Marc Darmon – Nous avons ce soir le plaisir de recevoir Maria Belo qui nous arrive directement de Lisbonne, qui nous lira la leçon IX, et Louis Sciara va non seulement se charger de discuter mais aussi de présenter la leçon VIII.
Louis Sciara – J’ai eu une gentille invitation de la part de Pierre-Christophe [Cathelineau] pour participer et être discutant. Entre temps Thatyana [Pitavy] m’a dit que Marie-Christine [Laznik] ne pouvait pas être présente ce soir. J’étais en train de travailler un certain nombre de choses et donc voilà, j’ai lu les deux leçons et du coup je vais présenter la leçon VIII en sachant que ce n’est pas si simple.
La première chose c’est que Lacan commence en disant « j’avais l’intention de pénétrer dans l’essence de la folie, et j’ai pensé qu’il y avait là une folie. » En lisant cette leçon, ce qui me paraît le plus important, j’ai toujours deux éléments en tête concernant le signifiant de la folie, à savoir, « Ne deviens pas fou qui veut » et en même temps « La folie est inhérente au parlêtre », on va le dire comme cela. C’est une citation qui est dans l’allocution chez les psychoses de l’enfant.
Ces deux aspects sont intéressants pour moi parce que ça rend compte de la difficulté d’aborder les questions de la folie par le registre de l’imaginaire et de faire la part des choses, la part commune, mais aussi de ce qui peut diverger et de ce qui peut être hétérogène entre ce qui est de l’ordre de la paranoïa commune, qu’il va illustrer dans la leçon avec le cas de Dora à propos de son petit délire et de son syndrome de persécution à l’endroit de son père, et de ce qui serait de l’ordre de phénomènes hétérogènes qui ont trait notamment au tableau des psychoses. Je dois vous dire que je n’avais pas relu du tout le cas Schreber, ni les sept premières leçons puisque je m’occupais d’autre chose mais, ce qui me frappe, c’est que j’ai toujours eu beaucoup de mal avec Le président Schreber à lire le texte de bout en bout. J’en ai lu des chapitres et je n’ai pas fait comme beaucoup d’entre vous ont fait ici. À chaque fois j’ai essayé de tirer quelques fils et en même temps je me rendais compte de l’importance de ce cas clinique et de la difficulté qu’il y a à entendre tout cela dans le transfert. Et quand il n’y a pas le support d’un écrit, c’est une difficulté encore plus importante. Maintenant, concernant cette leçon, Lacan commence par évoquer la question du narcissisme. Globalement il nous dit que ce qui est important c’est entendre la question du narcissisme au temps où Freud rédige cette interprétation du cas Schreber et il évoque l’étape où le sujet prend son propre corps comme objet. Lacan met en exergue le fait qu’il y a quelque chose que j’entends du côté de Freud comme, quand même pris dans la logique de l’Œdipe et de la castration dans la lecture qu’il a de Schreber, à savoir cette répugnance à occuper une position féminine. Et, dans le début de cette leçon, il revient sur les formulations écrites des cas de délire chez Freud en insistant sur la formulation qui concerne le délire de grandeur puisque Schreber, dans son activité imaginaire délirante, va déployer le fait qu’il devient la femme de Dieu, donc une place d’exception, et qu’à ce titre il y a quelque chose qui le répugne, et en même temps, il y a quelque chose qui vient satisfaire ce qui serait un délire de grandeur, on peut le dire comme cela mais ce n’est pas un délire de grandeur. Et donc cette formulation « je ne l’aime pas lui, c’est Dieu que j’aime » et par renversement, « c’est Dieu qui m’aime », voilà pour la place d’élection. Lacan associe sur la question de la persécution : « je ne l’aime pas, je le hais » avec par renversement, « il me hait ». La première question qu’il va poser dans cette leçon, c’est le statut du petit autre. En tout cas à travers la question dans le jeu grammatical (lui, il, l’, le) de quoi s’agit-il ? Il évoque la question du petit autre, quel statut donner à ce petit autre ? Également il évoque la question de l’ombre de l’objet dans une phrase un peu énigmatique pour moi, qui est entre parenthèses au début du séminaire : « le persécuteur est devenu ombre de l’objet persécuteur ». Quel statut donner à ce petit autre ? Quel statut donner à ce Dieu dont Schreber parle ? Quelle est sa nature et, en fin de leçon, il revient sur cette question en montrant la difficulté de différencier ce qui serait de l’ordre du petit autre et du grand Autre avec, à mon sens, une grande difficulté à les différencier. Une des questions qui m’est venue en faisant cette leçon, en l’analysant, en la relisant, c’est qu’au fond on mesure à travers ce séminaire à quel point Lacan a fondé toute sa clinique analytique des psychoses sur le cas de Schreber en emboîtant le pas à Freud, mais c’est toute la question du dispositif imaginaire, du stade du miroir, qui est en jeu et je ne peux m’empêcher de penser à tous ces cas de psychoses qui sont en-deçà de cette question, c’est-à-dire quelque chose où le stade du miroir n’a pas pu être marqué. Évidemment j’ai en tête les cas de psychoses infantiles, des cas de schizophrénies et des cas de ce que Marcel Czermak appelle « l’imaginaire sans Moi ». Ce qui est intéressant c’est d’interroger ce statut du petit autre, première chose. Lacan fera un détour, c’est qu’au fond ce caractère d’aliénation imaginaire qui est au cœur du narcissisme, il va le réinterroger d’abord en s’appuyant sur le cas de Dora et puis, il interrogera à travers les questions d’éthologie qu’est-ce qui se joue dans ce point limite entre la question érotique et la question de l’agressivité dans ce stade du miroir. Il y a quelques années, 3 à 4 ans, j’avais écrit un article qui rendait compte d’un délire de jalousie chez un enfant et pour lequel j’avais dit qu’il existait une structure paranoïaque déjà constituée, et j’avais beaucoup interrogé la question de l’envie et de la jalousie, les rapports pris dans la question de l’érotisme et de l’amour et en même temps la question de l’envie en tant que manifestation d’une colère comme le dit Mélanie Klein etc. Voilà les éléments qui me paraissent importants.
