Auxerre, le 25/02/2024.
Chair Président,
En lisant votre « Dézoomons nous », le 22 février dernier, ce texte s’est imposé à moi comme la « moitié d’un bien-dire » et m’a évoqué, je cite : « Comme le rappelle dans ses Structures élémentaires Lévi-Strauss, ce qui peut être l’enjeu du pacte, ce ne peut être, et ce n’est que cette livre de chair », comme dit le texte du Marchand, « à prélever tout près du cœur ».
Nous entendons là où Lacan fait référence au marchand de Venise (1).
Et lisons ma référence à notre collègue décédé, Patrick Valas.
Aujourd’hui, le temps de la sidération contrainte du réel dudit Covid commence, il est heureux, à dater.
Une circularité des trois registres pour chacun de nous. En effet. De son temps logique et quand bien même nous en serions qu’une moitié de marionnette…
Je me souviens de cet élan, une excitation, j’ose l’écrire, dans mon corps, lorsqu’il a été possible de revenir à l’ALI. Jouissance circulante, j’éprouvais un corps autre. D’un Autre à l’autre ? Nous étions, enfin, autorisés. J’en ai été traversée par la joie !
Enfin, j’ allais remettre mon réveil à 5 heures du matin, reprendre ce TER Bourgogne-France Comté de 6 heures 17 à destination de l’ ALI (les jours où les pulsions de mort de certains ne les ont pas jeté sous cet objet, qui sera arrêté, inévitablement, en rase campagne, pour une durée indéterminée, disent-ils ; ce qui demeure constant depuis des décennies, pulsion acéphale jusqu’à une butée dernière…), j’ allais pouvoir me dépêcher de reprendre le métro pour arriver à la station Rue du Bac pour marcher, le cœur vivant, jusqu’à la rue de Lille.
Sourire niaisement, le nez au vent, ravie de retrouver les corps désirants, je l’imagine, au 25.
Ainsi, comme nous l’offre Patrick Valas (2) citant Lacan dans la leçon 1 du 12 novembre 1958 de son séminaire Le désir et son interprétation, je cite : « Et pourtant cette théorie analytique… au centre de laquelle il est suffisant d’indiquer que la notion de libido se situe, qui n’est point autre chose que l’énergie psychique du désir, c’est quelque chose – s’il s’ agit d’énergie – dans quoi… je l’ai déjà indiqué en passant, rappelez-vous autrefois la métaphore de l’usine… certaines conjonctions du symbolique et du réel sont nécessaires pour que même subsiste la notion d’énergie. Mais je ne peux pas ici, ni m’arrêter ni m’appesantir… cette théorie analytique repose donc toute entière sur cette notion de libido, sur l’énergie du désir ».
Alors, revenir humer le 25, rue de Lille. Mon corps désirant, jouissant, libidinal en mouvement, en acte. Revenir renifler un lieu, sentir quelques autres. Autres selon. A quelques pas du 5. Une voie du désir ? Rue ruisselante de libido ? Mais pas que.
Qui nous coûte. Pas que symbolique, n’est-ce pas ! RSI. C’est chair.
Retrouver quelques autres. Le regard, la voix, le toucher. On y revient.
Une main sur un avant-bras par ci, une bise par là.
Une parole adressée concernant un analysant envoyé de ma petite province à un collègue psychiatre parisien, membre de l’ALI, présent, lui aussi, ce jour-là, si précieux pour ma clinique.
C’est, dans cet instant, une géographie, mon littoral. Et ça m’est chair !
(Mes collègues, à mon écoute, se reconnaîtront et je témoigne, ici, de ma reconnaissance lorsque le désert provincial d’où je parle m’embarrasse et que je peux adresser quelques-uns de mes analysants.)
Oui, la circularité des échanges m’est chair. Et si le grand A de l’ALI était au cœur du nœud ? Nouage de mon désir ? Un bord du lieu ?
Le transfert, c’est, dans Télévision, nous dit Lacan, « de l’amour ». Et du travail, ensemble.
Alors, chair Président, oui, j’ai une pensée émue lorsque je passe (…) la porte du local de l’ALI.
Qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il vente. C’est un chair lieu.
Je m’y remémore Charles Melman, arrivant, à son rythme, les mois qui ont précédé sa mort.
Je m’y remémore la venue de Marcel Czermak. Et, de quelques autres.
Oui, je ne doute pas (quelle prétention !!) qu’il y faille (c’est le cas de le dire ou le trait du cas, le nôtre, peut-être ?) un lieu. Du réel. Un Heim. Un Heim de chair.
En effet, comme nos collègues belges payent leur billet d’Eurostar pour arriver à nos précieuses journées et séminaires, ce qui vaut, bien entendu, pour quelques autres non parisiens, je désire qu’il m’en coûte, pour venir à l’ALI, pour des siècles des siècles. Encore.
Parce que la fatigue, les mouvements (répétés) de grève sur la ligne Dijon-Paris, la ligne 14 fermée, le coût des hôtels, des restaurants, des couchers tard après nos soirées, des levers tôt pour nos matinées et j’en passe, n’en viendront pas à me mener par le bout du nez, à me clouer derrière un écran.
Parce que le Zoom, « béné-diction » depuis le Covid et les investissements de l’ALI, pour nous faire bénéficier des enseignements jusqu’alors interdits, à nous provinciaux, la semaine, demeure un bienfait.
Parce que je l’interrogerai comme une lathouse.
Parce que le plaisir pris, le matin, autour d’un café, offert des sourires de Malika et Corine, pour démarrer la journée à retrouver et à parler avec nos collègues, n’a de coût de la chair que ce que nous nous devons.
Laissant le mot de la fin, pour introduire, aux années à venir, ensemble, rue de Lille ou ailleurs, à Lacan (3) : « Plus on est de saints, plus on rit, c’est mon principe, voire la sortie du discours capitaliste – ce qui ne constituera pas un progrès, si c’est seulement pour certains ».
Alors à bientôt chairs ami(e)s !
Sophie Perrot
Membre correspondant de l’ALI
(1) Le marchand de Venise : http://www.valas.fr/Jacques-Lacan-Les-sources-de-ce-qu-onappelle-LE-SENTIMENT-ANTISEMITE,441)
(2) page 4 sur 337, http://staferla.fre.fr/S6/S6%20LE%20DESIR.pdf
(3) page 21 sur 68, http://www.valas.fr/IMG/pdf/LACAN_Television.pdf