Séminaire de préparation – Mardi 18 Décembre 2018
La relation d’objet et les structures freudiennes
Leçon 9 Martine Lerude – Leçon 10 David Glaserman
Marc Darmon – Ce soir, merci d’avoir bravé le froid pour venir vous réchauffer auprès de Martine Lerude qui va faire une lecture de la leçon 9 et David Glaserman de la leçon 10. Alors Martine [Lerude] vous la connaissez, je ne la présente pas. David Glaserman est un ancien étudiant du Collège, de l’EPhEP, il a tout exploré des possibilités de s’instruire à l’ALI et il a même fait de la radio cet été dans des émissions de Stéphanie Torre, sur France Inter, et on a parlé tout à l’heure de la possibilité de faire de la radio à partir de ce que nous faisons pour diffuser nos enseignements. Bien alors vas-y, Martine.
Martine Lerude – Tu dis lecture de la leçon IX ? Il me faudrait plusieurs heures pour rendre compte de ma lecture de cette leçon ! Je vais focaliser mon intervention sur une toute petite partie essentielle de cette leçon qui est passionnante parce qu’on y voit vraiment Lacan au travail. Et Lacan au travail, ça ne peut pas se réduire à des formules ramassées, toutes faites, qu’on va se transmettre avec facilité. Il y a là la difficulté et la complexité de son élaboration et je ne sais pas si je vais réussir à les restituer.
C’est une leçon qui concerne le fétichisme et la structure du fétichisme. Pour parler du fétichisme, Lacan va s’appuyer sur Freud, les Trois essais et le texte sur « Le fétichisme ». Il s’appuie sur Freud et tout au début de la leçon il cite Freud. Le fétiche, dit Freud, est un pénis tout à fait particulier qui a une grande signification pour le début de l’enfance et qui disparaît ensuite. Le fétiche est le substitut du phallus de la femme, la mère, c’est Freud qui parle, auquel a cru le petit enfant. Et Lacan opère un tour formidable puisqu’il va transformer, renverser, la proposition freudienne, en affirmant que le fétiche est bien le phallus mais le phallus que la femme n’a pas. C’est-à-dire ce phallus particulier qui a une signification au début de l’enfance et qui disparaît ensuite, c’est le phallus que la femme n’a pas et c’est ça qu’il va développer ; c’est un phallus symbolique, et ce phallus symbolique il le trouve dans la lecture qu’il fait de Freud. Cette lecture qu’il fait de Freud, qui est au début de la leçon, est tout à fait exemplaire de la manière dont Lacan s’appuie à la fois sur le texte de Freud et en même temps s’en déplace radicalement. Il s’agit du phallus que la femme n’a pas et dit il « pour des raisons qui tiennent au rapport douteux de l’enfant avec la réalité, tout simplement il faut qu’elle l’ait ce phallus qu’elle n’a pas qui conduit à toutes sortes d’impasses ». Et là il va déployer toute une série de références psychanalytiques, pas seulement freudiennes. Il insiste beaucoup, au moins le premier quart de cette leçon, qui est consacrée à ce phallus symbolique. De quoi s’agit-il ? Pourquoi phallus symbolique ? Parce que « […] ce n’est point un phallus réel, en tant que comme réel il existe ou il n’existe pas, mais c’est un phallus symbolique en tant qu’il est de la nature, pour parler de ce qui est du symbolique, de se présenter dans l’échange comme absence, […] » C’est intéressant parce qu’on va retrouver ça tout au long de La relation d’objet. J’avais présenté il y deux ans la leçon IV, dans laquelle Lacan affirme qu’il n’est pas question de l’objet mais du manque d’objet. Dans la leçon 9 il s’agit effectivement du phallus mais il est symbolique car il se présente comme absence ; Ce qui est, lu aujourd’hui, assez logique au fond parce que dans le symbolique bien entendu, le mot est là parce que la chose n’y est pas, c’est bien parce qu’il y a l’absence de la chose qu’il va y avoir le mot. Ce phallus symbolique : « il est de la nature même du symbolique » dit il. Dans cette leçon, et je vais restée centrée sur ce point, parce que je pense qu’il ne faut vraiment pas aller trop vite. Cette nomination phallus symbolique, Lacan rappelle et répète que « c’est de la nature du symbolique de se présenter comme absence ». À partir de là toute la leçon va se décliner. L’imaginaire, il en parlera mais pas au niveau du phallus imaginaire ou peut-être tout à la fin de la leçon, ce n’est pas le point. Et ce phallus symbolique fonctionne en tant qu’absence, comme tout ce qui peut se transmettre dans l’échange, c’est toujours quelque chose qui est autant absence que présence. Encore une fois il avait commencé le séminaire avec la référence au petit-fils de Freud, au Fort-Da et à la présence-absence, c’est-à-dire comment les deux phonèmes a et o lus, entendus par Freud comme Fort et Da, c’est-à-dire interprétés dans la langue allemande, comment ces deux phonèmes inscrivaient la relation symbolique de l’enfant à la mère. La mère qui du fait de l’alternance de sa présence et de son absence, de réelle devenait symbolique : c’est un fil qui est poursuivi et que l’on va retrouver complètement déployé dans cette leçon. Il est des termes qui sont essentiels qui jalonnent ce séminaire dont cette sorte d’alternance fondamentale concernant le phallus symbolique qui est apparu en un point, qui disparaît pour reparaître en un autre : il circule en laissant derrière lui le signe de son absence au point d’où il vient. Je continue ma paraphrase : le phallus, « cet objet symbolique par quoi s’établit, [non seulement s’établit] ce cycle structural » et ça c’est très important, ce mot de cycle structural, « de menaces imaginaires qui limite la direction et l’emploi du phallus réel – […] » Il faut qu’il y ait cet objet marqué par la présence et l’absence par quoi s’établit ce cycle de menaces imaginaires, c’est-à-dire tous les embarras du sujet par rapport au sexe, ces embarras qui limitent la direction et l’emploi du phallus réel (phallus réel doit s’entendre comme le pénis). « C’est là le sens, du complexe de castration, […] » nous dit-il. Mais il y a un autre usage du phallus symbolique et c’est cet autre usage qu’il va développer. Cet autre usage qui est caché « par les fantasmes plus ou moins redoutables de la relation de l’homme aux interdits [en tant qu’ils] portent sur l’usage du phallus. » C’est-à-dire que pour que cet autre usage soit caché par les fantasmes plus ou moins redoutables, il faut l’organisation par ce phallus symbolique caractérisé par cette absence et cette présence, par cette alternance. Car précise Lacan :« […] c’est en tant qu’il est là ou qu’il n’est pas là, que s’instaure la différenciation symbolique des sexes ; […] » Et ça, c’est peut-être un point qui mériterait, au moment du séminaire d’été, d’être discuté pour reprendre la question si vive aujourd’hui de la différenciation des sexes. « […] pour la femme, dit Lacan, c’est en tant que ce phallus, elle ne l’a pas, […] » de ne pas l’avoir « c’est en participer à titre d’absence, c’est l’avoir en quelque sorte – […] » Alors, moi ce qui m’intéresse beaucoup dans ces lectures de Lacan, c’est comment on ne peut pas réduire ce qu’il avance à une formule. On voit bien qu’il y a là toute une dialectique et que, si on manque la dialectique, on n’a plus qu’un énoncé qu’on va transmettre très facilement mais qui va être vidé de sens. Pour arriver à la formulation « de ne pas l’avoir » « c’est en participer à titre d’absence, c’est l’avoir en quelque sorte – […] » on ne peut pas manquer tout ce qui a précédé. C’est que « ce phallus est toujours, » et c’est le point où il va nous mener, « au-delà de toute relation entre l’homme et la femme. » À la fois ce phallus symbolique c’est ce qui va déterminer la distinction, la différenciation des sexes mais parce qu’il est au-delà de l’homme et de la femme, de toutes leurs relations. Alors « en tant que la femme est prise dans la relation intersubjective, » – c’est un mot qui va disparaître ensuite du vocabulaire de Lacan, la relation intersubjective – mais qui est quand même un mot drôlement intéressant. « En tant qu’elle est prise dans la relation inter subjective, il y a au-delà d’elle, pour l’homme, ce phallus qu’elle n’a pas, » il y a un schéma qui ne figure pas dans cette transcription mais qui est dans la version du Seuil, qui va mettre en relation trois termes c’est-à-dire le sujet, l’objet et l’au-delà.
Marie-Christine Laznik – Il le reprend un peu quand il parle de Dora avec Dora et Monsieur K. dans les deux cas il y aura cet au-delà.
Martine Leude – Mais cet au-delà, il va lui donner un certain nombre de noms, en particulier il va le nommer soit le phallus symbolique en tant qu’absence, soit le rien et ça, on va y venir. Il y a au-delà de la femme, au-delà d’elle en tant qu’elle est l’objet du désir amoureux d’un homme, ce phallus qu’elle n’a pas, c’est-à-dire le phallus symbolique qui existe en tant qu’absence. Or dit Lacan « c’est pas seulement parce qu’elle en a un tout petit, une infériorité à ce moment-là qu’elle peut ressentir sur le plan imaginaire, de ne pas avoir été assez bien dotée par rapport à son partenaire ». Mais ce n’est pas de ça dont il parle là. Le fétiche représentant le phallus en tant qu’absent, le phallus symbolique, dit Freud, et Lacan ajoute, c’est toujours le garçon qui est fétichiste et le fétichisme est beaucoup plus rare chez la fille. Comme Freud le disait, le fétiche est un symbole. C’est la question de Lacan, comment peut s’engendrer cette relation à un objet singulier, le fétiche, qui n’en est pas un. C’est cette dialectique qui m’intéresse. Si on dit que le phallus est un symbole, il est pris alors comme un symptôme névrotique. Mais est-ce que ce n’est pas une perversion ? C’est toute la discussion critique de Lacan à l’égard des auteurs anglais. Certains mettent le fétichisme à la limite des perversions et des névroses précisément pour le caractère symbolique qu’il a dans le fantasme.
Alors, c’est à ce moment-là qu’il va faire intervenir un autre terme, car ce qu’il cherche, rappelons le, c’est d’établir la structure du fétichisme ; il va parler d’abord de la structure d’interposition du phallus symbolique. Structure d’interposition entre l’homme et la femme ou entre le sujet et son objet d’amour, de telle sorte que ce qui est aimé dans l’objet d’amour, c’est quelque chose qui est au-delà et qui n’est rien, sans doute. C’est le mot de rien qui intervient mais qui a justement « cette propriété symbolique d’être là et parce qu’il est symbole, [non seulement] de pouvoir être, mais de devoir être ce rien. » Au-delà de l’objet d’amour, il y a quelque chose qu’il va nommer le rien, qui se trouve dans une relation, cet objet fétiche est dans une relation d’interposition. Ce qui sera précisé plus tard dans Le désir et son interprétation, je crois, puisqu’il dira que pour le fétichiste, il y a l’objet qui va provoquer son désir et puis l’objet qui est visé par le désir, en distinguant les deux. Alors que dans ce Séminaire il parle d’interposition, c’est-à-dire que ce qui est visé est visé au-delà de ce qui se présente et ça peut être matérialisé par le voile, par le rideau, « ce qui permet de mieux [d’] imager cette situation fondamentale de l’amour : […] », parce que l’enjeu est aussi de distinguer l’amour, le désir.
[Schéma de l’édition du Seuil, p156.]
Il met en place un rideau, on peut y mettre des I, imaginaire, pour matérialiser ce rideau, le sujet d’un côté du rideau et l’objet d’amour de l’autre, et puis un au-delà qu’on peut appeler rien ou qu’il appelle phallus symbolique en tant qu’il est absent. Le voile est le lieu de la projection imaginaire de cet objet, du fait de l’au-delà.
I
I
S I Objet d’amour Rien
I Phallus symbolique
I
Voile = I
Alors reprenons la manière dont Lacan dit les choses : ce rideau est « ce qui permet de mieux imager cette situation fondamentale de l’amour : » : le sujet est séparé de son objet d’amour (écrits l’un en face de l’autre par commodité). Au delà de l’objet d’amour, il y a ce que Lacan nomme le phallus symbolique qui se présente comme absence, qu’il peut aussi appeler le rien. Entre le sujet et l’objet d’amour : un voile ou un rideau sur lequel se projette cet au delà ; ce voile est dessiné par des I successifs qui indiquent la dimension imaginaire de la projection de cet au-delà: « avec le « rideau, dit Lacan, ce qui est au-delà comme manque, tend à se réaliser comme image, […] Sur le voile se peint l’absence, […] » C’est l’illusion fondamentale et ce qu’il appelle aussi le rien, est au-delà de l’objet d’amour qui lui-même va en quelque sorte être divisé. Le voile le conduit à évoquer le voile de Maya, nom venu du sanskrit pour illustrer l’illusion fondamentale.
