Séminaire de préparation – Mardi 2 octobre 2018.
La Relation d’objet et les structures freudiennes.
Leçon I Marc Darmon – Discutant Pierre-Christophe Cathelineau.
Marc Darmon – J’espère que vous vous êtes procuré la très belle édition de La relation d’objet et les structures freudiennes que nous devons à Élisabeth de Franceschi. Il y a un appareil de notes très conséquent. Toutes les notes ne sont pas indispensables mais la plupart sont très intéressantes.
Je vous propose ce soir de commencer par la leçon I. L’avertissement donné par Élisabeth de Franceschi est très intéressant, elle situe ce séminaire dans son époque historique ce qui est important pour comprendre en particulier cette première leçon. Le contexte historique est une lutte entre une fraction de l’Institut contre Lacan, c’est-à-dire Lacan propose depuis quelques années un retour à Freud et il a pour rival principal Maurice Bouvet dans la Société Psychanalytique de Paris, où il était considéré comme le théoricien en vogue. Lacan va s’attaquer à la théorie de la relation d’objet qui était en pointe dans les réflexions théoriques de l’Institut. En particulier, il y avait un ouvrage qui a pour titre La Psychanalyse aujourd’hui, sous la direction de Nacht, avec Lebovici, Bouvet, Diatkine Favreau, Pasche, de Ajuriaguerra, Marty, Fain, Racamier, Marie Bonaparte, Benassy, Widerman. (MCL – Il y a de tout là-dedans !) Oui, il y a de tout là-dedans et en particulier des auteurs… Je n’ai pas retrouvé dans ma collection, j’ai trouvé par contre, un numéro de La Revue française de psychanalyse de 1960 où il y a un article de Bouvet sur le Congrès de psychanalystes de langues romanes à Rome. Bouvet était chargé du rapport et de la discussion du rapport. Le séminaire commence par cette allusion à l’évolution historique de la psychanalyse qui fait allusion à ce numéro de cet ouvrage collectif qui était paru récemment.
Lacan se propose de discuter la relation d’objet sans oublier le sous-titre, le titre complet du séminaire La relation d’objet et les structures freudiennes. Lacan nous rappelle que dans notre champ théorie et clinique sont étroitement mêlées. Quand un parti pris théorique, une orientation théorique va forcément avoir des répercussions sur notre pratique. Il entreprend cette critique de la relation d’objet à la lumière de la relecture de Freud. Les structures freudiennes vont lui servir d’appui pour attaquer cette théorie de la relation d’objet.
Dans un premier temps, il fait le récapitulatif des trois premiers séminaires, le dernier c’était Les [structures freudiennes des] psychoses et de l’apport de chaque séminaire qu’il considère comme étant suivi par son public. Le séminaire va commencer par ce rappel et en particulier sur la notion de signifiant qui s’est affirmée dans le séminaire sur Les [structures freudiennes des] psychoses. Il y a aussi l’étude de l’« Au-delà du principe de plaisir » dont il va être question un peu plus loin. Il va s’attacher à la formule « […] le rapport virtuel tel qu’il est constitué au départ de l’analyse : rapport de parole virtuel, par quoi c’est de l’Autre, que le sujet reçoit, sous la forme d’une parole inconsciente, son propre message ; […] » Cette formule qui est rappelée : le sujet reçoit son propre message sous une forme inversée mais comme des paroles inconscientes, paroles virtuelles. Il va d’emblée rappeler ce qu’il a appelé le schéma L. Schéma L construit dès ses premiers séminaires, le séminaire sur le Moi [dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse]. Lacan va le reproduire et le commenter.
Vous connaissez tous ce schéma où l’inconscient c’est le discours de l’Autre c’est-à-dire que le sujet reçoit son message sous une forme inversée, à partir de l’Autre, et voyez qu’en traversant l’axe de l’imaginaire, c’est-à-dire entre le petit autre et le Moi, le discours de l’Autre ne se donne que par petits morceaux, il est en pointillés parce que le discours de l’Autre a traversé ce gril imaginaire qui est tendu entre le Moi et son image. Il y a le sujet qui rappelle l’homophonie entre le S du sujet et le Es du Ça. Voyez que le Moi est sous la dépendance du grand Autre, du petit autre et le sujet se trouve traversé par ce discours, il est plus manipulé par le discours de l’Autre qu’il n’est l’émetteur de ce discours.
Alors vous avez remarqué des petits ronds pleins et des petits ronds vides, d’après vous c’est quoi ? C’est toujours représenté comme cela.
[Chuchotements dans la salle alors que Marc Darmon dessine.]
Alors vous reconnaissez ? Alors vous ne reconnaissez pas ? Oui ?
[Chuchotements]
Un schéma de Freud, oui, pour parler du proton pseudos hystérique.
[Schéma de Freud dans l’Esquisse pour une psychologie scientifique p. 363-367.]
Vous avez une hystérique, elle ne peut pas aller seule s’acheter des vêtements, c’est triste… Elle ne peut pas s’acheter des vêtements parce qu’elle a peur d’être seule dans une boutique, parce que le commis quand elle a acheté des vêtements s’est moqué d’elle. C’est l’histoire qu’elle imagine être la cause de sa phobie. En fait l’analyse va découvrir l’histoire traumatique c’est-à-dire quand elle est allée, petite, chez l’épicier acheter des bonbons, et l’épicier lui a touché le sexe à travers les vêtements, et elle est retournée chez l’épicier. Il y a des éléments inconscients. Il y a des éléments conscients : c’est le commis, les rires ici, ici c’est les vêtements et puis cette flèche désigne la déliaison sexuelle, c’est-à-dire qu’il va s’attacher un complexe inconscient – être seule-boutique – qui déclenche la fuite. On voit que c’est un réseau avec des lignes pointillées et des lignes pleines et puis des ronds pleins et des ronds vides. Alors quelle est la signification des ronds pleins et des ronds vides ? Les ronds vides sont les éléments inconscients, les ronds pleins sont des éléments conscients.
Je fais l’hypothèse que Lacan s’est inspiré de ce réseau pour construire une partie de son schéma L. Il y a ce qui vient de l’inconscient est en pointillés et puis il y a cette voie de dérivation et les éléments en rond pleins sont les éléments conscients. On peut dire que dans le schéma L il y a des éléments inconscients qui sont d’une part le grand Autre dont le discours va être celui de l’inconscient, d’autre part une partie du Moi qui va être inconsciente. Et des éléments conscients qui sont le sujet et le petit autre. C’est-à-dire quand on va se regarder dans le miroir ou se réfléchir soi-même sur notre Moi, on est aliéné à l’image de l’autre pour en parler. C’est-à-dire notre Moi est en partie inconscient. Freud avait aussi parlé du Moi comme étant en partie inconscient, je vous propose ça, je ne sais pas ce que ça vaut…
Pierre-Christophe Cathelineau – Mais sur le schéma, il y a une notation qui est curieuse, c’est le fait qu’il écrit Es, Ça, et à côté S comme le signifiant du sujet, donc ça veut dire que pour Lacan, la dimension du Ça, au moins dans le schéma, est ramenée à celle du sujet. Est-ce que c’est bien ça ?
