Quelques remarques sur Die endliche und die unendliche Analyse"
17 mars 2012

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VENNEMANN Johanna
Séminaire d'hiver
Freud

Mais qu’est-ce qu’il veut, Freud ? Il se le demande lui-même : « Qu’est-ce qu’on entend si on utilise l’expression ambiguë, équivoque : « fin d’une analyse ? »  Et il répond : « en pratique, c’est facile à dire : une analyse est terminée quand l’analyste et le patient ne se rencontrent plus. Ceci arrive quand deux conditions ont été à peu près remplies : quand le patient ne souffre plus de ses symptômes… ». – Voilà : là, Freud n’écrit pas que les symptômes sont éliminés ! – et nous dirions avec Lacan : quand il est arrivé à un « savoir y faire avec ses symptômes », et un « savoir y faire avec la langue », surtout quand il veut devenir analyste. J’entends ce « savoir y faire avec » dans le sens de ce que Lacan exprime dans La Troisième, c’est-à-dire un déchiffrage qui consisterait « à apprivoiser le symptôme qui ne cesse de s’écrire du réel jusqu’au point où le langage en puisse faire équivoque ».

Freud continue : « l’analyse est terminée quand le patient a vaincu ses angoisses, ses inhibitions ». La seconde condition est que l’analyste juge avoir fait devenir conscient tant de matériel du refoulé, d’avoir éclairé tant d’incompréhensible, d’avoir vaincu tant de résistance, de ne pas devoir craindre la répétition des processus pathologiques en question chez le patient. Et puis, selon Freud, il y a une autre signification de la fin de l’analyse, à savoir que l’influence exercée sur le patient a été poussée assez loin pour qu’aucune continuation de l’analyse ne promette d’ultérieurs changements comme si – et heureusement, Freud écrit « comme si » ! – l’on pouvait avec l’analyse arriver à une « normalité psychique absolue  qui se maintient stable ». Freud ajoute qu’évidemment cela dépend de la pathologie, que c’est possible en théorie mais dans la pratique plutôt pas… Selon le cas. Il y a des si et il y a des mais. Je vous épargne tout cela.

Naturellement dans tout cela, pour Freud, il s’agit de réussir à apprivoiser les pulsions et de les mettre au service du moi, les faire entrer dans l’harmonie du moi (sic). Il faut maîtriser, apprivoiser la force des pulsions pour en finir une fois pour toute avec un conflit des pulsions. Ce serait une exigence de l’analyse pour guérir les névroses. Tout cela est impossible et n’est pas souhaitable, ajoute Freud.

Heureusement, Freud pose aussi la question de savoir s’il y a une fin naturelle de l’analyse et s’il est possible de la conduire à une telle fin.

Ce qui l’amène à dire qu’il faut se demander en fin de compte ce qui fait obstacle à la guérison, Heilung, analytique, et à parler (pas pour la première fois) du transfert. Et puis, est-ce que la Heilung est durable ? – l’analyse n’est pas une vaccination, dit-il. Et pour arriver à un épuisement minutieux, à fond, à une gründliche Erschöpfung, il n’est pas possible de raccourcir le procès de l’analyse.

Je ne parlerai pas ici de toute la question du patient qui veut devenir analyste – d’autres en parleront… Seulement ceci : quand Freud se met à parler de cette question, il utilise une seule fois le terme unendlich : si celui qui est devenu analyste devait faire une nouvelle tranche d’analyse parce que dans son travail il se heurte à ses propres résistances, alors de l’endliche analyse personnelle sera devenue une analyse unendlich.

On a envie de lui lancer un appel avec Clavreul ! « L’idée même d’une fin d’analyse est absurde ! Les gens qui disent avoir fini leur analyse ne veulent plus s’interroger, comme si leur analyse était morte ».

Je ne parle pas non plus ici de ce que Freud écrit sur le transfert – sur la question de l’Unendlich de la hainamoration du transfert, pour le dire avec Lacan.

Mais cherchons à voir un peu ce que peut avoir été la fin – dans tous les sens du mot français, pourquoi pas ? – d’une analyse, pour Freud. Comme vous avez pu remarquer, le texte en question ne nous aide pas beaucoup.

Alors ce qui me fait entre autres problème, c’est l’aisance avec laquelle il y parle de Heilung, de « guérison » comme exigence de l’analyse. Une des remarques de Lacan sur ce qu’il en est de la guérison est : « Guérir c’est couvrir ce qui ne va pas », ce qui cloche  – c’est le Réel.

Freud n’avait-il pas dans le passé mis en garde ses disciples contre l’abus de ce désir ce Wunsch de Heilung, en tant qu’ambition thérapeutique de l’analyste, contre le furor sanandi qu’il avait appelé une tendance affective dangereuse qui met l’analyste en danger de s’exposer aux résistances du patient ?

Tout au plus, le Heilungswunsch est du côté du patient en tant que désir de – ne pas vouloir guérir – et, heureusement, Freud en parle aussi dans l’Unendliche Analyse – ne pas vouloir guérir à cause du bénéfice secondaire, à cause de la culpabilité liée au Surmoi et – à cause de la pulsion de mort en somme, laquelle enlève d’emblée tout espoir dans l’harmonie entre l’homme et la femme, l’homme et le monde, l’homme avec lui-même, et entre son bien, son bien-être et son désir.

Freud dans d’autres écrits sur la technique du traitement et dans la Laienanalyse (La question de l’analyse profane) arrive jusqu’à mettre le mot « guérir » entre guillemets, quand il se demande, jusqu’à quel point le névrotique peut guérir. Et dans l’Abriss (L’Abrégé de la Psychanalyse) il parle de Bedürfniss nach Genesung, de « besoin de rétablissement, de convalescence ».

Ce mot Genesen est fort riche en allemand et me plaît beaucoup par rapport à ce qui peut arriver dans une analyse portée à sa fin (à chacun la sienne !).

Là où Heil implique une complétude sans manque, Genesen signifie du point de vue de l’étymologie : 1. Lebend davonkommen, « avoir la vie sauve », « en réchapper vivant », et 2. entbunden werden, « être délié » dans le sens de « naître ».

Alors ne s’agit-t-il pas dans une analyse de naître au désir en le reconnaissant, et aussi de se délier du désir de la mère et de vivre malgré le fait de ne pas être le phallus, de réchapper à la mort du désir ?

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