Beckett monologue et nous sentons qu’il nous livre, non seulement son programme d’écrivain, d’auteur, mais aussi, que ce dire, cet écrire, c’est sa vie même, qu’il est sur terre pour cela. Le discours semble stagner, tourbillonner sur soi ; en fait il progresse à pas de fourmi. Que va-t-il dire ? Dire un corps. Où nul. Nul esprit. Ca au moins. Dire un corps… pas mon corps, ni le corps de l’homme en général, mais un corps anonyme, deshabité (Où nul.), sans au-delà (Nul esprit.) Ca au moins, sous-entendu, j’en suis sûr. Une impression de vide.
Un lieu. Où nul. Pour le corps. Un lieu abstrait, vide lui aussi, comme en apesanteur. Pour le corps. Où être. Où bouger. D’où sortir. Où retourner. Non. Nulle sortie. Nul retour. Rien que là. Rester là. Là encore. Sans bouger. Un espoir de liberté pour ce corps ? de mouvement ? un lieu où retourner ? Non. Corps et lieu sont une prison qui enferment là, sans bouger dans la fixité. Insistance de là.
Tant mal que pis là Sans au-delà. Sans en-deçà là. Sans de-ci de-là là. Sans en-deçà. Sans de-ci de-là là. Homme assigné à un lieu unique — comme Vladimir et Estragon de En attendant Godot au pied de leur arbre –, horizon physique et spirituel bouché. Homme rivé à un champ étroit dont il ne saurait s’éloigner.Impossible d’en sortir ? De s’en sortir ?
Impasse aussi pour Beckett auteur, fatigué de dire ce corps dans ce lieu étriqué. Dégoûté de l’un essayer l’autre. (…) Jusqu’au dégoût des deux. Vomir et partir. (…) Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l’un ni l’autre pour de bon. Désir d’en finir avec la répétition, d’en finir tout court.
Mais, à ce point du texte, où il songe à Partir pour de bon, il rebondit : Il est debout. Quoi ? Oui. Le dire debout. Forcé à la fin à se mettre et tenir debout. Presque automatiquement, mécaniquement, Il est debout (en anglais : It stands), il est forcé à se mettre debout, mystérieusement agi ; il tient le coup, il réagit… Il est enfermé autant que tenu par ce corps ; un surmoi puissant l’oblige à tenir.
Tant mal que pis se mettre et tenir debout. (…) Ca ou crier. (…) Non. Nul cri. Douleur simplement. Pas de cri, d’appel à l’Autre. Toute manifestation de douleur est contenue, stoïquement, puritainement ; il garde en lui-même sa souffrance.
Le pourquoi de tout cela, il n’en sait rien. C’est un savoir qui s’impose à lui, qui lui donne la certitude d’avoir un corps, dans un lieu. Il ne cherche plus à approfondir, à définir Comment exigu. Comment vaste ce lieu. Un lieu. (…) Pas su comment su seulement nulle sortie. C’est comme ça. Beckett doute d’ailleurs de tout savoir, en tout cas d’un savoir intellectuel qui pourrait nous éclairer en profondeur sur la condition humaine. Savoir le minimum. Ne rien savoir non. Serait trop beau. Tout au plus le minime minimum. L’imminimisable minime minimum.
