SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2019 – LA RELATION D'OBJET (1956-1957) – LEÇON 2
11 février 2019

-

NUSINOVICI Valentin
Séminaire d'été

Séminaire 2018-2019Mardi 16 Octobre 2018

La relation d’objet et les structures freudiennes.

Leçon 2 : Valentin Nusinovici – Discutant Marc Darmon.

Valentin Nusinovici – Lacan commence : « L’objet génital, pour l’appeler par son nom, c’est la femme », et si je me souviens bien, Marc, tu nous as dit la dernière fois que c’est exactement ce que disaient les théoriciens de la relation d’objet…

Marc Darmon – J’ai dit ça moi ?

Valentin Nusinovici – C’est embêtant si tu en doutes, parce que je m’appuie là-dessus, mais ce n’est pas très grave. Je crois que tu as dit ça, et comme je dois dire que je n’ai pas lu ces textes… Je le regrette, mais je n’ai vraiment pas eu le temps…

Marc Darmon – C’est-à-dire que l’objet était incarné… l’objet génital c’est la femme…

Valentin Nusinovici – Donc j’ai retenu ça et j’ai été évidemment frappé, je te l’avais dit l’autre jour, que Lacan commence comme ça : « L’objet génital, pour l’appeler par son nom, c’est la femme. » Alors qu’est-ce qu’il veut dire, dans l’hypothèse qu’il reprend la formulation de gens qu’il critique – qu’est-ce qu’il veut dire en disant cela ?

Je le comprends ainsi : pour eux la femme, c’est l’objet total « achevant » – le mot est dans le texte de Lacan, je ne sais pas s’il est chez eux mais je le suppose – c’est-à-dire, c’est ma lecture, achevant le développement libidinal de l’homme, devenant un « sujet autonome », un objet avec lequel il aura un rapport harmonieux, ou harmonique – j’ai vu les deux termes – puisque bien sûr il tient compte de ses besoins à elle…Vous  entendez les violons…

Lacan dit qu’il est en train de s’envoyer tout un tas de lectures sur la sexualité féminine et il fait le constat des difficultés extrêmes des auteurs après les énoncés abrupts et étonnants de Freud, et de « leurs divagations » qui peuvent « donner une idée de l’infini ».

Je me suis demandé si le Lacan ultérieur aurait apprécié un peu plus positivement l’idée de l’infini en relation à la sexualité féminine.

Mais enfin, ce n’est pas le cas du tout ici ; pour le moment il conseille de repartir de Freud. Avec deux références, Le Malaise dans la civilisation et la trente-troisième des Nouvelles Conférences, celle sur la féminité. Repartir de Freud pourquoi ? On le sent tout de suite : pour vérifier que selon Freud, il n’y a pas d’objet harmonieux, que quelque chose ne va pas entre homme et femme. Ce sera la grande préoccupation de Lacan de le formaliser.

J’ai juste retenu dans chaque texte une phrase qui me paraissait illustrer ce que vise Lacan. Pour Le Malaise dans la civilisation, c’est indiscutablement cette affirmation de Freud que « quelque chose dans la sexualité refuse la pleine satisfaction » et ce n’est pas de façon contingente, c’est manifestement de façon structurale. Dans la conférence, j’ai retenu que « l’épanouissement de la féminité reste exposé à la perturbation résultant des séquelles de la période masculine antérieure. »

C’est le nœud de l’affaire. Lacan mentionne les grands débats des années1920-1930, mais il ne cite pas les auteurs, il aura largement l’occasion dans le séminaire et dans les Écrits d’en parler. Le nœud de l’affaire c’est la phase phallique décrite par Freud chez la femme, elle est discutée de façon assez vive en particulier par Jones et certains qui le suivent. Lacan repartira souvent de ces divergences.

À la fin de cette leçon, il dit – je cite à peu près – « l’évolution complètement différente de ce qu’on appelle la sexualité chez l’homme et chez la femme apparaît intolérable, d’où les efforts désespérés pour ramener les deux termes à un seul principe ». J’ai trouvé un peu étonnant ce « seul principe » puisque pour ceux qui s’opposent à Freud il y a deux libidos. Je comprends qu’il s’agirait de ramener chaque sexe à ce qui serait « son principe ».

Je poursuis la citation – « […] dès le départ, il y a quelque chose qui permet d’expliquer et de concevoir de façon très simple et très claire pourquoi leurs évolutions seraient différentes. »

Pour quelle raison reprend-il ce que disent les auteurs qu’il critique, à savoir que la femme est l’objet génital ? Je l’ai compris ainsi, à partir de ce qu’il va dire un peu plus loin : « parce que » – je cite là aussi à peu près – « […] parce que le sujet féminin est placé par l’homme dans cette position d’objet. Mais – voilà l’essentiel – ce qu’il s’agit de savoir, c’est ce que ce sujet féminin en pense […] et quel a été son chemin depuis l’objet primordial du désir, le sein maternel ». Vous voyez ici un programme de travail pour les temps qui suivent.

Dans cette leçon, il s’agit surtout – je cite – « des rapports de l’objet et du réel ». Eh bien le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est bien délicat puisque la notion de l’objet – je cite – « […] est infiniment complexe » et pour ce qui est de celle du réel, nous savons combien elle est déroutante, on l’entendra encore ici. Vous voyez, il tâche de faire avec ces deux notions qui sont toutes les deux à éclaircir en même temps, progressivement, et de voir quels sont leurs rapports.

