Discussion du Grand séminaire de la séance du 8 octobre 2024
17 décembre 2024

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COLLECTIF
Le Grand Séminaire

Discussion générale

 

Christiane L.D. Merci beaucoup Martine, Je suis admirablement lue, je te remercie, C’est formidable !  Il y a sans doute des questions, mais c’est tout simple, ce que je vous ai dit : J’ai pris au sérieux le terme d’analysant. Au lieu de penser que c’est l’analyste qui va délivrer une parole éclairante, révélatrice ou je ne sais quoi, c’est tout de même, selon Lacan, avec le silence des scansions par exemple, c’est-à-dire avec ce travail patient, de syllabe en syllabe quelquefois, c’est avec ce travail qu’à un moment il va se faire que la personne sur le divan, ou même en face de nous, va dire tout d’un coup : oui, c’est ça. C’est la seule chose que je vous ai dite. Or on dit souvent que c’est l’analyste qui interprète.

Pour l’exemple que j’ai pris, celui de la petite fille qui m’a tant éclairée, ce que j’ai pu transmettre à la maman, a eu un effet d’interprétation pour moi aussi. C’est cela que je voulais montrer dans mon texte : Le moment d’interprétation qui est l’acte de l’analysant, est aussi un moment d’interprétation pour l’analyste. Tout d’un coup, c’est ça ! et puis c’est ce que je dis aussi : ce n’est que ça ! Il y a quelquefois trois mots qui ont déterminé un tournant dans une vie. C’est ça que les gens trouvaient effrayant chez Lacan. C’est pas du tout son personnage, ou sa rudesse, Lacan pouvait très bien ne pas être rude, Il était exigeant, mais il était  très accueillant à la parole qu’on pouvait lui adresser, cependant, le travail avec lui était sans concession.

A propos de la pluralité des temps, c’est une question que j’ai beaucoup développée dans le séminaire que nous faisons, Bernard et moi, et auparavant avec Roland. Je m’appuie très souvent sur le texte de Levinas, l’Autre et le temps.  Le temps, c’est un opérateur d’altérité.  C’est un très beau  texte, le texte de Levinas. De temps en temps il va du côté de la transcendance, mais on n’est pas obligé de le suivre sur ces chemins-là. Le temps c’est l’altérité-même, le temps, c’est ce qui nous introduit à l’hétérogénéité, à partir du moment où on parle, c’est-à-dire non pas où on imagine une linéarité temporelle ou une dialectique temporelle ou que sais-je. Mais le temps, tel que l’analyse nous l’enseigne, c’est quelque chose d’hétérogène ; Quand un patient nous parle de souvenirs, ce n’est jamais un souvenir comme cela, ou un mot comme cela, mais c’est tout un temps, différent de la cure, qui fait irruption.

La modalité, j’insiste sur ce point puisque, effectivement, le texte de l’analysant est pris dans la demande, il est toujours au conditionnel, un peu suspendu, un peu optatif parfois, mais conditionnel en tout cas.

Je me tiens ici dans la suite des Journées que nous avons faites sur Le moment de conclure.  Une interprétation telle que la fait un analysant c’est une certaine petite conclusion de toute une série de paroles. Voilà.

Martine Lerude : Pourquoi tu tiens à ce terme de série, de suite, parce que tu y insistes beaucoup ?

C.L-D : Ce sont des points de scansions, de présence-absence, de relevés de signifiants, cela peut être très divers, et tout d’un coup, cela « prend » ! cela « prend » ! et c’est ce moment-là qui est intéressant, et cela prend selon la suite de tous ces événements dans une cure. Vous avez peut-être des questions à me poser… ?

C’est aussi une critique que je fais, Martine, d’un séminaire de Lacan où Alain Didier-Weill parlait de la sidération, qui est tout de même un moment d’immobilisation.  Vous savez que je ne suis pas très favorable à tout ce qui concerne la passe, mais la passe était tout de même une manière de bouger de la sidération d’une cure, pour refaire bouger.

Bernard Vandermersch : Oui, Christiane, écoute d’abord on est quand même un peu pris, c’est quand même très bien dit, et on est un petit peu pris aussi par la poésie de ton énonciation. Ce qui me tracassait c’était : dans la mesure où c’est l’analysant que tu poses comme interprétant, d’où  paye-t-il le prix de l’interprétation quelque part ? Il y a cette déception, cette évidence, non, cet évidement déceptif, tu le situes au niveau du sens plutôt, ce n’était que çà.

Ch L-D : Non, ce n’est pas au niveau du sens,

B V : Parce que Lacan dit plutôt que c’est de l’ordre de l’objet qui aura causé tout cela.

