Les temps de l’angoisse
20 décembre 2023

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AREL Pierre
Journées d'études

 

 

Journées d’étude de l’ALI, Le Collège de Psychiatrie et l’AfB
« Le temps logique » de Jacques Lacan
2 et 3 décembre 2023
Intervention de Pierre Arel 

Les temps de l’angoisse

Dans le temps pour comprendre, chacun doit soutenir une hypothèse fausse qu’il attribue à l’autre. Ce qu’il a à comprendre pour arriver à une conclusion, c’est que cette hypothèse est fausse, et que c’est son hypothèse et non celle de l’autre. Ceci implique que pour soutenir une conclusion, il lui faut laisser tomber deux choses :

–          d’une part que c’est l’autre qui sait

–          d’autre part que son hypothèse n’est pas vraie, et que donc elle est caduque, elle tombe.

Nous avons affaire, à la charnière entre le temps pour comprendre et le moment de conclure à un temps d’angoisse qui est le temps qui précède la cession de l’objet. C’est ce que dit Lacan dans la dernière leçon de son séminaire sur l’angoisse où il pose la question de savoir de quoi l’angoisse doit être considérée comme le signal. À quoi il répond que « l’angoisse se situe à un niveau, à un moment antérieur à cette cession de l’objet. Il ajoute que l’angoisse se manifeste sensiblement dès le premier abord comme se rapportant, et d’une façon complexe, au désir de l’Autre, alors que je ne sais pas quel objet petit a je suis pour ce désir. » (3/7/1963)

Bien des éléments permettent de soutenir que ce temps charnière entre le temps pour comprendre et le moment de conclure est aussi celui de l’angoisse, c’est-à-dire du temps antérieur à la cession de l’objet. Un des arguments les plus solides est que ce temps-là est celui d’une décussation entre ce qui se passe du côté de l’Autre et de mon côté.

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Vous voyez sur ce schéma à l’étage du haut, que l’on peut considérer comme un temps, que le sujet bien installé de son côté a affaire à un Autre tout aussi bien installé de son propre côté. Ce qui se produit entre les deux a à voir avec la jouissance, sans que le sujet ne sache ce que l’Autre lui veut ni quel objet participe à cette jouissance. Quoi qu’il en soit, cette production de jouissance connaît des ratés, ce que le sujet peut éprouver dans son corps sans pouvoir dire dans un premier temps ce qui suscite ces désagréments, qui sont les désagréments de l’angoisse. C’est à partir de ces ratés de la jouissance que peuvent surgir, dans un temps nouveau, les questions sur ce que veut l’Autre et sur la validité de la réponse que le sujet croit apporter à ce manque. Le manque de l’Autre devient ainsi une question pour le sujet, d’où cette décussation puisque ce manque passe du côté du sujet, ce que Lacan appelle mon côté, dans le même temps où il fait passer le sujet au champ de l’Autre.

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Tout au long de ce séminaire Lacan fait entendre que non seulement l’angoisse est à repérer dans la topologie des rapports du sujet à l’Autre, avec cette décussation entre le côté du sujet et le côté de l’Autre qui mérite aussi d’être considéré par rapport à la topologie du mur mitoyen opposé à la topologie du sujet dans un rapport mœbien à l’Autre, mais à la toute fin de ce séminaire il précise, ce qui est implicite jusque-là dans ce tableau qui inscrit les étapes qui font passer le sujet de la jouissance au désir en franchissant l’angoisse, à savoir que l’angoisse comporte une dimension temporelle dont l’intérêt majeur est qu’elle nous signale le temps antérieur à la cession de cet objet si important à repérer dans la pratique analytique, l’objet petit a cause du désir.

Il y a une topologie de l’angoisse de laquelle nous ne pouvons pas dissocier sa temporalité particulière qui partage beaucoup avec la temporalité du temps logique.

Repérer cette temporalité dans la cure analytique nous permet de mettre en perspective des éléments qui sans cela pourraient nous paraître disparates, et de repérer beaucoup plus facilement les moments de surgissement d’éléments nouveaux, d’éléments qui n’étaient pas déjà là antérieurement. Un des intérêts majeurs du temps logique est de nous faire suivre la genèse d’une solution qui n’existait pas antérieurement. La solution n’était pas présente dans la synchronie des symboles disponibles au temps de départ.

