Approche topologique dessouffrances d’expression somatique
15 septembre 2023

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CASTRO Juliana
Journées d'études

 

Journées d’étude : La topologie clinique (17 et 18 juin 2023) 

Intervention de Juliana Castro

Approche topologique des souffrances d’expression somatique

 

Que dit-on quand on parle de « psychosomatique » en langage médical et de quoi s’agit-il quand nous utilisons en psychanalyse ce terme-là, terme forgé par la médecine et qui est donc un signifiant d’un autre champ ? Ce ne sont pas du tout les mêmes histoires, car le corps pulsionnel de la psychanalyse n’est pas le corps anatomique de la médecine, qui ne considère pas ce dernier dans ses procédures. À la place de ce terme de « phénomènes psychosomatiques », Charles Melman préconisait celui de souffrances d’expression somatique – il avait même proposé que fût créée à l’ALI une publication annuelle appelée « Cahier d’études des souffrances d’expression somatique ». « Je n’ai pas trouvé d’autres mots, souffrances d’expression somatique puisqu’il y en a d’autres qui sont d’expression psychique », a-t-il dit, « en matière de psychosomatique, il s’agit à proprement parler de modifications topologiques survenues dans le corps. » Le corps est un montage, c’est-à-dire que ce que nous appelons corps propre est l’effet d’une opération discursive. Je vous propose donc une discussion sur ces souffrances d’expression somatique, à partir de fragments cliniques décrits par Charles Melman, de patients atteints de torticolis spasmodique. Je vous apporte également quelques éléments sur la question du corps, en interrogeant, dans un tout premier abord, ce que la topologie pourrait jeter de lumière sur ces souffrances. Il s’agit de questions travaillées, depuis ces dernières années, au sein du cartel corps et psychanalyse.

Charles Melman a raconté comment il est allé voir Lacan : Il préparait un concours à l’hôpital, pendant lequel il a découvert qu’il avait une inhibition appelée crampe du scribe. Cela était pour lui vraiment ennuyeux d’écrire avec une main et un bras complètement raides. À l’oral, il avait aussi un scotome visuel, ce qui faisait qu’il ne pouvait lire que la moitié des questions, en conséquence, sur les cinq minutes allouées à l’examen, il n’a parlé que deux minutes et demie. La commission l’a regardé en attendant la suite, mais il n’avait lu que la moitié des questions. Selon lui, il avait alors découvert sur lui-même des symptômes qu’il ne connaissait pas. À l’époque, Charles Melman était déjà marié et avait des enfants, menait une vie tranquille, mais, comme il a dit, « voilà quelque chose d’étrange! » Il est alors allé voir Lacan, qui s’est intéressé à son histoire. Selon lui, elle l’avait amusée et ils se sont amusés ensemble.

Il relatait : « Dans sa technique, Lacan faisait un usage particulier de son propre corps. Vous étiez allongé sur le divan et il mettait sa tête si près de la vôtre que vous l’entendiez respirer, vous aviez une espèce de souffle dans l’oreille… » « Il soupirait beaucoup, émettait des grognements dans vos oreilles. » « Il y avait quelque chose de vivant. À la fin de la séance, il pouvait prendre votre main, la tenir, la serrer. Ce sont des formes de proximité corporelles, il y avait chez lui tout un ‘jeu’ avec sa présence physique… Grâce à cette attitude, celui à qui il s’adressait pouvait se poser toute une série de problèmes essentiels. »

Passons maintenant à deux cas cliniques de Charles Melman. Le premier patient est arrivé chez le psychanalyste en dernier recours, sans aucune foi, ni intérêt, ni confiance. La cinquantaine, gynécologue-accoucheur de profession, il venait avec de grosses difficultés à cause de son symptôme, qui avait un caractère dramatique et immédiatement visible : Un torticolis spectaculaire et extrêmement douloureux, qui entraînait des mouvements d’hémitorsion du corps, ce qui le forçait à avancer avec la tête tournée de côté, de telle sorte que son visage était latéral, et que face à la douleur et pour résister contre cette tension musculaire, il était dans l’obligation de tenir sans cesse sa tête entre ses mains. Il était venu pour se soulager de cette crampe musculaire permanente qui lui rendait la vie insupportable et à cause de laquelle il avait bien sûr perdu sa clientèle.

