Fixation
13 avril 2015

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NACHT Marc
Dictionnaire

 

C’est dans le cadre de la Métapsychologie que le mot fixation se trouve le plus intégré à une théorie générale de l’appareil psychique par celle des composantes pulsionnelles de ce dernier. Ainsi peut-on lire dans l’article « Pulsions et destins des pulsions » que « lorsque la liaison de la pulsion à l’objet est particulièrement intime, nous la distinguons par le terme de fixation. Elle se réalise souvent dans les périodes du tout début du développement de la pulsion et met fin à la mobilité de celle-ci en résistant intensément à toute dissolution. »

Ce qui spécifie la fixation d’un point de vue topique est que cette dernière se produit avant l’instauration du refoulement proprement dit, ou refoulement secondaire, mais correspond à « une première phase du refoulement, qui consiste en ceci que le représentant psychique (Vorstellung-repräsentanz) de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient ». C’est par ce refus de prise en charge que se produit une fixation, « le représentant correspondant (à la pulsion) subsiste à partir de là de façon inaltérable et la pulsion demeure liée à lui » (in « Le refoulement »). Telle est l’opération sur laquelle se « fonde » Freud pour admettre l’existence d’un refoulement originaire.

Le maintien de ce refoulé dans le système ICS nécessite une forte dépense pour entretenir le refoulement. Cette dépense fonctionnelle est le « contre-investissement » dont Freud estimera qu’il est « le seul mécanisme du refoulement originaire. » (in « L’Inconscient »)

Nous dirions aujourd’hui que la fixation ainsi décrite par Freud a une fonction de bord. C’est sans doute ce qui rend l’analyse si délicate, si aléatoire aussi de par ce rôle fondamental qu’elle tient et autour duquel vacille le langage.

La notion de fixation apparaît comme représentant une limite sur laquelle repose le fonctionnement de l’appareil psychique ainsi que l’architecture systémique de ce dernier qui en topologise l’existence et les modes de réaction.

Que le terme de fixation se trouve ainsi associé à ce que Freud lui-même devait considérer comme à l’extrême de sa pensée est rendu manifeste dans les notes exhumées récemment par Ilse Grubrich-Simitis du projet de ce qui aurait été le douzième essai de métapsychologie, notes que Freud se refusa de publier, comme du reste celles concernant les sept autres essais disparus relatifs à la même tentative.

Non seulement le « point de fixation » s’y trouve réaffirmé comme représentant la disposition à la névrose, mais il apparaît aussi comme ce qui serait le contenu phylogénétique d’un transfert effectif dans l’ontogenèse de chaque sujet.

En effet, « là où le facteur constitutionnel de la fixation entre en ligne de compte, l’acquisition n’est pas éliminée pour autant ; simplement, elle remonte à un temps antérieur, encore plus primitif, car l’on peut affirmer à bon droit que les dispositions héritées sont un vestige de l’acquisition des ancêtres. » (in « Vue d’ensemble des névroses de transfert » trad. P. Lacoste)

La fixation, par son facteur constitutionnel, se trouve donc pensée par Freud dans ce projet d’article comme une sorte de génome qui, de générations en générations, transmettrait la lettre du signifiant à ses destinataires. Et ce sont ces signifiants qui se trouveraient « fixés » dans l’inconscient originaire, dans cette partie du ça qui est dite par ailleurs (3e Nouvelle Conférence ) « l’inconscient de l’inconscient », pour y former la part active des fixations. Au travers de ces signifiants apparaissent alors les vestiges des dols et des frustrations subis aux époques préhistoriques et encore actifs dans les inconscients actuels.

C’est alors la question de la disposition à la névrose et de la différenciation étiologique des névroses et des psychoses qui se trouve projetée sur le fond des fragments de réalité historique qui leur seraient originaires.

