Je voulais vous proposer quelques remarques et questions qui font référence à quatre points.
1. Tout d’abord l’exposé de Marc Darmon à l’EPEP intitulé « Ça se noue dans l’enfance ». Dans cette conférence, Marc Darmon nous avait dit que Lacan disait : « On ne modifie pas le nœud ». Une fois que c’est noué, c’est noué. Mais Marc Darmon rappelait : « encore faut-il que le nœud soit noué avant de pouvoir dire qu’il ne peut plus se modifier ». Les psychanalystes d’enfant interviennent précisément là où ça se noue. Il nous avait également parlé du cas « Dick » de Mélanie Klein, sur lequel je reviendrai.
2. Le deuxième point concerne la leçon 3 du séminaire RSI, leçon du 14 janvier 1975, notamment ce que Lacan avance concernant Freud, le complexe d’œdipe et le nouage.
« Il a fallu à Freud… 4 consistances pour que ça tienne. Ce qu’il appelle réalité psychique a un nom, c’est ce qui s’appelle complexe d’œdipe… sans le complexe d’œdipe, rien ne tient, rien ne tient de l’idée qu’il a de la façon dont il se tient à la corde du symbolique et du réel… le complexe d’œdipe, il est implicite dans le nœud. …Se nouer autrement, c’est ce qui fait l’essentiel du complexe d’œdipe ».
3. Le troisième point se rapporte à quelques bribes d’une cure d’un enfant qu’on peut maintenant dire névrosé. Cure qui m’a semblé montrer un nouage à l’œuvre dans la cure elle-même.
4. Je vous parlerai enfin de la cure d’une enfant pour laquelle la question tourne autour d’un nouage premier.
Le cas Dick :
Par rapport au cas Dick, que s’est-il passé avec l’intervention de Mélanie Klein : le grand train, papa, le petit train, Dick, et aussitôt, Dick se met à jouer avec le petit train et le fait rouler, et dit « Station ». Mélanie Klein dit : « Dick entre dans maman ». Dick se précipite ensuite dans cet espace, cet entre-deux noir.
À partir de son savoir, elle fait une interprétation, elle crée un inconscient chez Dick. On peut dire que chez Dick, les trois registres Réel, Symbolique, et Imaginaire sont là, dissociés, superposés, mais pas noués (Figure 1). Peu d’imaginaire, pas d’appel, exclusivement du réel. Mélanie Klein fait du nœud en injectant de l’œdipe comme rond quatrième (Figure 2). Elle permet ce nouage. Mélanie Klein introduit un nom du père. Lacan rappelle que pour que le complexe d’œdipe soit implicite, il faut pour avoir le même effet que le nouage à 4, il y suffit de faire passer en ces deux points marqués d’une flèche ce qui était dessous dessus (Figure 1). Il faut que le réel surmonte le symbolique pour que le nœud soit réalisé.
L’intervention de Mélanie Klein opère la constitution d’un nœud borroméen où il y a le réel qui surmonte le cycle « œdipe + symbolique ».
Question : Dans la mesure où il est implicite (complexe d’œdipe), il ne figure pas dans l’écriture du nœud borroméen. L’intervention de Mélanie Klein est-ce que c’est un nouage qui comprend le complexe d’œdipe comme rond quatrième (Figure 2) ou est-ce que ça opère un nouage avec l’implicite du complexe d’œdipe (Figure 3) ?
Le cas de Nelson :
Je voulais insister, par rapport à ce cas clinique, sur un tournant dans la cure. Cure qui a duré deux ans et demi, d’un enfant que j’ai reçu à l’âge de quatre ans et demi pour une rétention anale sévère. Il se présentait, malgré une symptomatologie obsessionnelle, comme un enfant assez égaré. Peu de productions imaginaires, au début de la cure, il était difficile de trancher : Névrose obsessionnelle ou psychose. Ce garçon a fourni un travail d’emblée sur le symbolique. Je vous rapporte ce qui m’a paru marquer un tournant dans le travail, et comment on peut le lire avec RSI.
On fait des colères. On fait trop de colères. Ça se passe très bien… pas trop. Des histoires de caca, ça va bien mais pas trop. Des fois, je retiens. Je fais un peu pour de vrai que je décide pas pour papa et maman. J’ai plus envie de faire caca.
Ça va très bien à la maison. Je me mets en colère …parce que je me fais mal moi-même. Si maman dit d’arrêter, alors, j’essaie de comprendre que ça va pas, qu’il faut faire sa vie. Je monte dans ma chambre, je réfléchis, tout le monde fait sa vie sauf moi.
Le caca, ça fait très bien, mais ça va pas très bien. J’ai jamais envie de faire caca. Le caca a pas envie de sortir.
Mon papa et ma maman, c’est eux qui décident. Un garçon qui commande, qui décide, il dit ce qu’il faut faire à ses enfants. Mon papa, il peut le faire. Il peut pas commander et décider. C’est pas possible, parce qu’il faut choisir. Papa, il a choisi de décider. Moi je préfère faire ma vie. Je pense une fille, elle peut pas commander. J’aime les garçons qui commandent.
