reste dans cette leçon une autre question : Comment penser la psychanalyse sans la manquer ?

Si dans la pratique l’analyste ne pense pas, ce je ne pense pas de l’analyste, hors de la cure, n’est pas, évidemment le non dire : « l’acte a lieu d’un dire ».[14]

 

Il me semble que le dispositif de la passe a été une tentative d’inaugurer un lieu pour penser la psychanalyse au niveau du collectif pour ceux qui, à la fin de leur cure ont passé au je ne pense pas de l’acte analytique (le je ne pense pas caractérisé par Lacan comme étant celui de droit et qui dans la cure s’explique par le fait que la place de l’analyste est celle où agit l’objet).

 

D’ailleurs, la passe nous invite à questionner quelle place est laissée au dire dans le dit, et comment accueillir cela sans verser du côté du maître. C’est là une grande question !

 

De plus, après être passé par la cure et de remettre par l’acte « à sa place le sujet supposé savoir » (p.88) il est intéressant de noter que nous allons faire fonctionner, une nouvelle fois, ce sujet supposé savoir, que nous-mêmes avons mis tant de temps à destituer.

 

Et, si nous pensons la restitution de la passe dans le penser collectif, est-ce-qu’il ne s’agirait pas, pour ce faire, de redevenir analysant, (sujet, représenté par un signifiant pour un autre signifiant) ?

 

Or, celui qui pense, c’est l’analysant. Lorsque Lacan enseignait, ne disait-il pas le faire en tant qu’analysant ?

 

Alors, continuer à se faire analysant de son « je ne veux rien savoir » comme a pu introduire Lacan des années plus tard dans Encore, peut venir répondre à la question de comment ne pas refermer ce qui s’ouvre pour un analysant, arrivé à la fin de la cure.

 

Et, ne pas renfermer les effets de cette rencontre sur son acte analytique implique non seulement de dire quelque chose de façon à maintenir cela vivant dans l’acte analytique pour d’autres mais aussi, d’élaborer quelque chose qui puisse nous orienter dans la pratique.

 


 

[1]LACAN J. in Livre XV, L’acte psychanalytique (1967-68), Ed. ALI, p. 79.

[2]LACAN J. in Livre XV, L’acte psychanalytique (1967-68), Ed. ALI, p. 81.

[3]LACAN J., « L’étourdit », in Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 470.

[4]LACAN J. « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Écrits, 1966, Paris, Ed. du Seuil p. 628.

[5]LACAN J. in Livre XV, L’acte psychanalytique (1967-68), Ed. ALI, p. 79.

[6]LACAN J. in Livre XV, L’acte psychanalytique (1967-68), Ed. ALI, p. 80.

[7]In Autres écrits, 2001, Ed. du Seuil, p.358.

[8]LACAN J., « De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité » in Autres écrits, 2001, Ed. du Seuil, p. 358.

[9]LACAN J. in Écrits « Du « Triebe » de Freud», 1966, Paris, Ed. du Seuil, p. 853.

[10]LACAN J. in Livre XV, L’acte psychanalytique (1967-68), Ed. ALI, p. 79.

[11]LACAN J. in Livre XV, L’acte psychanalytique (1967-68), Ed. ALI, p. 85.

[12] LACAN J., « La méprise du sujet supposé savoir » in Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 332.

[13]LACAN J., « Compte rendu du séminaire sur l’Acte » in Autres écrits, 2001, Ed. du Seuil, p.379.

[14]LACAN J., « Compte rendu du séminaire sur l’Acte » in Autres écrits, 2001, Ed. du Seuil, p.375.