A ce point du texte, une ouverture se produit ; il ne s’agit plus seulement de dire mais de voir. Voir pour soit vu. Mal vu. Voir désormais pour soit mal vu. Le corps abstrait s’incarne, une image apparaît, souvenir d’enfance de Beckett. Comme chez Dante, il s’agit d’ombres dans la pénombre vide qui prennent forme. On dirait une photo en noir et blanc. Peu à peu un vieil homme et un enfant. Apparitions, silhouettes sans nom , le souvenir se précise : Main dans la main ils vont tant mal que mal d’un pas égal. Cette fois il y a de l’affect, malgré les restrictions de Beckett: N’importe quoi d’autre ferait aussi mal l’affaire. Il y a une émotion forte. Dans ce paysage nu, deux silhouettes marchant d’un même pas surgissent du silence et de l’ombre. Tous deux dos courbé vus de dos ils vont tant mal que mal d’un pas égal. Répétition qui suggère le pas cadencé de la paire, l’éternel retour des choses étreint. Etreindre et être étreinte. (…)
Unis par les mains étreintes étreignant. Tant mal que mal s’en vont comme un seul. Une seule ombre. Cela dit, nous remarquons que la paire, comme Beckett nomme le couple vieil homme et enfant, est constituée du père et de l’enfant, non de la mère et de l’enfant ou il se pourrait que le groupe soit constitué des trois personnages. L’émotion est contenue, les personnages restent anonymes, typifiés. Extrême pudeur de Beckett ici, alors que dans d’autres textes il évoque longuement la figure paternelle, un père aimé et aimant. La mère, par contre, dans notre texte, apparaît plus tard : Rien et pourtant une femme. Vieille et pourtant vieille. Sur genoux invisibles. Inclinée comme de vieilles pierres tombales tendre mémoire s’inclinent. Image mortifère. Dans toute l’œuvre de Beckett, les mères sont de vieilles femmes en noir, pétries de religion, agenouillées… quand ce ne sont pas des figures répugnantes comme la mère de Molloy. Cependant elles restent un point fixe pour les personnages, un point fixe encombrant. Beckett lui-même, dans la vie, semble avoir eu une mère toujours insatisfaite de son fils (dans Compagnie il écrit : Elle envoya valser ta petite main et te fit une réponse blessante inoubliable). Beckett non seulement garda toujours un lien avec sa mère, mais la soigna jusqu‘au bout. Tous les personnages masculins qu’il crée sont rivés à ce pôle.
Père, mère sont des vieillards sans sexualité ; les corps, ce sont des mains, des yeux, une tête, parfois un dos, toujours courbé, des agenouillés. Surgis de l’inconscient de Beckett, ils vont comme sur du vide ; ils sont hors temps, hors jouissance.
L’abondance d’adverbes de temps et d’adjectifs contradictoires nous déroute : Plus qu’à se mettre debout si jamais fut gisant. Ou jamais ne fut gisant. Perpétuel agenouillé. (…) Le dire désormais perpétuel agenouillé. Pour l’instant désormais perpétuel agenouillé . Pour l’instant. On ne sait plus où on en est. Pas de repère. Nous sommes dans une éternité absurde, même si le Pour l’instant l’emporte.
Le vieil homme qu’est Beckett, quand il écrit ce texte, s’inquiète de la fragilité du monde ; la paire, le vieil homme et l’enfant disparaissent puis réapparaissent tantôt changés tantôt inchangés. La paire est à éclipse ; le Soudain réapparus. Inchangés ? (…) Soudain réapparus changés ne traduisent-ils pas l’angoisse d’un homme devant la possible impermanence du monde ? Pour l’instant inchangée, l’épée de Damoclès du temps et de la mort plane sur les hommes ainsi que la crainte de l’extinction finale. Il tentera à la fin de Cap au pire de faire disparaître le temps mais le jadis résistera. Nul jadis dans le maintenant sans passé. Non pas aucun. (…) Seul le vide sans jadis.
Après un vœu de fin du monde Disparais pénombre ! Disparais pour de bon (…) Une bonne fois pour toutes pour de bon, le cycle est terminé. Beckett a épuisé son thème et le texte rebondit une deuxième fois ; il demande : De qui les mots ? Demander en vain. Ou pas en vain si dire pas su. Pas dit. Nuls mots pour lui dont les mots. Lui ? Un. Nuls mots pour un dont les mots. Un ? Ca. De qui les mots ? Sens multiple de ce Whose words ?… Qui parle ? Qui prononce ces mots? C’est-ce que dit clairement la suite du texte encore que nous pouvons lire dans la citation une question sur le langage en général. Nuls mots pour lui dont les mots. Lui ? Un. (…) Un. Ca (it en anglais). Lui, c’est le narrateur et l’on n’a pas de mot pour le décrire dans sa fonction. Il est Un, un au hasard, unique mais sans rien de particulier. Il est même moins que cela, il est Ca, une mécanique à produire des mots venus d’on ne sait où. Demander en vain. Ou pas en vain si dire pas su. Inutile de s’interroger sur ce Ca. Ce n’est ni le Ca de Freud, réservoir des pulsions, ni les signifiants de Lacan qui tombent dans l’inconscient. Beckett ne cherche pas à théoriser. Là n’est pas son souci ; il laisse planer l’inconnu sur le mystère du langage, il dit l’au-delà du texte dans son opacité, la Chose indicible.
