L’objet dans la psychose
A l’occasion de leur séminaire annuel de recherche sur l’objet, organisé à Strasbourg par Marie Pesenti et Marc Morali, j’ai été invité à présenter en Novembre 2021 la question de l’objet dans la psychose. Ce fût pour moi l’occasion de présenter le travail d’élaboration théorique effectué par Marcel Czermak. Les lecteurs familiers de Passions de l’objet, ou de Patronymies y reconnaitront sans peine ses signifiants, ses mises en perspective, et ses formulations, ainsi que l’apport de certains de ses élèves les plus proches, par exemple Jean Jacques Tyszler, en ce qui concerne la faveur anatomique, notion fondamentale, montrant que l’anatomie a toute son importance dans l’œuvre de Lacan, contrairement à ce que certains affirment, dans la constitution et l’attribution des zones érogènes, ou Stéphanie Hergott, pour la notion de mort de la mort, absence de la mort dessinant une limite à la vie, essentielle dans la douleur sans affect du mélancolique.
Cet exposé complètera ainsi utilement, je l’espère, l’insécable double jambage, théorique et clinique, sur lequel s’appuyait l’enseignement de Marcel Czermak, avec la conférence sur le trait du cas, que l’on trouve sur le site de l’EPHEP, (Thierry Florentin la présentation de patients au XXième siècle ) et que j’avais été présenter à Nice en 2019 à l’invitation de Christine Dura Tea et du groupe de l’ALI qu’elle anime. Car il n’est pas possible de séparer l’un et l’autre, la théorie de la clinique, pas l’un sans l’autre.
Thierry Florentin
Bonjour,
Je me présente.
Je suis psychiatre et psychanalyste, j’ai été longtemps à cheval dans ma carrière entre la psychiatrie de secteur et la psychanalyse, très enthousiasmé, c’est ce qui m’avait orienté à mes débuts, par les questions posées par la psychiatrie institutionnelle, ainsi que par les luttes et les combats qui ont été menés dans les années 1970-1980, afin de mettre en place la psychiatrie de secteur, et imposer une certaine forme de dignité au soin en psychiatrie, et je me désole comme vous tous j’imagine, de la difficulté croissante, actuelle, à donner encore aux patients psychotiques une place de sujet, notamment dans la cité, et je vais commencer mon propos à partir de cette question, de la place de sujet, puisque l’actualité récente nous en a donné une illustration des plus questionnante, et sujette à controverse, qui n’a pas pu vous échapper.
Il s’agit de toute l’agitation et de la confusion médiatique, et politique, autour du meurtrier de Sarah Halimi, cette femme assassinée à Paris dans un moment persécuté et délirant de son meurtrier, passage à l’acte autour duquel se sont focalisés un certain nombre de questions sociétales, échappant au final aux enjeux initiaux de l’expertise, puisque se centralisant autour de la prise préalable juste avant l’acte, de cannabis par son auteur, ce qui aurait entrainé des conséquences différentes sur l’altération ou l’abolition du discernement, et donc sur la qualification des poursuites et de la responsabilité pénale, laissant au second plan une question tout de même élémentaire et primordiale, celle de savoir si le délire était déjà installé et institué ou non auparavant, et la prise de toxiques n’ayant pu modifier, ou alors de façon très marginale, ce cours délirant et persécuté de la psychose.
Que pouvons-nous dire du passage à l’acte chez le psychotique, et de quoi pouvons-nous lui demander de répondre ? Jusqu’où lui demander de répondre? Nous ne pourrons jamais, semble t-il, et cela quelque soit notre expérience avec les psychotiques, nous départir totalement des mécanismes les plus élémentaires d’identification projective, penser la psychose à partir de notre expérience de névrosé, et attribuer un Moi au psychotique là où, mis à part les psychoses passionnelles, comme la paranoïa, il n’y en a pas.
Lacan avait utilisé une formulation au sujet de la psychose, il affirmait que dans la psychose, tout est affaire d’étendue, d’étendue de la psychose, d’étendue de la forclusion, ce qui évoquait déjà une certaine surface, une certaine topologie.
Pour en revenir aux controverses concernant le meurtre de Sarah Halimi, un des experts, parmi les plus compétents, les plus respectés, Daniel Zagoury, rappelait la difficulté dans le cadre d’une expertise d’évaluer l’emprise délirante d’un passage à l’acte criminel commis par un psychotique, et la difficulté d’en conclure sur la part de responsabilité ou d’irresponsabilité qu’il est ou non possible de lui attribuer, ce qui fait la valeur d’une expertise, justement, mais aussi sa subjectivité, on ne peut se contenter de son avis personnel, « Moi, je pense que.. », qui rabattrait l’expertise sur des éléments contre-transférentiels, fussent-ils éclairés et savants, et je dois vous dire, nous sommes entre nous, que durant mes années passées dans les hôpitaux, je n’ai jamais entendu dans les synthèses ou les discussions informelles entre collègues, que cela. Un brouhaha contre transférentiel pétri de convictions et de bonnes intentions.
