Pas sans la psychanalyse
20 juillet 2023

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Journées des cartels

 

Pas sans la psychanalyse

Valérie LEGON

 

Je souhaitais aujourd’hui témoigner du cartel auquel j’ai pris part l’année précédente. C’est lors d’une journée comme celle-ci où j’ai entendu parler Richard de la question qu’il souhaitait mettre au travail « suis-je psychanalyste en dehors de la cure ? » que j’ai décidé de le contacter. Cette question m’a interpellée et son argumentaire m’a donné envie d’en discuter avec d’autres.

Je vous lis un passage de cet argumentaire[1] qui m’a convaincu : « En parcourant la littérature et la clinique, l’idée est d’essayer de trouver quels pourraient être les points d’appui et les repères pour un psychanalyste intervenant dans une institution du champ social (association de prévention spécialisée par exemple, Carud, Ase) ou bien encore au domicile des patients. Dans le champ du médico-sociale la psychanalyse ne fait plus référence et en est même exclue. A côté de cela, de plus en plus de praticiens sont amenés à intervenir au domicile. Du champ de l’exclusion au champ des nouvelles pratiques, qu’en est-il du discours analytique ? Peut-on encore dire que l’on s’y réfère ? »

C’était la première fois que je participais à un cartel, les autres membres également. Nous avons donc échangé lors des premières rencontres sur la question de ce qu’était le cartel et notamment sur celle du plus Un et de sa fonction. Nous avons vérifié que nous cochions toutes les cases, après tout c’est dans l’air du temps.

Dans son texte Thatyana Pitavy redonne les coordonnées du cartel énoncé par Lacan, elle mentionne « la structure nodale du cartel qui doit se supporter de ce triple trou tourbillonnant du désir[2] ».  

Au début nous nous sommes mis en quête d’un plus un. Des noms ont circulé, nous avions celui d’un psychanalyste confirmé et reconnu mais les jours n’ont pas correspondu. Je dois vous avouer une part d’excitation et de soulagement. Je pense que ma crainte était d’avoir quelqu’un du côté du savoir et du coup de me sentir moins libre de parler.

C’est pure imagination de ma part puisque la fonction occupée par le plus un ou par le psychanalyste dans la cure n’est pas de cet ordre. Il s’agit bien d’un savoir insu et pas de connaissance mais de ménager cette place vide afin que chacun puisse y dire une part de sa vérité subjective qui sans doute parlera à quelques-uns, tout en la discutant avec d’autres.

Jean Paul Hiltenbrand dans un texte sur le travail en cartel précise le moment qui n’est pas anodin selon lui où Lacan introduit ce dispositif. C’est au moment de l’acte de fondation de l’école, quand il écrit le séminaire sur les quatre discours, l’envers de la psychanalyse et un peu avant RSI et le nœud borroméen. Il mentionne qu’il y a eu en effet, à la suite de la présentation de son dispositif par Lacan, des discussions sur la question du +1. Je le cite : « ce plus une, plus un ne constitue nullement un lieu de maîtrise ou de chefferie, cela ne désigne pas le signifiant maître S1… ce n’est pas du tout la question. »[3] Je ne suis donc pas la seule à y avoir pensé.

Nous l’avons donc laissé vide cette place finalement mais peut-être pas sa fonction. Si cette fonction est celle d’interroger, de questionner ce qu’apporte chacun, cette fonction a tourné, circulé et chacun a pu l’occuper suivant l’objet de ses préoccupations et de son désir.

Nous avons donc laissé cette question du + 1 entre parenthèse pour parler de la question qui nous avait également réuni. « Suis-je psychanalyste en dehors de la cure? »

Pour ma part, je ne suis pas psychanalyste mais psychologue dans une institution médico-éducative et dans un sessad et tout de même en analyse donc je ne me retrouvais pas forcément dans la question mais dans l’argumentaire avec le désir de partager avec d’autres, mes questions.