Par rapport à cette question de Dora, ce qu’il souligne, c’est que dans ce dispositif à quatre personnages, au fond, Freud (c’est l’interprétation de Lacan) s’est planté parce qu’il a pris comme objet d’amour de Dora son père, classiquement, alors qu’il s’agissait de Mme K et il évoque le moment de bascule qui est le moment où Monsieur K dit à Dora « ma femme n’est rien pour moi. » Et ce moment de bascule, il a parlé de la question de la phobie mais il parle de ce moment où quelque chose d’un élément persécuteur vient se pointer parce que cet équilibre qui se tenait à quatre ne tient plus. Et, à ce moment-là, il ramène les questions sur ce qu’illustre la question Dora : c’est la question, il ne le dit pas comme ça, c’est Melman qui le dit de la paranoïa commune, à savoir de cette aliénation imaginaire, mais en même temps il met en question le statut dans ce jeu, du Moi et de l’autre, de ce petit autre, et il renvoie à la question de l’altérité qui se joue. Ce qui est intéressant, c’est qu’il vient souligner qu’au fond, la question de l’imaginaire, on ne peut pas cantonner la question de la psychose dans des questions de l’imaginaire et la question de l’imaginaire ne permet pas de différencier les choses, et qu’effectivement, ce à quoi il va tendre c’est à prouver qu’il y a un ordre symbolique qui vient s’adjoindre, se superposer, se nouer, comme on veut, pour mettre de l’ordre dans cette machinerie qui a la particularité d’engendrer un certain équilibre imaginaire chez un parlêtre, mais qui ne peut trouver un point qui permette de conserver ce système imaginaire, qu’à condition qu’il y ait un élément tiers qui est de l’ordre symbolique et là, il revient sur la question du père. Ce qui est important à souligner, car c’est quand même des enjeux de l’époque, c’est au fond qu’il se permet d’introduire cette question chez des névrosés qu’il peut y avoir des éléments persécutifs – que ce soit chez des névrosés obsessionnels ou hystériques – et la difficulté est que si l’on ne remet pas aux questions les phénomènes langagiers, c’est-à-dire si on ne vient pas interroger la question du symbolique comme venant s’inscrire dans cette question de l’imaginaire à travers le stade du miroir, à travers la question du schéma L, on ne peut pas entendre cette hétérogénéité. Dans la clinique on sait combien cette question est difficile pour beaucoup de patients. On peut avoir des sujets – ça c’est par expérience – pour lesquels cette question peut rester énigmatique pendant x temps et parfois dans le transfert on peut avoir des moments de bascule qui, à ce moment-là sont révélateurs. Cela, je trouve que c’est un élément important parce que, en même temps, quelque part, Freud et Lacan disent au fond que quelque chose de la folie est un élément tout à fait partagé, et en même temps, si on n’entend pas la question du surdéterminisme de la structure, « Ne devient pas fou qui veut », on ne peut pas rendre compte de cette hétérogénéité. Alors qu’est-ce qu’il dit à propos de la question du narcissisme ? Premièrement, il revient sur le fait que c’est de la relation imaginaire centrale pour le rapport interhumain. Là il va introduire cette question qui a trait à l’expérience de l’analyse et des analystes qui témoignent de cette ambiguïté concernant cette notion de narcissisme puisqu’il dit « il y a à la fois ce courant érotique c’est-à-dire toute saisie par l’image de l’autre dans un rapport de capture ou de captivation érotique et en même temps une relation à la base de la tension agressive ». Il fait d’ailleurs remarquer que la question d’agressivité n’a pu émerger qu’à partir du moment où quelque chose du narcissisme a pu mieux se préciser. En tout cas, pour moi, ce cas clinique m’avait beaucoup interrogé sur la notion d’envie, de jalousie, me demandant pourquoi, pour des tableaux de paranoïa, de délire de jalousie, de psychose passionnelle, on employait plus le terme de délire de jalousie que le terme de délire d’envie. Alors qu’est-ce qu’il nous dit à propos de cette question ? Il rappelle que le Moi est par lui-même et déjà un autre, il fait valoir sans arrêt cette dualité érotisme/agressivité ; il fait valoir aussi cette logique du lui ou du moi, tout ça pris dans le fait que pour qu’il y ait un Moi qui puisse se constituer, ça s’appuie sur l’image de l’autre et que dans cette dialectique, si quelque chose de cette dialectique d’ailleurs est maintenue même si c’est dans… alors il démonte l’idée de la synthèse du Moi. Il dit que c’est l’instabilité qui caractérise le Moi en tant qu’instance de l’imaginaire mais ce qui est important, au fond, c’est la petite différence ou la grande différence entre la paranoïa commune et la question de la paranoïa psychotique, à mon sens, c’est que justement, c’est lui ou moi, rend compte d’un jeu de bascule permanent cependant que dans la paranoïa psychotique ce jeu de bascule ne peut pas opérer, il y a une radicalité qui fait que ça tombe d’un côté ou ça tombe de l’autre, aussi bien dans des questions d’érotomanie ou de délire de persécution. Par ailleurs, il va insister sur la question de l’éthologie animale et je trouve que c’est le plus fin de cette leçon clinique, à savoir, qu’il va évoquer l’épinoche, qu’il va évoquer le fait que la question de la pulsion n’est pas la question de l’instinct puisque la pulsion est signifiante. Il va rappeler le fait que dans les ébats sexuels, sexués, comment appeler ça, entre les épinoches, il va rappeler qu’il y a, à travers les observations qu’en fait Lorentz, et c’est ce que lui-même en déduit, un point de bascule, un point limitrophe qui est le point où l’épinoche mâle, apparemment dans ses comportements stéréotypés et pris dans l’image de l’autre, aussi bien dans le miroir – il insiste là-dessus, parce que c’est comme ça qu’il fait le rapprochement – va creuser des trous pour que « l’accouplement », entre guillemets, se fasse dans les fonds creusés. Mais ils font remarquer, les éthologues, que ces trous, à côté de ce tunnel dont ils parlent, il y a également des trous qui sont creusés et qui rendent compte d’un comportement qui sera un comportement de négativité ou d’agressivité et qui met comme ça tout un appareillage, un territoire qui fait que l’épinoche mâle ne fait pas approcher une autre épinoche qui viendrait en position de rival. Ce qui est intéressant dans l’affaire d’ailleurs, c’est que, il y a non seulement ces jeux de miroirs, ces jeux de comportements avec l’autre épinoche mais il y a aussi le fait que cet animal creuse des trous. Et dans le fait de creuser des trous, (il le restitue aussi pour les oiseaux, un oiseau en plein combat qui va se mettre à lisser ses ailes, c’est-à-dire qu’il prend une posture amoureuse comme s’il allait dans l’accouplement), ce point de bascule, c’est ce point qui est le plus proche de ce qui vient caractériser l’aliénation imaginaire de l’être humain, puisque c’est ce point où ses composantes sont sans arrêt en mouvement et en même temps constituent ce que Lacan appelle d’ailleurs pour les questions, par exemple la question de jalousie, la question de l’identification mentale dans Les complexes familiaux. Et donc il va insister sur ces éléments là, parce que, alors c’est intéressant aussi, parce que la question du réel par exemple, j’en parlais hier soir en discutant, c’est que la question du symbolique, on peut l’entendre dans cette leçon avec la question des phénoménologies, la question de l’imaginaire à travers ces questions du spéculaire, cette question de l’éthologie animale ; la question du réel, d’une certaine façon elle apparaît à travers le fait qu’il y a une aire, il y a un territoire qui est un territoire qui avoisine cette zone de rencontre et qui est aussi un territoire qui définit un certain réel, du fait de creuser ces trous. En tout cas, c’est un des éléments qu’on peut mettre… enfin c’est une idée. Alors, à travers tout cela, Lacan approche progressivement la question de l’image pour l’homme, son aspect fonctionnel, son aspect aliénant et son aspect structurant. Ce qui est intéressant aussi, c’est, en mettant l’accent sur cet aspect de l’imaginaire et de l’imaginaire spéculaire, on a aussi les éléments de la mise en place de la constitution du parlêtre en