Il demande « l’objet est-il dans le réel ? Est-il le réel ? Est-ce que ce qu’on trouve dans le réel c’est l’objet ? » Et trois points sont soulignés ou rappelés, parce que ce sont des choses qui ont été dites déjà dans la leçon I.

Premièrement – pour schématiser – l’objet n’est pas un objet achevant le développement libidinal mais un objet toujours à retrouver.

Deuxièmement il n’y a pas à se représenter l’objet sur fond de réalité commune, et d’autant plus, ou d’autant moins, je ne sais pas comment il faudrait dire, que cette réalité commune, elle est facilement qualifiée de « réelle ». C’est sur fond de réalité angoissée qu’il se détache, c’est patent avec le fétiche, avec l’objet phallique, mais après tout c’est patent pour le désir, je veux dire le désir « normal ».

Troisièmement « il y a une réciprocité entre sujet et objet ( je modifie un peu le texte, je crois que c’est le sens) et c’est une réciprocité qui est facteur d’identification. » Mais il faut bien la distinguer de la réciprocité de deux Moi, or c’est justement sur ce type de réciprocité duelle, moïque, que l’accent est mis chez l’auteur tenant de la relation d’objet que Lacan a en ligne de mire, dont il reprendra toujours les analyses, Maurice Bouvet, dont il va dire un petit quelque chose dans cette leçon.

Pour le critiquer, Lacan commence par rappeler ce que le transfert révèle de la structure de la névrose obsessionnelle telle qu’il la formule à l’époque, et par exemple déjà dans le  Rapport de Rome, trois ans auparavant.

Il va assez vite – je vais essayer de ramasser ça encore un peu plus – le névrosé obsessionnel établit une relation duelle. Dans le Rapport de Rome, il disait « il entraîne l’autre dans la cage de son narcissisme » – ici il file la métaphore – « c’est une sorte de domptage qui conditionne toutes ses relations à autrui, et cela, pour le regard d’un grand Autre auquel lui-même peut s’identifier, sans risque car il le joue comme s’il était déjà mort. » « Tout son plaisir du jeu réside dans le fait d’être spectateur, sans qu’il sache la place qu’il occupe (c’est ce qu’il y a d’inconscient dans sa manœuvre et ce sera évidemment une nécessité qu’il le sache) et sans qu’il sache qui est-ce qui mène le jeu. » Lacan ne parle pas encore du fantasme obsessionnel, mais ce qu’il pointe, c’est qu’il y a un objet « significatif ».

Il y a trois petits chapitres dans cette leçon, le premier montre donc qu’il y a un objet « significatif » dans la névrose obsessionnelle et qu’il reste inaperçu dans le maniement de la cure qu’il critique.

Comment, selon Lacan – je n’ai pas lu ces textes– comment  Bouvet opère-t-il ? Pour le mettre en évidence, Lacan présente la structure de la névrose obsessionnelle et y situe les manœuvres de Bouvet, lequel, évidemment n’avait pas cette conception de la structure.

Il souligne que l’accent est mis, on peut dire de façon obsessionnelle, sur l’agressivité et qu’elle est même repérée là où elle n’est pas forcément. Dans l’agacement – et Lacan  demande pourquoi l’agacement serait forcément de l’agressivité. Dans l’ironie – ça c’est très intéressant, il y a toujours des petites notations très intéressantes – Lacan dit: « l’ironie, c’est une façon de questionner. »  Et puis il souligne que « ce n’est pas forcément la haine qui sous-tend l’agression, ça peut être l’amour aussi. »

Que fait l’analyste selon Bouvet ? Lacan dit qu’« il quitte sa place qui serait une place Autre, il descend dans l’arène » – il file toujours la métaphore – « là où s’échangent des claques, et il entre dans le jeu imaginaire, ce qui fait qu’il peut évidemment en prendre. » Au fond ce que dit Lacan, c’est qu’ « il joue au Monsieur Loyal pour apaiser le conflit » – Je ne sais pas si Lacan se régale mais il y va ! « Alors là-dessus Monsieur Loyal arrive et dit “voyons, tout ceci n’est pas raisonnable. Lâchez, avalez donc votre bâton mutuellement, comme cela vous l’aurez à la bonne place, vous l’aurez intériorisé !”

L’objet « significatif » quel est-il ? c’est le bâton. Le terme « significatif » Lacan le trouve chez Bouvet ou chez d’autres théoriciens. Non pas signifiant, ou signifié, mais « significatif ». On sent qu’il l’irrite ce « significatif », mais enfin « significatif », ça veut dire « important », et donc il revient au moins trois ou quatre fois, et donc l’objet « significatif » c’est le phallus et l’issue proposée, dit Lacan, c’est son incorporation orale. Plus tard il dira que c’est l’incorporation du phallus de l’analyste qui constitue la visée de ce type de cure. Fantasme de fellation.

Je dois dire que je ne comprends pas grand-chose à la suite, parce que ce qui nous manque, c’est la référence, je ne sais pas si vous l’avez lue… Donc il continue après ce que dit Monsieur Loyal, « ceci est en effet une façon de résoudre la situation et de lui donner son issue. On peut l’accompagner d’une petite chanson, celle, vraiment impérissable d’un nommé N. qui était une sorte de génie, on ne comprendra absolument jamais rien, ni à ce que j’appelle dans cette occasion le caractère en quelque sorte sacré, en quelque sorte d’exhibition d’office à laquelle on assisterait dans cette occasion, si noire apparût-elle, ni peut-être ce que veut dire à proprement parler la relation d’objet. » Ce qu’on peut retenir, et qu’ailleurs il dit, c’est qu’il y a quelque chose de sacré, une sorte de cérémonie sacrée, je crois qu’il dit « blasphématoire » ; quelque chose de religieux mais évidemment pas ce qu’il faudrait puisque c’est l’incorporation du phallus. C’est tous ces aspects qu’il souligne: le fantasme de fellation, cette incorporation du phallus de l’analyste et cette cérémonie.