« Si les dispositions aux trois névroses de transfert ont été acquises dans la lutte contre le dénuement de l’époque glaciaire, alors les fixations qui sont à la base des névroses narcissiques tirent leur origine de la répression exercée par le père, qui prolonge, reprend pour ainsi dire, le rôle de ce dénuement après la fin de l’époque glaciaire ». Et Freud de poursuivre après ce saisissant raccourci marquant le surgissement du symbolique, « De même que le premier combat mène à l’époque patriarcale de la civilisation, le second conduit à l’étape sociale, mais résultent des deux combats les fixations qui, en faisant retour après des millénaires, se transforment en disposition aux deux groupes de névroses. » (in Vue d’ensemble...)

Le plein commentaire de ces paragraphes déborderait le cadre de cet article. Notons seulement que pour Freud les « combats » dont résultent les fixations sont des luttes réelles ; sa position est ici comparable à celle qui lui avait fait postuler la réalité du traumatisme sexuel dans l’hystérie. La fixation peut donc s’interpréter comme ce qui n’a pas été symbolisé du traumatisme là où ce dernier se présenterait toujours comme une réelle menace physique sous la forme de la castration. Elle ne pourrait, de ce fait, se compter que dans un après-coup symbolique dont elle demeure exclue.

De simplement descriptif, le terme de fixation va donc se trouver rapidement lié à une question essentielle dont on peut suivre le tracé tout au long de l’œuvre de Freud, celle du repérage du réel et des modalités d’intégration psychique de ce dernier. La problématique en est d’autant plus complexe que ce repérage s’effectue selon plusieurs coordonnées : historique, bio – génétique et biologique au sens où la pulsion elle-même est décrite comme étant un « concept limite entre le psychologique et le somatique ».

Une lecture qui ne privilégie aucune de ces coordonnées laisse alors surgir comme point nodal ce que Freud avait appelé, dans sa lettre du 6 décembre 1896 adressée à Fliess, « cet autre personnage préhistorique inoubliable », et qui, lui aussi, joue le rôle d’une représentation limite entre l’ontogenèse et la phylogénèse en détermination de ce qui se transmet, s’imite et se mime à l’insu du sujet.

Ainsi, c’est ce discours de l’Autre, comme l’a nommé Lacan, que Freud a supposé parcourir toute la lignée humaine depuis l’âge glaciaire : nous pouvons dire, écrira-t-il, que certains contenus psychiques « n’ont pas d’autres sources que le transfert héréditaire ». L’Übertragung est ici particulièrement à comprendre comme indiquant tout à la fois ce qui est transféré d’une génération à l’autre et ce qui ne se traduit d’une génération à l’autre que sous la forme de contenus psychiques inconscients. La série traumatique appartiendrait alors au non traduit, à ce qui forme la base des transferts auxquels Freud vient donner une traduction théorique.

La question à laquelle renvoie la notion de fixation est donc celle de l’existence d’un réel traumatique déterminant non seulement les « choix » entre névroses et psychoses en tant que formations défensives mais également l’existence même d’un insu autour duquel s’organise avec l’inconscient l’ensemble de l’appareil psychique. A suivre Freud, ce réel se serait imposé hors langage, sinon antérieurement à l’acquisition du langage par le sujet immédiatement concerné. Cela place l’inconscient sous la dépendance des représentations de choses, du visuel, du sonore et du proprioceptif dont le langage ne viendrait que tenter ultérieurement, après formation du refoulé originaire, de rendre compte. Ce seraient alors ces représentations non verbales qui formeraient la base élémentaire « structurée comme un langage » de l’inconscient.

BIBLIOGRAPHIE

Ont été consultés les ouvrages et articles de Freud suivants :

Trois essais sur la théorie de la sexualité

« Le petit Hans »

« D’un cas particulier de choix objectal chez l’homme »

« Deuil et Mélancolie »

« Analyse finie, analyse infinie »

Nouvelles conférences sur la psychanalyse

Vue d’ensemble des névroses de transfert

ainsi que les articles regroupés sous le titre de Métapsychologie :

« Pulsions et destins des pulsions » – « Le refoulement » – « L’inconscient »

et de Jacques Lacan :

La relation d’objet, Séminaire du 5 décembre 1956

dans lequel nous relevons l’affirmation : « Il n’y a rien qui ne soit moins fixé à un support matériel que la notion de libido en analyse. »