tant que sujet et on voit comment cette ossature imaginaire est un point fondamental. Mais évidemment Lacan va passer aussi à autre chose, c’est-à-dire que ça ne suffit pas. Ça ne suffit pas pour entendre ce qui se passe dans la psychose avec les phénomènes langagiers. Et là, il vient ramener la question de l’ordre symbolique, celle de la loi, de la parole, etc. Et ce que Lacan souligne, c’est qu’au fond, à travers, et alors il s’appuie sur les petites machines, je dirais sur l’homéostasie de ces petites machines et sur le fait que au fond, l’ordre de la loi, et c’est intéressant dans cette leçon, (parce que moi qui ai écrit un livre sur la fonction paternelle, je n’avais pas repris cette citation), mais il le dit explicitement, il dit qu’intervient là la question du père mais il dit bien le père, non pas le père naturel, il ne parle pas d’agent père comme opérateur mais on a déjà quelque chose de cet ordre-là, le père qui va introduire un certain ordre fondé sur l’existence de ce nom père. Ce qui est intéressant. Et il dit à partir de là quelque chose est possible, c’est-à-dire à partir de là il peut y avoir de la référence. Il évoque la question de l’ordre symbolique par petites touches là pour amener la question du nom du père, mais en nuançant et en rendant compte du fait que c’est la question de la nomination qui vient prédominer et évidemment pas l’agent lui-même, même si l’agent a son importance. Alors, ce qui est intéressant aussi c’est le terme superposé, je ne sais pas comment il fallait l’entendre, parce que là il n’est pas question d’un nouage, peut-être est-il question d’un dédoublement, je ne sais pas. Et c’est au fond, c’est une façon de faire entendre que dans cette relation dans l’axe a/a’, de l’axe imaginaire entre le moi et le petit autre, il y a quelque chose qui se traduit par un élément tiers, comme extérieur, évidemment à cet axe, qui rend compte d’une place tierce qui est aussi la place de l’altérité. Alors ensuite, ce sur quoi il continue dans la leçon c’est sur la question, et il passe à Schreber, sur la question de la dissolution imaginaire. Et là, il rapporte, il rappelle un certain nombre de choses, il parle, alors de Schreber parlant de ses semblables, ceux qui vivent, les ombres d’hommes bâclés à la six-quatre-deux et puis aussi, le plus important, la question des âmes, la question de la mort, la question de la mort du sujet aussi, ce n’est pas dit ainsi. Et puis dans cette dissolution imaginaire, ce défilé, tout ce télescopage de ces images, la façon dont les personnages prennent des identités multiples, où les personnages eux-mêmes sont faits de petits êtres énigmatiques, des petits hommes. Donc dans cette déferlante fantasmatique, il évoque toute une série de phénomènes sur lequel je passe. Pour en arriver à la question qui est la suivante : qu’est-ce qui fait que dans les interprétations qui ont pu être faites autour de Schreber, on oublie la dimension de ce qui s’entend dans les phénomènes verbaux, les phénomènes auditifs et les phénomènes acoustiques. Alors ce sur quoi il faut peut-être insister, (et ça, Marc [Darmon], dans ton livre tu le fais, je ne vais pas avoir la prétention de le faire aussi bien que toi), c’est quand tu évoques la question des phénomènes des codes, des phénomènes de messages, là il ne le dit pas dans la leçon mais il l’évoque avec la question des phrases interrompues et la question des hallucinations. Et moi, ce qui m’intéresse dans ces phénomènes, c’est qu’au fond, dans les phrases interrompues, il y a quelque chose d’un appel, un appel un peu énigmatique, à une certaine subjectivation, à une signification, alors que dans les phénomènes hallucinatoires directs il y a quelque chose qui vient, c’est un signifiant pur ou c’est un signifiant qui a assigné à une place un sujet, ce qui ne donne pas les mêmes types de phénomènes. Dans la clinique, la question des phrases interrompues ou la question des phénomènes élémentaires qui ne sont pas des phénomènes pleins mais des phénomènes qui renvoient au trou de réel, peut laisser un certain nombre de sujets dans une certaine perplexité, une certaine réticence, avec laquelle c’est difficile de composer, parce que tout le monde n’écrit pas comme Schreber.
Et puis quoi d’autre ? L’important dans la leçon ; ce que je pouvais dire rapidement sur cette leçon. On peut revenir sur des points au fur et à mesure. En tout cas moi, ce que j’en retiens de cette leçon, c’est plutôt la mise en exergue des phénomènes langagiers, la mise en exergue de la disparité des phénomènes langagiers, entre ce qui concerne les phénomènes qui ont trait aux névroses ou aux psychoses. L’illustration la plus importante pour moi c’est cette question du point limite où il y a à la fois quelque chose de l’érotisme et de l’agressivité, et les conséquences que cela peut avoir en clinique. Parce que, d’une certaine façon, il y a un mode de décomposition et de différenciation qui est beaucoup plus marqué du côté des psychoses mais on a affaire dans la clinique à beaucoup de patients psychotiques pour lesquels hors moment de décompensation, ou hors moment où ils sont plus en crise, il y a quelque chose de cette différenciation qui est beaucoup plus nuancée et qui laisse des interrogations ouvertes, parce que ça a trait à un réel, donc ce réel on n’en est jamais complètement délivré. Et ce n’est pas parce que dans les psychoses par exemple, quelque chose de ce réel se dévoile que pour autant l’important c’est d’apprendre à faire avec ce réel, mais pour autant on n’est pas délivré des mystères de ce réel. Ce qui est important aussi, c’est peut-être que la question de l’imaginaire, tel qu’on est foutu, c’est-à-dire avec cette aliénation qui nous caractérise, c’est comment s’en départir, pour écouter des patients psychotiques, pour ne pas être pris sans arrêt dans nos projections, pour entendre parfois au pied de la lettre des sujets.
Voilà à peu près ce que j’en retiens de cette leçon, en m’excusant parce que franchement, moi, j’ai préparé à ma façon, parce que je n’avais pas le temps.
Marc Darmon – Merci beaucoup pour ce travail qu’on t’a demandé à la dernière minute. [Inaudible]. Je vais faire le discutant. Alors, tu n’as pas parlé, ce qui me paraît quand même intéressant dans cette leçon, c’est la distinction qu’il fait entre névrose et psychose, au sujet curieusement du refoulement. Il dit, que dans la névrose, ce qui est refoulé est bien dans le symbolique ; et dans la psychose, ce qui est refoulé apparaît dans le délire, l’imaginaire. C’est-à-dire que, au lieu du symbolique, on est dans l’imaginaire. Ce qui est intéressant, dans la mesure où il dit ça revient dans l’imaginaire d’une façon explicite, d’une façon non cachée, ça revient dans l’imaginaire d’une façon non cachée, alors que ce qui revient dans le symbolique, le refoulé, revient avec un masque, revient masqué. Ça m’a paru intéressant par rapport à la distinction des dimensions dans la psychose. Cela donne une bonne illustration de l’homogénéisation des dimensions. Il y a un passage du symbolique à l’imaginaire là que Lacan décrit dans la psychose qui fait comprendre un peu ce que Lacan bien plus tard a voulu dire par l’homogénéisation des consistances dans le nœud de trèfle.
Louis Sciara – Il ne le dit pas directement dans la leçon VIII.
Maria Belo – Il le dit dans la IX.
Louis Sciara – Il le dit dans la IX. Mais peu importe. Ce n’est pas grave.
[Brouhaha]
Marc Darmon – J’anticipe.
Louis Sciara – Mais c’est juste, c’est juste !
Martine Bercovici – Ce que je voulais dire, cela pose aussi la question du titre de cette leçon, qui est donné par Miller, « dissolution de l’imaginaire ». Dissolution de l’imaginaire, mais on ne voit pas ce que veut dire cet imaginaire, parce qu’il y a un envahissement du sujet par l’imaginaire. Dissolution, ça porte à mon avis des malentendus.
Louis Sciara – Il dit ça parce qu’à un moment donné il parle de dissolution de l’autre. Il parle de « dissolution de l’autre, en tant qu’identité ». Il le dit à la fin quand il commence à parler de Schreber. J’ai mis entre guillemets, ça veut que quand j’ai pris des notes, « une dissolution de l’autre en tant qu’identité ».
Martine Bercovici – Oui mais dissolution de l’imaginaire ?