C’est intéressant parce qu’on peut sans doute opérer comme ça sans en savoir rien du tout.

Voilà donc comment ce début de séminaire est abordée la question de l’objet, avec le phallus imaginaire. Pourquoi ? parce que c’est un objet « qui ne peut être distingué en termes de relation d’objet » souligne-t-il. Il ne peut pas être distingué dans cette théorie dite de la relation d’objet, alors que justement il est présent dès le départ dans le rapport mère-enfant. Et c’est sur ce rapport mère-enfant, dit-il, que la relation imaginaire est modelée, autrement dit, la relation imaginaire, elle n’est pas seulement duelle, elle est ternaire, c’est-à-dire qu’elle implique ce phallus imaginaire et vous vous souvenez du petit bout de schéma tripodique mère-enfant-phallus :

(Édition ALI tome I p.55).

C’est autour de cet objet imaginaire dit-il que tourne toute la dialectique du développement individuel, et par suite la dialectique de la cure – en tout cas à ce moment-là de son élaboration. Vous voyez l’importance de ce qui est avancé. Et toute tentative de réduction de ce phallicisme – on retrouvera le terme plus tard – de ce phallicisme imaginaire à des données réelles aboutit à une impasse. C’est ce qui se produit, dit-il, en l’absence d’un repérage selon sa trinité réel-symbolique-imaginaire.

Et puis il dit une petite chose qui est intéressante au passage. Il dit: « cet élément, je ne dis pas médiateur car ce serait faire un pas que nous n’avons pas encore fait ensemble.. » Lacan, on peut l’accuser de tout mais sûrement pas de manquer de suite dans les idées. Ce pas, il va être fait quelques leçons plus tard, à deux reprises. Une petite citation au passage: une fois il va dire que ce phallus imaginaire est un élément de médiation dans le jeu symbolique… non, d’abord il va dire qu’il joue un rôle signifiant majeur – voyez comme c’est intéressant – une fois qu’on a mis un mot, il ne faut pas dire qu’il ne va pas être pris dans un autre sens aussi ! Et puis il dira plus tard que c’est un élément de médiation dans le jeu symbolique dans la mesure où il est « mobilisable ». Vous voyez comme c’est intéressant que ce petit schéma vous annonce ce qui peut se passer c’est-à-dire que de mettre le phallus au dessus, si on peut dire, d’une certaine façon il est entre mais il n’est pas vraiment entre, il est entre et au-dessus. Tout à l’heure on comparera à un autre schéma que je vous montrerai. Ça indique bien, à mon avis, parce qu’on a le texte, sa potentialité signifiante. Et d’autre part je trouve extrêmement intéressant qu’on ait ces deux petits bouts de ficelle qui tiennent le phallus, ou ces deux traits qui tiennent le phallus à la mère et à l’enfant, parce que justement, s’il devient « mobilisable », il va falloir le gommer un peu pour le penser.

Le deuxième chapitre concerne le réel. Alors là Lacan se sent très attendu: « vous allez tous me dire: mais enfin ce réel il en parle ». Mais c’est que jusqu’à présent, qu’est-ce qu’ils ont à se mettre sous la dent ? Ils ont une définition « c’est ce qui revient toujours à la même place ». Mais avec ça… c’est quand même un petit peu… Il va en parler mais  il ne va pas donner d’autres définitions, d’ailleurs par la suite il n’en a pas donné beaucoup. Il commence par dire: « quand on parle du réel, on peut viser plusieurs choses ». Et la première chose qu’il fait, c’est de raconter une petite histoire, un petit apologue que je résume en quelques mots.

Soit une usine hydroélectrique sur le Rhin, ou ailleurs, enfin si, on va dire sur le Rhin parce que c’est assez important. Allez-vous dire que l’énergie qu’elle permet d’accumuler était déjà là, à l’état virtuel, dans le courant du fleuve ?

C’est une question majeure, de science, de philosophie des sciences, oui c’est une question absolument majeure. Allez-vous dire qu’elle était là à l’état virtuel, depuis de toute éternité, enfin, depuis que le Rhin coule ? Grâce à la technique, cette énergie peut maintenant en être extraite et accumulée. Répondre oui, c’est la façon de penser la plus courante, c’est le cas de le dire ! on peut dire la façon de penser réaliste.

Cette historiette c’est aussi une métaphore de ce qui se passe en analyse. Cela renvoie à la pensée toute aussi courante, qu’il y a un fondement organique aux tendances, aux instincts, aux pulsions, auxquelles nous avons affaire, qu’il y a une énergétique en jeu que nous traitons. La réponse de Lacan est nette, il n’y a pas à se laisser fasciner par l’idée d’un fondement matériel, un Stoff,

Il commence comme ça, il dit : « Il faut être matérialiste enfin, nous on vient du XVIIIème siècle français, on doit être matérialiste. Mais il faut être matérialiste de la bonne façon. » C’est un point sur lequel il a toujours insisté et il a traité la plupart des matérialistes de religieux de la matière. Conclusion, il n’y a pas d’énergie cachée dans la nature. Alors là, Lacan s’excite et il vous dit :