Ch L-D : Mais cet objet qui, comme on dit, choit, il ne choit qu’entre des signifiants, et à un certain moment. Il est dérisoire de se dire qu’on a changé quelque chose de sa vie pour tel et tel configuration signifiante, c’est cela la déception, mais aussi la vérité, n’est-ce pas ? Je dis des choses simples.

B V : Oui, mais on a le sentiment que c’est l’analysant qui en paye le prix d’une certaine façon. Comment l’analyste, lui, Martine a insisté beaucoup sur le fait que l’analyste a à se priver de toute connivence et de toute jouissance, c’est ça le prix de l’analyste dans cette affaire ?

Ch L-D : C’est effectivement de – mais on va le faire dans notre séminaire de samedi sur les Questions cliniques – de tracer la distinction entre jouissance et désir. Nous sommes à un moment où on ne parle que de la jouissance. Mais quand Lacan dit que l’Autre, par rapport à quoi se tient le désir, L’Autre, c’est le terre-plein nettoyé de la Jouissance, c’est là que se paye le prix de l’analyste, mais aussi de l’analysant, pour moi c’est concomitant.

B V : Alors, l’analysant lui, il concède… c’est la demande d’amour qui l’amène, comme moteur de ce trajet.

Ch L-D : Oui, c’est la demande. Enfin, Lacan disait que toute demande est demande d’amour, mais enfin c’est la demande qui, ce que j’essayais de dire, suspend dans un temps optatif les paroles, et ce temps optatif, je dirais « à l’état gazeux », peut s’inscrire et se conclure dans un dire, un dire lié à l’écrit, où la parole est liée à l’écrit cela c’est sûr.  Alors qui paye le prix, eh bien ! les deux.

B V : Alors la série c’est une préparation progressive de ce qui pourrait être en fin d’image. Je lâche cette représentation pour ouvrir sur autre chose.

Ch L-D : Tout à fait. Tout à fait. Tout ce même, il y a un dessaisissement de la part de l’analyste par rapport à  une énonciation qui serait explicative, éclairante, éducative, révélatrice, jouisseuse.  Il y a  simplement le texte, le texte, avec quelques scansions qu’on essaie de ne faire pas trop bêtement, et qui peut se conclure, mais par l’analysant lui-même : Oui, ok. Mais c’est tout.

M L : Tu dis aussi que l’analyste concourt à l’interprétation.

Ch L-D :  Oui, il concourt à l’interprétation cela veut dire entre autres choses qu’avec ce que Lacan  nous enseigne, et c’est le prix des scansions, qui sont quand même l’acte plus silencieux qui puisse être, il nous empêche, il nous écarte de toute maîtrise.

B.V. : Mais excuse-moi d’insister, je trouve que tu remets les choses un petit peu différemment de Charles Melman, en ré-insistant sur la chaîne signifiante, Parce que Charles insistait sur l’objet auquel on était assujetti, enfin l’objet qui dirigeait notre vie.  Il insistait à mon avis plus sur l’objet.

Ch L-D : Oui, il insistait plus sur le fantasme.

M L : C’est très masculin d’insister sur l’objet.

Ch L-D : Est-ce qu’il y a d’autres questions, des remarques ? Nathalie ?

Nathalie Delafond : Oui, une question un peu directe, Peut-être que cela reprend certains éléments de ce qu’a dit Bernard. Au fond, ma question directe serait : Quel lien fais-tu entre la métaphore et puis l’écrit dans la parole ? Au sens où tu fais état de cette surprise en quelque sorte décevante, de cet évidement décevant qui est le peu de lettres, le peu de signifiants, qui ont conduit ma vie. Quel lien fais-tu entre la métaphore et ce moment-là ?

Ch L-D : Ecoute, ce que j’ai voulu dire, mais ce sont des choses que je dis au cours du travail que nous faisons en commun, il ne faut pas avoir de la métaphore une vision instantanée de substitution de signifiants, etc…, mais comprendre que c’est un processus, un processus complexe. C’est pour ça que j’ai pris le texte de Umberto Eco à partir de Valéry, pour montrer à quel point il y avait des temps différents pour qu’une métaphore puisse se conclure, comme telle, Quand j’ai parlé de Nadja, dans le livre Passage par Nadja  (Ed. Galilée), ou quand j’ai parlé d’Aimée, à la suite de Lacan,  je repérais qu’il s’agit de métaphores qui n’aboutissent pas et c’est aussi très instructif. Ce que je voulais dire, c’est qu’il y a par exemple dans le texte d’Aimée, au milieu de scories, des moments métaphoriques qu’ont relevé les surréalistes, et qui sont importants, peut-être que je me trompe, parce  que la métaphore est à l’origine de tout sens possible, il n’y a que cela.