C’est la raison pour laquelle Lacan se rendait chaque semaine à Sainte Anne, nous allons y revenir, j’espère, durant toute cette matinée, pour faire ce qu’il appelait une présentation de malades, et faire valoir le tranchant, le vif, de ce dont souffrait le patient, de l’objet qui le faisait causer, et donner, c’était l’objectif de ces présentations, qui ont été très critiquées, comme une foire exhibitionniste, il fut un temps, dans les années 70, où ces présentations étaient ouvertes à qui voulait venir, et où l’intelligentsia parisienne s’y pressait, non, ce que Lacan voulait, c’était justement de donner un caractère scientifique, imparable, au regard et à l’écoute du praticien, et pour cela, ces présentations devaient faire le pendant de son séminaire. « C’est pour vous que je parle », disait-il dans son petit discours aux psychiatres, à l’hôpital Sainte Anne, en novembre1967.
Pour en revenir, donc, à l’expertise du meurtrier de Sarah Halimi, Daniel Zagury afin de faire valoir la complexité des notions d’intentionnalité, et de conscience du passage à l’acte chez les psychotiques avait eu cette phrase qui avait été à l’époque amplement reprise par les medias, et qui était celle-ci : « On n’a jamais vu un psychotique boire du Coca-Cola par l’oreille ».
« On n’a jamais vu un psychotique boire du Coca-Cola par l’oreille ».
Ce qu’il voulait souligner par-là était l’accroche au Réel que peut garder un psychotique jusqu’à la pointe de ses moments les plus délirants, les plus féconds, et cela quand bien même une grande part de sa vie pulsionnelle lui resterait inaccessible, là aussi toujours question d’étendue et de surface.
Nous avons toujours trop tendance, disait Marcel Czermak, on ne le dira jamais assez, car toujours nous y sommes rabattus, nous y sommes reconduits, comme on reconduit un étranger indésirable à une frontière, Marcel Czermak dont je vais vous présenter-un peu succinctement, mais cela donnera sujet à ouvrir des pistes et à discuter-dont je vais vous présenter donc le travail, nous avons toujours trop tendance à aborder les psychotiques avec notre regard de névrosé.
Pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas lu, ou qui ne connaitraient pas le travail de Marcel Czermak, qui vient de mourir tout récemment, au mois de Juin, Marcel Czermak était le médecin chargé de présenter les patients à Lacan, à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, à partir des années 70, à un moment où il était assistant de Georges Daumezon, lui-même un des personnages clefs de la psychiatrie française d’après-guerre, et pionnier de la psychiatrie institutionnelle, terme qu’il avait d’ailleurs inventé, avec Philippe Koechlin, dans les années 50, à la suite de l’expérience menée par François Tosquelles à Saint Alban, dans les montagnes de Lozère, durant l’occupation allemande, et où il s’agissait déjà, de donner de la dignité au sujet psychotique.
Prenant son appui sur la rigueur de ce que lui avait appris cette présentation de patients, sur l’enseignement de Lacan, dont il est resté très proche jusqu’à sa mort, et sur sa lecture des aliénistes classiques et notamment du recueil minutieux et fidèle des propos et des échanges qu’ils avaient avec leurs patients, Marcel Czermak avait établi de l’objet dans la psychose un repérage fin et précis, repérage que je vais donc essayer de vous présenter aujourd’hui, en espérant ne pas trop trahir la finesse de son travail.
Théorie qu’il allait chercher au cœur même du discours des patients, dans les présentations de patients qu’il avait repris après la mort de Lacan à Sainte Anne, et dont il faisait établir le verbatim précis. C’est dans le discours, et non pas dans l’anamnèse, ni dans la psychogenèse, vous vous souvenez de cette boutade de Lacan dans le séminaire sur les psychoses, « le grand secret de la psychanalyse, c’est qu’il n’y a pas de psychogenèse », c’est dans le discours, et Marcel Czermak avait une technique très particulière d’entretien avec les patients, il allait chercher, provoquer, et il avait été inspiré par Clerambault, Gaëtan Gatian de Clerambault, qui arrivait à faire émerger lorsqu’il était médecin-chef de l’Infirmerie Psychiatrique de la Ville de Paris, ce que l’on appelait alors le Dépôt, il y est resté toute sa carrière, chez des patientes érotomanes réticentes, Clerambault arrivait à faire émerger donc, à la manière d’une incision chirurgicale, et de manière tout à fait respectueuse cependant, le noyau délirant que ces patientes cherchaient à dissimuler, Clerambault appelait cela la riposte.