« […] le moment où elle est accumulée ; et elle n’est accumulée qu’à partir du moment où les machines se sont mises à exercer d’une certaine façon, sans doute animées par une chose qui est une sorte de propulsion définitive qui vient du courant du fleuve. Mais, la référence au courant du fleuve comme étant l’ordre primitif de cette énergie ne peut venir précisément qu’à l’idée de quelqu’un qui serait entièrement fou (vous entendez ça !) et n’aurait qu’une notion à proprement parler de l’ordre du mana concernant cette chose d’un ordre bien différent qu’est l’énergie, et même qu’est la force et qui voudrait à toute force retrouver la permanence de ce qui est à la fin accumulé comme l’élément de Wirkung, de Wirklichkeit possible, dans quelque chose qui serait là en quelque sorte de toute éternité. »

Alors il serait dingue celui qui croirait ça ? On est un peu tous dingues ? Le premier dingue, c’est celui qui l’a écrit ce petit apologue, je pense que certains d’entre vous savent de qui est cet apologue que Lacan cite exactement. Il est de Heidegger. C’est le début de La question de la technique, que Lacan a repris en ne citant pas Heidegger, qui d’ailleurs ne dit pas Stoff ,mais Bestoff.

Cet article est très riche. Il y est question du dévoilement, vous le savez c’est l‘aletheia. Donc la question de la vérité que Heidegger aborde avec les présocratiques, sur ce point Lacan le suivra, mais pas sur l’énergie dans la nature. Là-dessus pas du tout.

Il me semble, je ne sais pas ce que tu en penses Marc, que quand Lacan dira, bien plus tard, que la butée de la métaphysique de Heidegger se voit dans le mot echt, l’authentique ( dans  L’essence de la vérité) qu’il s’agit du même type de divergence

Donc pour Lacan, pas d’énergie cachée dans la nature, comme le dit Heidegger, et rien à dévoiler de ce côté-là.

Pour Lacan, nature et physique n’ont absolument rien à voir, même si évidemment nature  est une des traductions possibles de physis. Il dit quelque part que parler de nature ça ne tire pas à conséquence. Tandis qu’il est impossible de parler d’énergie hors du développement de la physique. L’énergie est toujours référée à un calcul et à une constante. Vous trouverez ça dans pas mal d’endroits chez Lacan. Quant à parler de ce qui serait là de toute éternité !  on est aux antipodes de la pensée de Lacan, puisqu’il a quand même pu interroger: les formules de Newton, est-ce qu’elles étaient vraies avant qu’il les formule, est-ce que le transfini existait avant Cantor ? Il a bien l’air de dire que non: on ne peut pas considérer que c’était vrai avant.

Cela nous amène à ceci que cette position réaliste revient à méconnaître «  le caractère symbolique de notre effectivité », de notre Wirklichkeit symbolique. C’est méconnaître la réalité propre dans laquelle nous nous déplaçons, dit-il, que de conserver ce besoin de parler de la réalité dernière, comme si elle était ailleurs que dans cet exercice même.

On pourrait ajouter que cet exercice lui peut agir effectivement sur le réel. C’est constant de la pensée de Lacan. Fierens, dans le bouquin qu’il a écrit sur Le Sinthome, fait une longue introduction sur la question du réalisme freudien en soulignant, je pense qu’il a tout à fait raison et Marc sera d’accord, qu’avec les nœuds, on peut être débarrassé de cette question du fondement, d’un fondement réaliste.

Quand on parle du réel, dit-il, on peut viser plusieurs choses. et donc vient un deuxième point à aborder à propos du réel. Il concerne le réel mis en jeu dans le double principe, principe de plaisir et principe de réalité. Le réel, dit-il d’abord, ne concerne pas moins le principe de plaisir que le principe de réalité; c’est sensible quand il souligne, après Freud, qu’il s’agit dans le processus primaire, d’un objet halluciné sur fond d’angoisse.

Entre les deux principes il y a une béance, un manque d’objet central, un réel donc. Alors qu’on a tendance de plus en plus à penser les deux principes en continuité l’un avec l’autre, il faut introduire la notion du manque central. Et heureusement, dit-il, de temps en temps, il y a l’enfant qui dit que le Roi est tout nu. Est-il un benêt, est-il un luron, est-il un féroce ? Personne n’en saura jamais rien, c’est quelqu’un d’assez libérateur de toute façon. On a vu le fou pour Heidegger mais non nommé, c’était violent, on a maintenant l’enfant, c’est plus gentil et il est nommé: c’est Winnicott. Il fait parler ce qu’il observe chez l’enfant, il dit la vérité. C’est la référence à son article célèbre, de 1951 Objets transitionnels et phénomènes transitionnels. Une étude de la première possession non-moi.

Au tableau les schémas de la page 182 du volume De la pédiatrie à la psychanalyse chez Payot

fullsizeoutput 67f

Le petit bout de téton est ici, il en fait partir la flèche. Ce petit schéma montre le manque central entre la mère et l’enfant, voilà la béance. La mère, « la mère suffisamment bonne », celle qui tient compte adéquatement des besoins de l’enfant, va pouvoir permettre que se crée cette aire de l’illusion, dans laquelle l’enfant reçoit le sein et le crée en même temps. C’est pour ça que la petite flèche qui part de l’enfant s’écarte un peu de la mère, vers la création du monde, si vous voulez.

Et puis Winnicott fait un deuxième schéma à côté. Là au milieu, à peu près comme ça, il fait son objet transitionnel. Alors il dit malicieusement: je vais donner une forme à cet objet – qui est, vous le savez, n’importe quel petit objet que le petit enfant peut attraper, le bout du drap, le bout de ceci ou cela – et Winnicott dit : j’ai donné une forme à l’aire d’illusion. La voici cette forme, c’est cet os que nous connaissons bien ! De fait il dit plus loin que l’objet transitionnel est virtuellement un phallus maternel, tout en étant à l’origine un sein. C’est la chose simultanément créée par l’enfant et formée par l’environnement.