Il y a à garder en tête qu’une cure analytique peut permettre de trouver une solution qui n’était pas déjà là. Cette absence de solution est là dès les entretiens préliminaires, et joue un rôle tout au long d’une cure. Dans le corps à corps des entretiens préliminaires, il est important de dégager ce point d’absence de savoir tant du côté de l’analyste que de l’analysant, si nous voulons que le travail de la cure puisse commencer. Nous sommes souvent sollicités lors des entretiens préliminaires à produire un savoir, que nous n’avons pas, sur ce qui ne va pas chez celui qui s’adresse à nous. Dans le séminaire sur L’envers de la psychanalyse, Lacan dit très bien que c’est l’analyste qui invite le sujet à passer du côté du sujet supposé savoir en le laissant prendre la parole. Ce qui déjà participe à cette décussation entre mon côté et le côté de l’Autre, et contribue à commencer à mettre une barre tant sur l’Autre que sur le sujet.

L’angoisse est présente dans l’analyse, ce qui peut s’entendre dès la prise de rendez-vous au téléphone. Celui qui vient demander de l’aide à un psy se présente alors comme étant dans une période de crise dont il fait un récit, une historisation qui remonte plus ou moins loin dans le temps et lui sert d’explication, lui fournit une cause à ce qui lui arrive. Cette historisation peut aller du récit très court de ce qui a pu constituer un accident, un heurt récent qui sert à lui tout seul d’explication à ce qui ne va pas, au récit long de l’histoire d’une vie ponctuée de divers événements vécus eux-mêmes comme des heurts ou des accidents.

Ce deuxième cas de figure, où l’historisation est plus ample, peut nous paraître une situation plus favorable pour la mise en place d’un travail analytique, puisque nous pouvons considérer que dans ce cas-là un certain temps pour comprendre a déjà été élaboré. Mais néanmoins la présence de cette historisation ne suffit pas, loin de là, à assurer que le transfert de travail se mette en place. Dans son séminaire sur l’angoisse, leçon du 23/1/63, Lacan parle de l’acting out comme d’une amorce de transfert, et ajoute que c’est un transfert sauvage, un transfert sans analyse. C’est là qu’il pose la question de savoir comment ce transfert sauvage on peut le domestiquer : « comment faire rentrer les éléphants sauvages dans l’enclos, et le cheval, comment on le met au rond, là où on le fait tourner dans le manège ? » C’est-à-dire, pour en revenir à notre apologue du temps logique, comment faire pour que celui qui s’adresse à nous veuille bien jouer le jeu des devinettes qui pourraient le conduire à trouver non pas quel rond il a sur le dos, mais quel objet il peut être pour le désir qu’il suppose à l’Autre ?

Je vais prendre un petit exemple clinique, une situation où la présence d’une histoire ancienne très élaborée n’a pas constitué un élément suffisant pour faire entrer le cheval dans le rond. C’est une jeune femme qui m’appelle en me disant qu’elle souhaiterait que je lui fasse un certificat concernant un diagnostic d’hypersensibilité sur fond de troubles du spectre autistique. Elle m’a dit cela au téléphone, à quoi j’ai répondu que je ne fais jamais de certificats dans de telles conditions. A quoi elle me rétorque qu’elle souhaite quand même avoir un rendez-vous pour m’exposer la situation. Je la reçois et elle se lance dans l’histoire de sa pathologie, sans revenir sur sa demande de certificat. Pendant plusieurs entretiens, elle me parle de cette hypersensibilité qu’elle a connue dès son enfance et qui sans nuire à sa scolarité ont rendu difficiles toutes ses relations sociales. Elle venait de terminer ses études, avec une certaine réussite, et ses débuts dans la vie professionnelle étaient une catastrophe en raison de ce qu’elle appelait son hypersensibilité, qui était de fait une présence très forte de l’angoisse. La moindre anicroche à ce qu’elle considérait comme la marche du monde déclenchait chez elle rumination et angoisse jusque très tard dans la nuit. Bien sûr elle était épuisée tant par sa vie professionnelle que par ses relations sociales. Elle vivait dans une collocation avec trois autres femmes. Se disant elle -même asexuelle, ses relations avec elles qui rangeaient leur vie sous l’une des nombreuses lettres L.G.B.T.Q.I.A… étaient particulièrement compliquées, en raison surtout de l’intransigeance de leurs demandes et de la sensibilité qu’elles pouvaient manifester les unes comme les autres dès lors que la réponse ne convenait pas. Bref c’était très très compliqué. Elle a parlé aussi de la relation qu’elle a avec ses parents, qui se sont mis au service de sa demande dès lors qu’ils ont décidé de rester ensemble alors que plus rien de l’amour et du désir n’existait entre eux. Dans ces différents registres historiques, il s’entendait bien ainsi que sa demande hypertrophiée la conduisait aux déconvenues les plus cruelles et à éprouver une angoisse particulièrement forte.

