Leçon XIX (deuxième partie) - Séance plénière du 6 mai 2024
06 mai 2024

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JESUINO Angela
Le Collège de l'ALI

Collège de l’ALI 2022-2024

Lecture du séminaire XI de Jacques Lacan, Les fondements de la psychanalyse (1964)

Leçon 19 (17 juin 1964) deuxième partie.

Séance plénière du 6 mai 2024

 

Transcription : Sabrina Da Costa

 Relecture : Christine Robert, Angela Jesuino

 Angela Jesuino

 

On va reprendre la deuxième partie de la leçon 19, et tout compte fait je pense que bien nous a pris de partager cette leçon en deux plénières, parce que les 3 ou 4 dernières pages de la leçon sont quand même assez denses. Donc on va essayer de clore cette leçon 19 ce soir.

 

Je voulais commencer en vous rappelant là où on s’est laissé pour la première partie de cette leçon, qui était sur la question de la « Grandeur négative », et je vous rappelle ce que Lacan a dit :

 

« … c’est là que nous trouverons à désigner l’un des supports de ce qu’on appelle le complexe de castration, à savoir l’incidence négative dans lequel y entre l’objet phallus ». Cette citation que j’ai voulu éclairer par cette autre citation issue du séminaire sur l’Identification de deux ans avant :

« C’est au point où toute signifiance fait défaut, s’abolit, au point nodal dit le désir de l’Autre, au point dit phallique, pour autant qu’il signifie l’abolition de toute signifiance, que l’objet a, objet de la castration, vient prendre sa place[1]. ».

 

Voilà où on s’est laissé, à la fin de ce que l’on a décidé comme première partie de la leçon, donc sur ce point d’articulation entre phallus et objet a.

 

C’est intéressant que l’on ait coupé là, parce que ce que l’on va retrouver à la fin de la leçon c’est tout de même l’objet, mais bon, il y a une traversée, n’est-ce pas.

 

 Donc à la suite de ce paragraphe sur la « Grandeur négative », Lacan va reprendre la question du transfert. Mais de quelle façon va-t-il reprendre cette question qu’il avait travaillée déjà vers le mois d’avril de ce séminaire ? Je vais vous proposer une lecture. On va discuter par la suite. Moi ce que je vais vous proposer comme lecture, c’est qu’il va prendre la question du transfert à partir de trois fils, autrement dit, il va prendre le transfert dans ce qu’on pourrait aujourd’hui dire, dans ses trois dimensions, réel-symbolique-imaginaire. A savoir :

 

­­  -l’amour narcissique et sa dimension de tromperie = la dimension imaginaire,

­­­ ­- l’identification au trait unaire = dimension symbolique,

 -sa relation à l’objet a  =  dimension réelle.

 

Voilà ce que je vous propose comme ouvre-boite si l’on veut, pour ouvrir ces pages très denses.

 

Alors c’est intéressant parce que ce faisant, Lacan va traiter, dans cette partie de leçon, de deux autres termes d’une liste de 4. Vous vous rappelez au tout début de la leçon, il a dit qu’il voulait donner une articulation, un ordre fondamental à 4 termes : identification, idéalisation, projection et introjection. On va les trouver tous ces termes autour de ces questions sur l’identification.

 

Mais allons doucement, pas à pas.

 

 Il nous dit que parler du transfert est impensable, sinon à prendre le départ du sujet supposé savoir. Je ne vais pas reprendre ici ce qu’il a déjà développé dans la leçon 18, j’espère que c’est assez frais pour vous, et ce que Stéphane a très bien repris il n’y a pas si longtemps. Sauf pour souligner ce qu’il va ajouter dans cette leçon. Et il pose cette question, le sujet supposé savoir, il est censé savoir quoi ? Et Lacan répond, il est censé savoir la signification. Ce qui implique la dimension du désir à laquelle, il – le sujet – ne peut pas se refuser. Donc voilà qu’il introduit au désir, dans cette formule concernant la signification.