Marc Darmon – Dans une certaine mesure, parce que c’est une première approche du sujet de dire le Ça, c’est-à-dire le Ça, ça va être le sujet de l’inconscient, c’est le « Je doit advenir là où était le Ça », là ou c’était.
Marie-Christine Laznik – Wo Es war soll Ich werden (MD – Donc, le Ça) c’est ce Ich qu’il traduit par sujet.
Marc Darmon – Oui mais il fait le lien entre le S de sujet et le Ça du Es.
Jeanne Wiltord – Pourquoi le sujet il est plein ?
Bernard Vandermersch – Et pourquoi le sujet il est plein là ?
Pierre-Christophe Cathelineau – C’est la typographie, c’est ce que je voulais faire remarquer, c’est que le sujet n’est pas barré.
Marc Darmon – Non, pas barré à ce moment-là.
Pierre-Christophe Cathelineau – Il n’est pas barré, justement c’est ça le truc, c’est un sujet qui ne subit pas la barre du refoulement.
Marie-Christine Laznik – À quel moment Lacan introduit la barre sur le sujet ?
Marc Darmon – Je ne sais pas. Dans le Désir et son interprétation, non ?
Pierre-Christophe Cathelineau – C’est ça, c’est plus tard.
Marie-Christine Laznik – En tout cas dans Les Formations de l’inconscient on l’a. C’est l’année d’après.
Valentin Nusinovici – Sur le graphe !
Marc Darmon – Sur le graphe, il y a le sujet et il y a même une ébauche de l’objet a, puisque dans la formule du fantasme, le sujet barré et l’objet a.
Pierre-Christophe Cathelineau – Et on pourrait dire que le lieu de la barre dans le schéma, elle y est la barre, elle est entre, c’est l’axe a-a’, c’est l’axe imaginaire, c’est l’axe imaginaire qui constitue la barre entre les deux pôles qui fait le gril à l’inconscient (Marc Darmon – Face au discours de l’Autre)
Marc Darmon – Alors ! Cette « […] relation imaginaire interrompt, ralentit, inhibe, inverse le plus souvent, et profondément méconnaît par une relation essentiellement aliénée le rapport de parole entre le sujet et l’Autre, le grand Autre en tant qu’il est autre sujet, en tant que par excellence il est sujet capable de tromper. » Vous voyez, c’est un schéma qui met en cause la théorie de la relation d’objet dans la mesure où les théoriciens de la relation d’objet ont dit que la théorie de Freud est axée sur le sujet. Ils considèrent le sujet comme…
Marie-Christine Laznik – Ils disaient sujet ? Il faudrait que je regarde, ils ne disaient pas Moi, non ?
Marc Darmon – Il parle de sujet, mais…
Marie-Christine Laznik – Ils utilisent déjà le terme de Freud et Lacan ?
Marc Darmon – Oui, je vais te lire un passage de Bouvet (MCL – C’est déjà sujet ?). (VN – Oui ! Mais c’est le sujet-objet)…C’est le sujet-objet, c’est-à-dire les théoriciens de la relation d’objet critiquent ce côté autiste du sujet freudien. On n’a qu’un sujet, un individu avec un inconscient.
Marie-Christine Laznik – Parce qu’il ne faut oublier dans Freud, dans toute l’œuvre de Freud le mot Subjekt apparait huit fois, c’est toujours à propos du troisième temps du circuit pulsionnel mais ce n’est pas le sujet, c’est l’autre sujet, c’est celui que le Ich fait jouir dans le troisième temps du circuit. C’est le seul moment où Freud utilise Subjekt dans toute son œuvre. Il utilise le Ich, il n’y a pas le mot Subjekt, ou Individuum (MD – Là, il s’agit de, dans le discours des…) Je croyais que c’était Lacan, tu crois que c’est déjà à la SPP avant Lacan ?
Marc Darmon – Ce n’est pas du tout dans le sens de Lacan (MCL – Ah oui mais déjà le mot). Le mot était utilisé mais dans le sens du bonhomme quoi !
Valentin Nusinovici – Au sens de ce qui renvoie à l’objet au sens courant (MD – Oui ! Au sens philosophique). L’objet mais au sens même de la langue courante (MD – Au sens de la langue courante). Mais oui, c’est comme ça qu’il l’utilise.
Marc Darmon – Il ne s’agit pas du sujet que représente un signifiant. (VN – Mais non !). Alors, donc, pour eux c’est la psychologie d’un unique sujet alors il faut considérer, disent-ils, l’environnement. Par environnement ils entendent les relations d’objet avec d’autres objets, d’autres sujets parce que quand ils parlent par exemple de l’objet génital, l’objet génital c’est la femme.
Valentin Nusinovici – Pour Lacan aussi (MD – Oui pour Lacan aussi) mais pas dans le même sens. C’est comme ça que commence la leçon II. C’est là que ça devient plaisant.
Marc Darmon – Oui mais alors ils te disent que c’est très restrictif de faire une psychologie d’une personne, une psychanalyse d’une personne s’il s’agit d’une psychanalyse de two body’s psychology ou de three body etc…Le schéma de Lacan permet d’aller voir comment il va l’utiliser. On a déjà vu comment il l’utilisait dans les séminaires précédents. Vous allez voir comment il va l’utiliser en plaçant différents signifiants au sommet de ce schéma et en particulier dans son application à l’histoire de « La lettre volée », on parle des personnages permutés aux quatre coins de ce schéma. Donc la différence avec les théoriciens de la relation d’objet, c’est que ces permutations sous-entendent un changement de dimension introduite par les différentes places. Il y a des places imaginaires, il y a des places symboliques, ce qui échappe tout à fait aux théoriciens de la relation d’objet. Alors ensuite, Lacan va s’intéresser à ce terme d’objet et il va nous dire que finalement les théoriciens de la relation d’objet situent leur réflexion sur l’axe a-a’ c’est-à-dire vont définir un objet comme le dit Valentin [Nusinovici] dans le sens classique dans un rapport de sujet à objet, l’objet étant un autre sujet, alors ça prend une coloration orale, anale, prégénitale, génitale, le but étant évidemment la relation génitale qu’il présente comme une sorte d’idéal, idéal pas forcément accessible mais comme le but de l’analyse, d’amener le sujet d’une position névrotique prégénitale à une position génitale.