Louis Sciara – Non il ne dit pas ça. C’est plutôt un morcellement, une fragmentation, un télescopage, il emploie plein de termes, de l’imaginaire. Enfin, ce qui est compliqué, c’est que le statut d’un délire, dans quelle mesure il y a quelque chose d’un imaginaire qui opère et qui garde une certaine homogénéité. Quand c’est un délire, par exemple qui se cristallise, où il y a des phénomènes élémentaires, pour lesquels il y a des phénomènes imaginaires pris dans des concrétions réelles qui fragmentent les choses. Enfin, bon !
Bernard Vandermersch – Je pense que c’est intéressant que tu aies repris les histoires de limites quand tu as évoqué l’agressivité où chez l’animal ça se règle par la notion de territoire : l’épinoche, si tout ça se passe bien, alors elle a un système, elle se met à faire des trous ! Enfin bon ! Elle adopte un comportement mâle, qui est en fait un comportement du registre sexuel pour régler une histoire avec la séduction. Et tu as souligné aussi qu’une différence entre la psychose et la névrose autour de l’aptitude, je ne sais pas comment tu disais, mais enfin, que dans la psychose c’est toujours assez tranché : il y a une bascule de l’érotisme vers l’agressivité. C’est d’ailleurs ce que Freud s’étonne à propos de la paranoïa : comment se fait-il qu’il y a une histoire de l’homosexualité refoulée alors que, ce que l’on découvre plutôt dans la clinique, c’est des humiliations, des choses d’ordre…
Louis Sciara – Oui, oui plus directes.
Bernard Vandermersch – Alors que le névrosé, il serait toujours dans une espèce de compromis entre l’érotique et l’agressif, le fantasme érotique est toujours avec une dimension aussi agressive. Il me semble que c’est quelque chose qui fait un point de départ et qui suppose une question de topologie d’ailleurs, l’histoire de territoire et l’histoire de la…
Louis Sciara – C’est ça. Moi j’ai appelé ça l’aire, presque une aire signifiante mais ce n’est pas une aire signifiante.
Bernard Vandermersch – Ce qui se règle par le territoire chez l’animal, se règle autrement dans la névrose, et encore autrement dans la psychose.
Louis Sciara – Et puis il y a quand même une question…
Bernard Vandermersch – C’est au niveau du symbolique…
Louis Sciara – Il y a une question, c’est toi qui m’as fait entendre ça, il y a quelques années, le statut du petit autre est très compliqué. Parce que, est-ce que ce petit autre il est homogène, pour une paranoïa, pour un sujet névrosé, en partant du principe qu’on partagerait ce temps du stade du miroir, mais ce n’est pas les mêmes conditions ? À mon avis, ce n’est pas homogène. Sauf que dans la façon dont Lacan articule les choses, l’enjeu pour lui c’est plutôt de souligner qu’on part de ce qui et en commun pour essayer de montrer la différence et cependant que cette différence elle est quand même, dans la clinique, elle n’est pas si simple à restituer. Enfin bon. C’est pour cela que je voulais parler de ce jeune enfant, si on a le temps, tout à l’heure, on le fera.
Valentin Nusinovici – La formulation que tu as rappelée que le refoulé revient dans la névrose masqué, c’est quand même assez étonnant, parce qu’on a l’impression que c’est l’imaginaire. Mais je crois que le masque dont il s’agit, c’est ce qu’il dit, je ne sais plus d’ailleurs, c’est dans la même leçon ? Il restreint énormément la distinction la psychose et névrose ; dans la névrose, il y a une distinction entre signifiant et signifié. Il y a une barre à cet endroit-là. Mais c’est ça, et c’est même un peu massif, mais le masque, c’est ça. Ce n’est pas un masque imaginaire, c’est que du fait de cette distinction signifiant/signifié, et bien évidemment, l’équivocité, le masque, il est uniquement, c’est un masque dans le langage. Tandis que c’est assez évident, quand on dit c’est masqué, ça a un côté trompeur, c’est purement une affaire de langage.
Marc Darmon – C’est très clair…
Valentin Nusinovici – Non, non, mais je veux dire quelqu’un qui n’a pas trop l’habitude et qui lit ça…
Marc Darmon – Oui mais ce n’est pas un masque imaginaire.
Valentin Nusinovici – Et il ne le dit pas au même endroit, comme toujours Lacan, je crois que c’est à deux endroits différents des leçons qu’il y a ça. Et cette façon de dire…
Marc Darmon – Dans la leçon VIII de Miller, j’ai l’impression que la leçon VIII de Miller répond à cette question !
Louis Sciara – Ah bon, [rires] j’espère qu’on n’a pas… moi j’ai 18 janvier 56. C’est celle dont j’ai parlé rapidement.
Marc Darmon – Il y a un décalage. Je n’avais que cette seule version sur mon bureau.
Louis Sciara – Cette histoire de masque, parce que le masque… c’est d’ailleurs l’extrême, le paradigme, ce que dit Marcel [Czermak] d’ailleurs, c’est que l’objet, le mélancolique dit l’objet, mais c’est un objet sans masque, sans fard. C’est–à-dire c’est le réel même qui parle. On n’est pas dans le cas de Schreber. Et encore quand il y a charogne…
Marc Darmon – Au sujet du petit autre. Le psychotique ici a à faire avec un petit autre où il n’y a pas de grand Autre derrière. C’est ça la différence.
Louis Sciara – Oui en tout cas, il peut y avoir un lieu de l’Autre sans qu’il y ait, enfin, exclusion du lieu de l’Autre : je pense que suivant des cas cliniques, on n’a pas forcément cette…
Marc Darmon – Par ailleurs, il nous dit que la relation à l’autre est maintenue.
Louis Sciara – Mais oui, tout tourne autour du rituel et il le développe à la fin de la leçon à propos de la relation à Dieu en signifiant, je ne sais plus le terme, à la fois Dieu en tant que lui, en tant que donnant une vraie parole et en même temps ce Dieu qui est complètement fragmenté et qui, comme Schreber, est soumis à une fragmentation de petits sujets qui l’habitent. Alors c’est cette dualité et en même temps ce que tu dis c’est classique, effectivement on dit la dimension de l’altérité mais c’est la façon dont il peut y avoir un lieu de l’Autre mais qui n’est pas marqué par le trouage ou par la castration et il n’empêche qu’avec Schreber, on a un Dieu Un et en même temps un Dieu fragmenté, alors…
Bernard Vandermersch – Ce qu’on voit c’est qu’il y a un moment où il n’y a pas d’équivocité.
Louis Sciara – Voilà.
Bernard Vandermersch – Il y a une zone dans le lieu de l’Autre parce qu’on ne va pas dire qu’il n’y a pas d’Autre non plus, on peut le dire comme ça à ce stade-là.
Marc Darmon – De grand Autre.
Bernard Vandermersch – De grand Autre, on peut tout à fait dire ça.
Marc Darmon – Il est très loin.
Bernard Vandermersch – Il y a un lieu de l’Autre quand même, il continue à parler, pas tout le temps, il y a des moments où il est condamné à se taire mais il y a quand même un lien aussi ténu soit-il qui le maintient avec le lieu du langage sauf que dans ce lieu du langage, il y a des zones qui sont complètement sans équivocité, où il n’y a plus d’altérité dans le langage. Parce que l’Autre, Lacan à la fin de sa vie dira : c’est simplement l’Autre, c’est la pure altérité et c’est ça qui dans le lieu de l’Autre vient à manquer. À mon avis. Et on repère cliniquement quand une zone du langage devient non dialectique.
Louis Sciara – Non dialectisable.