 

 Mais il va dire « Ce point privilégié a ce caractère, (le seul auquel nous puissions reconnaître un tel caractère) sans aucun savoir, d’un point absolu : il est absolu, justement, de n’être nul savoir, mais ce point d’attache qui lie son désir même à la résolution de ce qu’il s’agit de révéler. » Cela pourrait nous renvoyer à ce que je viens de vous rappeler concernant le phallus. Il s’agit d’un point, de nul savoir, où s’abolit tout savoir. « Le sujet entre dans ce jeu, de ce support fondamental, de ce que le sujet est supposé savoir, de seulement être sujet du désir. » Il ne peut rentrer dans cette structure, si l’on peut dire ça comme ça, qu’en tant que sujet divisé, en tant que sujet désirant.

 

Or que se passe-t-il ? Il se passe, en effet, le transfert ! Et cet effet du transfert, c’est l’amour. On pourrait dire cela autrement. Le sujet, quand il prend la parole, quand il s’adresse, il suppose que dans l’Autre, le grand Autre, il y a quelqu’un qui sait. Et ce quelqu’un, il l’aime, ce quelqu’un. Cet amour, Freud va le repérer comme tout amour, dans le champ narcissique. Donc voilà une première dimension de cet amour du transfert. C’est un amour narcissique, volonté d’être aimé, qui intervient dans sa fonction de tromperie. Cette dimension est essentielle. Et c’est elle qui se répète dans l’actuel, c’est ce fonctionnement de pure tromperie qui va se répéter, au-delà de tout ce qui peut venir s’actualiser dans le transfert.

 

Alors il va dire que c’est un temps essentiel, ce « temps de l’amour trompeur du sujet, où le sujet assujetti au désir de l’analyste désire le tromper de cet assujettissement en se faisant aimer de lui, en proposant de lui-même cette fausseté essentielle qui est l’amour » Alors c’est intéressant qu’il vienne parler de l’amour trompeur pour déjouer quelque chose de l’assujettissement. Parce que n’oubliez pas qu’ici Lacan va traiter cet amour de transfert à l’aune de l’aliénation. Il est en train de parler de ce temps, « l’effet d’aliénation où s’articule dans le rapport du sujet à l’Autre, le fait que nous sommes, est ici manifeste »

 

C’est aussi une façon de rappeler que l’analyste fait partie de l’inconscient. Mais il ne faut pas se tromper, c’est le cas de le dire, derrière l’amour de transfert, qu’est-ce qu’il y a ?  Il y a le lien, la rencontre du désir du patient avec le désir de l’analyste. Alors qu’est-ce que Lacan va dire de nouveau dans cette leçon à ce propos du désir de l’analyste, parce que c’est quelque chose qui vient comme ça en pointillé, travaillé tout au long du séminaire, et à chaque fois il rajoute quelque chose, sans tout à fait le définir…

 

Lacan pose la question, comment nommer un désir ? Pour dire tout de suite, un désir on ne le nomme pas, on le cerne. Je vais ramasser les choses, comme je peux le faire par moment. Il va y avoir tout ce développement sur Hegel et tout ça, mais ce désir de l’analyste, il ne faut pas essayer de le cerner du côté du désir du maître, en tout cas du maître chez Hegel qui est un maître pour la mort. Ce qui fait que le terme même du désir du maître est un terme égaré de par sa nature. Donc ce n’est pas du côté du maître que cela va se situer, il faut se référer plutôt au maître antique où le rapport au désir est assez visible, en référence au Banquet, c’est la référence que Lacan va donner pour rappeler ce que fait Socrate. Et qu’est-ce qu’il fait Socrate ? Il s’adresse à l’esclave, défini ici comme celui qui n’a aucun droit de faire valoir son désir, justement. Pourquoi ? Pour ce qui nous concerne ici, il me semble important de souligner que l’esclave n’est pas du côté de la maitrise. Plus tard Lacan dira que l’esclave est celui qui a un savoir sur la jouissance. C’est une des choses que Lacan va développer dans le séminaire L’Envers (1969/70)

 

Pour essayer d’apporter un tout petit peu de lumière, je vous invite à reprendre la question du désir de l’analyste comme une fonction, comme ce x qui est opérant dans la cure et qui commande la dimension de l’acte analytique. Prendre le désir de l’analyste comme fonction c’est dire aussi que c’est à ne pas penser, qu’il opère. Ce n’est pas du côté du savoir qu’il opère, c’est du côté de l’objet qu’il faut situer sa position. La fonction-désir de l’analyste pointe vers cet objet et c’est de cette place de semblant d’objet qu’il peut, dans le transfert, être le garant du désir du patient, s’il vient occuper cette place du petit a, de l’objet, conformément à la formalisation du discours de l’analyste dans le séminaire l’Envers. Vous voyez même quand il va parler de cette dimension narcissique de l’amour du transfert, il va introduire la question du désir de l’analyste.