Aussi ce qui devait arriver arriva, elle revint sur sa demande première de certificat à laquelle je répondis par un refus, à la suite de quoi elle passa son chemin et ne revint plus jamais me parler de son hypersensibilité.

Elle a refusé d’entrer dans le manège du transfert de l’analyse, et est restée dans le transfert sauvage de cette demande qui revient tôt ou tard à se boucler sur le besoin, dans ce qui vient constituer une holophrase.

Cette situation, somme toute banale, se joue autour de ce temps de l’angoisse antérieur à la cession de l’objet. Ce qu’elle ne lâche pas ici, c’est ce diagnostic qui est un autodiagnostic, mais pas que auto puisqu’elle est allée le chercher chez un Autre qui n’est pas très contrariant avec la demande, puisqu’elle a fait son diagnostic à partir de ses lectures sur Internet.

Si l’on rapporte cela au temps logique, nous pouvons situer son refus tant du côté de ce qui se passe à l’instant du regard qu’au niveau du temps pour comprendre.

Ce qu’elle refuse dans le temps de l’instant du regard, c’est le déjà là du directeur de la prison dont le lexique est limité, pris dans un ensemble fini de termes. Il y a chez elle comme chez beaucoup de ses contemporains ce refus marqué de tous les savoirs antérieurs, des textes et des histoires qu’elle estime illégitimes tant pour rendre compte de son rapport au travail qu’à la sexualité.

Ce qu’elle refuse du temps pour comprendre est à situer du côté de son refus de prendre en compte ce qui rate, les scansions suspensives que sa fuite radicale empêche de prendre pour des éléments signifiants. Même si elle accepte de faire un pas de deux avec un psychiatre, ce ne peut être que pour le faire réfléchir et accéder à ce qu’elle dit être, quelqu’un qui n’est pas apte au travail et à la sexualité, et qui réclame que l’autre subvienne à ses besoins à vie. Il ne fait aucun doute qu’elle obtiendra gain de cause pour cela. Le prix à payer de cette entourloupe est élevé si l’on considère qu’elle risque fort de végéter entre jouissance et angoisse comme elle l’a fait tout au long de sa courte existence.

Si ce que je vous dis là n’est pas trop erroné, la mise au rond du demandeur fait de lui un analysant qui accepte à la fois de mettre en question ses hypothèses premières et de s’en remettre au hasard des associations libres. Ça n’a l’air de rien, mais l’acceptation de s’en remettre à l’association libre est quelque chose qui fait horreur à plus d’un, ne serait-ce que parce que cela oblige à renoncer à une approche logico-déductive qui permet d’isoler une cause à partir de ses antécédents. Ce qui supposerait que tout système formel permet avec les éléments en présence de trouver la réponse, et donc que la réponse est déjà là et qu’il suffit d’aller la chercher là où elle est. Alors que l’association libre invite à s’en remettre au hasard de la rencontre de chaînes signifiantes hétérogènes, aux trébuchements de la parole qui viennent ouvrir des questions là où il n’y en avait pas, c’est-à-dire là où le récit tourne en rond.

Faire rentrer le cheval dans le rond ne suffit pas pour qu’un travail analytique se mette en œuvre. Le manège risque de tourner en rond ou encore de s’infinitiser dans le maintien de l’hypothèse fausse. Il y a forcément un temps long de l’analyse qui consiste en la mise en place d’une historisation, d’un récit qui établit des rapports entre différents protagonistes et vient donner du sens à ce qui n’en avait pas.