Bernard Vandermersch – Non équivoque.
Thatyana Pitavy – J’ai pensé, est ce que ça ne prendrait pas la consistance d’un Autre réel à ce moment-là quand il s’adresse à…
Bernard Vandermersch – La consistance elle est toujours imaginaire, je pense.
Thatyana Pitavy – Oui mais quand il s’adresse à cet Autre, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de l’Autre, comme vous dites, alors est-ce que l’Autre symbolique apparaît, est-ce que quand Schreber il parle à Dieu ce n’est pas l’Autre réel qui est là ?
Bernard Vandermersch – Qu’est-ce que vous entendez par un Autre réel ?
Thatyana Pitavy – Qui n’a pas d’équivoque !
Bernard Vandermersch – Ah oui. C’est une contradiction dans les termes aussi parce que une altérité sans équivoque, où est l’altérité ? Bon.
Valentin Nusinovici – Le petit autre, on pourrait avoir l’impression là quand on discute qu’il est donné dans l’imaginaire. Mais le petit autre, il n’est pas donné dans l’imaginaire non plus ! Ce ne sera pas le même petit autre quand le moi se constitue. Le moi se constitue à partir du petit autre mais le petit autre se constitue dans ce même mouvement ; ça fait que ce n’est pas du tout les mêmes petits autres dans la psychose ou même dans d’autres cas que la névrose typique. Ce n’est pas simplement un départ de (sens ?) d’ailleurs c’est pour ça aussi qu’ils se fragmentent, ils n’ont pas plus de consistance en définitive que le moi propre du sujet.
Louis Sciara – Ça c’est très important parce que pour des cas cliniques d’enfants, psychoses de la petite enfance, la façon dont cet autre, ce petit autre peut se constituer, c’est une difficulté, c’est en-deçà, et donc la difficulté, c’est d’essayer de restituer cette affaire-là. Avec Schreber, on part avec sa lecture, on sait au fond que cette dimension du petit autre, elle pullule.
Valentin Nusinovici – Ça dépend des moments.
Louis Sciara – Ça dépend des moments mais elle y est, quoi, mais la difficulté…
Valentin Nusinovici – Quand elle pullule ce ne sont plus des petits autres, c’est vraiment autre chose.
Louis Sciara – D’accord mais en même temps, enfin je vois ça avec des yeux, récemment je pensais à un cas clinique au C.M.P.P. qui avait été travaillé par la psychomotricienne, par l’équipe et puis aussi parce qu’il va en hôpital de jour, tout un travail de construction de l’image, d’un appui sur l’autre à travers des jeux corporels qui malgré tout, alors que ça paraît prothétique ou ça paraît quelque chose comme une orthopédie de l’affaire, se met progressivement en place. Ou quand Marie Christine Laznik, parle de cas d’autisme avec tout ce travail sur le corps, il y a des choses qui interrogent la façon dont le petit autre vient se construire et prend une dimension orthopédique et c’est une difficulté aussi. Ce n’est pas le cas de Schreber.
Texte relu par Louis Sciara.
Marc Darmon – On va passer la parole à Maria Belo.
Maria Belo – Bonsoir, je voudrais remercier Marc Darmon qui me demanda de venir présenter la leçon IX sans savoir à quoi il se risquait. J’ai dit oui parce que je ne pouvais pas dire non à l’A.L.I. mais en fait je me dis qu’est-ce que je vais raconter parce que je suis ce que Marc Darmon appelle un chercheur isolé, solitaire, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas du tout dans le discours dont vous avez l’habitude et dont vous parlez très facilement les uns avec les autres,
Valentin Nusinovici – C’est pour ça qu’on vous a fait venir.
Maria Belo – C’est gentil. Et donc je ne sais pas très bien si je pourrais, j’ai peut-être plus de questions que de choses autres à dire. Et je voulais là-dessus par exemple dire tout de suite une ou deux questions qui sont posées pour moi bien qu’elles soient très peu prises dans cette leçon, c’est la question du narcissisme primaire que je ne comprends pas du tout et c’est la question du stade du miroir que je me suis habituée à voir d’une façon différente. Mais ça c’est pas pour aujourd’hui parce qu’on n’aurait pas le temps d’en parler. En fait quand j’ai commencé à lire la leçon IX, « On pourrait quand même entrer ensemble dans ce texte Schreber, parce qu’aussi bien pour vous le cas Schreber, c’est le texte de Schreber. » C’est dire que j’ai été tout de suite commencé par lire le texte de Schreber, le texte de Freud sur Schreber, le texte de Silicet[1] qui est un texte que je crois que tout le monde ici connaît, un texte sur la famille de Schreber qui est tout à fait parlant et aussi le texte de la présentation par Lacan plus tard des Mémoires de Schreber.
Ce texte de Schreber qui est très dur à lire, en tout cas pour moi, au départ très intéressant et à partir de la moitié, ça devient très répétitif, ça devient sans âme presque et c’est très long. Par contre le texte de Freud est très riche, à lui seul ça méritait qu’on reste là toute la soirée parce qu’en fait, et Lacan le dit aussi au début de cette leçon, le texte de Freud sur Schreber, je le cite, « est un grand texte freudien au sens où plutôt que ce soit Freud qui l’éclaire, c’est Schreber qui met en lumière la pertinence des catégories que Freud a forgées ». Et quelques lignes après, il note que « l’aise que Freud se donne ici, c’est simplement celle d’y introduire un sujet comme tel, de ne pas juger le fou en termes de déficit et de dissociation des fonctions, le construire comme il convient à partir de l’inconscient. » Et c’est ça qui est en effet tout à fait intéressant parce que aussi bien… (Je suis déjà vieillotte et j’oublie de temps en temps les choses, je m’excuse mais cela va me revenir). Donc les difficultés que j’ai, d’ailleurs au Séminaire d’été quand on m’a dit, ce qui était normal, que le prochain séminaire était sur Les psychoses, je me suis dit, voilà un séminaire que je n’ai pas travaillé beaucoup, ce qui explique que pour moi il est difficile. Lacan dit tout de suite « comme nous sommes psychiatres ou du moins des gens diversement initiés à la psychiatrie », ce qui n’est pas du tout mon cas et ce n’est pas le cas non plus de notre association à Lisbonne. Et donc, c’est des choses pour lesquelles j’ai beaucoup de mal mais la façon dont Schreber écrit ses trucs et dont Freud les commente, c’est quand même très intéressant, ça m’a beaucoup pris. Lacan commence par se référer à Freud pour l’hystérie de défense strictement comme « référence du souvenir traumatique », « registre de la remémoration », « les petites histoires du patient » et c’est quand même, c’est-à-dire que quand Freud a écrit son texte, (je me rappelle maintenant ce que je voulais dire tantôt), quand Freud a écrit son texte et quand Lacan a donné, a fait son séminaire, pas seulement cette leçon mais son séminaire, le texte de Scilicet n’était pas paru, le texte sur la famille de Schreber, et c’est quand même un texte qui pour moi éclaire pas mal de choses, enfin pour moi mais peut-être que je vois ça pas tout à fait comme il faut. Lacan dit : « au point où Freud en est parvenu quand il nous parle du délire et quand il nous l’explique par une régression narcissique de la libido », le retrait de, cela veut dire quand il s’agit de restaurer pour comprendre, « Il y a un transfert de plan, le retrait de la libido des objets représente une désobjectalisation, cela veut dire que le désir qui est à reconnaître dans le délire se situe sur un tout autre plan que le désir qui a à se faire reconnaître dans la névrose ».