 

Ensuite Lacan passe aux deux remarques sur la fonction de l’identification, là où je vous propose de lire une deuxième dimension du transfert, une dimension symbolique. Comme je le disais au départ, c’est une partie très dense de la leçon où il ramasse beaucoup de choses qu’il a déjà dites avant, et qu’il faudrait déplier, surtout quant aux trois formes de l’identification qui apparaissent ici dans une forme particulière, notamment en ce qui concerne la première identification au Père. On pourra y revenir dans la discussion si vous voulez, je crois qu’il va falloir, mais je ne vais pas m’appesantir là-dessus maintenant pour ne pas perdre le fil de ce que je veux dégager.

 

Il commence en parlant des énigmes de l’identification et il ne faut pas oublier que l’identification est à l’origine de l’amour comme de l’instauration de l’idéal, si l’on se réfère à Freud. Ce n’est pas pour rien si Lacan parle d’énigme, y compris pour Freud lui-même. Freud semblait étonné que la régression de l’amour se fasse en termes d’identification, que la face narcissique de l’amour et la surestimation de l’objet de l’amour, ce soit exactement la même chose. C’est là où je me suis un peu interrogée : pourquoi est-ce que dans cette partie où il va parler de l’identification il va mettre la première identification dans le champ du narcissisme ? Cela pour moi pose problème, cela m’interroge.

 

Stéphane Thibierge : Qu’est ce qui pose problème ?

 

Angela Jesuino : Il va mettre la première identification, l’identification au père dans le champ du narcissisme, ça c’est quelque chose qui ne va pas de soi. Je vais pouvoir vous le dire après. Mais bon, on va avancer.

 

Il va faire cette différence, parce qu’il va dire que ce qui va l’intéresser c’est la deuxième forme d’identification relevée par Freud, pour y détacher quoi ? Le trait unaire, le fondement, le noyau de l’idéal du moi. Le trait unaire, dont il s’empresse de dire que ce n’est pas un objet privilégié du champ du Lust pour le situer à un autre niveau. « Le trait unaire en tant que le sujet s’y accroche est dans le champ du désir, dans le règne du signifiant, au niveau du rapport du sujet à l’Autre, et où c’est le signifiant de l’Autre qui le détermine »

 

Donc il est très clair : le trait unaire, cela a à voir avec le signifiant, cela a à voir avec l’idéal, cela a à voir avec le champ du désir…. tout en mettant, cette première identification dans le champ du narcissisme  ce qui pour moi, ou alors j’ai mal lu, mais moi cela me pose problème qu’il la range en tout cas, là de ce côté.

 

C’est quoi le trait unaire ? Revenons à Freud : « Lorsque l’objet est perdu, l’investissement qui se portait sur lui est remplacé par une identification qui est partielle, extrêmement limitée, qui n’emprunte qu’un trait à la personne-objet. » Donc c’est l’identification à un trait unique, à partir duquel Lacan forge le concept de trait unaire, par la vertu de la traduction. Il va traduire le terme en allemand, pas par un trait unique mais par un trait unaire qui vient désigner le signifiant sous sa forme élémentaire, la suite des uns qu’il va inscrire dans l’os, les encoches inscrites pour pouvoir compter, et rendre compte de l’identification symbolique du sujet.

 

Vous allez trouver dans la leçon 10 une autre définition, ce n’est pas une autre, mais la même mais un peu plus délayée, que je peux vous rappeler. Cette leçon nous oblige à faire des marches- arrière, à aller voir dans les leçons du mois d’avril, ce qu’il avait déjà mis en place. Ici il ramasse-tout. Qu’est ce qu’il dit dans la leçon du 22 avril par exemple : « C’est à partir de ce trait unaire, dont le sujet est d’abord marqué, dont le sujet lui-même se repère, et d’abord et avant tout comme tatouage, premier des signifiants, que le sujet secondement, quand cet un est institué, le compte : c’est un un. Et c’est au niveau, non pas de l’Un mais du un 1, qu’il a d’abord, lui, à se situer comme sujet ». Donc c’est la possibilité que le sujet vienne se compter aussi.