Pierre-Christophe Cathelineau – Et ça ce n’est pas très éloigné non plus de certains textes de Freud (MD – oui). Freud dit lui-même sur ce primat du génital comme finalité de la cure. Il le dit. (MD – Oui mais c’est plus…) C’est plus accentué.
Marc Darmon – Alors, et c’est ainsi que Bouvet, par exemple, va parler de la distance entre l’analyste et l’analysant – pas l’analysant, mais l’analysé à l’époque – comme une distance à régler, c’est-à-dire il y a des rapprochés, dit-il, du sujet analysant à l’analyste et des éloignés. Alors il faut jouer avec cet éloignement et ce rapprochement dans le transfert. Je vais vous lire un passage de Bouvet. Donc au cours de son rapport, c’est un texte de 1960, ce n’est pas exactement, trois ans après le séminaire mais j’ai trouvé ce texte qui synthétise bien la théorie de la relation d’objet chez Bouvet, Maurice. Alors je vais vous le lire, c’est un petit peu long mais c’est intéressant pour voir de quoi il s’agit :
« Je ne désire dans ce court chapitre que rappeler l’essentiel de ce que j’ai dit sur la relation d’objet dans différentes publications depuis 1952, date à laquelle j’ai été amené dans un rapport sur le Moi dans la névrose obsessionnelle à étudier la relation d’objet dans cette affection en prenant comme point de départ les études de Freud, d’Abraham, de Mélanie Klein, de Glover et de Faidern. Sont relations d’objet, toutes celles que le sujet noue avec son environnement mais aussi avec les objets qu’il a intériorisés et qui constituent non seulement le Surmoi mais aussi l’Idéal du Moi ». Vous voyez, c’est une notion très étendue de la relation d’objet.
« Au cours d’une analyse, les désirs instinctuels du sujet se projettent comme on le sait sur l’analyste, objet externe, mais également les interdictions et les défenses exprimant l’activité de ses imagos internes. Pour préciser les idées, je dirais par exemple que le transfert sur l’analyste des rapports d’une fille à l’égard de son père est fait non seulement des relations d’amour et de haine qui furent celles qui l’aliénèrent à ce dernier mais aussi des interdictions et des restrictions souvent modifiées que celui-ci apporta autrefois à l’expression de ces tendances. Cela n’empêche pas bien entendu que l’imago maternelle par exemple n’intervienne en tiers dans le rapport père-enfant, faisant elle aussi sentir son action dans le dialogue qui se développe entre les deux protagonistes. Il n’y a là nulle contradiction et l’on peut même dire que la double situation est impliquée dans toute relation triangulaire alors qu’il reste simplifié dans les relations duelles unissant la mère et l’enfant. L’objet dans cette perspective n’est nullement réduit à la projection, il garde ses caractéristiques objectives et l’on peut dire seulement que celles-ci donnent plus ou moins appui à la projection elle-même, quoique leur rôle se limite à cela car je ne crois pas que les caractéristiques de l’objet réel puissent être jamais perçues directement de façon assez claire pour constituer un obstacle suffisant à la projection. Elle la facilite plus ou moins seulement dans le transfert de l’analyste, on le sait, garde une neutralité absolue et les projections ne se développent qu’en fonction du sujet mais dans la vie courante, il n’en est pas de même. Par son attitude, l’objet peut aussi bien exaspérer que gêner les activités projectives. Dans des cas exceptionnels, il arrive que l’attitude de l’objet soit telle qu’elle soit très peu favorable à la projection mais il faut bien dire que c’est là chose rare et qui en général ne peut résister longtemps à cette tendance qui est commune à tous les êtres, de façon d’ailleurs extrêmement variable suivant le type de leur relation d’objet. Cette tendance à la projection est si universelle que pour ainsi dire elle ne manque jamais, seulement je le répète, elle se développe d’une façon fort différente selon que les relations objectales appartiennent à l’ordre prégénital ou à l’ordre génital. La différence fondamentale entre ces deux ordres étant marquée par l’absence ou la présence de la génitalisation des pulsions sur laquelle Freud a si justement insisté. D’un autre côté, il serait exact de dire que la projection, pour si constante qu’elle soit, n’est pas progressivement réductible sans quoi l’on ne saurait comprendre comment on peut introduire l’action thérapeutique au cours d’une analyse. Celle-ci est de fait une situation dans laquelle peuvent se développer librement toutes les projections inconscientes. Elles supposent évidemment qu’elles n’oblitèrent jamais de façon totale les caractéristiques propres à l’objet, ou que, si elles le font, ce n’est que de manière temporaire. Même dans les cas invétérés, névroses orales, la projection reste sensible à l’analyse. Fréquemment, il est nécessaire de faire usage de techniques appropriées qui arrivent à la dissoudre, non sans peine d’ailleurs, le plus souvent en la faisant d’abord changer de sens, c’est-à-dire en la transformant de négative en positive, puis en dissociant cette dernière. La distance dans une relation d’objet marque l’écart entre ce qu’est, à un moment donné, la relation du sujet à son objet et ce qu’elle serait si tous les aménagements de la dite relation, aménagements synonymes de défenses et marquant l’accommodation d’une relation externe alors que le terme de défense désigne plus spécialement les mesures que prendrait le Moi pour éviter que l’apparition de certains contenus dans l’inconscient n’affectent sa tranquillité intérieure, était supprimé, autrement dit si la situation relationnelle inconsciente devenait consciente sans être adaptée ou aménagée, etc., […] La distance varie au cours d’une analyse, d’une manière générale, elle a tendance à se réduire mais sa diminution progressive n’empêche qu’elle subisse des variations temporaires qui dépendent de l’analyse elle-même, évocation d’un conflit nouveau ou d’un nouvel aspect d’un conflit déjà abordé ou de circonstances intercurrentes, elle peut augmenter. Lorsqu’elle diminue, on dit qu’il y a un rapproché, le rapproché étant un mouvement qui peut se produire à partir d’une très longue distance mais c’est un mouvement qui tend vers un but, la reviviscence de la situation relationnelle inconsciente sans intervention d’aménagements comme je viens de le dire. On pourrait alors employer l’expression, de rapproché effectif » – le rapproché effectif, c’est un terme à retenir – « ce qui ne veut pas dire qu’il soit pour autant stabilisé ce qui n’est obtenu qu’avec les progrès de l’analyse. »
Vous voyez comment on aboutit à un discours où on ne retrouve aucune avancée de Freud, ça laisse étonné, c’est de la psychologie ordinaire, en réduisant tout aux objets. Alors l’objet, on voit bien dans ce texte que l’objet c’est le partenaire, la partenaire et puis dans l’analyse, c’est simplement faire…
Marie-Christine Laznik – Et les imagos aussi quand même. Il concède qu’il y a le partenaire et les imagos. Tu as rajouté ça quand même.