Une chose qui m’a beaucoup frappée dans le texte de Freud au départ, parce que ça m’était revenu tout de suite dès que j’ai commencé à lire Schreber, c’est que moi j’entends dans toute la maladie de Schreber, une question de transfert avec son Professeur Flechsig et que cette question de transfert me semble que c’est une façon pour lui d’analyser lui-même son transfert par rapport à Flechsig et aussi c’est une question d’essayer de se débrouiller du discours de son père [Moritz Schreber]. En effet dans ce texte de Silicet, nous voyons que le discours du père est un discours absolument délirant mais qui prend. Qui a un succès fou en Allemagne mais c’est l’annonce du délire de Schreber à mon avis.
On ne parle pas dans cette famille Schreber, on ne parle jamais de la mère [Madame Schreber, Pauline Haase]. On ne sait pas à quel point, quelle était sa place auprès de ce père qui faisait avec ses enfants ce qu’il disait qu’il fallait faire avec les enfants. Par exemple ne pas faire des câlineries, parce que ça faisait venir l’érotisme, que ça c’était mauvais. Par contre à chaque petit problème, grippe, maladie quoi que ce soit, il faisait des clystères à ses enfants. C’est des trucs très forts à ce niveau-là à mon avis. Est-ce que sa femme jouait le jeu? Et aussi quelque chose qui est dit dans ce texte : que pratiquement tous les ancêtres sauf un ont été des gens célèbres, des gens avec une carrière importante. Il y a deux choses qui sont intéressantes, une c’est que pour eux, le plaisir était mauvais mais il existait, alors que pour le père de Schreber, le plaisir n’existe même pas.
Une autre chose que j’ai trouvé dans le texte de Schreber et que j’ai un peu interrogé, c’est que il y a plein de signifiants du nazisme qui sont déjà là. C’est intéressant parce que ça nous pose la question de cette société. Ils n’ont pas inventé le nazisme c’est évident, mais la façon dont cette société s’en est en fait préparé avant 33, comment cette société se préparait à ce qu’est devenu ce qu’on connaît comme nazisme. Car ce n’est pas par hasard que le père a un tel succès en Allemagne.
Lacan nous dit par rapport à Schreber, que la relation du sujet à la réalité est refoulée, c’est l’imaginaire qui couvre le réel. Dans le débat juste avant on disait que le réel n’était pas très présent et la question du symbolique, moi, j’ai gardé l’impression que ce père biologique, de nom, donne le nom, ce père Schreber qui simultanément fait ce dont j’ai déjà parlé, j’ai l’impression que le délire de Schreber tourne autour de retrouver le symbolique qu’il n’arrive pas à trouver dans ce père. Malgré que je dise tout ce qu’il y a.
Il y a aussi la question dont Schreber parle quand même la période entre les années 80 et les années 90, 83 et 94, huit ans où tout se passe bien pour lui, la première maladie qu’il a eue très courte, qui n’avait pas la force de la deuxième et dont il a guéri et entre les deux, huit ans où, selon lui, tout se passe si bien, il est avec sa femme, tout se passe si bien avec sa femme, sauf qu’ils n’arrivent pas à faire un enfant. Et qu’il est quand même presque le seul de toute cette généalogie qui n’arrive pas à faire un enfant. Et par contre il y a aussi quelque chose qui m’a frappée, dans cette première cure qu’il a faite déjà dans l’hôpital de Flechsig et qui a apparemment si bien marché, il a même payé plus que ce qu’il devait parce qu’il pensait avoir une dette envers lui. C’est surtout sa femme qui est ravie de cet homme qui lui a rendu son mari ; elle garde la photo du Professeur Flechsig sur sa table de travail tout au long de ces années. Qu’est-ce que ça peut avoir à voir avec le délire ? Justement de délire de jalousie, d’envie ? Qu’est-ce que ça peut avoir dans ce délire de Schreber ? Par contre s’il n’arrive pas à avoir des enfants, à poursuivre une longue généalogie prestigieuse, ce qui sera au centre de son délire, c’est justement qu’il va, grâce aux rayons de Dieu, donner origine à une nouvelle humanité. Humanité qui va être régénérée à partir de lui et qui va garder une véritable existence. Deux points qui auront peut-être à voir avec le délire d’éviration, de devenir femme.
Lacan nous dit que dans la psychose, le refoulé va retourner ailleurs dans un autre lieu, et là sans masque, différent de la névrose. Je me demandais si l’hallucination telle qu’il nous la raconte n’est pas à sa manière une sublimation malgré les gros inconvénients que cela puisse lui apporter s’il n’y a pas dans ces hallucinations auditives mais pas seulement, une façon, sans texte, je pensais à ça un texte créateur, il n’est pas un artiste, le texte de Schreber on ne le considère pas comme une œuvre d’art, mais en fait il y a quelque chose de ça qui est là à mon avis.
Alors une autre chose présente aussi dans le père de Schreber : cela commence avec le père qui malgré son succès pratique et sa popularité, et qui élabore lui aussi un livre apparemment recevable. L’auteur de l’article dans Scilicet nous dit dans ses remarques finales, la différence entre les anciens Schreber qui imaginaient la réforme, qui militaient même en sa faveur et d’une génération à l’autre en transmettaient la chimère. Mais qu’avec le père de Schreber, le fantasme familial dont le statut imaginaire est toujours sauvegardé, se voit réalisé. Le père de Schreber ne caresse pas une chimère, il est la réforme. Dans sa famille comme dans sa clinique, ce qu’il dit est pris à la lettre. On y croit. À la limite Schreber lui-même se confond, le père de Schreber se confond avec un concept. Médecin, éducateur, père, guide, procréateur. (À un certain moment, c’est intéressant parce qu’il parle du médecin, de l’éducateur et du politicien. Des trois impossibles de Freud, d’une certaine façon).
Lacan rappelle encore dans cette leçon la distinction fondamentale entre le désir refoulé sur le plan symbolique dans la névrose et sur le plan imaginaire dans la psychose, mais on en a déjà parlé. Mais ce n’est pas que cela. Voyons le délire « des êtres humains morts », c’est à dire que vraiment ça nous renvoie, c’est dans le délire de Schreber, ça nous renvoie à son père, d’une certaine façon c’est paradoxale, parce que c’est un type qui fait un succès social très important qui reste encore en Allemagne, tout le monde sait qui est Schreber et en même temps c’est vraiment quelqu’un qui est mortifère. Les transformations corporelles du délire de Schreber, les échanges corporelles, l’intrusion corporelle, la note douloureuse importante, tout ça c’est dans les théories du père de Schreber. La façon d’éjaculer, les clystères, les exercices etc. Tout cela on le retrouve d’une autre façon dans le délire de Schreber, c’est intéressant. Dans le rapport à Dieu, Lacan dit que le mode de relations douloureuses (au pluriel), avec une véritable perte d’autonomie intolérable etc. Il rappelle aussi le rapport aux « âmes examinées » par le Père, impures, remplacées par les rayons divins, rayons purs, les dieux dédoublés. Le mélange entre les âmes examinées et les rayons purs. Flechsig, son médecin, est le chef des impurs, a des mauvaises intentions, se met entre Dieu et lui et parfois une complicité entre les deux s’établit. Nous avons évoqué ici je crois que c’est dans le débat, le fait que « Je suis celui – le Père – qui est loin éloigné, dit Dieu ». Dans le délire de Schreber, donc tout ça renvoie quand même beaucoup au délire du père et c’est une espèce de, Schreber aussi il faut le rappeler, on n’en a pas parlé, Schreber est un juge tout à fait remarquable à ce qu’on a l’impression, donc ce n’est pas n’importe qui, mais on a l’impression qu’il rate complètement dans ce transfert à Flechsig, et à Dieu, et à son père, qu’il rate complètement la capacité de symboliser le délire du père. Puis les voix, enfin je vous rappelle un moment où Melman parlait du fait qu’on est tout le temps en train de parler à l’Autre ; quand on n’est pas sur le divan d’un analyste on est tout le temps en train de parler à l’Autre, au grand Autre disait Melman. Et on voit dans les voix de Schreber quelque chose de cet ordre parce que c’est des voix qui lui parlent, c’est aussi lui qui crée ces voix, qui les suppose.