Grâce à l’édition de l’ALI, on a tout un appareil critique avec des notes extrêmement bien faites et toutes les références concernant le voile de Maya, qui fait partie des expressions de notre langue aussi. « C’est la métaphore la plus communément en usage pour exprimer le rapport de l’homme avec tout ce qui le captive », c’est-à-dire « le sentiment qu’il a d’une certaine illusion fondamentale dans tous les rapports de son désir. » C’est la métaphore du voile de Maya, cette métaphore que j’ai écrite avec des I qui se succèdent. « […] c’est bien là ce dans quoi l’homme « idolifie son sentiment de ce rien qui est au-delà de l’objet de l’amour.» Je cite toujours Lacan : « idolifie son sentiment de ce rien qui est au-delà de l’objet d’amour. » Idolifie, c’est-à-dire qu’il donne une place tout à fait fondamentale d’idole à ce rien qui est au-delà de l’objet d’amour. On a plusieurs termes, on a le terme du sujet, le terme de l’objet, on a le terme de l’au-delà où s’inscrit ce qui peut-être le phallus symbolique ou le rien et il faut vraiment garder à l’esprit ces différents éléments qui sont là en jeu dans la relation fétichiste car ce sont ces différents éléments que Lacan va faire jouer. Ce rideau, ce voile, c’est là que « peut se peindre, quelque chose qui dit : l’objet est au-delà […] » et je voudrais souligner le déplacement que Lacan opère alors en affirmant que « c’est l’objet qui peut alors prendre la place du manque » c’est à dire tout objet peut venir occuper cette place du manque et comme tel, être aussi le support de l’amour, mais c’est en tant qu’il n’est justement pas le point où s’attache le désir. » Alors là vraiment j’ai besoin que tu m’aides à comprendre cette phrase, elle est si difficile.
Marc Darmon – Quelle page ?
Martine Lerude – [p. 261] voilà la citation : « Mais dès que se place le rideau, sur ce rideau peut se peindre, quelque chose qui dit : l’objet est au-delà » au-delà de ce rideau, « et c’est l’objet qui peut alors prendre la place du manque, » du manque pour le sujet, du sujet qui est en état d’amour à l’égard de l’objet « et comme tel peut être aussi le support de l’amour, mais c’est en tant qu’il n’est justement pas le point où s’attache le désir. » Car le désir s’attache lui sur ce qui est projeté sur le rideau, non ?
X – Il est au-delà…
Martine Lerude – Il est au-delà ? Non je ne crois pas. Au-delà c’est le phallus symbolique c’est le rien ; on est dans le fétichisme, c’est-à-dire que le désir a un point d’attache sur cet objet fétiche et il distingue là l’objet fétiche et l’objet d’amour.
Marc Darmon – Oui, c’est la petite culotte qui est…
Martine Lerude – Qui est le point d’attache…
Marc Darmon – Qui est le point de visée parce qu’on n’en est pas encore à l’objet a…
Martine Lerude – Non on n’en est pas encore à l’objet a, tout à fait.
Marc Darmon – [inaudible], c’est une illusion de viser l’objet. Vous n’entendez pas avec le micro ? Bon, je reprendrai ça…
Martine Lerude – Parce qu’alors effectivement ce qui se place sur le rideau peut se peindre, quelque chose, parce que c’est bien cet objet-là qui est saisi, mais qui est saisi parce qu’il y a un autre objet au-delà. Parce que dans le fond il y a toujours une division de l’objet qui est à l’œuvre. Enfin il s’agit bien de distinguer le point où s’attache le désir de la manière dont l’objet est le support de l’amour.
Valentin Nusinovici – L’amour est là-dedans, dans l’imaginaire…
Martine Lerude – L’amour, non l’amour est du côté du symbolique…
Valentin Nusinovici – Il a besoin de cet appui imaginaire…
Martine Lerude – Sur le rideau, mais il est là du côté du symbolique…
Valentin Nusinovici – Il a besoin de cette image pointée sur le rideau, le désir nécessité, mais la présence ce n’est pas l’image qui est sur le rideau
Martine Lerude – Non ce n’est pas l’image qui est sur le rideau, qui est derrière le rideau, sur le rideau c’est ce qui est nécessité dans le fétichisme…
Bernard Vandermersch – Non c’est l’amour qui est sur le rideau, c’est l’objet du désir qui n’est pas encore nommé comme tel. Le fétiche il est derrière en tant qu’il est [inaudible].
Martine Lerude – Il nous dit quand même qu’effectivement « le désir apparaît ici comme une métaphore de l’amour mais avec ce qui l’attache. »
Julien Maucade – Mais avec un objet en tant qu’il est illusoire ? C’est l’objet qui est illusoire, ce n’est pas l’amour.
Martine Lerude – Qu’il est illusoire, pardon c’est bien l’objet, c’est pas l’amour, l’amour il va être du côté du symbolique alors que l’objet illusoire il est sur le rideau…
Julien Maucade – L’amour c’est un objet illusoire.
Marc Darmon – L’amour ça va avec le manque.
Martine Lerude – Oui et justement c’est pour ça que c’est du coté de cet au-delà, cet au-delà qui est visé. Je crois que même si cela est assez flou, écrire l’au-delà, c’est l’au-delà qui est dans l’amour et l’accrochage du fait de cette projection sur le rideau d’un objet qui n’est qu’une partie, qui se décline de l’objet d’amour.
Julien Maucade – L’amour est en rapport avec le manque mais il y a l’objet ici, illusoire qui masque ce manque, c’est un objet illusoire, c’est une image.
Martine Lerude – Alors quand même c’est ce qu’il essaie de faire valoir là, d’élaborer, c’est la structure fétichiste, c’est un rapport au voile et à l’au-delà. Et sur le voile, tu as cette dimension, ce qui peut s’imager, s’instaurer comme capture imaginaire comme place du désir. Oui c’est là, c’est sur le voile que se situe la capture imaginaire, la place du désir. Et cette relation a un au-delà et c’est bien là ce qui est fondamental dans toute la séparation de la relation symbolique, et la relation symbolique elle est du côté de l’amour.
Valentin Nusinovici – Pourquoi il parle de l’amour, j’ai trouvé la réponse, ça m’a tracassé aussi et …
Martine Lerude – T’as trouvé la réponse !
Valentin Nusinovici – Elle est là dans les notes, c’est parce qu’il s’appuie sur Binet. Binet qui est celui qui a dit : le fétiche c’est quand le regard s’arrête, il remonte vers le haut de la cuisse et paf ! Il trouve la jarretelle ou je ne sais quoi. Le texte de Binet, le titre de Binet c’est « Le fétichisme dans l’amour ». Il nous le donne et à mon avis c’est pour qu’il y ait cette histoire invraisemblable d’amour dans le fétichisme qui ne tient pas debout du tout.
Martine Lerude – Pourquoi ça ne tiendrait pas debout d’ailleurs ? Non je ne suis pas d’accord…
Valentin Nusinovici – On n’est pas dans l’amour enfin ! On est dans la question du désir. Enfin, invraisemblable j’exagère peut-être, ça m’a dérangé jusqu’à ce que je trouve cette note. Évidemment ça donne un drôle de rapport avec la question du désir. Après avec l’objet a, évidemment, ça devient très clair. Le fétiche cause le désir qui va s’accrocher n’importe où, là on est dans la clinique. Mais ici on ne s’y retrouve pas, dans ce passage. On ne retrouve pas de fétichisme là-dedans, moi je n’en trouve pas.
Martine Lerude – On essaie de suivre ce qu’il dit…
Valentin Nusinovici – D’abord on essaie de suivre ce qu’il dit et après on voit si ça fonctionne.
Martine Lerude – Ce que l’on trouve toujours dans La relation d’objet, l’objet est divisé, c’est cette division successive de l’objet. Tout au long, il peut être divisé, l’objet du désir, l’objet d’amour, l’objet imaginaire, l’objet projeté, l’objet qui est référé à l’au-delà, il y sans arrêt quelque chose qui est de l’ordre d’une division qui est opérante.
Bernard Vandermersch – La division c’est l’objet du désir, l’objet d’amour.
Martine Lerude – Oui mais tu le retrouves tout le temps dans La relation d’objet.
Julien Maucade – Il me semble qu’il insiste sur un point, c’est que chez le fétichiste il est pas dans le désir, il est dans l’amour d’un objet illusoire et il dit exactement « mais c’est en tant qu’il n’est justement pas le point où s’attache le désir. » Le fétichiste est dans un amour sur un objet illusoire mais il n’est pas du tout dans le désir, il est loin de son désir, il n’est pas dans le désir le fétichiste. Je ne vois pas comment aimer une chaussure…
Marc Darmon – Justement…
Martine Lerude – C’est la cause de son désir, il n’y a pas le mot, on n’a pas le mot la cause du désir là…
Valentin Nusinovici – J’ai repris la phrase de L’Angoisse : Le fétiche cause le désir qui va s’accrocher où il peut, c’est vraiment ça, il ne prend pas comme objet de désir ce fétiche.
Martine Lerude – Il dit « point d’attache du désir ».
Valentin Nusinovici – C’est l’amour qui nous embête là-dedans. C’est parce qu’il suit Binet.
Marc Darmon – Binet il va l’entendre avec la métonymie de l’objet…
Julien Maucade – Il cajole son objet comme si c’était, il est amoureux de son objet, il cajole son objet,
Valentin Nusinovici – Il le déchire, il lui crache dessus ou il le fout à la poubelle…
Martine Lerude – Il faut qu’il soit là.
Bernard Vandermersch – Mais la femme aussi avec qui il fait l’amour, ce n’est pas interdit. Il y a le fétiche qui est là comme cause, nécessité, mais ça n’empêche pas l’amour. Comment le phallus fonctionne, manifestement ce n’est pas le même objet qui dans la condition du désir et l’objet qui est aimé par le fétichiste dans le même instant. Maintenant quel est le rapport du phallus dans l’amour qui est éventuellement porté, comment il fait pour se démerder avec le manque ?
Julien Maucade – Je voudrais quand même insister, le fétichiste n’a pas accès à son désir et justement c’est pour ça qu’il est dans un rapport à un objet illusoire, il est à des années-lumière de son désir.
Martine Lerude – Ah ben non, ça marche très bien !
Valentin Nusinovici – C’est quand même l’exemple que Lacan a pris pour le désir mâle, il l’a pris comme une espèce de paradigme du désir mâle !
Julien Maucade – Pas dans la perversion, je veux dire c’est dans la structure mais pas dans la perversion.
Bernard Vandermersch – Il faut dire que le désir mâle il est presque toujours fétichiste.
Virginia Hasenbalg – il y a un passage où la destruction prend une place importante, où il dit il y a deux versants pour le fétichiste, soit s’identifier à la mère…
Marc Darmon – On a avancé sur la discussion déjà…
Martine Lerude – Je vais terminer sur ce rapport au voile qui est tout à fait essentiel, et souligner comment, à propos du voile, Lacan, parle d’un rythme ternaire sujet-objet-au-delà. Lacan fait jouer trois termes et le voile il parle de « cette projection, de la fonction du voile et de la position intermédiaire de l’objet » ; position intermédiaire de l’objet fétiche – qui n’est pas l’objet d’amour – en tant qu’il est projeté sur le voile. Ce qui permet de rendre compte de la manière dont les choses peuvent se fixer pour un sujet donné, à un moment précis, ce que Lacan associe avec le souvenir-écran. C’est-à-dire qu’il y a des conditions particulières survenues dans la petite enfance, des conditions historiques, c’est rare que Lacan parle d’histoire, et là il parle d’histoire, et les choses se sont figées sur une image à un moment de l’histoire du sujet, ce qui a produit le souvenir écran. Mais c’est une image particulière dans la mesure où c’est aussi une image signifiante, quelque chose qui va être dit puisqu’il va parler du Glanz sur le nez. C’est-à-dire que c’est aussi une image sonore, ce n’est pas seulement une image visuelle. C’est cette partie concernant la structure du fétichisme qui me paraît extrêmement passionnante.
Texte relu par l’auteur.
David Glaserman – Je remercie Marc Darmon de son invitation à participer à ce séminaire. Je vais vous proposer une lecture assez proche du texte de cette leçon X qui me semble être une leçon dense et comme l’a dit Martine Lerude, qui est dans un contexte de recherche de la part de Lacan qui n’a pas encore inventé l’objet a à ce moment-là. Il me semble qu’il tente d’élaborer, alors là Martine Lerude a beaucoup parlé du phallus symbolique et je pense que dans cette leçon Lacan aborde davantage la dynamique imaginaire qui est mise en place et notamment autour de l’objet oral et du manque premier qu’il s’institue chez l’enfant.
Pour abréger un peu mon propos – j’avais repris des choses concernant le fétichisme et notamment la question du manque mais je ne vais peut-être pas m’étendre dessus – il avance sur cette question de la dynamique imaginaire reprise dans la littérature analytique telle que le girl = phallus de Fénichel et puis l’équivalence fèces = enfant = pénis chez Freud. Je prends ces points-là pour préciser qu’ici le phallus semble plus pris dans sa dimension d’objet et non de signifiant phallique, et nous y reviendrons tout à l’heure. En tout cas on a ici quelques exemples littéraires et qui font toujours valoir la question du manque de phallus. Je vais préciser un peu plus. Lacan surtout, pour entrer dans le vif du sujet, aborde la lecture de Freud et notamment Psychologie des masses et analyse du moi et fait valoir la perplexité constante de Freud devant les deux termes que sont l’identification et le choix de l’objet, qui vient du fait que les deux peuvent se substituer l’un à l’autre, en tout cas d’après Freud, et je cite « […] avec le plus déconcertant pouvoir de métamorphose, de façon telle que la transition même n’en est pas saisie, […] ». C’est vrai qu’il est difficile de les distinguer car ces deux notions sont intimement liées. Je pense que cette leçon va permettre de cerner un peu mieux cette différence et aussi le fait que Freud souhaite bien maintenir l’écart entre ces deux notions car c’est effectivement autre chose que d’être du coté de l’objet ou du coté du sujet. Et de même que la distinction entre objet d’un choix et support d’identification doit être maintenue, effectivement pour le dire de façon un peu massive l’identification c’est ce qu’on voudrait être et l’objet c’est ce qu’on voudrait avoir.