Marc Darmon – Oui, les imagos c’est les objets internes (MCL – Voilà ! Les objets internes qui devraient être projetés sur l’objet.) Alors en employant ce terme de projection qui situe bien le travail c’est-à-dire sur l’axe imaginaire. (PCC – Oui c’est ça). Alors Lacan nous dit : « Assurément l’ensemble est tout à fait frappant : c’est autour de la relation d’objet que ceux qui pratiquent l’analyse essaient d’ordonner leurs esprits, la compréhension qu’ils peuvent avoir de leur propre expérience, [même si elle] ne nous semble pas devoir leur donner une satisfaction pleine et entière. Mais d’un autre côté, [que] tout ceci n’oriente, ne pénètre très profondément leur pratique, et que de concevoir leur propre expérience dans ce registre ne soit quelque chose qui n’ait vraiment des conséquences, dans les modes même de leur intervention, dans l’orientation donnée à l’analyse et du même coup dans ses résultats, c’est ce que l’on [ne] peut méconnaître à simplement [les] lire [et les] commenter, alors qu’on a toujours dit que la théorie analytique et la pratique ne peuvent pas se séparer, se dissocier l’une de l’autre : dés lors qu’on la conçoit dans un certain sens, il est inévitable qu’on la mène également dans un certain sens, [même] si le sens théorique et les résultats pratiques ne peuvent être eux-mêmes qu’aperçus. »
Lacan rappelle que le terme de relation d’objet si on veut s’appuyer chez Freud pour la défendre, d’abord on ne la retrouvera pas chez Freud. Il considère que c’est une déviation de la théorie analytique. Que dit Freud de l’objet ? Chez Freud, on parle bien entendu d’objet.
« La division des Trois Essais sur la sexualité s’appelle précisément « la recherche » ou plus exactement « la trouvaille de l’objet ». On parle de l’objet d’une façon implicite chaque fois qu’entre en jeu la notion de réalité. On en parle encore d’une troisième façon chaque fois qu’est impliquée l’ambivalence de certaines relations fondamentales, à savoir le fait que le sujet se fait objet pour l’autre, qu’il y a un certain type de relations dans lequel la réciprocité [pour le sujet] d’un objet est patente, et même constituante. »
Alors vous voyez cela rentre en contradiction logique avec cette notion de distance par rapport à l’objet, du sujet qui se rapproche, qui s’éloigne etc. de l’objet et chez Freud il y a possibilité d’identification à l’objet, donc la distance entre l’objet et le sujet c’est pauvre par rapport à cette identification à l’objet mais encore une fois cela concerne l’axe a/a’. Toujours en s’appuyant sur les Trois Essais de la sexualité à l’époque de l’Esquisse, « Freud insiste sur ceci, que de toute façon pour l’homme de trouver l’objet est et n’est jamais qu’une suite d’une tendance où il s’agit d’un objet perdu, d’un objet qu’il s’agit de retrouver. L’objet n’est pas considéré, comme la théorie moderne, […]» (il plaisante sur la théorie moderne comme relation d’objet) « […] comme étant pleinement satisfaisant, l’objet typique, l’objet par excellence, l’objet harmonieux, l’objet qui fonde l’homme dans une réalité adéquate, dans la réalité qui prouve la maturité, le fameux objet génital. » C’est plutôt l’objet perdu qu’il s’agit de retrouver et que l’on ne retrouve jamais. On ne le retrouve jamais parce qu’il n’a jamais été perdu.
« Il est tout à fait frappant de voir qu’au moment où Freud fait la théorie de l’évolution instinctuelle telle qu’elle se dégage des premières expériences analytiques, il nous l’indique comme étant saisie par la voie d’une recherche de l’objet perdu. Cet objet correspond à un certain stade avancé de la maturation des instincts ; [mais] c’est l’objet retrouvé du premier sevrage, l’objet précisément qui a été d’abord le point d’attache des premières satisfactions de l’enfant – c’est un objet retrouvé.
Il est bien clair que la discordance instaurée par le seul fait [de] ce terme de la répétition, ce terme d’une nostalgie qui lie le sujet à l’objet perdu et à travers laquelle s’exerce tout l’effort de la recherche et qui marque la retrouvaille du signe d’une répétition impossible puisque précisément ce n’est pas le même objet, ça ne saurait l’être ; [que] la primauté de cette dialectique qui met au centre de la relation sujet-objet une tension foncière qui fait que ce qui est recherché n’est pas recherché au même titre que ce qui sera trouvé, que c’est à travers la recherche d’une satisfaction passée et dépassée que le nouvel objet est recherché, et trouvé, et saisi ailleurs qu’au point où il est cherché ; [que] la foncière distance qui est introduite par l’élément essentiellement conflictuel qu’il y a dans toute recherche de l’objet, c’est la première forme sous laquelle dans Freud apparaît cette notion de relation d’objet. »
L’objet freudien, l’objet perdu ne correspond pas du tout à l’objet tel qu’il est conçu par la théorie de la relation d’objet et ce qui donne à Lacan l’occasion, il critique. Il dit que l’histoire de sujet-objet a inspiré ceux qui ont une connaissance philosophique.
On parle d’une « […] certaine conception de l’objet comme l’objet adéquat, comme l’objet attendu d’avance, coapté à la maturation du sujet, toute cette distance est déjà impliquée dans ce qui oppose une perspective platonicienne – celle qui fonde toute appréhension, toute reconnaissance sur la réminiscence d’un type en quelque sorte préformé – à une notion profondément différente, séparée d’elle [par] toute la distance qu’il y a entre l’expérience moderne et l’expérience antique : celle qui est donnée dans Kierkegaard sous le signe de la répétition, répétition toujours cherchée, essentiellement jamais satisfaite en tant qu’elle est de part sa nature non point jamais réminiscence, mais toujours répétition comme telle, donc impossible à assouvir. »
Pascale Belot Fourcade – La répétition touche quoi là ?
Marc Darmon – C’est la répétition de la recherche de l’objet c’est-à-dire cette retrouvaille recherchée ne peut jamais se faire du fait de la dualité du principe de plaisir et du principe de réalité. Du fait que le principe de réalité se tisse avec le principe de plaisir, l’objet n’est jamais celui qu’il faut. L’objet retrouvé n’est pas celui qui est perdu. Cela va entrainer une répétition. Lacan renvoie à ce moment-là au fort-da. Cette répétition nous fait concevoir le principe de réalité comme étant une véritable forme du principe de plaisir. C’est la même chose.
Pascale Belot Fourcade – Mais c’est par rapport au fort-da, alors.
Marc Darmon – Oui. Le fort-da est un exemple de répétition. Il y a l’au-delà du principe de plaisir qui est aussi un au-delà du principe de réalité. Cela fait intervenir l’instinct de mort, comme au-delà.