 

 Le signifiant unaire vient fonctionner dans le champ du Lust et « c’est dans cet entrecroisement qu’est le ressort, le ressort premier, essentiel, de l’incidence de l’idéal du moi. » C’est de ce point symbolique constitué par ce signifiant premier, c’est de pouvoir s’accrocher à ce point de repère que le sujet peut se regarder dans le miroir et faire apparaître son moi idéal, son image, ce point où il désire se complaire en lui-même. Voilà la fonction, le ressort, l’instrument efficace que constitue l’idéal du moi, le trait unaire, repère symbolique, soutient l’idéal du moi, soutient l’identification imaginaire.

 

 Pourquoi Lacan reprend cela ici d’une façon aussi ramassée ?

 

Parce qu’il va dire que le ressort de l’idéal du moi entre en jeu dans les premiers temps du transfert. Le sujet a une relation à son analyste dont le centre est au niveau de ce signifiant privilégié qui s’appelle l’idéal du moi, pour autant que de là il se sentira aussi satisfait qu’aimé, conformément à l’exemple qu’il a donné de cette petite qui va dire « qu’il était temps que quelqu’un s’occupe d’elle pour qu’elle s’apparaisse aimable elle-même ». Ça donne des perspectives cliniques, de savoir qu’il faut ce point symbolique, ce point idéal pour qu’on puisse… qu’il y ait quelque chose du narcissisme qui puisse se constituer correctement. On pense aux pathologies du narcissisme, cela a tout à fait à voir avec ce point symbolique, là, qui vient organiser l’image.

 

Il y a une différence entre unaire et unique. On prend le trait de l’Autre mais je pense que ce qu’il essaie de dire, on peut voir ça, je vais essayer de vous parler des trois formes d’identification. On va voir pourquoi cette dénomination du trait unaire est importante, parce que cela fait vraiment référence à ce signifiant premier, ce un premier, c’est dans ce sens-là que le mot unaire a toute sa pertinence et que quand Lacan traduit Einziger Zug par trait unaire, il va donner toute une Autre dimension à la question du trait unique, tel qu’en parle Freud. Il le re-conceptualise, souvent Lacan il fait ça quand il traduit, il re-conceptualise ; ce n’est pas simplement le passage d’une langue à une autre, il recrée le concept, il y a quelque chose qu’il fonde.

 

 Donc quand il parle du trait unaire c’est vraiment, il va conceptualiser ce que Freud a mis en route du côté du trait unique comme il disait et qui est très important pour Freud. Quand il va étudier la question de la psychologie des masses, et quand il va donner la formule libidinale de la masse, il va dire que c’est une somme de sujets, qui vont mettre, ce trait [unaire] à la place de leur idéal du moi, c’est à dire que le leader va venir …. la moustache d’Hitler, ce trait, va être à la place de l’idéal du moi et c’est ça qui fait aussi que les sujets s’identifient au trait et font masse. Donc ce n’est pas une mince affaire cette histoire, aussi bien du côté de la psychologie individuelle que de la psychologie collective. Alors ce qui est intéressant c’est qu’il va faire cette remarque et c’est important parce que c’est le premier temps du transfert.

 

Et puis Lacan nous plante là. Il ne développe pas. Il nous plante là.

 

 Dans le transfert il y a l’effet de l’amour narcissique mais ce n’est pas tout, il y a aussi un rapport au signifiant privilégié racine de l’idéal du moi, racine de l’identification symbolique du sujet, une identification au signifiant qui entre en jeu.

 

Mais ce n’est pas tout encore, il va dire qu’il y a autre chose, il y a une autre fonction.

 

Vous savez c’est courant, pour revenir à ce dernier point, c’est courant que quelqu’un vienne nous voir par exemple à cause de notre nom propre, c’est le signifiant qui là…. ou alors c’est quelque chose de particulier ; j’avais une patiente qui avait entendu une conférence, c’est important pour la dernière partie cet exemple, elle avait entendu l’enregistrement d’une conférence que j’avais faite et quand elle est arrivée, elle m’a dit « je suis venue à cause de votre voix ». Alors vous voyez comment les choses sont enclenchées d’emblée par des bouts différents par rapport au transfert.