Et ma question, je pourrais la formuler de cette façon : « Comment faire entendre la psychanalyse dans les institutions et services notamment en sessad et en IME où je travaille? »

Si la plupart des institutions ont un passé avec la psychanalyse, elle se tourne davantage vers les neurosciences dans une logique binaire qui n’est plus la même. Sur quoi s’appuyer dans sa pratique ? Quelle place a encore la psychanalyse?

Hiltenbrandt poursuit en parlant de l’origine du mot cartel, le « cardo » qui veut dire le gond qui permet d’ouvrir une porte et de la franchir. Cette assemblée ne peut manquer l’homophonie avec mon nom ! Je franchis en effet une nouvelle porte en venant parler ici.

D’autre part dans ce texte présenté à l’oral lors du séminaire sur l’angoisse de 2011, une personne a entendu con au lieu de gond, jeu de lettre très courant avec mon nom.

Et il m’est venu une association d’idée avec le nom de famille d’un de mes premiers patients, peut-être le premier patient qui m’a donné confiance et foi en la psychanalyse et s’en doute conduite en supervision.

C’est un jeune dont le nom de famille avait également une homophonie que je n’ai pas entendu tout de suite car il se prononçait différemment. C’est un jeune qui faisait peur. Il avait demandé par l’intermédiaire des éducateurs à me rencontrer hors de mon bureau. J’étais plus jeune à l’époque et je ne voulais pas que les éducateurs pensent que la psychologue n’osait pas sortir de son bureau, j’ai donc accepté.

Le jeune homme a voulu m’embrasser. Je lui ai donc dit que s’il souhaitait me rencontrer, ce ne serait pas sans conditions.

J’ai appris par la suite par ma collègue qu’il avait déjà tenté de l’embrasser et qu’il était monté sur les genoux du médecin psychiatre bref il n’était plus vu seul. C’était donc un transfert très chaud d’autant qu’il avait désormais 16 ans ! Quelque temps plus tard il m’a demandé à nouveau un rendez-vous. Je l’ai donc reçu et ce pendant trois ou quatre ans.

C’était un jeune analphabète et paradoxalement nous sommes passés par l’écrit grâce à la psychanalyste que je rencontre en supervision.

A chaque fin de séance, il écrivait son nom sur les cartons de rendez-vous et moi j’écrivais les histoires souvent très crues qu’il avait joué avec les Playmobil. C’est un jeune qui m’a mise souvent dans l’embarras et angoissée au début.

A chaque fois qu’il me croisait dans l’institution la première année, il me demandait : « Quant est ce qu’on va à l’hôtel ? ». C’est son nom de famille qui m’a rassuré et ce qu’il me disait à chaque fois qu’il rentrait dans mon bureau avec fracas. Pendant longtemps, il criait police et entrait en frappant très fort. Je luis disais systématiquement que s’il ne respectait pas le cadre il pouvait prendre la porte. Il me disait alors « je rigole » et s’installait pour se mettre au travail. Ce « je rigole » a fini par me rassurer quand j’ai entendu l’homophonie avec son nom de famille. Il plaisantait, il jouait à faire peur. Je me suis dit qu’il était forcément au travail.

Cette confiance, cette foi en la psychanalyse est parfois mise à rude épreuve. Je trouve difficile aujourd’hui de garder le cap au vu des discours (managériale ou scientiste) et des mots employés ou plutôt des acronymes qui circulent dans le social et dans les institutions de soins. C’est un florilège. Heureusement, le savoir insu se glisse parfois dans ses acronymes, apportant une bouffée d’air. Je pense au TOP (Trouble oppositionnel avec provocation) dont sont caractérisés beaucoup d’adolescents et d’enfants que je rencontre et qui souvent cherchent désespérément à justement être au top ! Injonction actuelle. Certains politiques peuvent en être également l’incarnation. Le RAPT, la réponse apportée pour tous qui confine en effet à l’escroquerie et au vol ?