Danielle Eleb – Il y a aussi le texte de Freud Le délire et les rêves la « Gradiva » de W. Jensen où. Freud tout de même reprend la question de la répétition mais pas d’une façon aussi simple que dans la retrouvaille de l’objet puisqu’il situe la Gradiva comme une analyste. C’est un homme qui est tombé amoureux d’une statue et, en réalité, cette statue présentifie la petite fille qu’il a aimée. Gradiva va peu à peu l’amener du fantasme à la réalité mais pour se faire aimer, pour être aimé de ce jeune homme, Norbert Hanold. Et d’une certaine façon on voit bien chez Freud que même la répétition dans la lecture qu’il fait de Gradiva n’est pas une répétition du même. Il y a de l’autre qui s’introduit. C’est-à-dire qu’il y a d’une certaine façon un pas de Gradiva – c’est le cas de le dire – qui fait que d’une certaine manière elle va l’amener à une autre réalité qui est celle de la jeune femme qu’elle est devenue. Elle autorise en quelque sorte ce jeune homme à devenir son amoureux et à renoncer à l’objet de son enfance. Il y a un deuil du premier amour, du premier objet et dans le même temps il y a une nouvelle rencontre. Et c’est là où l’on peut dire que Lacan a fait une avancée très intéressante à partir de Kierkegaard, il a repris tout de même Kierkegaard sur la question de répétition à partir de l’idée que finalement ce qui se répète n’est pas strictement le même, il y a de l’autre. Kierkegaard parle du recommencement de la relation entre lui et Régine qui est une nouvelle relation, qui est un nouveau commencement. On voit bien que cette dimension de l’autre va être réintroduite par Lacan dans le transfert. Lacan va récuser au fond l’idée d’une répétition du même. Je trouve cela très intéressant au niveau de la direction de la cure. L’analyste n’a pas à enfoncer le patient dans une répétition éternelle, il a au contraire à tirer le fil de l’autre, de la rencontre avec du nouveau. C’est ce que vous avez dit aussi à propos du jeu du fort-da, puisque Lacan en fait aussi une nouvelle lecture.
Intervenante – La réminiscence chez Kierkegaard, il fait référence au grec, [inaudible] … En pensant à Régine, sans cesse comme étant le moment fondateur…
Lacan va dire plus tard dans les Quatre Concepts que la répétition c’est l’inconscient. On répète sans cesse quelque chose qui a à voir avec l’inconscient.
Marc Darmon – Cette répétition, Lacan va la présenter de manière très formelle puisque ce sera la répétition du signifiant qui fait boucle sur lui-même. Il y a à la fois la répétition du signifiant différent de lui-même mais avec un point du retour qui est retour du même. Dans l’Identification, les choses se précisent puisque qu’il fera du désir le résultat de la construction d’un objet, un objet tout à fait singulier puisqu’il résulte de la différence du signifiant avec lui-même. C’est donc un objet insaisissable.
Danielle Eleb – Oui, mais il dit bien dans les Quatre Concepts que dans la cure il y a de nombreux signifiants qui émergent.
Marc Darmon – Oui, bien sûr
Danielle Eleb – De la répétition.
Bernard Vandermersch – Oui, mais enfin l’essentiel c’est l’objet cause du désir. Il y a une grande différence entre la position dans ce séminaire de la relation d’objet, c’est que l’objet est devant comme idéal. Si cela se répète c’est qu’on n’a pas encore atteint l’idéal. Alors que chez Freud, il est perdu dès le départ et ce qui se retourne n’est jamais le même et c’est la cause de la répétition, c’est-à-dire que l’objet est d’avant le sujet.
Marc Darmon – Il est d’avant le sujet parce qu’il est le produit du signifiant
Bernard Vandermersch – Lacan dira après parce qu’il est produit de la différence même du signifiant. Il ne fait que renvoyer à un autre signifiant sans jamais pouvoir saisir l’objet, dans la mesure où il représente le sujet.
Marc Darmon – Dans la mesure où il représente le sujet, il ne peut pas attraper l’objet parce que l’objet est avant le sujet. C’est un objet complètement insaisissable parce qu’il n’est pas dans le champ de la réalité. Il est fabriqué chez le parlêtre par le langage.
Bernard Vandermersch – On pourrait critiquer la notion d’objet chez Lacan puisque obs c’est devant alors qu’en fait l’objet est rétro, cause.
Pierre-Christophe Cathelineau – En tout cas, le fait que les théoriciens de la relation d’objet aient utilisé le mot relation, ça place l’objet dans un champ qui est un champ psychologique, qui est un champ non pertinent par rapport à ce que Freud amène qui, lui, le situe du côté d’une dimension réelle ou symbolique mais en tout cas dans une dimension qui n’est pas du tout imaginaire, mais pas une relation, on n’a pas de relation avec l’objet, on n’a jamais aucune relation avec l’objet puisque précisément il est perdu.
Bernard Vandermersch – Dans la formule du fantasme \\\\\\\\\\\\\\\$◊a, il y a un lien.
Pierre-Christophe Cathelineau – Il y a un lien mais ce n’est pas une…
Bernard Vandermersch – C’est un lien spécial mais c’est quand même un lien essentiel.
Marc Darmon – C’est l’objet qui cause la division du sujet.
Bernard Vandermersch – Qui cause la division du sujet et comme le sujet, ça n’est que cette division.
Pierre-Christophe Cathelineau – Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas une relation, ce n’est pas quelque chose de l’ordre de la relation.
Bernard Vandermersch – Ce n’est pas une relation entre deux objets homogènes.
Pierre-Christophe Cathelineau – Voilà, ce n’est pas une relation homogène.
Danielle Eleb – Même chez Freud.
Pierre-Christophe Cathelineau – Et chez Freud non plus. Donc l’invention du mot, le fait d’avoir mis en exergue le mot relation, ça fait perdre, et c’est ce que dit Lacan dans ce texte, ça fait perdre le sens de ce que veut dire Freud. L’idée même de relation, ça fait perdre le sens de ce que dit Freud.