 

 Donc il y a l’amour narcissique, il y a l’identification, la question de l’idéal, et il y une autre fonction qui institue, une identification d’une nature singulièrement différente et qui est introduite par le processus de séparation. Et ça c’est très important, parce qu’on quitte ici le champ de l’aliénation, donc pour continuer à parler du transfert, et qui va mettre en jeu, selon les trois fils que j’essaie de dégager pour vous, cette dimension réelle. Donc on peut penser qu’il était en train… dans le premier, dans la question de l’amour du transfert c’était encore quelque chose de l’ordre de l’aliénation.  Ce qu’il va amener maintenant cela a à voir avec la séparation.

 

Alors de quoi s’agit-il ?

 

Il s’agit de cet objet privilégié dont la pulsion fait le tour, l’objet a, objet dans sa fonction essentielle, en tant qu’il supporte ce qui dans la pulsion est défini et spécifié, ce que l’entrée en jeu du signifiant dans la vie de l’homme permet de faire surgir, à la fois le sens du sexe et la présence de la mort. Objet a qui vient prendre la place du signifiant phallique comme je le rappelais au début de cet exposé. C’est par la fonction de l’objet a que le sujet se sépare. Vous voyez pourquoi ça à voir avec la séparation. Il sort de cette vacillation de l’être au sens, ce qui fait l’essentiel de l’aliénation, de cette vacillation – la bourse ou la vie. Donc il y a une articulation très précise de Lacan : on va retrouver dans le transfert les fondements de la causation du sujet, l’aliénation et la séparation.

 

Ensuite il passe par l’hallucination, par la voix hallucinatoire pour redire ce qu’il affirme depuis le début de ce séminaire que « c’est en tant que l’objet de la voix y est présent, qu’aussi y est présent, le percipiens », c’est à dire le sujet, le sujet de la perception. Et ici quelque part il suit Merleau-Ponty, dans sa tentative de montrer en quoi le percipiens, le sujet de la perception, est déterminé par la structure du perceptum, par la structure de l’objet de la perception. En effet nous savons que pour Lacan, le sujet est inclus comme « être regardé » dans le spectacle du monde. Rappelez-vous la première leçon de ce séminaire, il n’est nullement un spectateur, nullement un sujet pur qui regarde, il est regardé. Et c’est intéressant parce qu’il va parler dans la psychose, dans l’hallucination, pas d’une fausse perception, mais d’un sujet qui a dévié, un sujet dévié, ce terme aussi interroge, qu’est-ce que c’est qu’un sujet dévié ?

 

Alors il se pose cette question, qu’est-ce que nous essayons d’obtenir dans l’analyse concernant l’accommodation (ça aussi c’est un terme intéressant : accommodation du percipiens) ? « Jusqu’à l’analyse, le chemin de la connaissance a toujours été tracé dans celui d’une purification du sujet, du percipiens… » eh bien voilà ce qui est très important nous dit Lacan : « …Eh bien nous, nous disons que nous fondons l’assurance (ça aussi c’est un terme important)   du sujet dans sa rencontre avec la saloperie qui peut le supporter avec le a, dont il est si peu illégitime de dire que sa présence est nécessaire ».  Alors vous savez, ce sont des choses, je vais finir, j’ai deux paragraphes et on va revenir sur certains de ces points, parce que c’est très important aussi dans la clinique de la psychose.

 

Voilà donc une autre dimension mise en jeu dans le transfert, l’objet a, à lire, à entendre derrière la tromperie de l’amour, derrière le volet où se cache la belle, vous vous souvenez de cette jolie expression que Lacan utilisait. Le transfert est certes une réactualisation des signifiants qui ont supporté la demande d’amour du sujet, mais en tant qu’il témoigne du fait que l’organisation subjective est commandée par l’objet.

 

Voilà où il termine cette leçon, cette traversée sur la fonction du a, de l’objet cause du désir, support du sujet de l’inconscient, et dans ce sens mis en jeu dans le transfert. Voilà un petit peu le parcours que je voulais vous proposer, je suis brève là, mais pour vous faire entendre ce qui a été ma lecture de ces trois dimensions du transfert qui mobilisent des choses différentes.

