Par souci d’exactitude au regard des faits historiques, mais aussi pour donner suite à certaines réactions qui ont suivi la nécrologie de Charles Melman que j’ai publiée dans le dernier numéro de la revue Psychologie clinique[1], je tiens à rectifier une erreur et à préciser davantage certaines informations que j’ai rapportées dans ce texte. Ceci est d’autant plus important que les vérités alternatives peuvent de nos jours facilement prendre le dessus.
L’erreur en question concerne la date à partir de laquelle Charles Melman était responsable de l’enseignement à l’École freudienne de Paris, laquelle n’était pas, l’année 1962 comme j’ai inopportunément écrit (l’EFP n’a été fondée qu’en juin 1964) mais la fin de l’année 1967. C’est une information que l’on trouve :
1) dans un numéro qui date de 1970 des « Lettres de l’École freudienne »[2] dans lequel un texte signé par Irène Roublef stipule que : « Le 4 décembre 1967, Piera Aulagnier, responsable du département de l’Enseignement, démissionne du Directoire. Sont nommés à sa place C. Melman et I. Roublef ». Dans le même numéro on trouve la liste des cinq départements et leurs responsables (enseignement, coordination des travaux et recherches, bulletin et publications finances, formation des psychanalystes) qui ont été créés lors de l’AG du 31 janvier 1967[3]. Donc, selon cette mise au point, Charles Melman qui a fait partie du troisième Directoire de l’EFP[4], a remplacé, avec Irène Roublef, Piera Aulagnier à la direction du département de l’Enseignement. Par conséquent, Piera Aulagnier qui en était la première directrice ne le fut que pendant une dizaine de mois.
2) par ailleurs, dans un interview que Charles Melman avait donné à la revue Le Débat[5] on peut lire l’échange suivant :
« Le Débat. – Qu’est-ce qui vous a poussé à vous faire un défenseur de Lacan?
Ch. M. – Cette position difficile s’est d’autant plus imposée à moi que Lacan m’a chargé de l’enseignement à l’École freudienne. Je me suis retrouvé bombardé ‘ministre de l’Éducation’ dans un moment agité».
La précision que je voudrais apporter concerne les fonctions de Charles Melman en tant que Directeur de la revue Scilicet, car il ne s’agissait pas dans ce cas d’une « nomination officielle » pour des raisons spécifiques qui étaient sans doute relatives à la manière selon laquelle cette revue a été conçue dans son principe. Charles Melman, dans ce même interview à la revue Le Débat, parle de ses fonctions dans le cadre de Scilicet que Lacan avait créé et qu’il « l’avait chargé de diriger »[6]. Une revue, comme il le rappelle « qui avait cette particularité que les articles n’y étaient pas signés ». En effet, comme le dit Lacan dans la dernière page du numéro 2/3[7] où apparaît, de manière quand même on dirait paradoxale, la liste avec les noms de ceux qui ont contribué à la première année de Scilicet : « C’est qu’à choses telles (et toute proportion gardée), on ne contribue pas en son nom, sauf à leur faire de ce qu’on l’efface véhicule. Dans mon cas c’est malgré : J.L. »[8]. Dans les numéros de cette revue on ne trouve pas non plus de référence à une liste de noms d’un comité de rédaction sans doute dans le même souci d’anonymat. Le témoignage d’Erik Porge[9] est fort utile par rapport à l’histoire de cette revue à l’élaboration de laquelle il a lui-même participé en 1976 :
« Cinq volumes (dont deux numéros doubles, ce qui fait sept numéros) se sont succédé de 1968 à 1976. Dans le numéro 1, il est annoncé que la revue paraîtra ‘’trois fois l’an, au ‘Champ freudien’, collection dirigée par Lacan’’. L’inscription du nom d’un directeur-gérant, René Bailly, répondait aux obligations légales. Il n’y avait pas de comité de rédaction désigné, ni officieux, ni officiel et encore moins un cartel de rédaction, préparant des thèmes, discutant des articles reçus, travaillant avec les auteurs…comme cela se fait à Essaim. L’occasion aurait pourtant été bonne de lier deux dispositifs d’école ensemble, le cartel et la publication. Certes, il existait au début une sorte de groupe, aux limites incertaines, qui, autour de Lacan (mais sans sa participation directe), devait se charger d’éditer (au sens anglais) la revue et qui comprenait ce qu’à l’époque on appelait la ‘bande à Moebius’ (Charles Melman, Christian Simatos, Claude Dumézil, Claude Conté, René Bailly, Pierre Markovitch) ainsi que Solange Faladé. Ce groupe n’a pas vraiment fonctionné et C. Melman s’est vite retrouvé pratiquement seul à diriger la revue [….] la liste des noms d’auteurs des articles non signés ne figure que dans le numéro 2/3. C’est Charles Melman qui a décidé, selon sa conception de la revue, de ne plus faire paraître de liste de noms dans les numéros suivants, faisant ainsi basculer le non-signé, ou le signé déplacé, dans l’anonymat […] L’arrêt ne fut jamais annoncé publiquement mais entra dans les faits après la sortie du n° 7 en 1976. Lacan aurait souhaité la parution d’un n° 8, sans cependant proposer lui-même simultanément de texte. C. Melman jugea que la situation politique de l’École ne rendait pas opportun un nouveau numéro. Les conflits qui commençaient à envenimer l’École n’incitaient peut-être pas à se lancer dans la réalisation d’un nouveau numéro ».
Donc il serait plus exact d’écrire que Charles Melman n’était pas le directeur de jure mais de facto, surtout à partir d’un certain moment que Elisabeth Roudinesco[10] dans son « Histoire de la psychanalyse en France » fait remonter à la troisième livraison donc, à partir du quatrième numéro (le deuxième étant un numéro double).
[1] Yorgos Dimitriadis, Charles Melman (1931-2022), Psychologie Clinique, 2023/1 (n° 55), pages 200 à 202
[2] Irène Roublef, Mise au point, Lettres de l’École freudienne, vol 7, mars 1970, pp.167-196, p.192, Cet exposé est disponible en ligne sur le site de l’École lacanienne :
https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/Lettres-EFP-N7-Mars-1970-part4.pdf
[3] Ibid. p. 178
[4]Cf. Ibid. p.196
[5] Charles Melman, L’aventure lacanienne, Le Débat, 2012/4, n° 171, pp. 122-128 p.125
[6] Irène Roublef, Mise au point…Op. cit. p.127
[7] Scilicet, 2/3, Paris : Seuil, 1970, dernière page.
[8] Ibid.
[9] Erik Porge, « Lire, écrire, publier : le style de Lacan », Essaim, 2001/1, no 7, pp. 5 à 38, pp. 24-30
[10]Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France. 2 : la bataille de cent ans, Paris : Seuil, 1986, p.471