Dire des os. Nul os mais dire des os. Dire un sol. Nul sol mais dire un sol. Beckett sait intuitivement que les mots peuvent créer une réalité, que le narrateur ou la machine qui l’anime, font exister des objets, des entités abstraites, des personnages aussi. Il est conscient du statut de la littérature : dans Compagnie il parle de la fable, à propos de son texte.
Il sait qu’il y a un fossé entre le mot et la chose, que le mot rate l’objet, que l’écrivain ne peut que rater, rater mieux tout au plus. Beckett nous dit ce ratage sur tous les tons.
Dans sa façon de traiter les personnages, il joue sur deux tableaux, me semble-t-il. D’un côté il les numérote : Désormais un pour l’agenouillé. Comme désormais deux pour la paire. (…) Comme désormais trois pour la tête. Il abstrait donc les personnages ( Beckett disait que les chiffres le rassuraient, sans doute parlait-il de la réalité arithmétique sans double fond ; il comptait ses pas, le nombre de pas qu‘il avait faits depuis sa naissance!), il les déshumanise, les réduit à un numéro, soit disant pour gagner du temps. D’un autre côté il les caractérise par un détail concret. Il met le corps en pièces, les réduisant à un organe ou une partie du corps. La tête, ce sont tous les attributs proprement humains, la parole en particulier. Ou alors il décrit une attitude : dos courbé, mains atrophiées, tronc vu de dos sans haut sans bas. Ou bien il décrit un vêtement -manteau, chapeau, bottines- toujours de couleur noire caractéristique. Il y a un refus notoire de toute psychologie des personnages ; Beckett disait d’ailleurs que, comme de toute façon on ne comprend rien à l’intérieur des gens, autant ne pas en parler. Dans ses romans et ses pièces, les personnages parlent, même beaucoup parfois. Ici les fantasmes qu’il évoque ne prennent pas la parole. L’auteur en a la charge et les laisse à l’état d’ombres silencieuses. Leur seule présence s’impose à nous. Les mots les ratent, comme ils ratent tout ce qu’ils disent. Dire ne se peut. On ne dit jamais ce qu’on voudrait dire. Les mots nous trahissent. Les mots eux-mêmes sont arbitraires comme dirait Saussure : Quoi l’ainsi dit vide. L’ainsi dite pénombre. Les ainsi dites ombres.
Ils sont notre seul recours cependant : Rien sauf ce qu’ils disent. Tant mal que pis disent. Rien sauf eux. Ils sont même justes : something not wrong with all. Far from wrong. Far far from wrong ; Quelque chose ne cloche pas quant à un. Puis quant à deux. Puis quant à trois. Quelque chose ne cloche pas quant à tout? Loin de clocher. Loin loin de clocher. Bien que négative dans sa première partie , enfin une phrase positive intervient. Elle concerne les mots: Que de place laissée au plus mal !Comme parfois ils presque sonnent presque vrai ! Comme l’ineptie leur fait défaut ! L’enthousiasme de Beckett éclate dans ces points d’exclamation. Il ne croit à rien, mais aux mots, oui. Ils nous possèdent, sortent de nous tout seuls ; notre corps les sécrète comme des humeurs. Et quand notre esprit n’est plus que crâne, substance molle, il suintent. Hors ça suintent.
Et cela même s’ils obscurcissent la vision : Moins vu et de vision lorsqu’avec mots que sans. (…) Les écarquillés (= les yeux) désobscurcis. Que les mots avaient obscurcis. Nous pensons à l’oubli de Freud du nom de Signorelli : tant qu’il cherche le nom du peintre il a son image devant les yeux ; dès qu’il le retrouve l’image disparaît.
Rien sauf eux, constat final : les mots malgré leurs limites sont notre seul sujet de plaisir : Juste assez pour se réjouir. Réjouir ! Juste assez encore pour se réjouir que seulement eux. Seulement !