C’est très intéressant, mais très resserré, Lacan partira de là pour donner des développements. Il avalise une chose que dit Winnicott, à savoir qu’on ne peut pas faire dériver directement le fétichisme de l’objet transitionnel parce qu’il faut prendre en compte toutes les étapes de son érotisation.

Dans quelle dimension Lacan situe-t-il  cet objet transitionnel ? Il n’a pas  le choix: il n’est pas symbolique, il est donc imaginaire. C’est intéressant mais pour nous qui en savons plus que le Lacan de l’époque cela ne nous satisfait pas complètement !

Plus tard il y verra l’objet petit a en tant qu’ « il commande le sujet ». Eh oui, ce sujet dit « autonome » par certains théoriciens ne l’est évidemment pas du tout. Quand Lacan aura trouvé ça, son coup de chapeau à Winnicott sera nettement plus franc.

Cela se termine sur les trois catégories du manque : privation, frustration, castration, avec les objets correspondants et les agents correspondants, chacun situé à sa place dans notre sainte trinité: réel, symbolique et imaginaire.

Cela vaut pour les deux sexes, le tableau est le même. Ce tableau encore incomplet, il va le reprendre à plusieurs reprises avec de petits remaniements.

Vous l’avez, presque tous, vu des tas de fois depuis des dizaines d’années. La première fois, cela fait des effets mélangés, et, je crois, un peu d’affolement en raison de la complication de l’affaire: il va falloir apprendre tout ça ! Un émerveillement:  c’est beau la formalisation ! et un peu d’inquiétude: est-ce que cela tient la route cliniquement ?

C’est formidable tout ce que l’on en aura tiré et qui a le plus grand rapport avec l’expérience. Il y a une vertu du dispositif structural qui pousse à découvrir et à inventer. Quelques mots sur ce qu’il dit à ce moment-là. Privation, frustration, castration, les trois termes sont freudiens. On croit parfois que la privation n’est pas une notion freudienne. Mais les trois termes viennent bien de Freud.

Au début de L’avenir d’une illusion, Freud dit que la frustration, Versagung, c’est le fait que la pulsion n’est pas satisfaite et que la privation, Entbehrung, est l’état qu’entraine l’interdit. L’interdit, Verboten, c’est le dispositif en vertu duquel la satisfaction est exclue.

Vous voyez ces termes sont liés par des relations causales.

Quand Lacan dit que la notion de frustration est absente chez Freud, c’est pour critiquer une utilisation extensive du mot. « Ce qui nous a facilité, dit-il, de croire que la frustration était quelque chose qui devait nous permettre d’aller bien plus aisément au coeur des problèmes, c’est cette communauté qu’il y a entre le caractère imaginaire de l’objet de la castration et le fait que la frustration est un manque imaginaire de l’objet ».

Privation et frustration, castration aussi bien sûr, sont été repris par Klein et par Jones. Jones est très visé dans cette affaire.

La castration dit Lacan, est liée à la loi primordiale, la loi de l’interdiction de l’inceste. Le manque est symbolique, en ajoutant qu’elle est si paradoxale, qu’elle n’est pas complètement élaborée. Donc ne pas croire qu’on en a fini avec la castration.  Déjà il s’agit d’un manque symbolique et l’objet n’est pas l’organe réel, il est imaginaire.

 Un point important est de bien différencier privation et frustration. « La privation est la frustration d’une satisfaction réelle. » Lacan critique qu’on ait pu dire que dans le psychisme elles sont éprouvées de la même façon. C’est Jones. Il s’agit de les distinguer structurellement et aussi dans leurs effets.

La privation c’est le manque réel, c’est un trou. Encore une notion paradoxale parce que le réel est plein par définition. L’absence de quelque chose dans le réel, ne peut être que symbolique. C’est le livre qui manque à sa place. Manque réel, objet symbolique. Les agents il n’en traite pas.

Un point intéressant, c’est quand il parle de l’exigence du phallus, du phallicisme, qui est « le point majeur de tout le jeu imaginaire dans le progrès conflictuel de l’analyse ». Le phallicisme, l’exigence du phallus, relève de la privation, pas de la frustration. A ne pas confondre avec la frustration, « dam imaginaire » d’un objet réel, le sein, cause de revendications qui sont des « exigences effrénées, sans loi ».

La dernière phrase est remarquable et un peu surprenante. Il nous dit, « […] la question de la qualification de l’agent à ces trois niveaux est une question qui manifestement est suggérée par le commencement de la construction du phallus. » On commence donc à construire le phallus.

Pour terminer je vais vous lire le tout début de La question de la technique, car ce que Heidegger dit là Lacan peut le faire sien, « Questionner c’est travailler un chemin, le construire, c’est pourquoi il est opportun de penser avant tout au chemin, et de ne pas s’attacher à des propositions ou appellations particulières, le chemin est un chemin de la pensée (un point sur lequel Fierens insiste beaucoup). Tous les chemins de la pensée conduisent d’une façon plus ou moins perceptible et par des passages inhabituels à travers le langage. » On peut dire que Lacan chemine à travers le langage. En questionnant et sans fixer le sens des signifiants, ils ne flottent pas complètement mais sont toujours un petit peu déplacés, pris autrement. Vous avez vu:  le phallus imaginaire peut devenir un médiateur symbolique.