Ce qui est prolongé par l’analyse du chapitre VII de Psychologie des masses et analyse du moi, c’est qu’il avance que l’identification au père serait un préalable au déclenchement de l’Œdipe qui serait là un objet support de l’identification et au cours duquel le garçon développe des sentiments amoureux pour sa mère qui est objet d’un choix. Et nous pourrions ajouter que l’identification au père serait alors à l’entrée et à la sortie du complexe d’Œdipe puisqu’effectivement, pour le garçon en tout cas, le complexe d’Œdipe se solde par l’identification au père. La perplexité de Freud se trouve plus marquée lorsqu’il s’agit d’articuler l’état amoureux avec l’identification. Identification qui comporte elle-même un choix d’objet car cet objet, celui du choix de l’objet, est liée selon Freud au narcissisme et à « une sorte d’autre moi dans le sujet », une entité indépendante qu’il s’agit de mieux cerner.
La question de l’articulation de l’identification et de la Verliebtheit – alors là j’ai eu quelques difficultés à le traduire. Est-ce que c’est amour ? Est-ce que c’est énamoration ? Est-ce que c’est fascination ? Il y a pour moi une ambiguïté – est à chercher dans cette « sorte d’autre moi ». Quel est l’objet qui s’introjecte ?
L’objet qui s’introjecte serait celui cherché, pris dans l’Autre et qui peut renvoyer à la notion de la dévoration d’un Autre primitif, la mère, par le bébé – nous y reviendrons – et l’objet est contenu dans l’Autre provient de l’Autre et devient comme une partie du sujet par introjection, dévoration. L’opposition entre enrichissement par l’introjection et appauvrissement du moi dans le cadre de l’état amoureux où « le sujet place l’objet à la place de son élément constituant le plus important » n’est pas vraiment tranchée. Il me semble que le point le plus essentiel, dans le cas de l’identification, l’objet a été perdu ou éventuellement abandonné mais en tout cas il ne disparaît pas.
En quelque sorte, le moi s’enrichirait d’un objet qu’il introjecte, se complèterait grâce à cet objet, ce qui d’ailleurs induirait que le moi a déjà fait l’expérience du manque et dans le même temps s’appauvrit car l’objet introjecté provient d’un objet d’amour, lui-même manquant, renvoyant ainsi à l’incomplétude du moi. L’évocation de l’objet perdu, laisse poindre l’opération de castration mais qui n’est peut-être pas encore lue comme telle dans cette phase encore soutenue par une dynamique où l’imaginaire est prépondérant et non le symbolique. Freud envisage alors plusieurs hypothèses, celle d’une « identification qui suppose l’abandon de l’investissement de l’objet ». On a là affaire à un objet perdu, mais aussi celle d’un « objet demeuré conservé et comme tel surinvesti de la part et aux dépens du moi », et « que l’objet soit placé à la place du moi ou de l’idéal du moi qui me semble être plus la structure constitutive de la masse si l’objet est celui qui prend la place de l’idéal du moi. Et s’il apparaît que le moi est bien au centre de l’opération d’identification et de son articulation à l’objet, Freud s’interroge quant au destin, au devenir possible du moi et de l’objet ainsi liés.
Alors, pour continuer dans sa lecture, Lacan propose de faire l’étude « des rapports de la frustration avec la constitution de l’objet ». Rappelons que la frustration est une opération imaginaire car elle frustre un sujet aux exigences sans limite, d’objets qui eux sont réels – par exemple le sein maternel – et cette opération est réalisée par un agent symbolique qui refuse ou accorde ces objets, objets réels, par les scansions de sa présence ou de son absence. Pour tenter de faire le lien entre identification et introjection, Lacan fait valoir que « la métaphore sous-jacente à l’introjection est une métaphore orale », c’est-à-dire que l’introjection se construit à partir du premier objet qu’est le sein maternel. Alors, il s’appuie ici sur les bons et mauvais objets repérés par Mélanie Klein, ceux qui sont constitutifs du dedans et du dehors entre lesquels les objets circulent, les bons étant introjectés et les mauvais étant repoussés dehors. Alors, il s’appuie sur ces objets, mais néanmoins, je dirais, sur ces concepts kleiniens pour mieux s’en éloigner car ils induisent une symétrie entre introjection et projection qui est inexacte selon Lacan.
Il revient là au fétichisme pour faire valoir la question de la « réduction symbolique de l’objet », l’objet perdant son caractère réel pour prendre un tour, une fonction symbolique et comme on peut le voir dans les cures de certains fétichistes qui régressent vers des symptômes portant sur la pulsion orale lorsqu’ils avancent dans l’analyse. Le fétichisme étant, il me semble, de structuration semblable au symbolique car fondé sur un jeu de présence et absence du phallus maternel. Alors là, je dis bien semblable car il y a un déni de la castration maternelle et l’avancée dans l’analyse viendrait alors à symboliser le fétiche et son absence ferait alors retour par la présence, on peut dire, la sortie de l’objet oral. C’est en tous cas la façon dont j’ai compris ce passage.
Marc Darmon – Il dit qu’au décours de l’analyse il y a une crise de boulimie. Il dit, si je me souviens bien, qu’au cours de l’analyse, il y a une évolution de fétichisme vers un comportement alimentaire boulimique. C’est ce qu’il va préciser quand il va parler de la frustration d’une façon plus approfondie, il va parler de la frustration dans un sens complètement différent du sens commun. Ce n’est pas du tout la frustration tel qu’on la décrit classiquement avec des phases d’agressivité. C’est une frustration où justement, l’objet qui était réel va devenir l’objet symbolique, puisqu’il va être le don de l’amour de la mère. C’est-à-dire la mère, de symbolique, en s’absentant un peu plus longtemps que prévu, devient réelle et il y a une inversion de l’objet qui de réel devient symbolique. Alors, c’est intéressant parce que cliniquement on le voit, des fétichistes qui passent par une phase de transvestisme. Alors, je ne sais pas si vous avez dans votre clinique des anorexiques ou des boulimiques qui ont eu une phase de fétichisme. Est-ce que l’on peut parler de fétichisme féminin ou pas ? Vous avez encore ?
David Glaserman – Je continue. En tous cas, c’est bien de pulsion, ici orale, qu’il s’agit dans le mécanisme d’introjection, pulsion qui doit être conçue « par rapport au déroulement d’une certaine relation symboliquement définie ». Car pour l’enfant, la mère est support de la première relation amoureuse, l’amour étant bien quelque chose de « symboliquement structuré ». La mère est l’objet d’appel, absent autant que présent, toujours pour citer Lacan : « dont les dons sont signes d’amour et objet de besoin qu’elle lui présente sous la forme de son sein. »
C’est sur fond d’absence ou de présence du sein maternel, qui sont d’ailleurs régulés par les appels de l’enfant, puisque si l’enfant n’appelle pas, la mère ne se présente pas, que la relation d’amour mère-enfant est structurée. Il s’agit bien d’une relation symbolique, régulée, enfin rythmée par les scansions de présence-absence de la mère. Comme le dit Lacan, « chaque fois qu’il y a frustration d’amour, la frustration se compense par la satisfaction du besoin ». Lorsque la mère s’absente, le petit cherche alors la satisfaction, le plaisir par le sein qui prend alors une toute autre valeur que celle d’un objet purement réel. L’objet oral est donc à chaque fois et dès le premier appel, raté, car l’entrée dans le langage transforme immédiatement le besoin en demande, en demande d’amour. Et la relation d’amour étant symboliquement structurée ceci a pour effet de relancer la pulsion. On va dire pulsion de mordre, déjà, dans un premier temps de l’enfant, mais aussi le jeu symbolique de présence et absence de la mère au gré de ses appels. Ce que Lacan reprend par la formule : « La satisfaction du besoin commence à devenir l’alibi de la frustration d’amour ».
Toujours, pour citer Lacan, pour continuer à le citer : « Un objet réel prend sa fonction en tant que partie d’objet d’amour, il prend sa signification en tant que symbolique et devient comme objet réel, une partie de l’objet symbolique et la pulsion s’adresse à l’objet réel en tant que partie de l’objet symbolique. »
L’objet réel, qui n’est d’ailleurs pas resté en tant que tel, réel bien longtemps, prend un tour symbolique en tant que partie de l’objet symbolique, engagé dans la première relation amoureuse. Et ceci nous conduit à l’approche, il me semble, des troubles de l’oralité par l’articulation de l’amour symbolique et de ce qui peut être opposé au symbolique par le réel de l’objet oral par exemple dans l’anorexie. Lacan poursuit, « à partir du moment où, un objet réel a pu devenir élément de l’objet symbolique, tout autre peut satisfaire un besoin réel, peut venir se mettre à sa place et au premier rang de ce qui est déjà symbolisé, mais qui comme parfaitement matérialisé, est aussi un objet, et peut venir prendre cette place, à savoir la parole ». Il me semble qu’il y a possibilité pour la parole, de prendre la place de l’objet oral réel, du fait de la structure symbolique de l’objet oral et aussi du fait que la parole, tout en supportant le symbolique, est aussi un objet réel, matérialisé et matérialisable par la voix.
C’est dans la mesure, là encore il y a un autre passage de Lacan :
« C’est dans la mesure où la [régression] orale à l’objet primitif de dévoration vient en compensation de la frustration d’amour, dans la mesure où ceci est une réaction d’incorporation, que le modèle, le moule est donné à cette sorte d’incorporation qui est l’incorporation de certaines paroles entre autres, et qui est à l’origine de la formation précoce de ce que l’on appelle le Surmoi. Ce que sous le nom de Surmoi, le sujet incorpore, c’est ce quelque chose, analogue à l’objet de besoin non pas en tant qu’il est lui-même le don, mais en tant qu’il est le substitut à défaut du don, ce qui n’est pas du tout pareil. »
Cet objet oral, raté dès le premier appel et qui devient donc objet de dévoration par la relance de la pulsion que le ratage premier engendre, serait donc en tant que compensant la frustration d’amour par l’introjection de la parole, le support premier du surmoi et donc du symbolique. La parole permet la mise en place précoce du surmoi, remplace le don de l’objet et se substitue ainsi au défaut du don d’objet. Il s’agit là de la mise en place première de la structuration symbolique et de la première intériorisation symbolique par le biais de la pulsion orale.
Pour continuer et pour faire écho à la distinction entre choix d’objet d’amour et choix d’objet support de l’identification, et ainsi qu’à l’objet réel partie de l’objet symbolique, la distinction entre objet phallique imaginaire, le pénis et le signifiant phallique est alors amené par Lacan.
Le pénis intervient effectivement dans l’économie imaginaire en tant qu’objet réel, partie de l’objet symbolique et aussi en tant que substitut du sein ou de la tétine, comme le dit Lacan, « en tant qu’objet compensatoire de la frustration d’amour », nous y reviendrons, car l’on peut retrouver une forme d’incorporation orale du pénis dans certains symptômes. Il a bien une fonction imaginaire car il est « imaginairement incorporé », introjecté et on retrouvait cette fonction imaginaire dans les premières citations que fait Lacan des équations de Fénichel ou de Freud avec l’équivalence enfant = pénis = fèces. Mais le pénis peut aussi entrer dans l’économie du sujet en tant que signifiant et non plus objet car il est au-delà de l’objet d’amour, il manque à celui-ci. Il s’agit dans cette seconde fonction, qui est la fonction du phallus, en tant qu’il manque à la mère et qui est au-delà de la mère. S’il conserve une dimension imaginaire, car il ne manque en réalité rien à la mère, il a surtout une dimension symbolique mais qui n’est peut-être pas interprétée comme telle à ce stade en tant qu’au-delà de la mère, mais il est bien intégré par le sujet comme ce qui lui manque.
« À quel moment, alors, Lacan interroge, à quel moment le sujet découvre-t-il ce manque de façon telle qu’il puisse lui-même se trouver engager à venir s’y substituer » ? Il me semble que c’est le moment essentiel dont Lacan rappelle les conditions pour que ce moment se produise.