B V : J’ai cru comprendre qu’à la différence de ce que disait Jacques-Alain Miller qui disait qu’il n’y avait pas besoin d’interpréter puisque l’inconscient l’avait déjà fait. Effectivement ce que les patients disent  c’est déjà un travail d’interprétation, mais la métaphore va revenir sur cette première métaphore,  ce n’est pas lire quelque chose de brut, c’est relire quelque chose qui est déjà métaphorique, mais c’est l’ écart entre les deux effets de sens,

Ch L-D : Oui, tout à fait. C’est ça qui est intéressant et structurant.

B.V. Qui montre aussi que le sujet est un manque à être et qu’il est pris entre…   La déception c’est quand même de perdre un support de ce qu’on était. C’est le coût de la jouissance concernant son propre être, « on s’imaginait cela ». C’est quand même une relecture de toute notre histoire aussi, mais pas pour en faire une autre.

Ch L-D : C’est cela, pas pour en faire une autre.

B V : Mais pour montrer à quel point l’histoire n’était là que pour boucher notre condition d’être humain.

Ch L-D : Absolument.  Est-ce qu’il y a d’autres questions, peut-être dans la salle virtuelle ?

Thatyana Pitavy : Bonsoir Merci beaucoup Christiane, pour ce voyage, ce voyage dans l’interprétation. Je ne sais pas si c’est une question, c’était cette question de la modalité, et en vous écoutant développer cette question davantage, si j’entends bien qu’il y a une interprétation du côté de l’analyste et une interprétation du côté de l’analysant. On retrouve chez Lacan que l’analysant interprète, mais d’où il interprète ?  C’était çà ma question. Parce qu’une interprétation, à suivre aussi Lacan, c’est toujours une interprétation paranoïaque. Alors est-ce que c’est avec son noyau paranoïaque, la cure serait « une paranoïa dirigée », est-ce que c’est le moi de l’analysant qui interprète ? Et est-ce que l’analyste sait la place qu’il prend dans le transfert, est-ce que c’est de là qu’il interprète aussi ? Je ne sais pas. Ça m’est venu comme ça en vous écoutant.

Ch L-D : Oui, merci beaucoup. La question de la paranoïa, j’ai pris simplement la phrase de la lettre de Freud à Ferenczi, mais c’est toujours un risque. Une interprétation paranoïaque, c’est la facilité de la fixité : Je suis sûr que l’Autre est hostile et tous les mots sont orientés de la même façon, ils deviennent des signes ou des signaux. C’est toujours comme ça. Alors,  est-ce que c’est la racine de l’interprétation en général, c’est-à-dire cette façon d’entendre qu’un mot n’est pas uniquement relié à une chose, parce que c’est cela aussi qui est intéressant,   la racine, mais alors il faut s’en détourner bien vite. Mais ce qui est intéressant dans la correspondance de Freud avec ses élèves, c’est comment l’interprétation paranoïaque survit dans les haines qui surgissent entre maître et élève, c’est passionnant, enfin… passionnant… Cela fait partie des impasses des mouvements psychanalytiques. C’est pour cela que la question de l’interprétation est très importante pour ne pas verser dans le type d’interprétation paranoïaque.

T P : Il y a même des fins de cure qui tombent là-dedans, qui finissent mal, j’ai envie de dire., qui finissent dans l’agressivité.

Ch L-D : Des fins de cure ? Bien sûr. C’est pour cela que j’insistais sur le choix si pertinent et si bien adressé à ses élèves par Lacan dans la métaphore : « Sa gerbe n’était pas avare ni haineuse » parce que dès que la haine s’infiltre dans l’échec d’une métaphore, on tombe dans le processus paranoïaque.

X : Une question : Comment est-ce que vous approcheriez ce qui se passe quand le patient dit tout d’un coup : oui, c’est ça ! Qu’est-ce qui se passe chez lui ? qu’est-ce qui fait que tout d’un coup ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ch L-D : J’ai une règle très simple, On ne sait – alors on n’a pas besoin de dire : oui, oui –  on ne le sait que par la prochaine séance, mais son affirmation c’est ça,  on le sait très vite, après coup, par un rêve ou autre chose. Claude ?

Claude Landman. Merci Christiane. Je voulais te dire que ton travail, entre autres, met en évidence la puissance du procédé freudien. D’un côté, côté patient la libre association, et côté psychanalyste l’attention flottante. A partir de la libre association, on sait que les associations se font en réseau de signifiants, et l’attention flottante croise en général, permet de croiser avec le réseau signifiant du patient, quelque chose qui permet un déplacement. On entend avec l’attention flottante, on entend plus les homophonies, les liens d’un signifiant à un autre que quand n’a pas l’attention flottante et qu’on s’attache au sens et seulement au sens,  principalement au sens de ce qu’émet le patient. Moi j’a été admiratif de ton travail justement parce que vraiment c’est puissant ce qu’il a avancé, Freud, et ça renvoie à quelque chose qui tient la route véritablement. On est, avec ce procédé, pas très loin de la rigueur mathématique, à ceci près, c’est la différence, l’analysant et l’analyste sont pris dans un  rapport au  désir. Mais sur le fait que dans le rêve c’est aussi une batterie de signifiants, on est  dans une combinatoire signifiante dans la parole, en analyse, et je crois que l’attention flottante ça permet d’entendre quelque chose de cela. Voilà, c’était juste une petite remarque.