La question qui se posait immédiatement pour Charles Melman était d’essayer d’imaginer que ce trouble moteur impressionnant avait donc pour cause une malfaçon du langage. Et que si c’était le cas, peut-être que l’usage du langage serait susceptible de l’en soulager. Il a interrogé Lacan pour savoir s’il lui était déjà arrivé de traiter des patients de ce genre, ce qui n’était pas le cas.

Au bout d’un certain temps, le patient a raconté que ce torticolis était apparu après avoir pratiqué un examen gynécologique sur sa fille, et pendant qu’il était en train de rédiger son certificat de grossesse, il a senti pour la première fois sa tête partir de côté, il a donc dû lutter pour la remettre à sa place. Il a dit: « Pendant cet examen, il s’est produit un petit quelque chose de bizarre auquel je n’ai pas accordé attention, mais ma tête s’est légèrement tournée de côté. C’est assurément la première fois que j’avais cette étrange déviation du regard et de la tête. » Dans les jours qui ont suivi, ce symptôme est allé en s’accroissant jusqu’à constituer, au bout de plusieurs années, un torticolis grave qui l’handicapait lourdement. Il relatait l’épisode de l’examen de grossesse de sa fille comme s’il n’avait pas de signification, un acte médical comme les autres, parfaitement normal. Ce patient avait lui-même un problème avec la paternité, puisqu’il était le fils d’un homme qui avait disparu après l’avoir conçu. Au cours du traitement, il a appris que son père, à l’article de la mort, était hospitalisé dans la ville où il exerçait. Ainsi, à l’âge de 50 ans, il a fait la connaissance de son père sur un lit d’hôpital, à quinze jours de sa mort. Pendant que tout ceci s’est déroulé, son spasme s’est atténué pour finalement disparaître. Après quelques années, plus aucune trace de torticolis, il est revenu chez Charles Melman en lui disant qu’on avait découvert chez lui un cancer du cerveau, ce qui l’a emporté au bout d’un an à peu près.

La deuxième patiente était une dame, la cinquantaine, occupant une fonction managériale, et qui présentait un tic périodique de l’épaule et du bras. Ce qui ne l’empêchait pas de conduire sa carrière professionnelle, mais avec évidemment les inconvénients d’avoir à s’illustrer dans le milieu familial ou social avec une manifestation périodique, qui forcément attire l’attention et fait parler de ce qui est appelé dans le langage populaire la danse de Saint Guy. Durant la cure, s’est précisé le fait qu’elle était, dans une fratrie nombreuse, l’enfant sacrifiée de la famille, c’est-à-dire celle exclue du groupe, que l’on ne reçoit qu’avec une certaine condescendance et pitié, témoignant qu’on fait preuve d’une grande bonté en acceptant sa présence dans le groupe. Et soudainement, son symptôme a cédé, et la voilà qui, à l’étonnement évidemment de l’entourage et de son milieu professionnel, a retrouvé une aisance normale. Au bout d’un an ou deux, elle est revenue chez Charles Melman, toujours guérie, avec un cancer du sein, dont l’évolution a été rapide, et elle est décédée en quelques mois.

Je vais maintenant, si vous le voulez bien, vous rapporter quelques citations que je vais reprendre tout au long de la discussion.

« Le corps, ça devrait vous épater plus », nous dit Lacan. D’après lui, « les maladies de courte durée sont rares pendant les analyses ». Il dit à propos du fonctionnement automatique d’une partie du corps : « mon bras, il me faut me prémunir contre le fait de son non-contrôle. » Pour lui, dans les phénomènes psychosomatiques « il n’y a pas d’intervalle entre S1 et S2, lorsque le premier couple de signifiants se solidifie, s’holophrase. » « Si nous parlons de psychosomatique, c’est dans la mesure où doit y intervenir le désir. C’est en tant que le chaînon désir y est conservé. » Il affirme par rapport au cross-cap qu’avec une coupure simple, on ouvre la surface sans la diviser en deux morceaux.[1] À lui faire deux fois le tour du point privilégié, on sépare la surface en deux pièces différentes, l’une qui peut avoir une image spéculaire et l’autre qui n’en a pas.[2] Si on fait un triple tour, on sera amené à dessiner sur la surface quelque chose qui se répétera indéfiniment, car la ligne ne se rejoindra jamais, puisqu’il n’y a pas de troisième ou quatrième tour qui vaille pour boucler[3] – nous y reviendrons.