Le premier temps est celui de l’identification primitive freudienne avec introjection possible de l’objet structuré de façon symbolique et le second temps permet lui, la survenue de la Verliebheit dans la relation narcissique spéculaire, c’est-à-dire, la relation à l’image de l’autre initiée avec le stade du miroir à l’âge six mois environ. Et qui présente cette image comme en avance par rapport au vécu réel du sujet et qui est une image qui me semble-t-il, peut détenir l’objet. Le sujet fait là la première expérience de son incomplétude par rapport à l’Autre, par rapport au petit autre, au semblable. Ces deux premières relations symboliques, à la mère objet d’amour et au semblable dans le miroir sont fondamentales pour l’enfant car elles lui montrent, je cite Lacan :
« […] qu’à la mère comme à lui, il peut manquer quelque chose, que quelque chose au-delà peut exister qui est un manque, dans la mesure où lui-même a eu l’appréhension et l’expérience, dans la relation spéculaire, d’un manque possible. »
C’est l’expérience de ce manque, d’une part dans la relation d’introjection orale, articulée à la mère puis dans la relation spéculaire à son image, que l’enfant fait les premières expériences du manque, et de son manque. Ces expériences imaginaires redoublées dans la mise en place de l’objet oral puis du spéculaire, sont déjà structurées symboliquement. Et ce moment que décrit Lacan, est un moment, me semble-t-il de transition essentiel dans lequel l’objet, qui était primitivement un objet oral, et contenu dans la mère, passe cette fois-ci dans l’autre et dans le semblable qui est l’image de l’enfant dans le miroir mais en avance sur son vécu réel.
Pour continuer à citer à nouveau Lacan :
« Ce n’est donc qu’au-delà de la réalisation narcissique, et pour autant que commence à s’organiser cette allée et venue tensionnelle profondément agressive à l’autre et autour duquel vont se cristalliser, les couches successives de ce qui constituera le moi, que peut à ce moment s’introduire ce qui fait apparaître au sujet, au-delà de ce qu’il constitue lui-même comme objet pour sa mère, que peut apparaître cette forme que de toute façon l’objet d’amour est lui-même pris, captivé, retenu dans quelque chose que lui-même, en tant qu’objet, n’arrive pas à éteindre, à savoir cette nostalgie, à savoir ce quelque chose qui se rapporte à son propre manque. »
La découverte du semblable, dans le miroir, marque aussi le début d’une relation agressive à l’autre avec ses conséquences cliniques qui peuvent être paranoïagènes et qui va aussi servir d’appui à la constitution du moi puisque c’est dans son image que le petit enfant construit cette entité psychique fondamentale, à l’aide également de la nomination, de la désignation de l’enfant prononcée par le grand Autre devant cette image et qui va le conduire à l’unité corporelle.
C’est aussi, dès les premières expériences imaginaires, que le sujet fait l’appréhension de ce manque qu’est le phallus, qui ne peut être comblé pour la mère, ni par l’enfant, ni par aucun autre objet. Et nous retrouvons dans cette phase, le redoublement du manque maternel et du petit enfant, initié lors de cette phase, je l’ai mis entre guillemets, « orale ». Néanmoins, la mère peut conserver l’enfant comme substitut imaginaire, Lacan ajoutant « […] aucune satisfaction par un objet réel quelconque qui vient s’y substituer, ne parvient jamais à combler ce manque qui fait que dans la mère, à côté [de] la relation à l’enfant, reste, comme un point d’attache de son insertion imaginaire, ce manque du phallus ; […] »
L’enfant peut réaliser ce manque dès le stade du miroir, date à laquelle il constitue son moi et l’image de son corps comme manquant par rapport à l’image. Lacan ajoute :
« […] le sujet, accède, après le second temps de l’identification imaginaire spéculaire, à l’image du corps comme telle, et en tant qu’elle est à l’origine et qu’elle donne la matrice de son moi, c’est à partir de là [ que] déjà il a pu réaliser ce qui manque à la mère. Mais c’est une condition, une exigence préalable que cette expérience spéculaire de l’autre, comme formant une totalité, par rapport à quoi il peut, à lui, manquer quelque chose, que le sujet apporte, au-delà de l’objet d’amour : ce manque auquel il peut être amené lui-même à se substituer, auquel il peut se proposer comme étant l’objet qui le comble. »
Le sujet à partir de ce premier vécu nécessaire du manque via l’image spéculaire, peut proposer de combler le manque maternel en lui apportant son manque, qui est un manque imaginaire, celui de son corps qu’il ne peut appréhender dans sa totalité. Et Lacan apporte alors une distinction entre les différentes formes de cette dynamique imaginaire, surmoi, idéal du moi dans cette fonction de l’idéal du moi qui sont du registre symbolique mais aussi le moi qui est imaginaire et l’objet du moi qui est lui réel, comme on le retrouve sur le petit schéma que Lacan propose en fin de leçon, qui est repris du chapitre VIII de Psychologie des masses et analyse du moi mais auquel il a enlevé les petites flèches entre l’objet et l’idéal du moi.
[Schéma p. 303, éditions A.L.I., juin 2018.]
Il reprend à travers ce petit schéma les trois catégories qu’il distingue depuis son premier séminaire, donc réel, symbolique, imaginaire tout en les reliant. Il les a dépliés dans cette leçon en y articulant comment un objet réel, un objet d’amour pouvait venir structurer le moi, lui imaginaire et dans l’articulation mise en place dans le processus d’identification et ce dans une structuration déjà symbolique, sur fond de manque puisque le surmoi est d’ores et déjà présent sous une forme primitive du fait de la prise de l’enfant dans le langage. Ces structurations se mettent en place dans des temps logiques et non dans des temps chronologiques et l’on peut d’ailleurs presque y voir les prémisses du nœud borroméen.
Et pour aller au-delà justement, Lacan s’interroge à l’aune de Freud sur ce qu’est l’objet qui, dans la Verliebheit vient se placer à la place du moi ou de l’idéal du moi car « c’est à partir de l’idéal du moi que le moi se détache », c’est-à-dire qu’il faut l’intervention du symbolique pour découper l’image conduisant à l’unité corporelle au stade du miroir. Il ajoute : « Voilà où il place les moi des différents sujets ; il s’agit de savoir pourquoi les sujets communiquent dans le même idéal. Il nous explique qu’il y a identification de l’idéal du moi avec ces objets qui sont là dans le texte [schéma] ; tous ces objets sont supposés être le même ; simplement, si on regarde le schéma, on s’aperçoit qu’il a pris soin de relier ces trois objets qu’on pourrait supposer être le même, [à] un objet extérieur qui est là derrière tous les objets. »
L’idéal du moi, le moi sont toutes fois bien distincts et reliés à un objet extérieur qui me semble-t-il est le signifiant du manque, c’est-à-dire le phallus, et qui ne peut être dit.
En conclusion Lacan nous parle dans cette leçon de la dynamique imaginaire à partir de l’objet primitif oral qui est aussi l’objet d’amour premier et réel qu’est la mère en tant que mis en jeu dans un processus d’introjection, d’identification, et dans une structuration déjà symbolique qui révèle le manque dès ces premières étapes. Il fait déjà de cet objet réel la partie d’un objet symbolique comme manque premier et c’est cette première expérience du manque qui viendra influencer, se rejouer et se répéter à chaque phase ultérieure du développement de l’enfant et sera aussi réinterprétée à chacune de ces phases à l’aune des nouveaux éléments mis en place dans le psychisme et, le plus fondamental et le plus crucial dans la vie de l’enfant et du futur adulte étant bien sûr, le phallus. Les conséquences individuelles en sont assez nombreuses et pour ouvrir aussi un peu au-delà des conséquences individuelles, Lacan évoque beaucoup Psychologie des masses et analyse du moi dans cette leçon, il reprend effectivement une partie du schéma du chapitre VIII « État amoureux et hypnose » et il me semble qu’en ces temps de globalisation des nationalismes et de développements rapides de mouvements initiés par les réseaux sociaux récemment, et aussi puisqu’il me semble que l’objet oral pourrait soutenir certaines foules, on peut le voir dans les rave parties où l’alcool et les drogues par ingestion orale sont légions, une question en tout cas insiste chez moi, c’est est-ce que la phase archaïque décrite par Lacan dans cette leçon qui est articulée à un moment premier du stade du miroir qui fait la transition au moment où l’objet à dominante orale situé dans la mère pour aller dans l’autre, dans le semblable, est-ce que ce moment archaïque contiendrait en tout cas le potentiel à la formation des masses ? C’est une question en tout cas.
Marc Darmon – Merci. Le problème, c’est que ces leçons, ces deux leçons sont extrêmement riches avec beaucoup de notions nouvelles qui sont amenées, on n’a pas forcément accès à immédiatement à ces formulations et c’est des choses qui vont être travaillées, comme disait Martine [Lerude] au cours des séminaires suivants et qui vont être complètement transformées tout en ayant des liens très forts et très intéressants. Il y a beaucoup d’expressions qui me posent beaucoup de difficultés, par exemple qu’est-ce que c’est qu’une partie symbolique d’un objet réel ou la partie réelle d’un objet symbolique, ce n’est pas évident. Je ne sais pas comment vous entendez cela vous ?
Marie-Christine Laznik – C’est d’une densité, à déprimer on est en train de faire comme ça une course presque déprimante sur plein de concepts difficiles, je pensais à l’identification première au père, il y a deux identifications, la première et la dernière, je me rappelle, souvenir de jeunesse, toi et Contardo Calligaris dans un séminaire que vous faisiez ensemble, vous vous rappelez ou pas, sur cette identification première au père (MD – oui) parce que Lacan promet toujours qu’il en reparlera.
Marc Darmon – Oui mais Contardo [Calligaris] avait trouvé un truc qui n’allait pas par rapport au séminaire.
Marie-Christine Laznik – Oui mais on ne trouvait pas et jusqu’au dernier séminaire il dit qu’il en reparlera et il n’en a jamais reparlé, chaque fois il le promet, donc il y a plein de milliers de trucs comme ça super importants…
Marc Darmon – Et l’identification au trait unaire qui est une des trois identifications et Contardo [Calligaris] le voyait, [inaudible]
Marie-Christine Laznik – Oui, attends, et l’identification première au père que Lacan nous sort que vous avez reproduit aujourd’hui, elle serait antérieure à cette histoire d’identification au trait, rappelez-vous ! Je me rappelle, dans une salle, vous étiez tous les deux debout, tu te souviens de ça ou pas, en train de vous battre avec ça, et on était jeune et dynamique à l’époque.
Marc Darmon – Cette identification première au père ou aux deux parents.
Marie-Christine Laznik – Et on s’était amusé à regarder dans toute l’œuvre, on était allé jusqu’au bout, à plusieurs reprises, il dit : « je vais en reparler. »
Marc Darmon – Il en reparle de temps en temps (MCL – pour dire qu’il va en reparler). Oui mais à un moment il dit que cette identification au trait unaire lui permettait de poser la difficulté d’une incompréhension totale du père.
Marie-Christine Laznik – Il disait que c’était par incorporation plus primitive encore, parce que l’identification au trait, c’est un truc partiel, c’est un truc par incorporation encore plus primitif.
Martine Lerude – Oui sauf que le trait unaire, ce n’est pas le trait du corps, ce n’est pas la même chose.
Marie-Christine Laznik – Ça le trait chez Freud, c’est clair (MD – c’est le trait unique)
Martine Lerude – Oui c’est le trait unique, c’est-à-dire celui qui va engager toute la suite, c’est pour ça que ça pouvait être pris comme cette première identification au père, aux deux parents, c’est-à-dire à un trait unique, inaugural, qui engendre ensuite.
Valentin Nusinovici – Réelle, je crois qu’il la considère comme réelle par opposition à l’identification symbolique, comme incorporation réelle. Ici l’incorporation et l’introjection sont mal distinguées. C’est très kleinien, cette reprise du kleinisme comme les incorporations imaginaires, on a un mal fou à débrouiller tout ça. Mais c’est ça qui est intéressant comme dit Martine [Lerude], cela ne lui est pas venu tout cuit. Il faut faire l’effort de prendre le texte de Freud que lui-même prend comme il le veut [inaudible]
Martine Lerude – Il est très proche quand même. Il est dans le texte de Freud et puis hop ! Il s’en échappe.
David Glaserman – C’est vrai, c’est une leçon extrêmement dense, j’ai essayé d’en sortir ce qui me semblait important mais il y a énormément de choses, c’est vrai qu’on pourrait passer des heures dessus…
Valentin Nusinovici – Le surmoi là qu’il décrit ici comme fait de la première (DG – introjection), introjection dans les termes qu’il a, ça sera plus symbolique, ici ce n’est pas symbolique cette introjection. Qu’est-ce qui nous reste de ça ? C’est un surmoi kleinien ? C’est quoi je ne sais pas…
Martine Lerude – Non, c’était la manière dont Freud pouvait parler du surmoi. C’est-à-dire qu’effectivement, c’était la manière dont la parole du père se trouvait (VN – la parole ? Mais dans ce texte-là, ce n’est pas la parole, si ?). Si, si, c’est la parole ! [Brouhaha]
Martine Lerude – Mais ça, c’est toute la polysémie du mot objet mais en même temps, en vous écoutant, j’entendais qu’effectivement, cet objet si polysémique, c’était à la fois, il était à la fois réel, symbolique, imaginaire et que de temps en temps, on était sur un versant imaginaire, sur versant réel mais que de toute façon ça ne cessait pas de passer d’un versant à un autre, du coup le nœud borroméen, il est là, je dirais, on l’a comme représentation parce que effectivement, où on est coincé, c’est quand il fait un tableau comme par exemple le tableau castration, frustration, privation, à ce moment-là les choses sont parfaitement distinctes mais le texte qui se rapporte au tableau ne correspond pas. C’est-à-dire qu’il est toujours en train, c’est toujours une déclinaison, tu crois que tu es du côté de l’objet réel, et bien non c’est de l’objet symbolique, c’est-à-dire que cette déclinaison permanente, je crois qu’on est là dans ces trois instances nouées et qui fait que chaque fois qu’on en favorise une, les autres sont là, et que ça tient à un glissement et que ce glissement, c’est ça qui va lui permettre la suite de son élaboration. Mais nous on est embarrassé, je disais division, parce qu’il emploie le terme de division de l’objet dans des leçons précédentes, ce n’est pas le terme de division, c’est ce glissement sans arrêt d’un versant à un autre. Je l’entendais comme ça en vous écoutant.