Cela même si, pour Beckett, l’au-delà des mots c’est le vide, un vide peuplé d’ombres certes mais un vide, un rien qui envahit peu à peu tout le texte. Dire (…) Les vastitudes de vide de distance. Sur toute l’œuvre plane l’angoisse d’un homme seul, infiniment triste qui a dit: J’ai beaucoup ri tristement.
Tout d’un coup Beckett en a assez de ce mot rater ( fail). De rater à empirer. Il décide d’empirer désormais le Un, le Deux… le Trois ? Le Un ? Ce personnage mystérieux n’est plus désormais qu’un dos courbé, tête chapeautée disparue, un détail important quand on sait le rôle que jouent les chapeaux (melon en particulier) dans l’œuvre de Beckett. Empirer le Deux, la paire.
Par contre retour au Trois, la tête, cette fois il ne s’agit pas de l’empirer mais simplement être là de nouveau. Là dans cette tête dans cette tête, qui devient le crâne incliné. Bientôt cette tête et les yeux sont les seuls témoins : Crâne et écarquillés seuls. Scène et spectateur de tout. La tête et les yeux sont deux points fixes, des yeux impitoyables, des écarquillés. Ecarquiller encore. Dire encore. Être encore. Voir et dire sont intimement liés. Beckett décrit même l’organe dans ses différentes parties : Dire écarquillés ouverts. Tout blanc et pupille. (…) Trous noirs. Les yeux deviennent donc des trous d’un crâne que l’auteur envisage (aperçoit ?) chez les vivants.
Rater, empirer, les yeux devenus trous noirs, le livre entier est sous le signe de la négativité. Beckett va faire disparaître les mots, la tête, puis le crâne, le suintement des mots qui en émane ; il élimine aussi les personnages de son fantasme, la paire, la vieille femme. Je crois que « cette spirale éliminatoire » comme dit Nathalie Léger, témoigne de deux choses différentes. D’abord d’un mouvement « à la Descartes », le Descartes du Discours de la méthode où il met en doute tout ce qui existe, élimine ce qui est illusion et s’aperçoit finalement que la seule chose dont il ne peut pas douter, c’est de sa pensée, du « Je suis ». Beckett de même cherche ce qui est essentiel, ombilical, pour lui homme et pour lui auteur, ce qui tient la rampe . Ce temps d’élimination progressive est lié à la structure de Beckett. Nous savons déjà qu’il passe de rater à empirer puis à amenuiser puis au néant, au rien : Dévore tout l’envie d’être néant. Beckett joue aussi de toutes les formes de comparatifs et de superlatifs des adjectifs « petit, mauvais, vilain » ; d’abord dans le titre Cap au pire ; ensuite, en même temps qu’une jouissance des mots évidente il a un vrai plaisir à jouer avec l’idée du néant : Dire ce meilleur pire. Avec des mots qui réduisent dire le moindre meilleur pire. A défaut du bien pis que pire. L’imminimisable moindre meilleur pire.
Encore retour pour dédire disparition du vide. Disparition du vide ne se peut. Sauf disparition de la pénombre. Alors disparition de tout. L’auteur jette des coups de sonde du côté de l’anéantissement total mais il ne va pas vraiment jusque là. Nous sommes dans le « presque ». Lorsqu’il déclare : Dire l’enfant disparu (…) Le vide alors n’en est-il pas d’autant plus grand encore? Non. Vide au maximum lorsque presque .De même à la fin du texte, il dit : Quoi si le crâne disparaissait ? (…) Dans quel alors trou noir (…) Non. Crâne mieux plus mal. Ce qu’il en reste. Du crâne. De la substance molle. (…) Crâne donc ne disparaît pas.