Marc Darmon – Tu as fait le tour de cette leçon de façon magistrale. Qui ne laisse pas beaucoup de chose à te…

Valentin Nusinovici – Qu’est-ce qu’on aurait envie de… Oui, il y a un point sur lequel je vais t’interroger. Le dernier patient que j’ai entendu, c’est souvent comme ça, il nous fait entendre quelque chose sur la question qui nous occupe..

[Évocation d’un patient]

Lacan dit : «  tout ce qui est réel est toujours et obligatoirement à sa place, même quand on le dérange. Le réel a pour propriété d’abord d’emporter sa place à la semelle de ses souliers : vous pouvez bouleverser tant que vous voudrez le réel, il n’en reste pas moins que nos corps seront, après leur explosion, encore à leur place, à leur place de morceaux »

Quand vous les aurez faits exploser ils seront encore à leur place de morceaux, dans le réel, pas dans l’imaginaire. Est-ce qu’il veut dire en tant que traces ? Est-ce que ça veut dire qu’il va rester des traces dans le réel de chacun de nos morceaux, c’est effrayant  !

Je n’ai pu tirer cette affaire que dans ce sens-là.

Marc Darmon – Le réel dans le réel,

Valentin Nusinovici – Ce réel est sous forme de traces ? De lettres ?

Marc Darmon – Oui, ce peut être des molécules

Valentin Nusinovici – Tu as certainement raison c’est ce qu’il faut lire, moi j’étais parti avec l’idée qu’il ne pouvait pas s’agir d’un réel biologique.

Marc Darmon – C’est la même place, ça revient toujours à la même place, c’est-à-dire il emporte sa place avec le morceau.

Valentin Nusinovici – C’est la bonne réponse et pourtant, ce réel-là qui est bien réel, souvent Lacan n’aime pas trop le prendre par là.

Marc Darmon – Mais il s’en sert à l’occasion

Stéphane Renard – Est-ce que ce n’est pas une manière de présenter le réel comme étant en dehors de soi ?

Martine Bercovici – De toute façon le réel c’est ce qui nous précède.

Stéphane Renard – Dans la manière qu’il a de le définir de cette manière, avec des morceaux qui restent quand on n’est plus là, c’est bien qu’il le présente d’une manière qui est hors nous en quelque sorte.

Valentin Nusinovici – La réponse de Marc Darmon est logique, et elle est biologiquement vraie. Bien sûr il va rester des molécules

Marc Darmon – Qui seront à leurs places, la leur. C’est l’espace qu’elles occupent à n’importe quel moment.

Valentin Nusinovici – Ça me convainc, ça me va très bien.

Marc Darmon – Tu l’as dit toi-même, rien que pour l’histoire du trou. Il n’existe pas de trou dans le réel,

Valentin Nusinovici – Oui, il n’y a pas de trou dans le réel. Avant que le symbolique (MD – Le perfore) le perfore. Autant ton explication me paraît tout à fait robuste, autant je ne vois pas très bien ce que Lacan veut nous dire.

Marc Darmon – C’est l’histoire de la bibliothèque et des livres, du point de vue réel, les livres sont là, ils sont à leur place, étant donné que chaque livre à sa place avec lui.

Valentin Nusinovici – Ça c’est clair.

Marc Darmon – Pourtant il y a un trou dans le réel du fait du bouleversement de l’ordre, alphabétique par exemple. Je voulais t’interroger sur les questions un peu obscures du principe de plaisir. Principe du plaisir, principe de réalité, tu as dit que l’objet…

Valentin Nusinovici – J’ai repris ce que dit Lacan, dans la leçon I, à savoir qu’il y a une béance entre les deux. Je l’ai égalé au manque central. Ça peut se discuter, mais j’ai considéré que les deux formulations étaient semblables. Ce qu’il critique c’est la mise en continuité, qu’on pourrait prendre comme allant de soi: d’abord le plaisir et après la réalité. Comment ça marche ensemble, comment on peut passer de l’un à l’autre ?

Chez Winnicott c’est quelque chose de vécu, c’est-à-dire, c’est l’illusion d’un objet qui n’est ni soi, ni non soi, et puis d’un désillusionnement qui introduit comme il dit  une sorte de frustration progressive.

Marc Darmon – On peut trouver chez Lacan des formulations comme quoi ils sont la même chose.

Valentin Nusinovici – On ne peut avoir l’un sans l’autre, mais il y a une dialectique, il faut qu’il y ait un intervalle.

Marc Darmon – Qu’est-ce que tu penses de l’objet transitionnel et l’objet a ? Parce qu’il y a certains passages chez Lacan où il dit que c’est la même chose.

Marie-Christine Laznik – Au départ, son idée de l’objet petit a à lui est venue de l’objet transitionnel. Je me demande si dans son œuvre, après, elle ne s’est pas émancipée de cette première idée qu’il a eue.

Winnicott ne s’est pas intéressé à l’objet a. C’était la phrase de Marc Darmon, le rapport entre l’objet a et l’objet transitionnel. Et Marc Darmon ajoute « il dit parfois que c’est la même chose. » Je rajoutais qu’au début, dans les premières incidences de l’objet a, il y a eu ce clic dans la pensée de Lacan à partir de l’objet transitionnel de Winnicott. Mais il me semble qu’après il a pris une autonomie. Il n’est pas resté à la même place.

Valentin Nusinovici – J’ai trouvé dans L’Acte analytique que, quelques années après l’invention de l’objet a, il dit nettement : l’objet transitionnel c’est l’objet a, en tant qu’il commande le sujet.