Exemple : je reçois un homme qui a derrière lui un long passé psychiatrique inauguré par des épisodes délirants dans sa jeunesse sur lesquels il a été posé un diagnostic de schizophrénie. Comme vous avez peut-être pu le remarquer, un tel diagnostic équivaut chez nombre de professionnels à ce qu’ils disent à leurs patients : cause toujours, tu m’intéresses ! Bref je le reçois, je l’écoute, et pendant deux ans il va essentiellement parler de l’attente déçue d’une parole venant de sa mère. Sa mère, précocement orpheline de ses deux parents, était dramatiquement silencieuse. Elle a pu s’occuper de ses deux enfants pour ce qui concerne leurs besoins, mais pour le reste rien. Le décès de sa mère ne change rien dans un premier temps, puis il en vient à parler un peu plus souvent son père avec qui il a une très bonne relation, dont il découvrit les qualités humaines et une certaine joie de vivre. Cet homme est par ailleurs très attentif aux autres et leur prodigue très régulièrement des paroles d’encouragement des marques de sympathie. Il témoigne ainsi séance après séance d’un idéal d’oblativité, de don de sa personne, auquel il se conforme au quotidien. C’est sur le fond de ce tournage en rond ronronnant que surviennent deux séances qui vont faire césure. La première commence par une phrase scatologique qui détonne complètement avec son vocabulaire courant. La deuxième a commencé par un vœu de mort manifeste sur la personne de son père qui là aussi a détonné sur les grandes déclarations d’amour qu’il pouvait faire avant. A chacune de ces séances, il a été très étonné de ce qui était sorti de sa bouche et a essayé de noyer le poisson, c’est-à-dire de faire comme s’il n’avait rien dit, ou encore que ça n’avait aucune valeur de vérité. Mon souci au cours de ces deux séances a été de faire en sorte qu’il n’annule pas complètement ce qu’il a dit. Les effets de telles séances ne peuvent se juger qu’après coup. Ici cela a infléchi le cours de son récit puisque à la fois cela permit l’émergence de nouveaux souvenirs ou encore une réinterprétation de souvenirs infantiles dans lesquels l’objet anal tient une place centrale dans ses relations à l’autre.

Cette période fut en même temps accompagnée d’une réémergence de l’angoisse qui dura plusieurs mois.

Ces associations tournaient toujours autant autour de la perte d’amour. Plusieurs fois il revint sur une chanson qui relatait une séparation sur un quai de gare. Elle renvoyait à une séparation douloureuse. Il se demandait comment on peut écrire une histoire si proche de la sienne sans avoir eu d’informations sur elle. Sans être véritablement délirant, il s’interrogeait sur la puissance du savoir de l’Autre.

Ce n’est que très progressivement que ses associations se sont sexualisées, et que concomitamment ses angoisses ont décru. Il en est venu à se questionner sur ses deux relations amoureuses qui malgré leur longueur n’ont jamais abouti à une sexualité. Et surtout il a découvert que les filles auquel il s’intéressait de manière platonique jusque-là réveillent chez lui son désir sexuel.

Je vais vite sur cet exposé clinique qui, je trouve, résonne bien avec ce que nous avons entendu mardi sur la castration et sur la sexualisation de la perte pure. Comme il a été bien dit, les objets petits a n’ont pas besoin de la castration pour exister. Mais par contre, l’existence de l’objet a n’a pas la même conséquence selon qu’il est interprété dans la castration ou en dehors. Seule, me semble-t-il, la castration permet la migration vers le désir, vers un sujet désirant. Sinon c’est un aller-retour infini entre jouissance et angoisse.

C’est à ce niveau que le temps logique peut nous être d’un apport précieux, en raison de cette décussation entre côté du sujet et côté de l’Autre qui est un passage obligé pour qu’un sujet assume son désir. Sans quoi il va toujours se vivre comme la marionnette ou la victime de l’Autre.

Dans son texte « Le temps aura manqué »[1] sur le mur mitoyen, Bernard Vandermersch parle de la présence d’un idéal dans la paranoïa, et d’un idéal sans désir, « asexué, c’est-à-dire trop clair, univoque ». Il parle aussi de la demande d’amour qui fait holophrase autour de l’objet du besoin. Ce qui fait un trajet en boucle fermée. Il attribue cela à l’absence de rétrojection de l’objet par le franchissement du fantasme, ce qui fait que l’objet n’est pas avant le sujet, temporellement mais devant, spatialement. D’où le mur mitoyen.

