PREMIÈRES REMARQUES AUTOUR D'UNE LECTURE DU TEMPS LOGIQUE.
22 octobre 2023

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JEANVOINE Michel
Journées d'études

 

PREMIÈRES REMARQUES AUTOUR D’UNE LECTURE DU TEMPS LOGIQUE.

Assumer le choix de traîter du « temps logique » et d’organiser des journées autour de cette question n’est pas une mince affaire. Cette affaire est même tout spécialement redoutable. Et c’est à juste titre que nous ne puissions l’aborder qu’à reculons. Peut-être y aurait-il là un trait de structure En effet J. LACAN pouvait dire que l’analyste a horreur de son acte, et en soutenant le choix de cet engagement de travail , tout se passe comme si, de cette horreur, de cette rencontre en jeu , pouvaient s’en dégager, seulement dans un après-coup -d’ailleurs à l’instar de

J. LACAN lui-même- quelques enseignements ou écritures, forcément latéraux, Pas d’autres écritures que produites dans un statut de reste.Il semblerait, en effet, que J. LACAN lui-même n’ait pas connu d’autres parcours que celui dont il tente la formalisation.

J. LACAN fait donc de cet apologue un sophisme. Il y tient, puisqu’en 1966,date de sa réécriture, il nous le propose ainsi, « mon sophisme » . La dimension rhétorique s’avère en effet essentielle à ce parcours. C’est-à-dire qu’elle engage le sujet dans ses fondements, dans son énonciation. C’est seulement à cette condition que s’en produisent quelques effets.

Il y a en effet une certaine horreur à travailler ce texte. Une horreur qui n’est pas sans questionner. Et sur ce point j’aimerais savoir si vous la partagez et ce que vous pouvez en penser. Il serait précieux, pour nous et ces journées, d’ouvrir sur ce point, un débat.

Ce texte, et la logique qui l’anime, amène le lecteur à participer d’un exercice particulier qui consiste à prendre en compte les impasses que celui-ci, en suivant le fil de sa démarche, rencontre dans la quête de son être. De quelle couleur suis-je ? Et c’est seulement de la prise en compte de ces impasses que cette logique progresse jusqu’à cette précipitation, conçue en elle-même comme un temps logique, qui ouvre à une conclusion, qui, dans l’après-coup s’avère partagée et commune à chacun des prisonniers. Se déplie ainsi une logique de l’acte qui s’avère déplacer le sujet, d’où cette horreur toute particulière attachée à ce parcours.

Mais avant d’entrer pleinement dans cette relecture il s’avère important de la situer dans son contexte qui, seul, peut lui donner toute sa place. Cette époque n’est pas n’importe laquelle. Juin 1964, c’est aussi la date de l’acte d’une fondation, celle de l’EFP, et une fondation ne se fait que sur l’assomption d’un trou. Si un trou ne peut se définir que de son bord, cette réécriture participerait-elle, alors, dans un après-coup pour LACAN, de l’écriture d’un tel bord ? Question. C’est aussi le moment où un autre texte trouve ses prolongements. J’évoque là ceux donnés à la « lettre volée ». Après ceux de 1955 liés aux travaux sur sa conception de la relation d’objet, (sur les alphas, bêtas,…) il y ajoute en 66, cette « parenthèse des parenthèses » où il formalise et présente ce parcours comme un parcours rythmé et organisé. Il en propose une écriture, la chaîne L.

C’est dans ce contexte qu’une reprise de son texte de 1945 semble, pour lui, s’imposer. Et tout se passe comme s’il nous suggérait, mais peut être avez vous des lectures plus fines susceptibles de me démentir, qu’une telle topologique pouvait rendre compte de ce « temps logique », à partir de la coupure présentée en double boucle .Ceci n’est pas dit explicitement, c’est seulement entre les lignes qu’il faudrait pouvoir le lire, et ceci relève, à cet endroit, d’une interprétation. Ce serait à chacun de faire le pas de cette lecture.

Pour donner un peu de poids à celle-ci, suffirait-il de faire valoir, dans ce texte du « temps logique », l’attachement de J. LACAN à la dimension de l’énonciation ? C’est-à-dire à la spécification de ce texte au titre de sophisme ?

Non, pas seulement.