A la suite de ces entretiens, les étudiants se chargeaient de transcrire fidèlement le verbatim, de ne surtout pas le réécrire, ce travail ne pouvait être confié à une secrétaire, mais de le transcrire, au mot à mot, y compris les onomatopées et les silences, et d’exposer, la semaine qui suivait, le fil conducteur, la formule qui permettrait de saisir la structure, formule appelée ainsi le trait du cas, et qui était censée rendre compte de la position de l’objet chez tel ou tel patient ou patiente examinée, et à laquelle seule l’écriture fidèle était en mesure de donner accès.
On a jamais vu un psychotique boire du Coca Cola par l’oreille.
A priori, tout laisse à penser, et notamment l’expérience, que cette formulation s’avèrerait juste, suffisamment imagée et frappante, du point de vue de sa portée et de son intention, qui serait de soutenir l’idée qu’il persiste une certaine orientation dans la psychose, qui resterait cependant à évaluer au cas par cas.
Mais nous pourrions tout aussi bien objecter que non, et qu’il est même de constatation courante, voire ordinaire, et en tous les cas pas si rare, d’entendre un psychotique déclarer à qui veut l’entendre qu’il a été fécondé, de cette manière-là, par l’oreille. Ou avorté. Ou chié.
Toutes opérations pouvant également s’effectuer par les yeux, par un simple regard. Ou par la voix, regard et voix s’articulant souvent entre eux.
Ou par le rien, une visite divine.
En vérité, c’est l’ensemble des orifices naturels du corps qui est concerné de cette manière, des orifices par lesquels tout peut arriver, entrainant à leur suite une jouissance extatique, ou au contraire menaçante, persécutante, ou lubrique, angoissante ou rebutante, de l’ordre de l’introjection, ou de l’expulsion.
En bon névrosé, aurait dit Marcel Czermak, nous prenons généralement pour naturel et acquis que chaque orifice du corps possède ses fonctions et ses objets propres, qui lui sont bien attribués, spécifiés, orifices auxquels correspond un parcours pulsionnel bien spécifique, de l’oralité, de l’analité, de la scopie, etc, …
Et le fait qu’un être humain fonctionne, c’est-à-dire regarde avec des yeux, parle avec une bouche, écoute avec ses oreilles, etc.., nous semble une chose normale, et aller de soi.
Or en réalité, il n’existe aucune raison naturelle pour que ça fonctionne ainsi, car chez l’être parlant, pour qu’une fonction biologique puisse s’exercer, il faut un discours pour la mettre en place.
C’est le discours qui lie les organes en fonction.
C’est une formulation de Lacan que l’on retrouve dans l’Etourdit.
Mais que se passe-t-il alors lorsque le discours se désagrège, n’est plus capitonné, comme dans la psychose ?
Eh bien la pulsion ne circule plus selon son circuit attendu, et la fonction s’enraye. A chaque trou réel du corps, tout peut alors arriver.
On assiste, dans la psychose, à ce que les praticiens de l’autisme et de la petite enfance connaissent bien, une déspécification entre les orifices et leur fonction, souvent assez saisissante.
Un orifice peut en valoir un autre.
C’est-à-dire qu’il peut assurer un usage pour lequel il n’est pas biologiquement conformé.
A l’extrême, comme dans le syndrome de Cotard, par exemple, il verra sa réalité niée, sans que cette négation n’entraine par ailleurs de contradiction avec sa présence par ailleurs.
Présence réelle d’un orifice et négation de sa présence et/ou de son fonctionnement peuvent parfaitement coexister de manière tout à fait ordinaire, souvent conflictuelle, mais pas obligatoirement.
Il peut arriver que cette coexistence prenne un tour paradoxalement pacifié comme ce peut être le cas dans le transexualisme.
Et cependant central.
Une malade de Czermak, pourtant récemment amputée d’un sein des suites d’un cancer, n’était focalisée dans son discours que sur l’absence de bouche et d’anus qui seuls, l’affligeaient. L’amputation du sein était secondaire, accessoire.
Attribution, fonction, jugement d’existence ou de négation, si nous voulons saisir un bout de cette déspécification des orifices corporels dans la psychose où un orifice est susceptible d’en valoir un autre, il nous faut retourner au trajet de la pulsion, et à ses quatre temps.
Pour ce faire, il nous faut reprendre ce qu’en disent Freud d’abord, dans son texte de 1915, Pulsion et destins des pulsions, où il donne une définition d’ensemble des pulsions, terme qu’il avait déjà introduit en 1905, dans les trois essais sur la théorie de la sexualité, puis, après Freud, Lacan, qui passera quelques leçons de son séminaire sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse à relire le texte de Freud sur la Pulsion, lecture qui a beaucoup intéressé les praticiens de l’autisme, qui l’ont beaucoup commenté.