David Glaserman – C’est vrai, mais il me semble aussi il y a toujours effectivement comme vous le dites ce glissement d’un versant à un autre, mais il me semble aussi bien ce qui, bien qu’il veuille nous parler de la dynamique imaginaire, ce qui revient à chaque fois, il fait toujours appel, enfin c’est structuré symboliquement.
Martine Lerude – Il n’y a pas de dynamique imaginaire sans qu’il y ait la référence symbolique. La même chose dans le miroir, il faut qu’il y ait la référence symbolique pour qu’il y ait la dimension imaginaire du miroir ou la même chose quand il est en train de parler de la question du rapport de l’amour et de l’objet de désir, c’est-à-dire cet au-delà, cet au-delà de l’organisateur symbolique. Quand il parle de Mélanie Klein, qu’est-ce qu’il nous dit, il nous dit Mélanie Klein, il ne l’a pas encore étudiée à ce moment-là, mais elle est dans l’imaginaire, rétroactivement elle se sert de l’Œdipe pour interpréter tous ces pénis en morceaux, tous ces morceaux d’enfant qui sont dans le ventre de la mère, elle va interpréter tout ça avec l’utilisation rétroactive de l’Œdipe, c’est-à-dire que l’Œdipe il a sa fonction organisatrice symbolique et ça je pense aussi que c’est quelque chose qui court tout au long de ce séminaire.
Julien Maucade – Si vous le permettez, moi je trouve ça très intéressant que Lacan lui-même est en train de chercher (ML – C’est ce qu’on a dit l’un et l’autre). Les difficultés, les sauts d’un sujet à l’autre si on peut dire, c’est parce que lui-même est en train de chercher et je trouve ça très intéressant, du coup nous, on ne trouve pas mais par rapport à l’identification je voudrais quand même insister sur un point, c’est qu’il y a une identification mystérieuse chez Freud, où il dit l’identification aux parents alors que les sexes sont non différenciés. Ce n’est pas aux parents chacun d’un côté, il précise qu’il y a une identification première aux parents (MD – au père ou aux parents ?) aux parents. (MD – Il dit au père et aux parents ?)
Martine Lerude – Mais à ceux qui parlent en fait quand même, vraiment ! À ceux qui parlent ! À ceux qui sont là et qui parlent. Ce sont ces premières marques signifiantes qui viennent là.
Julien Maucade – [Brouhaha] Du point de vue clinique avec les jeunes maintenant, je trouve que cette identification, elle est prégnante, c’est-à-dire ils l’ont à fleur de peau, cette identification, les parents ne sont sexuellement pas différenciés et derrière on voit très bien l’identification au père, première identification première au père mais ils sont complètement dans cette identification à des sexes non différenciés et c’est dans le dictionnaire, si vous voulez, il y a un super article écrit par Bernard [Vandermersch] je pense dans le Dictionnaire de la psychanalyse sur l’identification.
Bernard Vandermersch – Ce ne doit pas être moi.
Marie-Christine Laznik – C’est un autre Vandermersch.
Martine Lerude – C’est un autre Bernard.
Bernard Vandermersch – J’en veux s’il est vraiment bien. Il est vraiment bien ?
Julien Maucade – Ce que je voudrais dire dans la clinique actuelle, elle est prégnante cette identification.
Marc Darmon – Je crois que c’est moi l’identification.
Valentin Nusinovici – Vous identifiez l’auteur ? (MD – Oui !)
Julien Maucade – Ce n’est pas un compliment, il est très bien cet article ! (MD – Merci !)
Marc Darmon – J’avais insisté sur l’identification symbolique et l’identification imaginaire, l’opposition entre les deux. Je reviens sur cette expression, partie imaginaire ou partie réelle d’un objet symbolique, alors je crois que ça joue sur l’ambiguïté du terme d’objet à l’époque, c’est-à-dire c’était l’objet partiel ou l’objet total (ML – Oui, c’est vrai) donc partie réelle de l’objet symbolique, c’est une partie réelle de la mère qui était l’objet symbolique. Alors il y a autre chose qui serait bon de retenir, c’est la nécessité du stade du miroir pour que la notion de manque soit acquise. Il n’y a pas de manque sans stade du miroir, (JM – Quoi ?) du moins sur le plan imaginaire.
Julien Maucade – Il n’y a pas de manque sans stade du miroir ?
Virginia Hasenbalg – Lacan parle d’incomplétude dans le texte
Marc Darmon – Oui à partir du moment où l’image a été…
Valentin Nusinovici – Dans le deuxième temps, il dit deux fois dans le deuxième temps. Le deuxième temps, c’est le narcissisme secondaire, il n’a pas parlé du narcissisme primaire, ça on le sait bien mais de dire, sinon ça nous fait deux fois un deuxième temps et ce deuxième temps est forcément, comme il dit avant, il s’était saisi à l’intérieur de lui de l’image, c’est là qu’il y a le manque (MD – C’est ça !). On a vraiment là [inaudible] de Freud, au second temps, on a le narcissisme secondaire, c’est évident. Mais on a sans qu’il le détaille qu’il y a un premier temps c’est-à-dire que le stade du miroir c’est pas tout de suite, il ne dit jamais ni introjection ni incorporation de l’image, il se saisit de l’image, plusieurs fois. Il y a deux ou trois expressions encore (ML – Il y a anticipation quand même) non c’est pas l’anticipation, c’est le fait que le sujet a à l’intérieur de lui son image du corps, c’est à-dire cette image qu’il avait devant lui, cet image de l’autre, il l’intègre, je ne sais plus comment il dit, il se saisit de cette image. Ça c’est le narcissisme secondaire et il y a bien ici, de toute façon, il l’avait fait dans les premières séminaires, ce n’est pas immédiatement ça, il y a d’abord, ici il dit deuxième temps. Il a toujours été avec le narcissisme primaire, il n’a jamais beaucoup aimé le mettre en temps successif mais là il est un peu obligé.
Martine Lerude – Mais là il parle beaucoup de chronologie aussi dans la leçon IX alors que c’est vraiment quelque chose qui va ensuite tout à fait bannir.
Valentin Nusinovici – Encore que de l’histoire du symbolique, il en a toujours parlé… je ne sais pas comment il faudrait dire.
Virginia Hasenbalg – Il y a quand même le problème du souvenir écran dans son rapport au refoulement.
Martine Lerude – Oui, il parle aussi, il s’interroge sur la chronologie qui ne va pas bien sûr être celle du développement mais quand même la question de la psychogénèse elle est aussi au cœur de cette affaire-là puisque dans la relation d’objet des auteurs de La psychanalyse d’aujourd’hui, ce qu’ils dénoncent c’est la psychogénèse qu’ils établissent à partir de la relation d’objet puisque à partir de là ,va se décliner tous les stades instinctuels, mais lui, il ne veut pas, dire qu’il a composé une autre psychogénèse mais c’est là néanmoins puisqu’il s’agit de dire que c’est là qu’elle ne tient pas la route, la psychogénèse de la relation d’objet.
Marc Darmon – Il propose une approche structurale.
Martine Lerude – C’est pour ça que c’est très acrobatique aussi.
Valentin Nusinovici – Il y a du préœdipien dans le fétiche mais il y a de l’œdipien aussi donc on peut faire fonctionner ça sur une…
Martine Lerude – Oui mais il dit aussi que le préœdipien on l’interprète avec l’Œdipe alors c’est pour ça que c’est du préœdipien.
Valentin Nusinovici – Et il y a un truc qui est intéressant, c’est la question du refoulement à propos de la perversion seconde, là où on a la Verdrängung, la Verneinung… Il parle de Verneinung mais du refoulement deux fois (ML – Tout à fait) et il cite, ces notes précieuses, je vous rappelle qu’il cite Hanns Sacks l’année suivante et combien Hanns Sacks a bien montré que il y avait le refoulement, le retour du refoulé dans des exemples très significatifs de fétichisme. Bon c’est vrai que le fétichisme, comme il dit, il y a beaucoup de fétichisme névrotique, c’est tout à fait certain. Certains ont dit que ce sont des traits fétichistes dans la structure névrotique mais enfin bien souvent, des fétichismes du soulier ce sont des névroses obsessionnelles, ce qu’on voit c’est ça. Le vrai fétichisme pervers c’est beaucoup plus rare. En tout cas ici il y a l’accent sur le point de refoulement, il le dit le point de refoulement…
Marc Darmon – Ça correspond assez bien à des cas de fétichismes pervers, c’est un séminaire très utile (VN – Celui-là ?) Celui-là. (VN – Ah oui, bien sûr, extrêmement utile, la question du voile c’est tout à fait important et surtout ce dont on n’a pas eu le temps de parler, c’est-à-dire le passage du fétichisme à l’exhibitionnisme et au transvestisme mais les cas, enfin le cas dont j’avais parlé, j’ai regardé ça fait 25 ans où il y avait toutes ces valences, … on a tout ça, le transvestisme, le fétichisme, l’exhibitionnisme.
Virginia Hasenbalg – Et dans des cas où la chronologie dont tu parlais, elle est dans ce qui va convoquer l’acting-out, tu ne peux pas le saisir si ce n’est que dans une suite temporelle.
Marc Darmon – Oui, tu parles de cas très intéressants, d’acting out. Il y a les cas où il s’agissait de produire l’objet qui était (VH – plus fort, on n’entend pas). Ce sont des cas où en quelque sorte le sujet est poussé à montrer parce que ça n’a pas été reçu (VH – oui, tu parles de l’exhibitionniste) de l’exhibitionniste.
Bernard Vandermersch – Cette phrase de Wittgenstein bizarre là : « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit. »
Martine Lerude – Non, ce n’est pas tout à fait ça…
Bernard Vandermersch – « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit ». Non ! Il a dit ça aussi, il n’a pas dit qu’une parole, il en a dit au moins deux. Ce qu’on ne peut dire, il faut le taire. Parce qu’il a dit aussi « ce qui peut être montré ne peut pas être dit »
Virginia Hasenbalg – Ca fait bien réfléchir !
Martine Lerude – C’est peut-être la différence entre Wittgenstein et… mais Bernard [Vandermersch] c’est peut-être la différence entre Wittgenstein et Lacan, c’est que c’est un appel au transfert et à être dit donc c’est peut-être ce gap-là qui est franchi au niveau de l’analyse.
Marc Darmon – Alors moi je vois, c’est plus simple ce qui ne peut pas être dit,
Bernard Vandermersch – Voilà, on aurait tendance à penser l’inverse : ce qui ne peut être dit est peut être montré.
Bernard Vandermersch – Voilà ! On a tendance à penser l’inverse (ML – Oui.) Ce qui ne peut pas être dit, mais ce n’est pas ça qu’il dit. Ça m’a assez tracassé parce que je l’avais mis de mon premier travail que j’avais fait sur la psychosomatique.
Martine Lerude – Oui, mais ce qui est montré, positif, ne peut pas être dit, c’est … (BV – Çà on est d’accord) Mais attends, justement, si en parlant d’acting out, en faire un appel au transfert et à une lecture, c’est un passage au-delà, c’est-à-dire ça ne remet pas du tout en cause cette formule, ça implique un processus qui est le processus même de l’analyse, le transfert et la lecture.
Valentin Nusinovici – Il y a un transfert sauvage. Reste à savoir s’il est interprétable.
Martine Lerude – Et par qui !
Valentin Nusinovici – Et de savoir s’il est, Lacan disait cela. Il n’est pas toujours interprétable.
Martine Lerude – Mais pour qu’il y ait interprétation il faut qu’il y ait du transfert, c’est pour ça appel au transfert alors ce n’est pas pour autant que ça va répondre !
Texte relu par l’auteur.
Transcripteurs : Inès Segré, Isabelle Nicoud, Sylvie Liotard, Paul Claveirolle.
Relecteurs : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.
David Glaserman – Je remercie Marc Darmon de son invitation à participer à ce séminaire. Je vais vous proposer une lecture assez proche du texte de cette leçon X qui me semble être une leçon dense et comme l’a dit Martine Lerude, qui est dans un contexte de recherche de la part de Lacan qui n’a pas encore inventé l’objet a à ce moment-là. Il me semble qu’il tente d’élaborer, alors là Martine Lerude a beaucoup parlé du phallus symbolique et je pense que dans cette leçon Lacan aborde davantage la dynamique imaginaire qui est mise en place et notamment autour de l’objet oral et du manque premier qu’il s’institue chez l’enfant.