Il semble que dans son enfance, Beckett se soit toujours heurté à une image négative de lui-même, renvoyée par sa mère , ce personnage sévère et toujours critique . Le père lui-même avait peur de la dureté des propos de sa femme ( non castrée? Or « l’enfant a besoin des signes d’approbation de l’Autre, incarné par la mère, qui constituent l’Idéal du Moi. » Cette mère comme je l’ai dit, qui est restée un point d’attache pour lui, il en fait un personnage dans Mal vu mal dit : Une vieille femme droite et raide (…) qui ne se montre qu’aux siens. Mais elle n’a pas de siens. Si elle en a un. Et qui l’a elle. Beckett est-il mélancolique ? Rappelons que chez le mélancolique, il n’y a pas de manque dans l’Autre, le fantasme n’est pas constitué; l‘objet a reste attaché au sujet: « le sujet est totalement égalisé à cette jouissance de l’être, à cet être immonde qui dans le fantasme soutient le sujet »[1]. La mélancolie est « le discours de l’objet ». « Dans la mélancolie, une limite a été franchie, celle qui tenait séparés sujet et objet a, ce qui l’assimile à la Chose, l’objet total, l’objet vrai à jamais perdu et donc haï »[2]. N’oublions pas que Beckett était alcoolique, pathologie où le sujet « se présente comme objet a dévoilé dans sa crudité ». Souvenons-nous aussi que la plupart des personnages de ses pièces et de ses romans sont des êtres déchus, des clochards souvent.
Comment Beckett s’en sort-il ? Qu’est-ce qui le sauve du recours à une extrémité ? Son désir acharné de dire et d’écrire. (Il disait de lui-même : « Bon qu’à ça ».) Ecrire pour dire quoi ? Eh bien précisément cette angoisse d’être, cette envie que tout disparaisse, ce vide : Dire pas plus (…) Ce petit peu de vide seul. Les sujets mélancoliques s’appuient d’ordinaire sur un petit autre qui leur sert d’image spéculaire. Pour Beckett c’est son texte qui lui sert de petit autre ; il le dit d’ailleurs dans Compagnie : Inventeur de la voix et de l’entendeur et de soi-même. Inventeur de soi-même pour se tenir compagnie. (…) Il parle de soi comme d’un autre. (…) Il s’imagine soi-même aussi pour se tenir compagnie. Notre texte est un dialogue avec soi-même ponctué de Oui, Non, Retour pour dédire (ce qu’il a dit plus haut). C’est un écrivain aussi qui s’adresse à nous, ses lecteurs, et a le souci d’être publié. Les phrases dans leur majorité sont constituées de deux ou trois mots seulement; ces scansions correspondent à des temps de réflexion intérieure, à des silences que l’on entend. Le côté répétitif de certaines expressions créent la négativité dont nous avons parlé. Ecrire constitue-t’il un Nom-du Père, un sinthome pour Beckett? Sans doute mais pas du tout le même que pour Joyce qui voulait se faire un nom, alors que notre auteur n’est même pas allé chercher son prix Nobel, laissant à Jérôme Lindon, son éditeur, le soin de le recevoir. Les textes qu’écrit Beckett lui tiennent lieu d’Autre et l’empêchent de sombrer.
Finalement le narrateur est un personnage agenouillé, le vieil homme du fantasme aussi, réduit à un tronc. Puis le vu, le fantasme s’efface, s’évanouit: les trois personnages ne sont plus que trois trous d’épingle. Les presque derniers mots du texte: Plus mèche moins. Plus mèche pire. Plus mèche néant. témoignent d’une exténuation, d’un au bout du rouleau. Mais il y a après le Plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore. Alors que dans Compagnie, Beckett dit sa crainte d’une extinction des mots: Mais le visage renversé pour de bon (tu) peineras en vain sur ta fable. Jusqu’à ce qu’enfin tu entendes comme quoi les mots touchent à leur fin. Avec chaque mot inane plus près du dernier, au contraire, dans Cap au pire , il émet le vœu que les choses soient dites encore et encore; grâce aux mots il se « remparde » contre la mort et l’oubli.
BIBLOGRAPHIE : Je me suis essentiellement servie de Nathalie Léger, Les vies silencieuses de Samuel Beckett. Editions Allia . 2012.
J’ai consulté: Didier Anzieu – Beckett et le psychanalyste – Mentha 1992.
[1] Bernard Vandermersch, Une année à l’hôpital (2006-2007), Association lacanienne internationale, p. 185
[2] Bernard Vandermersch, in Clinique lacanienne 2010/1, N° 17, ERES, « La mélancolie chronique existe-t-elle ?» p. 99 à 107.