Valentin Nusinovici – Je crois qu’on est en train de les rendre un peu plus idiots que ça ne l’est. Mais rien que de dire une chose : si Lacan a pu reprendre, je crois, dans une douzaine de séminaires, le « rapprocher » de Bouvet sans jamais le nommer et disant une fois ailleurs : Maurice Bouvet valait plus que leur [inaudible], si ça lui a autant servi, c’est très intéressant pour nous, c’est-à-dire il s’est toujours appuyé là-dessus pour aller contre bien sûr, enfin aller contre, pour dire plus, pour développer ça. Même l’écriture du fantasme avec le poinçon, c’est une façon justement de ne pas s’arrêter à ce « rapprocher », même ce « rapprocher » de ce que tu nous a lu là et que je ne connaissais pas ; c’est que puissent s’extérioriser vraiment toutes les pulsions, c’est ça, le « rapprocher » ici. Moi j’ai toujours cru que c’était une manœuvre de l’analyste, mais ce n’est pas ça du tout. Il faudrait vraiment bien retenir ce qu’il dit parce que Lacan s’est toujours appuyé là-dessus, en tout cas a toujours critiqué ça. C’est qu’il a trouvé dans une voie qui lui paraissait évidemment une butée, de quoi alimenter sa propre énergie. Je trouve ça quand même vraiment intéressant ! Il l’a cité pendant une douzaine d’années. Je ne sais plus qui avait fait la recension des séminaires.
Marc Darmon – C’est Élisabeth de Franceschi.
Valentin Nusinovici – Elle l’a fait ici elle ? Bon, c’était classique, c’était Philippe Julien qui l’a fait, il a cherché tous les séminaires où on a ce rappel du « rapprocher » de Bouvet et la critique de cette position analytique. Donc ça n’a pas cessé de le préoccuper.
Pierre-Christophe Cathelineau – Il y a aussi quelque chose qui est frappant dans le schéma, c’est l’usage de la lettre a. Parce que la lettre a est utilisée sur l’axe imaginaire a-a’.
Marie-Christine Laznik – Pour l’instant, c’est un petit autre encore.
Pierre-Christophe Cathelineau – Voilà, c’est un petit autre.
Marie-Christine Laznik – Ça va devenir plus tard l’objet a.
Pierre-Christophe Cathelineau – Donc ça devient plus tard l’objet a.
Marie-Christine Laznik – Il faut qu’on fasse attention de ne pas lire…
Pierre-Christophe Cathelineau – Ce n’est pas ce que je dis. Ce que je dis c’est que le fait que les théoriciens de la relation d’objet l’aient mis sur l’axe a-a’ fait que Lacan va associer ensuite la question de l’objet avec la dimension de l’objet a. À mon avis, là commence la question de la genèse de l’objet a.
Marie-Christine Laznik – Le quadripode qui va donner l’origine de \\\\\\\\\\\\\\\$◊a, ce n’est pas à la fin de ce séminaire d’ailleurs de La relation d’objet ? Quand il reprend Augustin et qu’il monte le quadripode, le quadripode est quand même très clair, il n’y a pas de désir tant qu’il n’y a pas de rival. Il faut, quand le rival jouit supposément d’un objet, pour que je décide que cet objet pourrait causer mon désir parce que je ne savais pas cinq minutes avant ! Là je crève, je suis au bord de crever mais si je survis, je me constitue comme \\\\\\\\\\\\\\\$. Tout ça paraît à la fin de ce séminaire, je crois.
Pierre-Christophe Cathelineau – Oui, oui tout à fait.
Marie-Christine Laznik – Mais à partir d’Augustin, donc de quelque chose d’assez concret et où il y a des relations avec le semblable pour construire quelque chose qui est l’objet de désir dans la rivalité et dans l’envie.
Dans l’invidia, en français vous traduisez ça par jalousie.
Marc Darmon – Marie-Christine a fait un livre, c’est dans ton livre sur l’envie.
Marie-Christine Laznik – Mais je l’ai copié de Lacan le montage du quadripode. J’avais repris ça parce qu’évidemment quand on s’occupe de bébés et de petits enfants, on voit in statu nascendi cette affaire.
Marc Darmon – Il critique l’histoire des rapports du sujet à son environnement :
« Cet accent mis sur l’environnement, cette réduction que donne toute l’expérience analytique à quelque chose qui est une sorte de retour à la position, à la position bel et bien objectivante qui pose au premier plan l’existence d’un certain individu et d’une relation plus ou moins adéquate, plus ou moins adaptée à son environnement, c’est quelque chose qui, de la page 761 à la page 773 de l’ouvrage collectif dont nous parlions, est articulé dans ces termes. »
Alors par exemple les théoriciens de la relation d’objet disent que Le petit Hans, l’histoire du petit Hans, c’est mauvais parce qu’on ne s’est pas intéressé à la psychologie du père, de la mère, de l’environnement du petit Hans. Ça va particulièrement énerver Lacan qui va consacrer toute la deuxième partie de son séminaire à l’étude du petit Hans pour montrer effectivement que Freud allait beaucoup plus loin. Et puis pour montrer que ses propres concepts sont plus opérants que ce que ces théoriciens proposent. Alors ça peut avoir un aspect un peu lassant de critiquer systématiquement ces pauvres analystes.
Valentin Nusinovici – Encore qu’il y a une perle qui mérite d’être relevée, c’est la « limpidité cristalline ». La limpidité cristalline quand on est arrivé finalement au-delà, au stade génital, ce n’est pas tellement qu’ils ont trouvé l’objet idéal dans le passage qui est là, ce n’est pas ça, c’est qu’ils tiennent compte de l’autre et il y a une sorte de limpidité cristalline, alors de quoi ? De leur discours, de leur…
Marc Darmon – C’est un passage tout à fait drôle.
Valentin Nusinovici – Tout à fait extraordinaire !
Marc Darmon – Je vais le lire :
« Si comme dans toute névrose une évolution normale semble avoir été stoppée par l’impossibilité où s’est trouvé le sujet de résoudre le dernier des conflits structurants de l’enfance, celui dont la liquidation parfaite, si l’on peut s’exprimer ainsi, aboutit à cette adaptation si heureuse au monde que l’on nomme la relation d’objet génitale et qui donne à tout observateur le sentiment d’une personnalité harmonieuse, et à l’analyse, la perception immédiate d’une sorte de limpidité cristalline de l’esprit ce qui est, je le répète, plus une limite qu’une réalité, cette difficulté de résolution de l’Œdipe bien souvent n’a pas tenu au seul problème qu’il posait. »
Lacan se gausse, il dit :
« ‘Limpidité cristalline’… Nous voyons où cet auteur, avec la perfection de la relation objectale, peut nous porter. C’est encore à ceci, [en ce qui en ce qui concerne les pulsions, alors que leurs] formes prégénitales marquent ‘un besoin de possession incoercible, illimité, inconditionnel, comportant un aspect destructif’, [une fois génitalisées], ‘elles sont véritablement tendres, aimantes, et si le sujet ne s’y montre pas pour autant oblatif, c’est-à-dire désintéressé, et si ses objets sont aussi foncièrement des objets narcissiques que dans le cas précédent, il est ici capable de compréhension, d’adaptation à la situation de l’autre. D’ailleurs la structure intime de ses relations objectales montre que la participation de l’objet à son propre plaisir à lui, est indispensable au bonheur du sujet. Les convenances, les désirs, les besoins de l’objet sont pris en considération au plus haut point. »
C’est magnifique ! [Rires] On a envie de faire son analyse avec lui !