Pour abréger un peu mon propos – j’avais repris des choses concernant le fétichisme et notamment la question du manque mais je ne vais peut-être pas m’étendre dessus – il avance sur cette question de la dynamique imaginaire reprise dans la littérature analytique telle que le girl = phallus de Fénichel et puis l’équivalence fèces = enfant = pénis chez Freud. Je prends ces points-là pour préciser qu’ici le phallus semble plus pris dans sa dimension d’objet et non de signifiant phallique, et nous y reviendrons tout à l’heure. En tout cas on a ici quelques exemples littéraires et qui font toujours valoir la question du manque de phallus. Je vais préciser un peu plus. Lacan surtout, pour entrer dans le vif du sujet, aborde la lecture de Freud et notamment Psychologie des masses et analyse du moi et fait valoir la perplexité constante de Freud devant les deux termes que sont l’identification et le choix de l’objet, qui vient du fait que les deux peuvent se substituer l’un à l’autre, en tout cas d’après Freud, et je cite « […] avec le plus déconcertant pouvoir de métamorphose, de façon telle que la transition même n’en est pas saisie, […] ». C’est vrai qu’il est difficile de les distinguer car ces deux notions sont intimement liées. Je pense que cette leçon va permettre de cerner un peu mieux cette différence et aussi le fait que Freud souhaite bien maintenir l’écart entre ces deux notions car c’est effectivement autre chose que d’être du coté de l’objet ou du coté du sujet. Et de même que la distinction entre objet d’un choix et support d’identification doit être maintenue, effectivement pour le dire de façon un peu massive l’identification c’est ce qu’on voudrait être et l’objet c’est ce qu’on voudrait avoir.
Ce qui est prolongé par l’analyse du chapitre VII de Psychologie des masses et analyse du moi, c’est qu’il avance que l’identification au père serait un préalable au déclenchement de l’Œdipe qui serait là un objet support de l’identification et au cours duquel le garçon développe des sentiments amoureux pour sa mère qui est objet d’un choix. Et nous pourrions ajouter que l’identification au père serait alors à l’entrée et à la sortie du complexe d’Œdipe puisqu’effectivement, pour le garçon en tout cas, le complexe d’Œdipe se solde par l’identification au père. La perplexité de Freud se trouve plus marquée lorsqu’il s’agit d’articuler l’état amoureux avec l’identification. Identification qui comporte elle-même un choix d’objet car cet objet, celui du choix de l’objet, est liée selon Freud au narcissisme et une sorte d’autre moi dans le sujet, une entité indépendante qu’il s’agit de mieux cerner.
La question de l’articulation de l’identification et de la Verliebtheit – alors là j’ai eu quelques difficultés à le traduire. Est-ce que c’est amour ? Est-ce que c’est énamoration ? Est-ce que c’est fascination ? Il y a pour moi une ambiguïté – est à chercher dans cette sorte d’autre moi. La question de l’articulation de l’identification et de la Verliebtheit, que j’ai pu avoir un peu de mal à traduire, est à chercher dans cette sorte d’autre moi dans le sujet. Quel objet qui s’introjecte ?
L’objet qui s’introjecte serait celui cherché, pris dans l’Autre et qui peut renvoyer à la notion de la dévoration d’un Autre primitif, la mère, par le bébé – nous y reviendrons – et l’objet est contenu dans l’Autre provient de l’Autre et devient comme une partie du sujet par introjection, dévoration. L’opposition entre enrichissement par l’introjection et appauvrissement du moi dans le cadre de l’état amoureux où le sujet place l’objet à la place de son élément constituant n’est pas vraiment tranchée. Il me semble que le point le plus essentiel, dans le cas de l’identification, l’objet a été perdu ou éventuellement abandonné mais en tout cas il ne disparaît pas.
En quelque sorte, le moi s’enrichirait d’un objet qu’il introjecte, se complèterait grâce à cet objet, ce qui d’ailleurs induirait que le moi a déjà fait l’expérience du manque et dans le même temps s’appauvrit car l’objet introjecté provient d’un objet d’amour, lui-même manquant, renvoyant ainsi à l’incomplétude du moi. L’évocation de l’objet perdu, laisse poindre l’opération de castration mais qui n’est peut-être pas encore lue comme telle dans cette phase encore soutenue par une dynamique où l’imaginaire est prépondérant et non le symbolique. Freud envisage alors plusieurs hypothèses, celle d’une identification qui suppose l’abandon de l’investissement de l’objet. On a là affaire à un objet perdu, mais aussi celle d’un objet demeuré conservé et comme tel surinvesti de la part et aux dépens du moi. Et que l’objet soit placé à la place du moi ou de l’idéal du moi qui me semble être plus la structure constitutive de la masse si l’objet est celui qui prend la place de l’idéal du moi. Et s’il apparaît que le moi est bien au centre de l’opération d’identification et de son articulation à l’objet, Freud s’interroge quant au destin, au devenir possible du moi et de l’objet ainsi lié.
Alors, pour continuer dans sa lecture, Lacan propose de faire l’étude des rapports de la frustration avec la constitution de l’objet, rappelant que la frustration est une opération imaginaire car elle frustre un sujet aux exigences sans limite, d’objets qui eux sont réels par exemple le sein maternel et cette opération est réalisée par un agent symbolique qui refuse ou accorde ces objets, objets réels, par les scansions de sa présence ou de son absence. Pour tenter de faire le lien entre identification et introjection, Lacan fait valoir que la métaphore sous-jacente à l’introjection est une métaphore orale, c’est-à-dire que l’introjection se construit à partir du premier objet qu’est le sein maternel. Alors, il s’appuie ici sur les bons et mauvais objets repérés par Mélanie Klein, ceux qui sont constitutifs du dedans et du dehors entre lesquels les objets circulent, les bons étant introjectés et les mauvais étant repoussés dehors. Alors, il s’appuie sur ces objets, mais néanmoins, je dirais, sur ces concepts kleiniens pour mieux s’en éloigner car ils induisent une symétrie entre introjection et projection qui est inexacte selon Lacan.
Il revient là au fétichisme pour faire valoir la question de la réduction symbolique de l’objet, l’objet perdant son caractère réel pour prendre un tour, une fonction symbolique et comme on peut le voir dans les cures de certains fétichistes qui régressent vers des symptômes portant sur la pulsion orale lorsqu’ils avancent dans l’analyse. Le fétichisme étant, il me semble, de structuration semblable au symbolique car fondé sur un jeu de présence et absence du phallus maternel. Alors là, je dis bien semblable car il y a un déni de la castration maternelle et l’avancée dans l’analyse viendrait alors à symboliser le fétiche et son absence ferait alors retour par la présence, on peut dire, la sortie de l’objet oral. C’est en tous cas la façon dont j’ai compris ce passage.
Marc Darmon – Il dit qu’au décours de l’analyse il y a une crise de boulimie. Il dit, si je me souviens bien, qu’au cours de l’analyse, il y a une évolution de fétichisme vers un comportement alimentaire boulimique. C’est ce qu’il va préciser quand il va parler de la frustration d’une façon plus approfondie, il va parler de la frustration dans un sens complètement différent du sens commun. Ce n’est pas du tout la frustration tel qu’on la décrit classiquement avec des phases d’agressivité. C’est une frustration où justement, l’objet qui était réel va devenir l’objet symbolique, puisqu’il va être le don de l’amour de la mère. C’est-à-dire la mère, de symbolique, en s’absentant un peu plus longtemps que prévu, devient réelle et il y a une inversion de l’objet qui de réel devient symbolique. Alors, c’est intéressant parce que cliniquement on le voit, des fétichistes qui passent par une phase de transvestisme. Alors, je ne sais pas si vous avez dans votre clinique des anorexiques ou des boulimiques qui ont eu une phase de fétichisme. Est-ce que l’on peut parler de fétichisme féminin ou pas ? Vous avez encore ?
David Glaserman – Je continue. En tous cas, c’est bien de pulsion, ici orale, qu’il s’agit dans le mécanisme d’introjection, pulsion qui doit être conçue par rapport au déroulement d’une certaine relation symboliquement définie. Car pour l’enfant, la mère est support de la première relation amoureuse, l’amour étant bien quelque chose de symboliquement structuré. La mère est l’objet d’appel, absent autant que présent, toujours pour citer Lacan : « dont les dons sont signes d’amour et objet de besoin qu’elle lui présente sous la forme de son sein. »
C’est sur fond d’absence ou de présence du sein maternel, qui sont d’ailleurs régulés par les appels de l’enfant, puisque si l’enfant n’appelle pas, la mère ne se présente pas, que la relation d’amour mère-enfant est structurée. Il s’agit bien d’une relation symbolique, régulée, enfin rythmée par les scansions de présence-absence de la mère. Comme le dit Lacan, chaque fois qu’il y a frustration d’amour, la frustration se compense par la satisfaction du besoin. Lorsque la mère s’absente, le petit cherche alors la satisfaction, le plaisir par le sein qui prend alors une toute autre valeur que celle d’un objet purement réel. L’objet oral est donc à chaque fois et dès le premier appel, raté, car l’entrée dans le langage transforme immédiatement le besoin en demande, en demande d’amour et la relation d’amour, étant symboliquement structurée ceci a pour effet de relancer la pulsion. On va dire pulsion de mordre, déjà, dans un premier temps de l’enfant, mais aussi le jeu symbolique de présence et absence de la mère au gré de ses appels. Ce que Lacan reprend par la formule : « La satisfaction du besoin commence à devenir l’alibi de la frustration d’amour.»
Toujours, pour citer Lacan, pour continuer à le citer : « Un objet réel prend sa fonction en tant que partie d’objet d’amour, il prend sa signification en tant que symbolique et devient comme objet réel, une partie de l’objet symbolique et la pulsion s’adresse à l’objet réel en tant que partie de l’objet symbolique. »
L’objet réel, qui n’est d’ailleurs pas resté en tant que tel, réel bien longtemps, prend un tour symbolique en tant que partie de l’objet symbolique, engagé dans la première relation amoureuse. Et ceci nous conduit à l’approche, il me semble, des troubles de l’oralité par l’articulation de l’amour symbolique et de ce qui peut être opposé au symbolique par le réel de l’objet oral par exemple dans l’anorexie. Lacan poursuit, à partir du moment où, un objet réel a pu devenir élément de l’objet symbolique, tout autre peut satisfaire un besoin réel, peut venir se mettre à sa place et au premier rang de ce qui est déjà symbolisé, mais qui comme parfaitement matérialisé, est aussi un objet, et peut venir prendre cette place, à savoir la parole. Il me semble qu’il y a possibilité pour la parole, de prendre la place de l’objet oral réel, du fait de la structure symbolique de l’objet oral et aussi du fait que la parole, tout en supportant le symbolique, est aussi un objet réel, matérialisé et matérialisable par la voix.
C’est dans la mesure, là encore il y a un autre passage de Lacan :
« C’est dans la mesure où la [régression] orale à l’objet primitif de dévoration vient en compensation de la frustration d’amour, dans la mesure où ceci est une réaction d’incorporation, que le modèle, le moule est donné à cette sorte d’incorporation qui est l’incorporation de certaines paroles entre autres, et qui est à l’origine de la formation précoce de ce que l’on appelle le Surmoi. Ce que sous le nom de Surmoi, le sujet incorpore, c’est ce quelque chose, analogue à l’objet de besoin non pas en tant qu’il est lui-même le don, mais en tant qu’il est le substitut à défaut du don, ce qui n’est pas du tout pareil. »
Cet objet oral, raté dès le premier appel et qui devient donc objet de dévoration par la relance de la pulsion que le ratage premier engendre, serait donc en tant que compensant la frustration d’amour par l’introjection de la parole, le support premier du surmoi et donc du symbolique et la parole permet la mise en place précoce du surmoi, remplace le don de l’objet et se substitue ainsi au défaut du don d’objet. Il s’agit là de la mise en place première de la structuration symbolique et de la première intériorisation symbolique par le biais de la pulsion orale.
Pour continuer et pour faire écho à la distinction entre choix d’objet d’amour et choix d’objet support de l’identification, et ainsi qu’à l’objet réel partie de l’objet symbolique, la distinction entre objet phallique imaginaire, le pénis et le signifiant phallique et alors amené par Lacan.
Le pénis intervient effectivement dans l’économie imaginaire en tant qu’objet réel, partie de l’objet symbolique et aussi en tant que substitut du sein ou de la tétine, comme le dit Lacan, en tant qu’objet compensatoire de la frustration d’amour, nous y reviendrons, car l’on peut retrouver une forme d’incorporation orale du pénis dans certains symptômes. Il a bien une fonction imaginaire car il est imaginairement incorporé, introjecté et on retrouvait cette fonction imaginaire dans les premières citations que fait Lacan des équations de Fénichel ou de Freud avec l’équivalence enfant = pénis = fèces. Mais le pénis peut aussi entrer dans l’économie du sujet en tant que signifiant et non plus objet car il est au-delà de l’objet d’amour, sinon, il a beaucoup parlé d’au-delà de l’objet. Il manque à celui-ci et il s’agit de cette seconde fonction qu’est la fonction du phallus en tant qu’il manque à la mère et qui est au-delà de la mère. S’il conserve une dimension imaginaire, car il ne manque en réalité rien à la mère, il a surtout une dimension symbolique mais qui n’est peut-être pas interprétée comme telle à ce stade en tant qu’au-delà de la mère, mais il est bien intégré par le sujet comme ce qui lui manque.