Le temps logique peut nous permettre de rendre compte de cette retrojection de l’objets a si l’on considère que le raisonnement qui est attribué aux deux autres est celui du sujet lui-même. C’est-à-dire que cet objet déchet qu’il pensait être dans le raisonnement de l’Autre va passer au champ de l’Autre.

Pour en revenir à cet homme, il était dans une holophrase de la demande d’amour corrélée à un besoin, puisqu’il revenait en permanence sur le silence de sa mère qu’il attribuait, non sans raison, au deuil de ses parents décédés tous les deux lors de la famine dans les hôpitaux psychiatriques en 1941. Après la mort de sa mère, la relation à son père s’est modifiée. Son père bien plus dans la parole, a eu des paroles beaucoup plus audibles pour lui. C’était un homme dans le désir, qui s’est trouvé une amie à plus de 90 ans, après le décès de sa femme. Et son fils ne tarissait pas d’éloges sur lui. Les paroles de ce père pouvaient avoir une grande portée. C’est ainsi qu’il dit un jour à son fils : tu es passé à côté de ta vie ! Les propos du fils pouvaient conduire à cette répartie, lui qui était si souvent dans les regrets et la plainte.

Comme je vous l’ai dit, il émit un vœu de mort au début d’une séance : mon père je veux qu’il crève !

Nous pouvons nous interroger sur la force de ce dire du père, tu es passé à côté de ta vie, qui est une affirmation qui allie la topologie et la temporalité. Que dans les suites de ces dires, et dans le fil de la cure de parole, il manifeste le souci de prendre la responsabilité de sa vie, et de son désir, nous fait entendre ce que peut être la puissance d’un dire, et d’un dire sexué qui sort de cette vie qui se rêve comme éternelle de celui qui tourne en boucle dans sa demande d’amour.

Lors des journées de 2004 sur le temps[2], il a été souligné combien le temps peut-être une défense. Cette défense n’est jamais aussi forte que lorsque la demande d’amour, et l’idéal, sont corrélés au besoin.

Ce que l’on appelle l’écoanxiété en est une bonne illustration, qui nous promet quoi que nous fassions une fin prochaine de l’espèce humaine, et même de la vie sur terre, et en vient à prôner une préférence pour la vie animale. Dans son unique leçon sur les noms du père, Lacan a fait valoir que la métaphore paternelle nous coupe de nos origines biologiques. C’est-à-dire que cela nous coupe d’un déjà là corporel, pour prendre appui sur un signifiant qui n’était pas déjà là.

Le temps logique nous oblige à considérer comment il faut, pour produire un signifiant nouveau, en passer par du déjà là, et à aller au bout de la logique à laquelle ces signifiant nous mènent, c’est-à-dire à leur ratage, puis à prendre ce ratage à son compte. C’est-à-dire de prendre à son compte la faute, le défaut, qui n’est plus celle du père ou du collectif.

Il y aurait beaucoup de points à développer. Je choisirais pour terminer ce seul point, qui est relatif à la place de l’analyste et sur ses modes d’intervention. Si Lacan a parlé du corps à corps des entretiens préliminaires, il a beaucoup plus insisté sur le silence de l’analyste, en ce qui concerne tout particulièrement une réponse à la demande, dont il doit s’extraire inconditionnellement. Ce silence, couplé à des interventions réelles sont autant de moyens de scander le propos de l’analysant, de faire entendre ce qu’il dit, et d’en faire un dire.

Dans son livre « les fantaisies du temps »[3] Jean-Jacques Gorog revient plusieurs fois sur le « je ne vous le fais pas dire ». Ce « je ne vous le fais pas dire » est une façon d’inviter à franchir la décussation entre côté du sujet et côté de l’autre, et de prendre la responsabilité de ce qui se dit. Sans quoi il y a mille façons de se défausser et d’en laisser la responsabilité à l’autre, et de rester dans son innocence éternelle.


[1] Bernard Vandermeersch, le temps aura manqué, Le mur mitoyen dans la clinique des psychoses, nouvelles remarques sur la catégorie de l’espace II, Journal Français de Psychiatrie, Erès, Toulouse, 2023.
[2] Le temps dans la psychanalyse, journées des 20 et 21 mars 2004, cahier de l’association lacanienne internationale, Paris, 2009.
[3] Jean-Jacques Gorog, les fantaisies du temps, Herman psychanalyse, Paris, 2023.

 

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