Ch L-D : Oui merci Claude. Alors ce que je te dirai de l’attention flottante, c’est l’ascèse de l’analyste, c’est une ascèse car c’est une attention qui doit relever le texte du patient. Quand Lacan faisait un contrôle, il disait quelque chose comme : « qu’est-ce que le patient dit ? » Il ne disait d’ailleurs pas « le patient », il disait : « qu’est-ce qu’il dit ? » ou « qu’est-ce qu’elle dit ? »  et avec ce que tu relevais, c’est-à-dire le dire, qu’est-ce qu’on peut en tirer comme dire de cette parole-là. Et pas du tout : analysons vos angoisses quand il vous dit ça, ou vos états d’âme ou vos associations à vous, non ! Quel est le texte, adressé dans le transfert, bien sûr ? Le texte et point-barre ! Pas autre chose.

Alors l’attention flottante, c’est ce relevé de signifiants ou de traces de lettres dans le texte de l’analysant, mais le point de ce que je vous ai dit ce soir c’est que c’est à l’analysant de le conclure, avec notre aide, mais il s’agit d’un concours, c’est tout. Nous, nous sommes derrière. Voilà. Et l’attention flottante c’est une ascèse, il ne faut pas privilégier telle ou telle chose. Tu es d’accord là-dessus ?

Cl L :  Oui bien sûr. Mais qu’est-ce qui fait interprétation ? Parce que je ne suis pas absolument certain que ce soit toujours le patient qui fait interprétation. Pour reprendre l’exemple que tu as donné de cette petite fille, « pas de commentaires ! », est-ce qu’elle avait déjà interprété ?  Parce que ce que tu as transmis à sa mère, c’est déjà de l’ordre de l’interprétation.

Ch L-D : Ah oui ! Je ne suis pas complètement inactive dans mon fauteuil !

Cl L : Je n’ai jamais pensé çà, Christiane, loin de là. Ce n’est pas seulement active ou inactive. Parce que lui dire :  c’est exactement ça, c’est ça qui a fait interprétation. C’est comme en deux temps : la parole du patient où l’interprétation est en quelque sorte latente, et puis, il y a quand même ce que l’analyste, sans être une révélation, comme « quart de tour », ou je ne sais pas comment dire.

Ch L-D : oui, il s’agit de changement de discours, je n’ai pas dit autre chose, voilà. Mais comment te dire ? J’ai compris grâce à cette petite fille qui a dit cela à sa mère qui me le rapportait, j’ai compris la différence entre un commentaire et une interprétation.

Cl L : C’est tout à fait clair dans ton propos.

Ch L-D : Ce qui fait que je n’ai pu que retransmettre cela, en disant à la mère : vous savez, ce qu’a dit votre fille, c’est complètement rigoureux, elle a raison. La mère décrivait les changements corporels de sa fille avec une panique terrible, et elle commentait, or, vous le savez les adolescents ne supportent pas le commentaire.

Oui, Valentin ?

Valentin Nusinovici. Oui, je me disais là sur ce moment de l’interprétation, est-ce qu’elle n’a pas reçu par toi par le biais de sa mère, de quoi elle est prisonnière, c’est-à-dire, il y a un circuit comme ça, recevant par sa mère, en service commandé, – elle le sait, la petite – sa mère avouant ce pas de commentaire elle la libère de quelque chose, elle est prisonnière de ça, du commentaire de sa mère,

J’ai envie d’associer sur la discussion que vous avez eu tout à l’heure. Moi j’ai gardé de Melman et de la fin de l’analyse, on voit de quoi on est prisonnier, qu’on en soit libre, c’est une question improbable, mais on le voit.  Je crois bien qu’il y avait le terme de prisonnier. On voit que ça va au-delà d’un c’était ça, c’est toujours un : c’est ça !

Ch L-D : Oui, tout à fait, tout à fait.

M L : Encore une question, Bernard, Pascale, encore une question ?

Ch. L-D : C’est bien, ça va.

M L : Alors merci Christiane, pour cette ouverture de cette nouvelle série.

Ch L-D : Merci à toi Martine. J’y suis très sensible, c’est très amical en plus.