Pourquoi une bouffée d’air ? sans doute parce que le discours psychanalytique ne récuse pas le réel et le signifiant du manque dans l’autre. Le séminaire d’été était d’ailleurs sur l’angoisse et l’angoisse c’est paradoxalement quand il manque de manque.

Comment ménager une place au savoir inconscient dans les institutions où circulent des connaissances qui sont de plus en plus normées et clivantes ? Comment ne pas perdre son âme et garder le cap ? Comment supporter l’angoisse ou l’impuissance que l’on peut ressentir parfois dans certaines situations cliniques et parvenir à se sortir de certaines impasses ?

Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui la psychanalyse soit à la marge ? Est-ce que la psychanalyse ou ceux qui s’en sont parfois fait les porte-voix dans certaines institutions ou média, pas analyste d’ailleurs ne l’ont pas dévoyé et en ont fait un instrument seulement de savoir et peut être de pouvoir ? La psychanalyse a diffusé et infusé dans certaines institutions pendant des années et cela perdure heureusement dans certaine parfois même sans qu’elle soit nommée. Qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui son vocabulaire tend à renvoyer au passé ou pire à hérisser? Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose ou un mal. Cela oblige à interroger et à défendre sa pratique, à la rendre plus lisible à la faire valoir sans j’espère la trahir.

Ce qui fait de la psychanalyse un discours précieux à mes yeux, c’est qu’elle n’est jamais là où on l’attend. Il y a toujours un pas de côté à faire.

Hiltenbrandt parle dans son texte sur le travail en cartel : « le groupe, c’est l’obscénité en expliquant que ce ne sont pas les individus qui sont obscènes mais que la fonction du groupe consiste à produire des obscénités.   Le dispositif du cartel est de 3 à 5 + 1. Le cartel dit-il se doit d’être en coupure ou rupture avec le grand groupe, l’association pour que se produise un acte au sens analytique. Et, il mentionne « 4 pôles : l’analyse, le contrôle individuel, la fonction du cartel et la relation à l’association. »[4]

Cette année m’a permis de me retrouver avec d’autres qui ne partagent pas forcément les mêmes préoccupations heureusement mais au moins le même langage.

Nous sommes trois aujourd’hui mais en réalité nous étions quatre +1.

Autant je trouve que ce qui fait avancer, c’est peut-être ce qui fait rupture mais c’est aussi nécessaire et d’autant plus aujourd’hui de pouvoir partager pour « asseoir » sa parole et pouvoir transmettre à ceux qui ne connaissent pas ou mal la psychanalyse.

Selon Anne-Marie Dransart, le cartel est « une charnière à la jonction entre l’engagement individuel dans un travail et la relation au collectif. »[5]

C’est sans doute pourquoi j’ai intitulé mon propos, pas sans la psychanalyse, que l’on peut entendre comme un pas de plus dans mon engagement envers la psychanalyse mais également un passant, un anneau du nœud à 4 pour que cela tienne ensemble.

Je me suis en effet sentie moins seule dans ma pratique et cela à relancer mon désir de lire et de discuter. J’ai donc ouvert des livres parfois restés fermés dans ma bibliothèque grâce aux membres du cartel. Ça m’a remise ou mise en mouvement. C’est le cas de le dire puisque je viens de Haute-Savoie et c’est grâce à la visio même si cela peut faire débat.

C’est un cartel qui va se poursuivre je l’espère même si l’un d’entre nous arrête malheureusement.

Tatiana Pithavy dans son texte parle du cartel comme d’un organe de base : « une fonction donc vivante, organique qui porte la vie de l’école. »

[1] « Suis-je psychanalyste en dehors de la cure ? » Richard Debret Site de l’ALI
[2] « Le cartel, pourquoi ? » Thatyana Pitavy
[3] Intervention de Jean Paul Hiltenbrand, journée de travail sur le séminaire L’angoisse févier 2011
[4] Intervention de Jean Paul Hiltenbrand, journée de travail sur le séminaire L’angoisse, févier 2011
[5] « Cartel » A-M Dransart, novembre 2015