Marie-Christine Laznik – Là il fait le contraire, il ramène l’objet transitionnel de Winnicott sur le sien.

Valentin Nusinovici – C’est à ce moment-là qu’il donne un grand coup de chapeau à Winnicott. Pour le moment, il dit qu’il est imaginaire. C’est vrai qu’il n’est pas spéculaire, mais on ne va pas dire qu’il est dans l’imagination, pourtant c’est la seule catégorie qui reste puisqu’il ne peut pas être réel ni symbolique.

Et puis ce sera l’objet a en tant qu’il commande le sujet.

Marc Darmon – Ce qui va dans le sens contraire des théoriciens de la relation d‘objet, puisque le sujet vise l’objet désiré.

Valentin Nusinovici – C’est ça, pour eux il s’agit d’un sujet autonome visant un objet qui l’achève. Pour Lacan le sujet est hétéronome, commandé par l’objet, divisé par l’objet, tout à fait le contraire.

Marie-Christine Laznik – Je crois qu’il y a quelque chose qu’on pourrait ajouter de ce tableau sur frustration, privation, castration, et les agents.

Tu as dit que dans cette leçon Lacan n’avait pas encore repris la question des agents. Je crois que là, va apparaître quelque chose de très important pour nous, psychanalystes du petit enfant, qu’on n’a pas chez les Anglo-saxons, c’est-à-dire cette histoire de l’agent qui va être père imaginaire, père réel.

Le père réel est quelque chose à l’époque encore, très concret parce que le père réel c’est le monsieur qui donne [inaudible] Le père symbolique ça n’existe pas mais le père réel c’est quelqu’un très concret et s’il a un boulot à faire, il est en chair et en os, ça va nous distinguer beaucoup de l’école anglaise parce que les Anglais ne se sont pas du tout occupés de savoir qui étaient ces agents-là ? Ça reste comme une espèce de mère qui produit la frustration, il n’y a pas cette répartition avec la dimension symbolique, imaginaire et réel. Ce que tu as rappelé, c’est très lacanien mais ça fait que les cliniciens lacaniens de la petite enfance n’interviennent pas de la même façon auprès des familles. Parce qu’en fait, si tu veux, ça finira par ma tresse entre la différence entre psychose et autisme. C’est qu’une fois que, dans la tresse, l’imaginaire va prendre le pied sur le réel, c’est-à-dire que ce bébé qui n’est encore qu’une petite chose, se prend pour His Majesty the baby ensuite comment il descend ? Sinon il serait dans une position: plus que le phallus. Ensuite il y a un temps où on dit au nourrisson: « t’es le roi, tu vas au lit ». On le prive de sa place de His Majesty the baby et cette privation, elle incite (insiste ?)sur la dimension imaginaire et non réelle, parce que sinon c’est comme on dresse les chevaux. Justement cette privation elle incite sur l’imaginaire et cette dimension qui apparait dans ce séminaire-là, va proprement pouvoir incarner à mon avis ce que les psychanalystes d’orientation lacanienne sont capables de faire pour donner un coup de main aux parents en détresse devant ce passage du His Majesty the baby à autre chose.

Valentin Nusinovici – Tu tiens au terme de privation pour cette intervention par rapport à ce moi idéal ?

Marie-Christine Laznik – C’est-à-dire que ça incite (insiste ?) sur une place imaginaire et ça ne va pas inciter, on ne va pas priver le bébé du lait.

Je pense que cette leçon-là était très importante parce qu’à un moment – même s’il doit, on doit tous à l’école anglaise –  là il commence à poser des jalons de ce qui sera proprement une pensée lacanienne de la toute petite enfance. Et de ce qui se joue entre le bébé et la mère, le nom du père. Parce que ça peut être au nom de quelque chose qu’elle puisse sortir ce bébé de sa position de His Majesty the baby c’est-à-dire une érection phallique absolue comme ça pendant un moment. Qui se retrouve dans le miroir et à nouveau dans la tresse et à nouveau. Il est privé de cette place. Et ce qui permettra plus tard une castration symbolique, donc je crois, que c’est un moment très, très riche qui apparaît là comme ça, mine de rien parce que on sait …

Marc Darmon Cette place Marie-Christine, c’est la place du phallus imaginaire ?

Marie-Christine Laznik – Oui !  On prive d’une place imaginaire bien sûr.

Le bébé est là tout contre, il est devant le miroir en place c’est lui « la Majesté » c’est purement imaginaire, t’es d’accord ? Faudrait pas que ça devienne symbolique

Julien Maucade – C’est le mot prive qui pose problème, c’est la privation qu’il va discuter, parce que tu insistes sur la privation alors que peut être, c’est autre chose ?

Marie-Christine Laznik – La question là, c’est qu’il dit que la privation agit sur un objet imaginaire, non ? [Brouhaha]

Valentin Nusinovici – Non c’est le manque réel d’un objet symbolique, c’est pour ça que ce n’est pas tellement facile (MD – L’agent est imaginaire) de l’introduire la privation dans ta tresse à cet endroit-là. Je ne vois pas pourquoi tu ne le dirais pas autrement, t’es pas enchaînée à cela.

Marie-Christine Laznik – C’est un de ces trois agents qu’il va falloir faire et c’est sûr c’est un ordre

Marc Darmon – Est-ce que ce n’est pas une première phase de la castration ?