Valentin Nusinovici – Si on les lit avec le transfert positif, on dira que le cristal, c’est celui dont parle Freud c’est-à-dire celui qui montre la structure et non pas la transparence. Mais enfin, on n’est pas obligé de les lire dans un transfert positif.
Marc Darmon – Alors il y a l’histoire de l’objectivité aussi.
Valentin Nusinovici – C’est un couple objectivité-objectalité.
Marc Darmon – Oui c’est ça.
Valentin Nusinovici – Que Lacan en reprendra.
Marc Darmon – Oui, il va reprendre ça. Vous voulez que je vous le lise ça ? [Silence]
Valentin Nusinovici – Tout le monde est lassé !
Marc Darmon – Vous le lirez. [Rires]
Valentin Nusinovici – Est-ce que je peux poser encore une question si je n’ai pas trop parlé ?
Marc Darmon – Je t’en prie.
Valentin Nusinovici – Je n’ai pas très bien compris. On a bien l’habitude de dire que Lacan à ce moment-là considère que l’autre est un sujet, il le dit plusieurs fois et on croit comprendre que c’est l’autre en tant qu’Autre primordial, par exemple, pour un sujet. Mais ici pour le schéma L, il dit qu’il parle de l’Autre comme un sujet, tu l’as lu ?
Marc Darmon – Oui.
Valentin Nusinovici – Et la définition du sujet à ce moment-là, c’est celui qui peut nous tromper. Alors comment on va comprendre ça ? C’est-à-dire qu’au fond le message qui arrive puisque c’est ça l’Autre, c’est l’inconscient ; est-ce qu’on va comprendre que le sujet de l’inconscient, enfin l’inconscient, il n’y a pas encore de sujet dans l’inconscient, que l’inconscient, il y a là un sujet qui nous trompe ? C’est assez étrange comme passage, tu l’as lu ?
Marc Darmon – Oui.
Valentin Nusinovici –Tu n’as pas tiqué dessus ? C’est moi qui ne tique pour rien ?
Marc Darmon – Non, non.
Valentin Nusinovici – Hein, c’est très étrange ?
Marc Darmon – Oui, mais ça a à voir avec l’histoire : tu me dis que tu vas à Lemberg alors que tu vas vraiment à Lemberg, alors pourquoi me ment-tu ?
Valentin Nusinovici – Oui, mais est-ce que si c’est mon inconscient qui me dit que je vais, est-ce que c’est pareil ? Je sais bien ce que tu dis, le sujet c’est l’Autre qui te parle. Mais là, ici, c’est d’abord, pas uniquement bien sûr, le schéma on peut l’utiliser avec un Autre qui ne soit pas l’inconscient, je veux bien le croire, mais enfin essentiellement c’est l’inconscient, c’est la voix de l’inconscient, donc j’ai un peu de mal à situer cette tromperie-là. Elle doit bien être une tromperie de ce que nous recevons comme notre propre message aussi ?
Marc Darmon – Oui mais l’Autre peut tromper, effectivement si on lui envoie notre propre message menteur, il revient nous mettre dedans.
Marie-Christine Laznik – Est-ce qu’on ne pourrait pas regarder juste un tout petit peu ce qu’il va dire au séminaire suivant parce que quand il monte le graphe du désir, on a le cri du bébé. Et ça passe par les défilés du signifiant et ça va trouver le grand Autre barré plus haut. Et ce qui est important, c’est que donc ce message dont Lacan pense et a toujours affirmé qu’il me vient de l’Autre sous sa forme inversée a tout de même quelque rapport avec les dires premiers d’une mère à son bébé ; ça me paraît évident si je prends le montage du graphe du désir. Dans ces dires d’une mère à son bébé et d’ailleurs en quoi Lacan s’est planté, c’est qu’elle ne dit pas : tu aimes cela, elle dira : j’aime cela, en renversant. La mère dit : j’aime cela, à la place du bébé. C’est beaucoup plus aliénant que ça ! Une mère qui va bien avec un bébé qui va bien parle à la première personne. C’est-à-dire que les phrases qui viendront après au sujet dans sa vie : « moi, j’ai peur quand il y a beaucoup de bruit », la phrase a été dite comme ça par sa mère et non pas : « tu as peur quand il y a beaucoup de bruit. » C’est encore plus pire comme disent les enfants. Or parfois une mère peut dire des choses qui sont tout à fait trompeuses, voilà. Et donc je me demandais si ce n’est pas dans l’origine même de ce discours qui me vient de cet Autre qui est quand même, dans le graphe du désir il y a le cri du bébé, ça passe par les défilés du grand Autre, ça prend forme, c’est La violence de l’interprétation de Piera Aulagnier qui est là en train d’assister au séminaire à ce moment-là, plus tard. Et dans ce dire qui n’est pas inversé parce que la mère parle, quand tout va bien, elle parle à la première personne, c’est encore plus dingue ! Toutes les études ont été faites à partir des années 1974 en psycholinguistique dans le monde entier, toutes les mères qui vont bien parlent au bébé à la première personne et elles lui répondent, elles disent : « maman, j’ai peur ; mais tu n’as pas besoin d’avoir peur, mon chéri. J’ai faim, maman ; mais je vais te donner à manger. Je t’aime, ma maman ; moi aussi. » Je vous la fais courte, ça a été montré dans le monde entier. À partir du moment où on a enregistré, on a découvert que les mères sont folles, qu’elles parlent à la première personne à la place du bébé, elles font les réponses. Et personne ne croyait que ce fût aussi fou que ça. Mais ça on le sait maintenant. Mais les premières publications datent, Lacan était très vieux.
Marc Darmon – Jakobson dit quelque part que le je et le tu…
Marie-Christine Laznik — Oui, ça c’est les shifter.
Marc Darmon – Oui, le fait que ça change tout le temps, c’est plus long dans l’apprentissage.
Marie-Christine Laznik – C’est la chose la plus difficile puisque ça change tout le temps.
Marc Darmon – Voilà, c’est ça.