À quel moment, alors, Lacan interroge, à quel moment le sujet découvre-t-il ce manque de façon telle qu’il puisse lui-même se trouver engager à venir s’y substituer ? Il me semble que c’est le moment essentiel dont Lacan rappelle les conditions pour que ce moment se produise.
Le premier temps est celui de l’identification primitive freudienne avec introjection possible de l’objet structuré de façon symbolique et le second temps permet lui, la survenue de la Verliebheit dans la relation narcissique spéculaire, c’est-à-dire, la relation à l’image de l’autre initiée avec le stade du miroir à l’âge six mois environ. Et qui présente cette image comme en avance par rapport au vécu réel du sujet et qui est une image qui me semble-t-il, peut détenir l’objet. Le sujet fait là la première expérience de son incomplétude par rapport à l’Autre, par rapport au petit autre, au semblable. Ces deux premières relations symboliques, à la mère objet d’amour et au semblable dans le miroir sont fondamentales pour l’enfant car elles lui montrent, je cite Lacan :
« […] qu’à la mère comme à lui, il peut manquer imaginairement quelque chose, que quelque chose au-delà peut exister qui est un manque, dans la mesure où lui-même a eu l’appréhension et l’expérience, dans la relation spéculaire, d’un manque possible. »
C’est l’expérience de ce manque, d’une part dans la relation d’introjection orale, articulée à la mère puis dans la relation spéculaire à son image, que l’enfant fait les premières expériences du manque, et de son manque. Ces expériences imaginaires redoublées dans la mise en place de l’objet oral puis du spéculaire, sont déjà structurées symboliquement. Et ce moment que décrit Lacan, est un moment, me semble-t-il de transition essentielle dans lequel l’objet, qui était primitivement un objet oral, et contenu dans la mère, passe cette fois-ci dans l’Autre et dans le semblable qui est l’image de l’enfant dans le miroir mais en amont sur son vécu réel.
Pour continuer à citer à nouveau Lacan :
« Ce n’est donc qu’au-delà de la réalisation narcissique, et pour autant que commence à s’organiser cette allée et venue tensionnelle profondément agressive à l’autre et autour [de laquelle] vont se cristalliser, les couches successives de ce qui constituera le moi, que peut à ce moment s’introduire ce qui fait apparaître au sujet, au-delà de ce qu’il constitue lui-même comme objet pour sa mère, que peut apparaître cette forme que de toute façon l’objet d’amour est lui-même pris, captivé, retenu dans quelque chose que lui-même, en tant qu’objet, n’arrive pas à éteindre, à savoir cette nostalgie, à savoir ce quelque chose qui se rapporte à son propre manque. »
La découverte du semblable, dans le miroir, marque aussi le début d’une relation agressive à l’autre avec ses conséquences cliniques qui peuvent être paranoïagènes et qui va aussi servir d’appui à la constitution du moi puisque c’est dans son image que le petit enfant construit cette entité psychique fondamentale, à l’aide également de la nomination, de la désignation de l’enfant prononcée par le grand Autre devant cette image et qui va le conduire à l’unité corporelle.
C’est aussi, dès les premières expériences imaginaires, que le sujet fait l’appréhension de ce manque qu’est le phallus, qui ne peut être comblé pour la mère, ni par l’enfant, ni par aucun autre objet. Et nous retrouvons dans cette phase, le redoublement du manque maternel et du petit enfant, initié lors de cette phase, je l’ai mis entre guillemets, « orale ». Néanmoins, la mère peut conserver l’enfant comme substitut imaginaire, Lacan ajoutant « […] aucune satisfaction par un objet réel quelconque qui vient s’y substituer, ne parvient jamais à combler ce manque qui fait que dans la mère, à côté [de] la relation à l’enfant, reste, comme un point d’attache de son insertion imaginaire, ce manque du phallus ; […] »
L’enfant peut réaliser ce manque dès le stade du miroir, date à laquelle il constitue son moi et l’image de son corps comme manquant par rapport à l’image. Lacan ajoute :
« […] le sujet, accède, après le second temps de l’identification imaginaire spéculaire, à l’image du corps comme telle, et en tant qu’elle est à l’origine et qu’elle donne la matrice de son moi, c’est à partir de là [ que] déjà il a pu réaliser ce qui manque à la mère. Mais c’est une condition, une exigence préalable que cette expérience spéculaire de l’autre, comme formant une totalité, par rapport à quoi il peut, à lui, manquer quelque chose, que le sujet apporte, au-delà de l’objet d’amour : ce manque auquel il peut être amené lui-même à se substituer, auquel il peut se proposer comme étant l’objet qui le comble. »
Le sujet à partir de ce premier vécu nécessaire du manque via l’image spéculaire, peut proposer de combler le manque maternel en lui apportant son manque, qui est un manque imaginaire, celui de son corps qu’il ne peut appréhender dans sa totalité. Et Lacan apporte alors une distinction entre les différentes formes de cette dynamique imaginaire, surmoi, idéal du moi dans cette fonction de l’idéal du moi qui sont du registre symbolique mais aussi le moi qui est imaginaire et l’objet du moi qui est lui réel, comme on le retrouve sur le petit schéma que Lacan propose en fin de leçon, qui est repris du chapitre VIII de Psychologie des masses et analyse du moi mais auquel il a enlevé les petites flèches entre l’objet et l’idéal du moi.
[Schéma p. 303, éditions A.L.I., juin 2018.]
Il reprend à travers ce petit schéma les trois catégories qu’il distingue depuis son premier séminaire, donc réel, symbolique, imaginaire tout en les reliant. Il les a dépliés dans cette leçon en y articulant comment un objet réel, un objet d’amour pouvait venir structurer le moi, lui imaginaire et dans l’articulation mise en place dans le processus d’identification et ce dans une structuration déjà symbolique, sur fond de manque puisque le surmoi est dores et déjà présent sous une forme primitive du fait de la prise de l’enfant dans le langage. Ces structurations se mettent en place dans des temps logiques et non dans des temps chronologiques et l’on peut d’ailleurs presque y voir, les prémisses du nœud borroméen.
Et pour aller au-delà justement, Lacan s’interroge à l’aune de Freud sur ce qu’est l’objet qui, dans la Verliebheit vient se placer à la place du moi ou de l’idéal du moi car c’est à partir de l’idéal du moi que le moi se détache, c’est-à-dire qu’il faut l’intervention du symbolique pour découper l’image conduisant à l’unité corporelle au stade du miroir. Il ajoute : « Voilà où il place les moi des différents sujets ; il s’agit de savoir pourquoi les sujets communiquent dans le même idéal. Il nous explique qu’il y a identification de l’idéal du moi avec ces objets qui sont là dans le texte [schéma] ; tous ces objets sont supposés être le même ; simplement, si on regarde le schéma, on s’aperçoit qu’il a pris soin de relier ces trois objets qu’on pourrait supposer être le même, [à] un objet extérieur qui est là derrière tous les objets. »
L’idéal du moi, le moi sont toutes fois bien distincts et reliés à un objet extérieur qui me semble-t-il est le signifiant du manque, c’est-à-dire le phallus, et qui ne peut être dit.
En conclusion Lacan nous parle dans cette leçon de la dynamique imaginaire à partir de l’objet primitif oral qui est aussi l’objet d’amour premier et réel mais aussi objet d’amour premier réel qu’est la mère en tant que mis en jeu dans un processus d’introjection, d’identification, et dans une structuration déjà symbolique qui révèle le manque dès ces premières étapes. Il fait déjà de cet objet réel la partie d’un objet symbolique comme manque premier et c’est cette première expérience du manque qui viendra influencer, se rejouer et se répéter à chaque phase ultérieure du développement de l’enfant et sera aussi réinterprétée à chacune de ces phases à l’aune des nouveaux éléments mis en place dans le psychisme et, le plus fondamental et le plus crucial dans la vie de l’enfant et du futur adulte étant bien sûr, le phallus. Les conséquences individuelles en sont assez nombreuses et pour ouvrir aussi un peu au-delà des conséquences individuelles, Lacan évoque beaucoup Psychologie des masses et analyse du moi dans cette leçon, il reprend effectivement une partie du schéma du chapitre VIII « État amoureux et hypnose » et il me semble qu’en ces temps de globalisation des nationalismes et de développements rapides de mouvements initiés par les réseaux sociaux récemment, et aussi puisqu’il me semble que l’objet oral pourrait soutenir certaines foules, on peut le voir dans les rave parties où l’alcool et les drogues par ingestion orale sont légions, une question en tout cas insiste chez moi, c’est est-ce que la phase archaïque décrite par Lacan dans cette leçon qui est articulée à un moment premier du stade du miroir qui fait la transition au moment où l’objet à dominante orale situé dans la mère pour aller dans l’autre, dans le semblable, est-ce que ce moment archaïque contiendrait en tout cas le potentiel à l’information des masses ? C’est une question en tout cas.
Marc Darmon – Merci. Le problème, c’est que ces leçons, ces deux leçons sont extrêmement riches avec beaucoup de notions nouvelles qui sont amenées, on n’a pas forcément accès à immédiatement à ces formulations et c’est des choses qui vont être travaillées, comme disait Martine [Lerude] au cours des séminaires suivants et qui vont être complètement transformées tout en ayant des liens très forts et très intéressants. Il y a beaucoup d’expressions qui me posent beaucoup de difficultés, par exemple qu’est-ce que c’est qu’une partie symbolique d’un objet réel ou la partie réelle d’un objet symbolique, ce n’est pas évident. Je ne sais pas comment vous entendez cela vous ?
Marie-Christine Laznik – C’est d’une densité, à déprimer on est en train de faire comme ça une course presque déprimante sur plein de concepts difficiles, je pensais à l’identification première au père, il y a deux identifications, la première et la dernière, je me rappelle, souvenir de jeunesse, toi et Contardo Calligaris dans un séminaire que vous faisiez ensemble, vous vous rappelez ou pas, sur cette identification première au père (M D – oui) parce que Lacan promet toujours qu’il en reparlera.
Marc Darmon – Oui mais Contardo [Calligaris] avait trouvé un truc qui n’allait pas par rapport au séminaire.
Marie-Christine Laznik – Oui mais on ne trouvait pas et jusqu’au dernier séminaire il dit qu’il en reparlera et il n’en a jamais reparlé, chaque fois il le promet, donc il y a plein de milliers de trucs comme ça super importants…
Marc Darmon – Et l’identification au trait unaire qui est une des trois identifications et Contardo [Calligaris] le voyait, [inaudible]
Marie-Christine Laznik – Oui, attends, et l’identification première au père que Lacan nous sort que vous avez reproduit aujourd’hui, elle serait antérieure à cette histoire d’identification au trait, rappelez-vous ! Je me rappelle, dans une salle, vous étiez tous les deux debout, tu te souviens de ça ou pas, en train de vous battre avec ça, et on était jeune et dynamique à l’époque.
Marc Darmon – Cette identification première au père ou aux deux parents.
Marie-Christine Laznik – Et on s’était amusé à regarder dans toute l’œuvre, on était allé jusqu’au bout, à plusieurs reprises, il dit : « je vais en reparler. »
Marc Darmon – Il en reparle de temps en temps (MCL – pour dire qu’il va en reparler). Oui mais à un moment il dit que cette identification au trait unaire lui permettait de poser la difficulté d’une incompréhension totale du père.
Marie-Christine Laznik – Il disait que c’était par incorporation plus primitive encore, parce que l’identification au trait, c’est un truc partiel, c’est un truc par incorporation encore plus primitif.
Martine Lerude – Oui sauf que le trait unaire, ce n’est pas le trait du corps, ce n’est pas la même chose.
Marie-Christine Laznik – Ça le trait chez Freud, c’est clair (M D – c’est le trait unique)
Martine Lerude – Oui c’est le trait unique, c’est-à-dire celui qui va engager toute la suite, c’est pour ça que ça pouvait être pris comme cette première identification au père, aux deux parents, c’est-à-dire à un trait unique, inaugural, qui engendre ensuite.
Valentin Nusinovici – Réelle, je crois qu’il la considère comme réelle par opposition à l’identification symbolique, comme incorporation réelle. Ici l’incorporation et l’introjection sont mal distinguées. C’est très kleinien, cette reprise du kleinisme comme les incorporations imaginaires, on a un mal fou à débrouiller tout ça. Mais c’est ça qui est intéressant comme dit Martine [Lerude], cela ne lui est pas venu tout cuit. Il faut faire l’effort de prendre le texte de Freud que lui-même prend comme il le veut [inaudible]
Martine Lerude – Il est très proche quand même. Il est dans le texte de Freud et puis hop ! Il s’en échappe.