Des fois, papa, il choisit qu’il va décider. Il va décider et commander. Comme il veut choisir les deux j’aime pas trop. Mon papa, je veux qu’il commande, et ma mère qu’elle décide. Moi je préfère faire comme papa. Je trouve que maman elle commande un petit peu. Je dirais un garçon commander, une fille pour décider. Je veux pas qu’une fille commande. Je veux qu’une fille décide.
Suite à ces quelques séances, petit à petit s’est opérée une modification dans la cure et dans ses propos : productions imaginaires dans les dessins, apparition du « trois » dans ses propos et ses dessins, et petit à petit, l’objet, le caca, en l’occurrence, s’est dématérialisé parce que, marqué symboliquement, il pouvait être perdu. On peut dire, il me semble, que ce travail sur le symbolique que Nelson a fourni comme si c’était vital pour lui, lui a permis de mettre en place un ordre symbolique qui n’était pas en place.
Figure 4
Ne s’agit-il pas là d’une opération de bouclage du symbolique qui ne s’était pas fait auparavant ? Les trois registres pour Nelson sont là, et tressés. C’est le bouclage du symbolique qu’il cherche à faire. C’est ce qui lui donnait cet égarement. Ce qu’il a pu opérer dans le transfert, sans interprétation particulière, c’est ce bouclage là.
Le cas de Christine
Il s’agit du cas d’une petite fille, Christine, que j’ai reçue à l’âge de quatre ans et demi et suivie pendant de nombreuses années. Élevée par sa mère et son père jusqu’à l’âge de quinze mois, elle fut ensuite confiée à une famille d’accueil. Le père continuait à s’en occuper un peu. Sa mère était psychotique et avait des absences d’origine neurologique qui entraînaient des blancs dans sa parole et dans ses actes. Deux symptômes étaient frappants chez Christine : elle se laissait tomber contre la jambe de l’adulte, difficulté de verticalité d’une part, et d’autre part, elle avait un jargon très important.
Je n’ai pu rencontrer son père qu’assez tard après le début de la cure, et ce que j’ai appris à cette occasion est la raison pour laquelle je vous en parle aujourd’hui. Quand son père, qui n’était pas son géniteur, a rencontré la mère de Christine, elle était déjà enceinte. À la naissance de l’enfant, le père a rapidement compris qu’elle ne pourrait pas s’occuper de sa fille, et il a voulu non seulement la reconnaître, mais qu’elle porte absolument un prénom qui comprenait les deux premières lettres de son prénom à lui, qui était Charles. Donc : Ch, donc Christine.
Deux remarques par rapport à ce cas.
Premièrement concernant le jargon : sur les conseils de Jean Bergès, je lui avais articulé, en lui demandant de lire sur mes lèvres en m’écoutant, le récit des événements de son histoire qui figuraient dans son dossier. Ce dossier était en effet le seul élément que je possédais à ce moment-là concernant son histoire. Cela avait eu pour effet l’arrêt assez rapide du jargon, ainsi qu’une reprise de la verticalité. Donc un effet de nouage lié au transfert.
Deuxièmement, le prénom avec ces deux lettres : Je me suis posé la question de savoir quelle fonction de nouage avait eu pour cette enfant – qui n’était pas psychotique – cette exigence du père qu’elle porte un prénom avec les deux premières lettres du prénom paternel.
Pour conclure et récapituler les questions :
1. Pour Dick, le nouage n’est pas en place, malgré la présence des trois registres. Mélanie Klein fait tenir les trois registres, mais pas dans l’implicite.
2. Le travail de Nelson sur le symbolique pourrait laisser supposer que le rond du symbolique n’était pas constitué. C’est une mise en œuvre de quelque chose qui donne naissance à un sujet par le biais d’une écriture borroméenne. De plus commander–décider, cela m’a évoqué ce que Charles Melman avait dit lors de Journées à Marseille : « Mais le matriarcat, c’est quoi ? Eh bien, ce n’est rien d’autre que ceci : c’est que dans la famille, chacun de nous a éprouvé qu’il y avait deux pouvoirs. Il y a un pouvoir symbolique, qui est celui dont papa est le représentant, et puis il y a un pouvoir réel ! RÉ-EL : c’est maman. Et que ce qui développe votre intelligence habituelle, c’est que justement, il y a sans cesse cet espèce de conflit, de jeu, entre… qu’est-ce qui domine ? Est-ce que c’est le pouvoir réel ou est-ce que c’est le pouvoir symbolique ? Parce que le pouvoir symbolique, il a un tort, c’est qu’il n’y a pas de police pour le faire valoir. C’est le pouvoir de la métaphore… c’est faible, le pouvoir de la métaphore ! On va appeler ça maintenant la métafaible »…
3. Quant à Christine, cette décision du père non seulement de reconnaître cette enfant, mais d’inscrire ces deux lettres à lui dans son prénom à elle n’a-t-elle pas eu une fonction de nouage, et si oui, laquelle ?