Marie-Christine Laznik – Il faudrait que ça aboutisse en six à la castration, ça c’est sûr. Mais je pensais qu’il y avait quelque chose qui venait avant la castration. La castration c’est quand le petit garçon reconnaîtra, qu’en effet il faudra qu’il attende de devenir grand, c’est le petit Hans à la fin. On lui changera peut être son robinet contre un grand robinet, pour l’instant il n’en a qu’un petit

Marc Darmon – Tu fais allusion au moment où le petit Hans perd sa place ? C’est-à-dire il est phallus imaginaire de la mère, la petite Anna arrive et il n’a plus de place, donc c’est l’angoisse et donc c’est ce qui doit préparer la castration, effectivement.

Marie-Christine Laznik – Ce n’est qu’au moment où il accepte l’idée que le monsieur du robinet viendra changer les petits robinets pour un grand robinet que l’angoisse cède et qu’il peut accepter la vie telle qu’elle est, dans sa platitude. Il a quand même, Il invente un agent qui viendra remplacer le robinet. Il accepte qu’il soit petit, et qu’au fond il ne soit pas tout phallus. Le bébé n’en est pas encore là, le bébé c’est un tout. Que ça se joue. Mais alors ?

Julien Maucade – Encore une question : quand tu as parlé du réel tu as mentionné cette histoire de cette machine hydraulique qui est présente hypothétiquement dans la pensée avant, est-ce qu’il n’est pas en train d’introduire, d’après toi, le rapport de la pensée au réel et là je pensais plus qu’à Heidegger bien sûr, Heidegger reprend ça, mais c’était plutôt la question de Platon, de l’objet dans la pensée, et c’est le rapport de la pensée à l’objet, et que Lacan commence à introduire là, c’est-à-dire quel est le rapport du sujet par la pensée à l’objet ? Surtout quand tu parles de l’obsessionnel.

Valentin Nusinovici – J’ai peut être parlé trop vite, j’ignore ce qui pourrait concerner Platon. Pour Heidegger l’énergie elle est cachée dans le courant du fleuve

Julien Maucade – Elle est déjà là

Marc Darmon – Et la technique la dévoile

Julien Maucade – Il y a un réel qui est déjà là

Valentin Nusinovici – La question d’une énergie cachée, c’est un problème par rapport à la position de Freud. Lacan dit, je cite: « s’il est concevable que dans une certaine perspective tout ce qui se passe au niveau de la vie mentale exige que nous le référions à quelque chose qui se propose comme matériel, en quoi ceci peut-il avoir le moindre intérêt pour un analyste » pourquoi ? parce que « le principe même de l’exercice de sa fonction joue dans une succession d’effets dont il est admis par hypothèse, s’il est analyste, qu’ils ont leur ordre propre ». C’est clair, mais la suite est ambigûe: « c’est très exactement la perspective qu’il doit en prendre s’il suit Freud, s’il conçoit ce qui dirige tout l’esprit du système, c’est-à-dire – écoutez bien – une perspective énergétique ».

Alors que pour Lacan on ne peut pas parler d’énergie hors de la physique et que je ne crois pas que c’était la position de Freud qui a un point de vue réaliste, qui renvoie à l’organique qui sous-tend la pulsion.

Dire que l’énergie est liée à une constante, c’est une coupure fondamentale dans la pensée scientifique ou philosophique, avec cette retombée pour l’analyse qui fait que nous n’avons aucun fondement réaliste à notre pratique, Lacan le dit ici nettement. Le réel ici c’est un réel sans molécules.

C’est quelque chose de pas si facile à accepter, les matérialistes, il le dit, ce sont des petits calotins de la matière, donc penser ça c’est vraiment radical. Heidegger est mythique, il nous parle du Rhin tel qu’il a été chanté par Hölderlin, il nous balade là-dedans. Lacan a l’air de dire que c’est un enfumage, que la question du dévoilement ne se pose pas. C’est Koyré contre Heidegger. Ce n’est pas là-dessus qu’il faudrait suivre Heidegger, d’autant ne peut pas ne pas penser que ça a aussi un aspect politique.

Jean Pierre Rossfelder – Je veux dire le sens que tu apportes là, la question de la machine, enfin de l’usine et ce qu’il apporte aussi c’est la question de l’écriture scientifique et que c’est cette contradiction-là qu’il amène, c’est-à-dire que le réel, tu n’as pas de rapport avec lui à condition que ne soit pas greffé dessus une écriture scientifique qui nous permette justement d’accumuler cette énergie

Julien Maucade – C’est pas pareil dans la clinique si on part d’un à priori comme quoi le réel est déjà là, il suffit de le dévoiler  pour avancer avec l’écriture ou réécriture voilà c’est dans l’autre sens, c’est que le réel il est là une fois écrit, c’est pas un réel déjà là qu’il faut vider après…?

Valentin Nusinovici – tu as raison,  je crois qu’il faut faire attention au fait que Lacan n’appelle pas « réel » ce Stoff, ce fond.

Julien Maucade – C’est comme ça qu’il fait rupture avec les philosophes.

Valentin Nusinovici – Avec les philosophes et avec la pensée commune.

Freud dit : à la fin on trouvera le fondement biologique. Le Stoff biologique. Mais il ne s’agit pas de se demander ce qu’il y aurait à la fin ou ce qu’il y avait de toute éternité. Tout ce dont on dispose, c’est de cette pratique analytique. Peut-être les nœuds permettent-ils de se déprendre de cette idée du Stoff, d’un fondement réaliste.

Marc Darmon – Une autre question ? Où ? Non ?

Valentin Nusinovici – En cherchant bien dans le fond du Stoff ?

Texte relu par l’auteur.

Transcripteurs : Christian Chabernaud, Georges Dru, Dominique Foisnet Latour, Renée Kalfon.

Relectrices : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.