David Glaserman – C’est vrai, c’est une leçon extrêmement dense, j’ai essayé d’en sortir ce qui me semblait important mais il y a énormément de choses, c’est vrai qu’on pourrait passer des heures dessus…
Valentin Nusinovici – Le surmoi là qu’il décrit ici comme fait de la première (D G – introjection), introjection dans les termes qu’il a, ça sera plus symbolique, ici ce n’est pas symbolique cette introjection. Qu’est-ce qui nous reste de ça ? C’est un surmoi kleinien ? C’est quoi je ne sais pas…
Martine Lerude – Non, c’était la manière dont Freud pouvait parler du surmoi. C’est-à-dire qu’effectivement, c’était la manière dont la parole du père se trouvait (V N – la parole ? Mais dans ce texte-là, ce n’est pas la parole, si ?). Si, si, c’est la parole ! [Brouhaha]
Martine Lerude – Mais ça, c’est toute la polysémie du mot objet mais en même temps, en vous écoutant, j’entendais qu’effectivement, cet objet si polysémique, c’était à la fois, il était à la fois réel, symbolique, imaginaire et que de temps en temps, on était sur un versant imaginaire, sur versant réel mais que de toute façon ça ne cessait pas de passer d’un versant à un autre, du coup le nœud borroméen, il est là, je dirais, on l’a comme représentation parce que effectivement, où on est coincé, c’est quand il fait un tableau comme par exemple le tableau castration, frustration, privation, à ce moment-là les choses sont parfaitement distinctes mais le texte qui se rapporte au tableau ne correspond pas. C’est-à-dire qu’il est toujours en train, c’est toujours une déclinaison, tu crois que tu es du côté de l’objet réel, et bien non c’est de l’objet symbolique, c’est-à-dire que cette déclinaison permanente, je crois qu’on est là dans ces trois instances nouées et qui fait que chaque fois qu’on en favorise une, les autres sont là, et que ça tient à un glissement et que ce glissement, c’est ça qui va lui permettre la suite de son élaboration. Mais nous on est embarrassé, je disais division, parce qu’il emploie le terme de division de l’objet dans des leçons précédentes, ce n’est pas le terme de division, c’est ce glissement sans arrêt d’un versant à un autre. Je l’entendais comme ça en vous écoutant.
David Glaserman – C’est vrai, mais il me semble aussi il y a toujours effectivement comme vous le dites ce glissement d’un versant à un autre, mais il me semble aussi bien ce qui, bien qu’il veuille nous parler de la dynamique imaginaire, ce qui revient à chaque fois, il fait toujours appel, enfin c’est structuré symboliquement.
Martine Lerude – Il n’y a pas de dynamique imaginaire sans qu’il y ait la référence symbolique. La même chose dans le miroir, il faut qu’il y ait la référence symbolique pour qu’il y ait la dimension imaginaire du miroir ou la même chose quand il est en train de parler de la question du rapport de l’amour et de l’objet de désir, c’est-à-dire cet au-delà, cet au-delà de l’organisateur symbolique. Quand il parle de Mélanie Klein, qu’est-ce qu’il nous dit, il nous dit Mélanie Klein, il ne l’a pas encore étudiée à ce moment-là, mais elle est dans l’imaginaire, rétroactivement elle se sert de l’Œdipe pour interpréter tous ces pénis en morceaux, tous ces morceaux d’enfant qui sont dans le ventre de la mère, elle va interpréter tout ça avec l’utilisation rétroactive de l’Œdipe, c’est-à-dire que l’Œdipe il a sa fonction organisatrice symbolique et ça je pense aussi que c’est quelque chose qui court tout au long de ce séminaire.
Julien Maucade – Si vous le permettez, moi je trouve ça très intéressant que Lacan lui-même est en train de chercher (M L – C’est ce qu’on a dit l’un et l’autre). Les difficultés, les sauts d’un sujet à l’autre si on peut dire, c’est parce que lui-même est en train de chercher et je trouve ça très intéressant, du coup nous, on ne trouve pas mais par rapport à l’identification je voudrais quand même insister sur un point, c’est qu’il y a une identification mystérieuse chez Freud, où il dit l’identification aux parents alors que les sexes sont non différenciés. Ce n’est pas aux parents chacun d’un côté, il précise qu’il y a une identification première aux parents (M D – au père ou aux parents ?) aux parents. (M D – Il dit au père et aux parents ?)
Martine Lerude – Mais à ceux qui parlent en fait quand même, vraiment ! À ceux qui parlent ! À ceux qui sont là et qui parlent. Ce sont ces premières marques signifiantes qui viennent là.
Julien Maucade – [Brouhaha] Du point de vue clinique avec les jeunes maintenant, je trouve que cette identification, elle est prégnante, c’est-à-dire ils l’ont à fleur de peau, cette identification, les parents ne sont sexuellement pas différenciés et derrière on voit très bien l’identification au père, première identification première au père mais ils sont complètement dans cette identification à des sexes non différenciés et c’est dans le dictionnaire, si vous voulez, il y a un super article écrit par Bernard [Vandermersch] je pense dans le Dictionnaire de la psychanalyse sur l’identification.
Bernard Vandermersch – Ce ne doit pas être moi.
Marie-Christine Laznik – C’est un autre Vandermersch.
Martine Lerude – C’est un autre Bernard.
Bernard Vandermersch – J’en veux s’il est vraiment bien. Il est vraiment bien ?
Julien Maucade – Ce que je voudrais dire dans la clinique actuelle, elle est prégnante cette identification.
Marc Darmon – Je crois que c’est moi l’identification.
Valentin Nusinovici – Vous identifiez l’auteur ? (M D – Oui !)
Julien Maucade – Ce n’est pas un compliment, il est très bien cet article ! (Marc Darmon – Merci !)
Marc Darmon – J’avais insisté sur l’identification symbolique et l’identification imaginaire, l’opposition entre les deux. Je reviens sur cette expression, partie imaginaire ou partie réelle d’un objet symbolique, alors je crois que ça joue sur l’ambiguïté du terme d’objet à l’époque, c’est-à-dire c’était l’objet partiel ou l’objet total (M L – Oui, c’est vrai) donc partie réelle de l’objet symbolique, c’est une partie réelle de la mère qui était l’objet symbolique. Alors il y a autre chose qui serait bon de retenir, c’est la nécessité du stade du miroir pour que la notion de manque soit acquise. Il n’y a pas de manque sans stade du miroir, (J M – Quoi ?) du moins sur le plan imaginaire.
Julien Maucade – Il n’y a pas de manque sans stade du miroir ?
Virginia Hasenbalg – Lacan parle d’incomplétude dans le texte
Marc Darmon – Oui à partir du moment où l’image a été…
Valentin Nusinovici – Dans le deuxième temps, il dit deux fois dans le deuxième temps. Le deuxième temps, c’est le narcissisme secondaire, il n’a pas parlé du narcissisme primaire, ça on le sait bien mais de dire, sinon ça nous fait deux fois un deuxième temps et ce deuxième temps est forcément, comme il dit avant, il s’était saisi à l’intérieur de lui de l’image, c’est là qu’il y a le manque (M D – C’est ça !). On a vraiment là [inaudible] de Freud, au second temps, on a le narcissisme secondaire, c’est évident. Mais on a sans qu’il le détaille qu’il y a un premier temps c’est-à-dire que le stade du miroir c’est pas tout de suite, il ne dit jamais ni introjection ni incorporation de l’image, il se saisit de l’image, plusieurs fois. Il y a deux ou trois expressions encore (M L – Il y a anticipation quand même) non c’est pas l’anticipation, c’est le fait que le sujet a à l’intérieur de lui son image du corps, c’est à-dire cette image qu’il avait devant lui, cet image de l’autre, il l’intègre, je ne sais plus comment il dit, il se saisit de cette image. Ça c’est le narcissisme secondaire et il y a bien ici, de toute façon, il l’avait fait dans les premières séminaires, ce n’est pas immédiatement ça, il y a d’abord, ici il dit deuxième temps. Il a toujours été avec le narcissisme primaire, il n’a jamais beaucoup aimé le mettre en temps successif mais là il est un peu obligé.
Martine Lerude – Mais là il parle beaucoup de chronologie aussi dans la leçon IX alors que c’est vraiment quelque chose qui va ensuite tout à fait bannir.
Valentin Nusinovici – Encore que de l’histoire du symbolique, il en a toujours parlé… je ne sais pas comment il faudrait dire.
Virginia Hasenbalg – Il y a quand même le problème du souvenir écran dans son rapport au refoulement.
Martine Lerude – Oui, il parle aussi, il s’interroge sur la chronologie qui ne va pas bien sûr être celle du développement mais quand même la question de la psychogénèse elle est aussi au cœur de cette affaire-là puisque dans la relation d’objet des auteurs de La psychanalyse d’aujourd’hui, ce qu’ils dénoncent c’est la psychogénèse qu’ils établissent à partir de la relation d’objet puisque à partir de là ,va se décliner tous les stades instinctuels, mais lui, il ne veut pas, dire qu’il a composé une autre psychogénèse mais c’est là néanmoins puisqu’il s’agit de dire que c’est là qu’elle ne tient pas la route, la psychogénèse de la relation d’objet.
Marc Darmon – Il propose une approche structurale.
Martine Lerude – C’est pour ça que c’est très acrobatique aussi.
Valentin Nusinovici – Il y a du préœdipien dans le fétiche mais il y a de l’œdipien aussi donc on peut faire fonctionner ça sur une…
Martine Lerude – Oui mais il dit aussi que le préœdipien on l’interprète avec l’Œdipe alors c’est pour ça que c’est du préœdipien.
Valentin Nusinovici – Et il y a un truc qui est intéressant, c’est la question du refoulement à propos de la perversion seconde, là où on a la Verdrängung, la Verneinung… Il parle de Verneinung mais du refoulement deux fois (M L – Tout à fait) et il cite, ces notes précieuses, je vous rappelle qu’il cite Hanns Sacks l’année suivante et combien Hanns Sacks a bien montré que il y avait le refoulement, le retour du refoulé dans des exemples très significatifs de fétichisme. Bon c’est vrai que le fétichisme, comme il dit, il y a beaucoup de fétichisme névrotique, c’est tout à fait certain. Certains ont dit que ce sont des traits fétichistes dans la structure névrotique mais enfin bien souvent, des fétichismes du soulier ce sont des névroses obsessionnelles, ce qu’on voit c’est ça. Le vrai fétichisme pervers c’est beaucoup plus rare. En tout cas ici il y a l’accent sur le point de refoulement, il le dit le point de refoulement…
Marc Darmon – Ça correspond assez bien à des cas de fétichismes pervers, c’est un séminaire très utile (V N – Celui-là ?) Celui-là. (V N – Ah oui, bien sûr, extrêmement utile, la question du voile c’est tout à fait important et surtout ce dont on n’a pas eu le temps de parler, c’est-à-dire le passage du fétichisme à l’exhibitionnisme et au transvestisme mais les cas, enfin le cas dont j’avais parlé, j’ai regardé ça fait 25 ans où il y avait toutes ces valences, … on a tout ça, le transvestisme, le fétichisme, l’exhibitionnisme.
Virginia Hasenbalg – Et dans des cas où la chronologie dont tu parlais, elle est dans ce qui va convoquer l’acting-out, tu ne peux pas le saisir si ce n’est que dans une suite temporelle.
Marc Darmon – Oui, tu parles de cas très intéressants, d’acting out. Il y a les cas où il s’agissait de produire l’objet qui était (V H – plus fort, on n’entend pas). Ce sont des cas où en quelque sorte le sujet est poussé à montrer parce que ça n’a pas été reçu (V H – oui, tu parles de l’exhibitionniste) de l’exhibitionniste.
Bernard Vandermersch – Cette phrase de Wittgenstein bizarre là : « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit. »
Martine Lerude – Non, ce n’est pas tout à fait ça…
Bernard Vandermersch – « Ce qui peut être montré ne peut pas être dit ». Non ! Il a dit ça aussi, il n’a pas dit qu’une parole, il en a dit au moins deux. Ce qu’on ne peut dire, il faut le taire. Parce qu’il a dit aussi « ce qui peut être montré ne peut pas être dit »
Virginia Hasenbalg – Ca fait bien réfléchir !
Martine Lerude – C’est peut-être la différence entre Wittgenstein et… mais Bernard [Vandermersch] c’est peut-être la différence entre Wittgenstein et Lacan, c’est que c’est un appel au transfert et à être dit donc c’est peut-être ce gap-là qui est franchi au niveau de l’analyse.
Marc Darmon – Alors moi je vois, c’est plus simple ce qui ne peut pas être dit,
Bernard Vandermersch – Voilà, on aurait tendance à penser l’inverse : ce qui ne peut être dit est peut être montré.
Bernard Vandermersch – Voilà ! On a tendance à penser l’inverse (M L – Oui.) Ce qui ne peut pas être dit, mais ce n’est pas ça qu’il dit. Ça m’a assez tracassé parce que je l’avais mis de mon premier travail que j’avais fait sur la psychosomatique.
Martine Lerude – Oui, mais ce qui est montré, positif, ne peut pas être dit, c’est … (B V – Çà on est d’accord) Mais attends, justement, si en parlant d’acting out, en faire un appel au transfert et à une lecture, c’est un passage au-delà, c’est-à-dire ça ne remet pas du tout en cause cette formule, ça implique un processus qui est le processus même de l’analyse, le transfert et la lecture.
Valentin Nusinovici – Il y a un transfert sauvage. Reste à savoir s’il est interprétable.
Martine Lerude – Et par qui !
Valentin Nusinovici – Et de savoir s’il est, Lacan disait cela. Il n’est pas toujours interprétable.
Martine Lerude – Mais pour qu’il y ait interprétation il faut qu’il y ait du transfert, c’est pour ça appel au transfert alors ce n’est pas pour autant que ça va répondre !
Transcripteurs : Inès Segré, Isabelle Nicoud, Sylvie Liotard, Paul Claveirolle.
Relecteurs : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.