Marie-Christine Laznik – Mais ce qui est important, c’est des choses faites après Jakobson et qui ne se sont pas faites en France du fait du retard que Jakobson a fait prendre à tout ce qui est le travail sur ce discours de ce qui se passait entre le bébé et la mère. Il a dit que ça n’avait aucune importance, que les bébés faisaient le même bruit qu’ils soient sourds ou pas. Il n’avait vraiment pas entendu parce que les bruits des bébés modulent, répondent avec des hauteurs de voix, répondent à la rythmicité, sont parfaitement à l’écoute millimétrique. Mais la folie, c’est que les mères parlent quand elles vont bien et quand elles ne le font pas, ça va finir très mal l’histoire. Les mères parlent à la première personne et répondent. Comme folie, c’est pas mal. Voilà de quoi on est construit chacun de nous. Je me demande si dans cette tromperie dont tu parles, il n’y a pas à entendre la propre tromperie parce qu’on peut dire : « mais oui je t’aime mon bébé », et ce n’est pas vrai du tout parce qu’on s’occupe de l’autre et pas de lui, etc. Entre ce qui est dit par une mère et ce qui est, il y a quand même un écart, vous êtes d’accord ? Et quand c’est affirmé, ça revient comme phrase : « j’ai peur du bruit maman, oh oui moi j’ai peur du bruit », j’invente n’importe quoi, « oh là là, j’ai peur de tomber », qui vont construire des choses qui vont apparaître là quand même.
Bernard Vandermersch – Marie-Christine, le chemin est valable aussi pour quelqu’un qui n’a plus sa maman qui lui parle à la première personne depuis longtemps.
Marc Darmon – La question c’était l’Autre trompeur.
Bernard Vandermersch – La question de l’Autre trompeur, c’est compliqué. Ça m’évoquait un peu l’histoire de Freud avec sa jeune homosexuelle qui lui fait un rêve trompeur, destiné à le tromper. C’est une association libre, mais ce qui est intéressant, c’est que Freud est tombé dans le panneau quand même, parce que, dit Lacan, il a voulu être celui qu’on ne trompe pas.
Marc Darmon – Mais Lacan dit qu’il s’est trompé parce que le rêve trompeur disait la vérité.
Bernard Vandermersch – Elle disait la vérité qu’elle avait l’intention de…
Valentin Nusinovici – Elle avait l’intention de le tromper.
Marc Darmon – C’est-à-dire il disait la vérité, c’est le rêve où elle se marie avec un jeune homme. J’ai eu un rêve d’un homosexuel qui se mariait avec sa tante [rires]. Donc la jeune homosexuelle lui dit qu’elle a rêvé d’un mariage qui n’est pas notre mariage moderne et Freud dit : elle a cherché à me tromper. Mais elle le trompait en disant la vérité, c’est-à-dire que c’était sa relation à son père dont il était question. Au fond de son homosexualité, il y avait son amour pour son père.
Pierre-Christophe Cathelineau – Il y a une reprise plus tard de Lacan de Descartes à propos de l’hypothèse du Dieu trompeur qui réassure le sujet dans sa vérité. Le Dieu trompeur, et la tromperie en général, a ceci d’étrange dans la démonstration cartésienne qu’elle réassure le sujet de sa vérité, de son existence ; c’est-à-dire que c’est parce qu’il y a de la tromperie qu’il y a une vérité du sujet. C’est intéressant parce que la question de la tromperie est toujours dialectisée chez Lacan par rapport à celle de la vérité. Et c’est seulement parce que la tromperie réassure du côté de la vérité que la tromperie précisément a une fonction dialectique. La tromperie n’est pas traitée comme telle, elle vient là pour dire ce qu’il en est de la vérité de l’inconscient. Et il l’a quand même relevé à propos de l’hypothèse du Dieu trompeur. Et la question du rêve de la jeune homosexuelle, c’est la même chose en fait, c’est une réassurance du côté de la vérité à partir de la tromperie. C’est Descartes, c’est le génie de Descartes.
Danielle Eleb – C’est aussi le « mentir vrai » d’Aragon.
Pierre-Christophe Cathelineau – Le « mentir vrai » d’Aragon, c’est-à-dire que quand on fait l’expérience de la tromperie, c’est ce que dit Descartes, c’est ce que redit Lacan, c’est aussi pour le sujet l’expérience de sa vérité. Tu es d’accord ? (MD – Oui.)
Valentin Nusinovici – De son existence.
Pierre-Christophe Cathelineau – De son existence pour Descartes, de son existence et de sa vérité.
Marc Darmon – Alors ensuite Lacan va donner le plan du séminaire en quelque sorte. Stimulé par cette référence au petit Hans, critiquant Freud selon cet auteur, Freud ne se serait pas intéressé à la psychologie de l’environnement du petit Hans, il va parler du petit Hans et il va consacrer une grande partie de son séminaire au petit Hans. Il va parler également du fétichisme et de la phobie.
Marie-Christine Laznik – Le petit Hans et la phobie, ça va ensemble.
Marc Darmon – Oui, mais le fétichisme et la phobie, à priori on ne voit pas très bien pourquoi ça va ensemble. D’après vous, pourquoi ça va ensemble ?
Pascale Belot-Fourcade – En tous cas, Tustin en avait fait un très beau cas clinique, Fétichisation d’un objet phobique.
Valentin Nusinovici – Ça va ensemble à partir du moment où il a posé qu’il y avait d’abord le manque d’objet.
Marc Darmon – Oui, il y avait la castration.
Valentin Nusinovici – Il y avait le manque d’objet, donc là il peut faire venir ces deux objets, du fétiche et l’objet phobique par rapport à ce manque ; c’est ça, sa mise en place par rapport à ce manque.
Marc Darmon – Oui, c’est-à-dire qu’il y a le manque du pénis de la mère, selon Freud, et puis le déni de ce manque. Et donc ça, c’est la genèse de l’objet fétiche qui va être un objet en relation métonymique avec le phallus imaginaire de la mère et donc qui va représenter le phallus imaginaire de la mère par contiguïté. L’objet phobique, lui, va protéger l’enfant du gouffre, de ce trou qui correspond à cette absence de l’objet phallique de la mère. Le rapproché entre la phobie et le fétichisme est dialectique en quelque sorte.
Pierre-Christophe Cathelineau – Est-ce qu’on peut dire que dans le fétichisme il y a ce qu’il n’y a pas dans la phobie, une positivation de l’objet ? Je pose la question.
Marc Darmon – Oui, on peut dire ça.
Pierre-Christophe Cathelineau – Une positivation de l’objet alors que dans la phobie, l’objet n’a pas tout à fait la même fonction positive.
Thatyana Pitavy – Il est quand même dans la réalité, souvent.
Pierre-Christophe Cathelineau – Oui, mais ce n’est pas un objet qui représente…
Marc Darmon – Le phallus. C’est un objet qui… c’est délicat.
Thatyana Pitavy – Oui parce qu’il est quand même, ce n’est pas n’importe lequel.
Marc Darmon – Il vient protéger, il vient déclencher la peur, il vient protéger une zone. Voilà. Pas d’autres remarques ? Pour aujourd’hui, ça va ?
Transcription : Dominique Foisnet Latour, Paul Claveirolle, Dalila Bouamrirene, Inès Segré.
Relecture : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.