 

 Alors pourquoi est-ce que je disais que c’est important dans la clinique des psychoses ce qu’il va dire là sur la question du percipiens et du perceptum. Eh bien tout simplement parce qu’on voit bien que là où il y a l’objet, il y a quelque chose du sujet qui est aussi présent, et que quand on veut par exemple assommer les patients de médicaments, il n’y a plus rien. Ce n’est pas pour rien que Freud disait que dans le délire il y a quelque chose qui est une tentative de guérison.

 

Voilà ce que je voulais vous proposer, et c’est vrai que cette question de l’identification première au Père du côté du champ narcissique cela me travaille, Stéphane. Alors je ne sais pas si tu as entendu ça, mais ça, ça me pose problème.

 

Il est empêtré lui-même.

 

Stéphane Thibierge : Oui je crois et qu’on ne peut pas les harmoniser du côté par exemple de ce qui serait le narcissisme. Tu vois « L’identification est bien connue de la psychanalyse comme la manifestation la plus précoce du lien affectif avec notre personne, elles jouent un rôle dans la pré- histoire du complexe d’Oedipe. Le petit garçon manifeste un intérêt particulier pour son père, il voudrait devenir et être comme lui. » Là on a deux plans très différents, il manifeste un intérêt particulier pour son père, il voudrait être comme lui, c’est déjà dans un temps différent ça. Prends sa place sur tous les plans. On est dans un temps différent là. Le premier temps ça Mélanie Klein l’a très bien vu. Le premier temps qui fait surgir quelque chose de l’ordre d’une tendance vers l’unité, c’est le rapport de l’enfant à la mère et au corps de la mère. Donc ça ne peut pas être ça quand il parle du père. C’est plutôt ce que disait Angela, effectivement le rapport au signifiant comme tel, et notamment au signifiant père. Alors Freud continu « Disons le tranquillement il fait du père son idéal », cela ne peut pas être au moment où il ne parle pas encore qu’il fait du père son idéal, c’est quand même après un certain temps.  « Ce comportement n’a rien à voir avec une position passive ou féminine vis à vis du père, et de l’homme en général, il est même expressément viril, il se concilie très bien quelque avec le complexe d’Oedipe qu’il aide à préparer. » Et là on arrive au complexe d’Œdipe, c’est à dire que l’on a franchi tout une complexité « En même temps que cette identification avec le père, peu- être même avant, le jeune garçon amorce un véritable investissement d’objet de la mère par étayage, on observe alors chez lui deux liens psychologiques bien différents, avec la mère un investissement purement et simplement sexuel, avec le père une identification à un modèle. », ça ce n’est pas le nourrisson, pas du tout, on est déjà assez loin. « Ces deux liens coexistent un moment sans s’influencer ou se déranger mutuellement, le progrès inexorable de l’unification de la vie psychique les fait se rencontrer et cette confluence donne naissance au complexe d’Œdipe normal. » Là on a au deuxième paragraphe une espèce de carambolage de complexités énormes.

 

Je suis d’accord et tu as raison de soulever le problème, d’ailleurs le texte des Fondements, on n’en a pas les enregistrements, que les textes sténotypés. Et la version sténotypée quelques fois elle est complètement aléatoire, alors Miller en a proposé une version dans sa transcription et même à la limite quand on voit dans notre édition page 312, quand Lacan dit, non ça n’est pas dans ce champ premier de l’identification narcissique auquel Freud rapporte la première forme d’identification. Peut- être qu’il a fait un lapsus.

 

Angela Jesuino : Amener cette difficulté, c’était aussi pour expliquer la fonction du trait unaire. C’est très intéressant qu’il puisse parler du transfert avec l’amour en parlant du signifiant et de l’objet.

 

Stéphane Thibierge : Le transfert là il en parle comme le point ultime, le point le plus loin engagé, où l’analysant a à faire au désir de l’analyste, c’est à dire à son propre désir. Comment le désir du sujet est articulable seulement à partir de l’analyste, et à partir de la rencontre justement, telle qu’elle s’effectue dans le transfert qui est à la fois le moteur de cette rencontre et son inhibition la plus régulière à cause de l’amour justement ?

 

 

[1] Leçon du 27 juin 1962