Et puis il y a quelques points que j’ai notés ici, il y en a un dont j’ai déjà parlé, qui est la question des signifiants nazis, les Sémites, les Aryens, le peuple allemand, devenir le peuple élu de Dieu, le juif errant, enfin tous ces trucs qui viennent là, et la langue fondamentale, qui est quelque chose que pour moi, je ne connais pas, mais que apparemment, c’est quelque chose que Lacan reprend aussi, cette langue fondamentale qui est une façon de parler du père et sur le père, par des antiphrases, des équivoques etc. Puis il y a une chose aussi que j’ai mise là, c’est tout des choses un peu comme ça qui me sont venues, ce transfert sur Flechsig, ou sur Dieu, transfert que nous connaissons en tant qu’analyste, comme un rapport à quelqu’un de supposé savoir et d’autre part ce dieu dont il parle qui ne sait rien en fait sur les humains, il ne sait que sur les humains qui sont morts, parce qu’il est très loin des humains, il n’a aucun contact avec les humains vivants.
Louis Sciara – C’est ce qui protège Schreber.
Maria Belo – C’est ce qui protège ?
Louis Sciara – Ça a une dimension de protection pour Schreber.
Maria Belo – Oui.
Louis Sciara – Parce que s’il avait à faire avec cette affaire-là, il serait complètement fragmenté. C’est-à-dire qu’il y a une place de l’Autre, qui n’est pas barré, enfin c’est comme ça que je l’entends, c’est cette dimension-là. C’est ce qui donne une consistance délirante relativement, enfin très articulée.
Maria Belo – Et un effort de rationalité absolument extraordinaire. J’en ai déjà parlé, Lacan à propos des hallucinations, des hallucinations auditives, rappelle que « pour nous analystes la parole est d’extrême poids et importance, elle est présente, articulée, c’est-à-dire hystorisée. Ce que nous appelons sentiment de réalité, quand il s’agit de restauration de souvenirs, quand oui ou non une réminiscence peut ou non s’organiser dans la continuité historique, ce n’est pas l’un ou l’autre, qui donne l’accent de la réalité, c’est, dit Lacan, l’un et l’autre. Il dit encore le déjà-vu, le déjà-raconté est en effet du jamais raconté, ce qu’on trouve dans les séances parfois d’analyse, du déjà-raconté, et qui est, ce qu’il dit ici en fait, c’est du jamais raconté.
Puis il a toute une fin dans les cinq dernières pages de cette impression La leçon imprimée, où Lacan fait alors là un discours qui ne concerne pas tellement l’histoire de Schreber directement disons, mais le langage, le discours intérieur de l’inconscient. Ce sont des pages très intéressantes, que je ne saurais vous commenter qu’en faisant des citations presque entières et il commente en fait quand même le délire de Schreber mais par rapport à toute cette question du discours de l’inconscient, le discours intérieur qui est toujours là, d’une certaine façon ça revient à ce que je disais tantôt sur la question qu’on parle toujours à l’Autre même quand on ne se rend pas compte, et que l’inconscient c’est ce que cette phrase symbolique, cette construction symbolique permanente qui recouvre de sa trame tout le vécu humain, est quelque chose qui est toujours là, plus ou moins latent, ça se passe sans qu’on y pense. Et il explique comment tout ce que nous faisons en fait c’est d’essayer d’avoir des moments où on peut oublier ce discours qui est là tout le temps. Je me rappelle que mon petit-fils qui, il y a un an peut-être, il est complètement, je ne sais pas très bien comment prendre ça, mais il est complètement pris par les écrans, et un jour je lui disais mais écoute c’est trop, dès que tu arrives de l’école, tu te mets là-dessus, c’est trop, et il me dit comme ça : « c’est pour oublier !» Ce n’est pas du tout ce que je m’attendais à entendre. Voilà. Je crois que Lacan fait à la fin une invite à la lecture de Schreber, qui je pense est intéressante et importante. Je vais arrêter là.
Marc Darmon – Merci beaucoup Maria pour cette lecture. Très sensible, très riche ; à partir de cette sensibilité tu as très bien fait de nous rappeler cet article sur la famille de Schreber aussi bien que le numéro de Ornicar sur un long poème que Schreber a écrit pour l’anniversaire, [90 ans] de sa mère[2]. Très intéressant.
Oui, dans ce numéro de Ornicar il y a une photo de Schreber et de sa fille adoptive.
Donc j’ai trouvé ça très intéressant qu’il fasse le lien entre le délire du père et le délire de Schreber et le délire de la langue du Troisième Reich, avec la langue fondamentale, qui est une langue pleine d’euphémisme, je ne sais pas si tu as trouvé le vocabulaire. C’est-à-dire on parlait d’une « action » pour aller persécuter des juifs dans un village, il y avait donc ce caractère schrebérien de la langue du Troisième Reich. Il y a aussi dans la correspondance de Freud et de Jung, et c’est Jung qui a fait lire les Mémoires de Schreber à Freud, et pendant ces années de cette lecture, Jung et Freud échangent des mots schrebériens. Il y avait une sorte de mode où on utilisait les mots de Schreber. Vous vouliez dire quelque chose ?
Une personne dans la salle – Oui, je vous l’ai dit, le délire du père, ça m’a rappelé … c’est vrai que le cas Schreber ça a été un peu une passion pour moi et que il y a des années déjà [inaudible] et c’était un travail avec un groupe psychiatrique à Rio, on travaille ensemble sur des cas comme ça, de paranoïa, à l’époque je rassemblais énormément de bibliographie et j’ai lu un livre, je me suis faite aider par mon frère qui parle allemand, et c’est un livre où il montre en détail le travail de chercheur du père de Schreber en orthopédie, pas n’importe quoi, c’est-à-dire tous les instruments qu’il construisait et qu’il expérimentait sur ses enfants, c’est-à-dire c’était un travail à la fois de guérison, enfin pour guérir les problèmes qu’il estimait qu’il fallait guérir, mais il a créé toute une idéologie bien sûr qui a été après énormément utilisée par les nazis, de prévention, de correction du corps ; donc les interventions du corps je pense que tous les enfants Schreber, de ce monsieur, ont très bien connu d’être attachés, d’être tenus avec des bouteilles entre les genoux, enfin des choses qui étaient totalement de la torture et je trouvais que à l’époque j’étais assez terrifiée de voir ces dessins qui sont très évidents d’une folie exercée librement sur les membres de la famille.