Pour Charles Melman, la mise en mouvement de la parole avec l’adresse à un support phallique dans le transfert est un artifice qui facilite une homogénéisation du corps et coïncide – rejoignant Lacan sur ce point – avec une bonne santé. Il y a dans cet exercice de discursivité permanente une sorte d’effet vicariant, d’élimination progressive qui semble aller de pair avec la bonne santé. Par rapport à la maladie, il évoquait « des parties spécifiques du corps qui peuvent venir supporter le caractère d’être étrangères dans l’organisme » et devenir hostiles au reste du corps. Le corps étant donc soit Autre et propre à la jouissance, soit étranger. Il parlait de notre « relation fondamentale à un dehors qui est aussi un dedans » et que dans les phénomènes psychosomatiques « ce dehors tend en quelque sorte à prendre avec ce dedans une relation de tranchement », c’est-à-dire, « cette intimité avec le dedans se trouve ainsi rompue, ce qui devient dès lors un conflit ».

Il a noté, dans la névrose obsessionnelle, « ce que le langage peut mettre en place dans le corps dont l’expression sera mutique », comme le tic qui est « aussi obsédant que pourrait l’être une idée obsessionnelle, quelque chose dont on n’arrive pas à se débarrasser, qui revient périodiquement, mais qu’on ne parvient pas à chasser. Sauf que cela se produit dans un domaine moteur et non pas idéique et sans aucun type de support dialectique ». Le tic se produit à un moment hautement significatif « où le sujet se trouve incapable de répondre à la tension psychique par une mise en forme discursive » et où s’est opéré le franchissement d’une certaine limite. Le torticolis concernerait quelque chose qui se trouverait outrepassé dans le champ du regard. Il s’agit chez ces patients d’une jouissance de leurs corps, par leur propre corps. Ils sont monoidéiques et dépourvus d’énonciations, ce qui est l’effet d’un appauvrissement de la circulation signifiante. Tandis que la vie est liée à l’activité de flux de signifiants, en dernière instance, la mort serait la stase de la circulation signifiante, son arrêt pour de bon. Il a noté par rapport à un autre patient que « la chute de ses spasmes provoquait immédiatement l’émergence de l’angoisse, de telle sorte que c’est avec un certain soulagement qu’il retrouvait son truc. » Toujours selon Charles Melman, si nous nous servons « du cross-cap et de l’objet petit a comme étant le disque dont le détachement permet l’organisation orificielle du corps, on peut concevoir de quelle façon la stase de l’objet transforme le corps en un sac à double face. » Chez ses deux patients, leurs maladies étaient une protection contre la carence de l’instance phallique et, avec la levée de cette protection, des risques autres s’étaient manifestés.

Selon Bernard Vandermersch, les phénomènes psychosomatiques ne sont pas de l’ordre d’une formation de l’inconscient et donc analysables, comme le sont les symptômes hystériques. Il s’agit chez ces patients d’un type d’adresse sans transfert. « La psychosomatique, dans la dégradation du symbolique qu’elle suppose, pourrait être comprise comme une liaison plus étroite entre imaginaire et réel. » « La plupart des patients notent que le phénomène psychosomatique est arrivé sans angoisse. » Lui aussi parle du déclenchement par une situation hautement symbolique, qui à défaut de représenter le sujet, laisse trace de son passage. Cette atteinte du corps serait due au franchissement de l’interdît, « celui qui ne permet pas qu’un signifiant soit identique à lui-même. » La coupure en boucle simple, qui ouvre le cross-cap et le transforme entièrement en un disque, pourrait illustrer ces phénomènes.

Jean Brini propose qu’ « une mise en continuité des registres du symbolique et du réel pourrait être une des figurations de l’holophrase ». Il dit ceci en faisant référence à la mise en continuité de deux des trois registres RSI, où deux consistances se trouveraient ramenées à une seule. Et il interroge : « l’irruption de l’objet a dans le champ de l’imaginaire, champ qui est épinglé par Lacan comme le corps, ne pourrait-il pas rendre compte de certains cas de troubles psychosomatiques ? »

Marc Estenne relève qu’il y aurait chez ces patients un ravalement du patronyme et que les phénomènes psychosomatiques seraient l’écriture dans le corps de ce nom détérioré. Ils sont le retour dans le réel de la perte qui n’avait pas été dûment symbolisée par la prise du nom.