En 1966, il y ajoute ceci -et c’est une lecture, en mettant de côté dans le premier jet de 1945 une première lecture faite avec les lunettes de l’intersubjectivité- il y ajoute que B et C ne sont que les partenaires réfléchis, conçus à partir de A pour B et C et de B pour C. Cette logique ne prend sa consistance et n’opère qu’à partir du moment où nous nous trouvons dans le champ de la représentation de A. Et c’est dans ce champ que B prend son statut de partenaire réfléchi , et que C, à l’identique, prend le sien dans celui de B…

À partir de ces quelques précisions indispensables il va pouvoir donner une importance essentielle, c’est-à-dire structurale à la dimension logique de cette séquence, aux deux temps qui rythment son avancée et son déploiement, à savoir à ces deux scansions suspensives qui prennent dès lors le statut de motions suspensives signifiantes. Comment pouvons nous le comprendre ? Sinon en donnant à ces deux motions un seul et même même statut, celui d’un signifiant. En effet ces deux motions seraient à lire comme les deux temps d’une répétition, à savoir ces deux boucles, en continuité, qui mettent en place une coupure signifiante En cet endroit, en ce lieu, se nouent diachronie et synchronie, dans une cristallisation signifiante qui met en jeu quelque chose de la lettre: la structure localisée du signifiant comme avait pu l’avancer J. LACAN dans « La lettre volée ». Il y a là un pas essentiel qui donne à cette séquence un ordonnancement qui n’est pas sans évoquer la chaîne L.

Si LACAN est amené à ajouter ces quelques points, il en souligne d’autres, déjà là en 1945. Précisions cependant indispensables, et qui s’articulent à mes précédentes remarques.

Tout d’abord celle-ci, toute première, c’est en partant d’une hypothèse qui va s’avérer fausse qu’une conclusion va s’imposer. Ici, je suis « noir « , pour faire l’épreuve redoublée du « c’est pas ça », et dès lors pas d’autre issue qu’une sortie précipitée qui fonde l’anticipation de l’assertion. Un « Je m’affirme blanc » tombe dans un après-coup partagé par chacun. Où serait la « commune mesure » sinon dans cette assomption commune aux trois de ce trait « blanc ».

Il est à noter que c’est par les voies de la représentation chez A que cette double épreuve s’impose, pour en creuser la limite dans l’imaginaire et l’amener à cette confrontation nécessaire à une sortie possible. Pas d’Autre, et pas d’Autre de l’Autre. L’épreuve doublement répétée de la barre sur l’être, ouvre dans l’imaginaire de A, et de chacun livré au même parcours, la voie de la prise en compte de cette rencontre, celle d’un pur trou, de l’absence de rapport qui laisse un être à son incomplétude.

Comment rattraper ce retard sur l’autre, livré à la même cogitation, qui l’empêche de conclure. Ce « C’est moi ou l’autre », qui spécifie la relation d’opposition imaginaire, trouve sa sortie et vérifie son asymétrie dans une précipitation où il rattrape, seul, son retard, précipitation qui fonde cette assertion. Cette précipitation est donc soulignée comme appartenant pleinement à ce temps logique. Elle en est un des termes essentiels,avec les deux premiers.

C’est seulement dans l’après-coup que ce « C’est pas ça » commun trouve sa consistance: « blanc! » . Ce qui nous donne à vérifier que cette alternative (noir-blanc) n’a son intérêt que d’être signifiante, alternative dans laquelle chacun a à faire son chemin qui le conduit à une nouvelle identification,commune,collective.

Avec cette rencontre essentielle d’un « C’est pas ça », pourrait-on dire que le trait qui s’en produit, trait commun à chacun, aurait le statut d’un « einziger Zug »? Un trait de la pure différence, ou s’agit-il d’autre chose ? Question.

Ne pourrait-on pas soutenir que dans cette épreuve se joue le processus même de la civilisation, si celui-ci se caractérise de ce consentement de chacun à s’assumer parlêtre, soit être de signifiant ?

Il y a là une assomption, qui s’avère commune et collective, de ce qui spécifie la dimension du Symbolique, à savoir le trou. C’est par cette voie que se met dès lors en place ce qui a valeur d’universel. Mais comme fausse réponse à ce « c’est pas ça », et qui ne va pas manquer de se rappeler à lui… En effet J. LACAN a su préserver cette place qui, devant le Tout, s’ouvre sous la forme du Pas-tout. Nous rappelant ainsi que c’est bien l’ordre du signifiant qui commande, à savoir la dimension du trou.

Alors, avec cette lecture que je vous propose, il apparaît que nous dégagions une trame qui ordonne ce parcours et qui pourrait lui donner le statut d’une tresse. Une tresse où le troisième brin s’impose dans la précipitation,comme la consistance à donner à cette asymétrie que je dois mettre à mon compte en rattrapant ce retard dans la précipitation où je m’affirme blanc. Faut-il vous rappeler les liens étroits et de structure entre la tresse et le noeud borroméen ?

Tout se passe alors comme si ce texte, premier jet de 45, avait été gros de l’ensemble du travail de J. LACAN jusqu’à son terme, « le moment de conclure » . Titre de son avant-dernier séminaire, pour rebondir et nous proposer « La topologie c’est le temps ».

Je vais m’arrêter là pour cet après-midi avec ces remarques et perspectives, que je propose à la discussion.

 

Michel JEANVOINE
Augerville-la-Rivière , le 12 mars 2023.

 

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