Louis Sciara – Ce qui est compliqué c’est, je trouve que c’est très important que tu aies parlé du père de Schreber, mais ce qui est compliqué à mon sens c’est toujours comment peut-on à la fois considérer, dans un délire pareil, il y a quelque chose qui évidemment se construit dans le bain de langage dans lequel il a baigné, et en même temps quelque chose qui est hétérogène à l’affaire, c’est-à-dire que ce n’est pas le même réel malgré tout, ça ne sonne pas de la même façon et la difficulté, alors dans cette leçon il y a un truc qui m’avait beaucoup frappé, c’est les efforts incroyables de Lacan pour restituer comment la pensée, la parole a du poids, toute l’articulation symbolique, toute la trame symbolique de ces pensées intérieures ; et en même temps il dit mais chez Schreber, c’est au clair, c’est quelque chose qui du coup est démasqué, et c’est ce qui fait, à mon sens, le pont, c’est pas dans la leçon mais finalement c’est un truc que j’ai toujours en tête, peut-être parce que j’ai été beaucoup à Sainte-Anne, avec la question de l’automaticité langagière, c’est-à-dire, que ce soit d’ailleurs pour les questions de phrases interrompues ou pour un certain nombre d’hallucinations, surtout pour les phrases interrompues, et je trouve que ce qui est important c’est de souligner que dans cet effort que fait Lacan dans la leçon de rendre compte de ce fil symbolique qu’il ne faut pas négliger puisqu’il dit que dans les interprétations analytiques qui ont suivi sur Schreber il y a la question de la défense, la question moïque, et que tout ça masque l’idée qu’il y a des phénomènes verbaux, des phénomènes langagiers qui sont aux commandes et qui sont plutôt, qui donnent le rapport le plus proche du réel de la question de la structure de Schreber. Donc ça je trouve que c’est, dans la leçon c’est très marqué, et en même temps on voit le pas de côté de Lacan pour rendre compte que ce n’est pas homogène, ce n’est pas la même chose. Et donc ces histoires générationnelles ça évoque aussi, parce qu’on dit qu’il faut trois générations pour faire un psychotique, comment dire, ça permet de construire autour d’un cas, quelque chose d’une logique structurale qui s’appuie sur des signifiants qui ont circulé dans une famille, sur l’éducatif, la gymnastique, le côté froid, le côté inaffectif, et en même temps il y a quelque chose qui toujours marque un écart, parce que malgré tout la difficulté c’est de ne pas en faire, ce n’est pas ce que tu as fait, mais pour moi c’est ce que souligne cette notion, une psychologisation des phénomènes élémentaires, des phénomènes verbaux, pour dire qu’il y a autre chose. Les registres ne se conjuguent pas de la même façon. J’insiste là-dessus parce que je crois que c’est le point, enfin quand j’ai lu la leçon je l’ai lue très rapidement, enfin je crois que c’est le point essentiel de la leçon, c’est-à-dire qu’il nous détache après la leçon VII de la question de la défense, du moi, etc., il parle de la vraie hystérie, et il ramène vers quelque chose qui a trait à la structure de la langue dont parle Schreber. Et la Grundsprache c’est peut-être ce qui est le plus, comment dire, c’est ce qui restitue au plus près du réel de la langue de Schreber, puisque je pense que même les phénomènes hallucinatoires plus féconds, plus positifs qui viennent se greffer dessus, ça ne rend pas compte de cette Grundsprache qui est tissée par à la fois le bain de langage de l’Autre dans lequel il a baigné et en même temps comment lui en fait une certaine créativité. Et ce qui est important aussi c’est ce terme de créativité c’est-à-dire dans quelle mesure, il y a une créativité, qui est surdéterminée, et en même temps on voit bien que tout le monde ne fait pas ce que fait Schreber. Et donc c’est toujours ces gens qui nous sidèrent, parce qu’ils sont capables d’élaborer des choses invraisemblables, on l’entend en clinique, et d’autres qui restent, parce qu’ils n’ont pas forcément la structure spéculaire a minima, qui restent en-deçà. Enfin voilà.
Bernard Vandermersch – Ce que tu dis là, si j’ai bien compris, c’est que le délire du père de Schreber, ce n’est pas le délire du fils. Parce que le père, il ne délire pas.
Louis Sciara – Oui, lui il est éducatif.
Bernard Vandermersch – Tandis que le fils, il délire. On peut dire que le père c’est un système complètement fou, mais qui était parfaitement reçu par tout le monde, mais toutes les éducations du monde sont toutes un peu folles. Les aborigènes australiens se coupent le pénis pour en faire deux, on voit toutes les choses dans l’humanité, ça n’est pas des délires. Je crois que c’est important. Même dans le délire de Schreber on retrouve, il faudrait voir, on dit ce qui est forclos revient dans le réel, enfin dans la réalité en tout cas. Mais ce n’est pas exactement la même chose, il y a un aspect de re-symbolisation, je ne sais pas s’il faut le dire comme ça. Toi tu as été jusqu’à évoquer la sublimation. Est-ce que l’écriture de ce livre par Schreber c’est une sublimation ? C’est-à-dire une satisfaction qui, enfin sans en passer par la satisfaction pulsionnelle, enfin sexuelle, c’est ça la sublimation.
Maria Belo – C’est quand même pas mal qu’il ait gagné son procès.
Bernard Vandermersch – Oui… Ça m’a intéressé que tu aies appelé ça sublimation, mais peut-être que Marc [Darmon] va reprendre ça ?
Marc Darmon – Non, écoute, la question la plus fondamentale est de différencier un délire d’une idéologie folle et Maria [Belo] a très bien compris la proximité. Mais il y a quelque chose aussi dont il faudrait tenir compte, c’est la théorie, la théologie de Schreber, son histoire des rayons porteurs de voix et surtout son système où il risque d’attirer les rayons porteurs de voix et de vider Dieu de sa substance ; c’est-à-dire, effectivement Freud note à ce moment-là la proximité de la théorie, de la théologie de Schreber et sa théorie de la libido. On retrouve le narcissisme, le mouvement du narcissisme de retrait de la libido des objets pour investir le moi. Donc c’est effectivement c’est quelque chose, qu’est-ce qui différencie ça de ce que raconte Schreber… et la phrase de Freud sur… [inaudible]
Valentin Nusinovici – C’est nous qui disons que Schreber fait une théorie ! Lui ne dit pas qu’il fait une théorie.
Marc Darmon – Il fait la théorie de sa pratique.
Valentin Nusinovici – Mais lui, il ne penserait jamais qu’il fait une théorie. Freud sait qu’il fait une théorie, avec la psychologie évidemment…
Marc Darmon – Non mais il dit que ce qu’il avance, par exemple son texte sur les hallucinations où il discute des thèses des psychiatres de l’époque, c’est d’une grande valeur théorique.
Martine Bercovici – Mais son objectif c’est de témoigner d’une expérience,
Marc Darmon – Oui, pour aider la science, pour faire avancer le schmilblick !
Bernard Vandermersch – Oui, mais ça n’est pas du tout, il fait quelques hypothèses Schreber, il prend la précaution de, mais dans l’ensemble le cœur de l’affaire n’est pas discutable. Alors que Freud va quand même discuter sa théorie de la libido.
Bernard Vandermersch – En tout cas Freud dit qu’on ne peut pas faire la différence entre psychose, paranoïa et névrose à partir de ce qu’il raconte, du fantasme, ça ne suffit pas.
Marc Darmon – Alors il y avait un autre point, c’est la différence entre le délire et le rêve par exemple, c’est-à-dire le rêve porteur d’un, représentant un désir réalisé, ce qui n’est pas le cas du délire.
Texte relu par Maria Belo.
Transcription : Dalila Bouamrirene, Franck Salvan, Inès Segré, Danielle Bazilier.
Relecture : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.
[1] « La remarquable famille Schreber », Scilicet 4, Seuil, 1973.
[2] Schreber D. P., Rimes à sa mère, Ornicar ? Revue du Champ freudien, janvier 1984, n° 28, p. 19-35.