Le corps est ce que le sujet ne peut pas maîtriser. Il est en même temps ce qu’il y a de plus proche et de plus hors d’atteinte. Le fait que le corps puisse passer d’être familier à être étranger dans un certain sens peut même être une expérience de la vie quotidienne. C’est ce que nous tous pouvons éprouver lors d’une douleur aiguë, tel le mal de dents, comme nous le rappelle Freud. Tous ont l’expérience intime d’avoir une dimension étrangère dans la façon de ressentir leur corps. De quoi s’agit-il à ce moment-là, où le corps pourrait porter cette étrangeté ?

Pour reprendre René Leriche, pour qui la santé est la vie dans le silence des organes, on ne se sent bien dans son corps que dans la mesure où on ne le sent pas, autrement dit, on ne se sent bien qu’à la condition d’être soulagé de son corps. Ces patients atteints de souffrances d’expression somatique ont fréquemment avec leur corps un rapport embarrassé et douloureux et des difficultés de mobilité, ce qui pourrait être manifesté également au niveau de leurs paroles, comme l’a remarqué Charles Melman. Ceci en raison de l’appauvrissement de la circulation signifiante, qui tend à la pétrification, d’où le fait que l’association d’idées pourrait se trouver singulièrement réduite. Ceci serait dû à cette certaine présence de l’objet petit a dans le corps, ce qui peut évidemment entraver la fonctionnalité de l’organisme, car un corps n’est pas le même selon que l’objet petit a chute ou pas, et sa présence peut produire cette sorte de stase. En raison de cette stase dans le corps et dans la parole, la maladie abolirait la dimension subjective. Nous pourrons entendre dans cette direction la remarque de Bernand Vandermersch selon laquelle il y a, chez ces patients, un type d’adresse sans transfert, comme nous l’avons vu chez le patient de Charles Melman qui est venu sans supposition de savoir : sans aucune foi, ni intérêt, ni confiance.

Une certaine présence du petit a dans les phénomènes psychosomatiques chez un sujet névrotique, c’est un événement circonscrit, ce n’est pas une condition de structure, contrairement à ce qui se passe dans la psychose. Y serait en jeu une certaine présence du petit a dans le corps pour un sujet qui a subi la castration, qui a donc subi la coupure entre S1 et S2 avec la découpe de l’objet et qui, dans des circonstances précises, éprouve cette présence particulière avec cet effet de stase que nous venons de voir. Dans ce sens, l’holophrase serait dans ces phénomènes, différemment que chez le psychotique, un événement qui pourrait se mettre en place et opérer temporairement – comme nous l’avons vu dans ces deux cas.

Le déclenchement des phénomènes psychosomatiques serait une réponse dans le réel quand le sujet est interpellé là où il ne peut pas répondre, quand il est sollicité à un point qui est à la limite de la symbolisation. Nous pouvons voir dans le torticolis du patient, qui a une question par rapport à la filiation, un retour dans le registre du réel de ce qui n’était pas dûment symbolisé. Ainsi, tout comme le calque – soit, la traduction littérale dans une autre langue – dans le passage d’un registre à l’autre, quelque chose a été transcrit, décalqué sur le corps, à un moment où le sujet se trouve incapable de répondre à la tension psychique par une mise en forme discursive. Il s’agirait ainsi dans le tic d’un décalque sur le corps comme expression muette – répétitif comme les idées obsessionnelles, mais silencieux, sans paroles.

Lacan parle de psychosomatique dans la mesure où doit y intervenir le désir. En jouant avec l’homophonie, Charles Melman liait les tics (en deux mots) à un problème avec l’éthique (en un mot), celle du désir. Dans la sagesse de la langue, nous pouvons retrouver qu’en portugais, tic se dit cacoete, qui vient du latin cacoëthes, « mauvaise habitude », « plaie maligne », lui-même venant du grec kakós, « mauvais », et éthos, « coutume », terme qui est également à l’origine du mot éthique – qui démontre que l’éthique et les tics ont la même racine. Étant donné ce qui a été apporté par Charles Melman à propos de ses deux patients, il est curieux de retrouver dans l’histoire des mots cette liaison entre tic et plaie maligne. Les levées de leurs maladies motrices à travers l’adresse de parole, et conséquemment de leur fonction protectrice contre la carence de l’instance phallique, ont été suivies par l’irruption de la maladie cancéreuse. Par rapport à cette dernière, nous pourrions dire qu’ y est en jeu un certain phénomène de comblement et trouage du corps : la tumeur peu combler des trous anatomiques et en même temps ouvrir des trous où normalement il n’y en avait pas. Pour Bernard Vandermersch, l’arrivée des phénomènes psychosomatiques est sans angoisse et, pour Charles Melman, une diminution du torticolis augmente la pression de l’angoisse; dans ce sens, le torticolis pourrait être lu comme une défense contre cette dernière. Quelles figures topologiques pourraient nous aider là-dessus? Dans la séquence de la suppression des tics dans ces deux cas, y aurait-il eu lieu une déformation du nœud du sujet?

Que dire de la remarque de Charles Melman sur l’importance du regard chez ces patients? De quelle jouissance s’agit-il pour ces patients atteints de souffrances d’expression somatique? Y serait en jeu une jouissance de leur corps par leur propre corps, a dit Charles Melman. Il s’agirait dans ces phénomènes de quelque chose qui se passerait hors langage mais dans le corps, quelque chose qui serait hors des limites de la jouissance phallique, une des faces de la jouissance de l’Autre. Pour Jean Brini, il y aurait le décoinçage de l’objet a et son irruption dans l’imaginaire, ce qu’il illustre par la mise en continuité des registres du symbolique et du réel[4], de façon que le petit a deviendrait libre de se répandre dans tout le domaine délimité par le rond de l’imaginaire, champ où Lacan localise le corps. Il propose que cette mise en continuité des registres du symbolique et du réel pourrait être une des figurations de l’holophrase. Que dire sur le fait que la jouissance phallique n’y serait plus un tryskel? « Le triskel signale un point de la structure qui possède une certaine permanence », affirme Jean Brini, et dans ce sens, la jouissance phallique serait dans un endroit fragile où sa permanence ne serait pas assurée. Cette figure illustrerait donc la présence de l’objet petit a qui n’est plus coincé et se répand dans le corps, chez ces deux patients dont nous a parlé Charles Melman, lesquels éprouvent l’apparition, dans leurs tics, de ce qui autrement devrait rester voilé et chez qui la jouissance phallique serait mise à mal.

Ceci pourrait être illustré également d’une autre façon par le cross-cap, comme proposé par Bernard Vandermersch. Si la coupure en double boucle peut instituer deux morceaux, c’est-à-dire une bande de Mœbius et un disque biface, la coupure simple peut annuler la structure mœbienne du cross-cap, de sorte qu’elle ne découpe aucun objet et où toute la surface prend les propriétés de ce dernier. D’où le caractère paralysé, la stase chez ces patients. Si, par contre, on continue jusqu’à faire un triple tour, on est donc amené à faire quelque chose qui se répétera indéfiniment. Ceci est la figure proposée par Bernard Vandermersch pour aborder la névrose obsessionnelle, où l’objet serait découpé, mais maintenu en place : il n’y serait pas renoncé. Charles Melman remarquait la proximité entre les idées obsessionnelles et les tics. Il y a dans ces deux manifestations des formes particulières d’une certaine présence du petit a, que le cross-cap peut illustrer donc : Par le ‘défaut de fermeture’, la problématique de la séparation du petit a chez l’obsessionnel ; et pourrait-on dire plus radicalement, la transformation du corps en un sac à double face dans les phénomènes psychosomatiques, quand la coupure simple ne découpe pas l’objet, transforme la surface entièrement en un disque, de sorte qu’on ne peut plus passer d’une face à l’autre, c’est-à-dire que la structure moebienne de l’inconscient est annulée et toute la surface prend les propriétés de l’objet.

Je souhaiterais vous adresser ces questions qui m’interrogent et sur lesquelles nous continuons de travailler. Il s’agit d’un abord tout préliminaire de ce questionnement et d’une tentative d’un exercice de lecture par la topologie, tâtonnant de ma part, mais qui me paraît la seule issue pour aborder la problématique du corps, et c’est là la raison pour laquelle je me suis permise de vous adresser ces interrogations. Est-ce que ce que je viens de partager avec vous sur les souffrances d’expression somatique fait écho à ce à quoi vous êtes confrontés dans vos cliniques? J’aimerais beaucoup vous écouter sur vos propres impasses, sur ce qui vous interroge dans vos pratiques sur ce point précis.

[1] Comme vous pouvez le voir sur la figure 1.
[2] Comme vous pouvez le voir sur la figure 2.
[3] Comme vous pouvez le voir sur la figure 3.
[4] Comme vous pouvez le voir sur la figure 4.
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