Lecture rendue possible par l’apport déterminant dans l’élaboration de Lacan de l’objet a.
Dans les séminaires précédents, L’Ethique, séminaire de l’année 1960, Lacan fait encore tourner le circuit pulsionnel autour d’un vide central qui est le lieu de la Chose (Das Ding, le sein maternel halluciné), à partir principalement du commentaire qu’il fait de l’ Esquisse d’une psychologie scientifique, texte retrouvé tardivement en 1948 et qui l’avait passionné, et de la Verneinung.
Mais quatre ans plus tard, au premier semestre 1964, au moment où il tient rue d’Ulm son séminaire sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan a solidement dans la main un concept qu’il ne lâchera plus, celui d’objet a, « ma seule invention », dira t-il, tout chaud encore, puisqu’il vient de passer toute l’année précédente, dans le séminaire sur l’Angoisse, à le développer, et qui restera central jusqu’à la fin de son enseignement, y compris comme vous le savez lorsqu’il va être amené à élaborer la topologie borroméenne.
Petit a pour autre, petit autre, a pour neurone a, qui est une formulation de Freud dans l’Esquisse, a disait Lacan, parce que la bible commence par la lettre b de Bereshit, et que Dieu avait choisi de lui laisser à lui, Lacan, le a.
Freud s’était montré relativement prudent lorsqu’il cherchait à donner une définition de la pulsion.
C’est ainsi que dans l’introduction de son texte, il écrit à propos du concept de pulsion qu’il s’agit d’un concept « fondamental, conventionnel, encore assez confus, mais dont on ne peut se passer en psychologie ».
Cependant, il n’arrivera jamais à sortir totalement la pulsion du registre organique, et va pour finir la placer entre le psychique et le somatique, la pulsion étant conçue comme un concept limite, le représentant psychique des excitations issues de l’intérieur du corps.
C’est d’ailleurs du côté du besoin, à travers la faim et la soif, qu’il va chercher ses exemples.
Dans les quatre concepts, Lacan va venir ébranler cet appui sur le registre organique.
La pulsion dira t-il, ne se pense pas selon le couple organe/fonction. Elle n’est pas biologique.
« Qu’il soit dit », dit Lacan « que Freud pose de la façon la plus formelle qu’il ne s’agit absolument pas dans la Trieb de la pression d’un besoin tel le Hunger, la faim, ou le Durst, la soif. »
Lacan va reprendre un par un les quatre éléments de la pulsion, la source, la poussée, le but, l’objet, pour finir par les disjoindre les uns des autres, et les uns par rapport aux autres.
Et démontrer qu’elles n’ont rien de naturel.
Tout d’abord, il s’attaque à la poussée, dont la constance est en contradiction avec les rythmes biologiques.
« Sans doute », continue t-il, « La poussée, la Drang, va d’abord être identifiée à une pure et simple tendance à la décharge. (…) Sans doute ici il y a stimulation, excitation. Mais c’est une excitation interne. Qu’est-ce que cela veut dire? Ce qui la caractérise, c’est le fait que sa force soit constante, maintenue, elle n’a pas de montée ni de descente, et de ce fait même interdit toute assimilation de la pulsion à une fonction biologique, laquelle a toujours un rythme, à la différence des variations profondes de l’organisme, qui elles, sont soumises à tous les rythmes.
« Elle n’a pas de jour ni de nuit, pas de printemps ni d’automne, pas de montée ni de descente ».
« Dans la pulsion, dit encore Lacan, il ne s’agit pas d’énergie cinétique, il ne s’agit pas de quelque chose qui va se régler avec du mouvement. La décharge en cause est d’une autre nature et se place sur un autre plan, celui du Real Ich, que Freud plaçait du côté du système nerveux central, et qui fonctionne comme un système destiné à assurer une certaine homéostase des tensions internes… «
Quant au but de la pulsion, qui est la satisfaction, il ne concerne aucun objet réel du monde organique. Ses vicissitudes n’ont rien de naturel, nommément la sublimation, où la pulsion est inhibée quant à son but.
« Il peut y avoir de la satisfaction », dit Lacan, rappelant ce que Freud avait lui-même formulé dans Pulsions et destins, « même quand la pulsion est inhibée quand à son but, même quand elle ne l’atteint pas. Elle n’en est pas moins, cette sublimation, satisfaction de la pulsion, et cela sans refoulement « .
« L’usage de la fonction de la pulsion n’a pour nous d’autre portée que de mettre en question ce qu’il en est de la satisfaction. Même les symptômes des patients relèvent de la satisfaction. Ils satisfont à quelque chose, et on ne peut donc pas dire, même si l’économie en est fort couteuse, notamment chez le névrosé, que le but n’est pas atteint quand à la satisfaction « .
En séparant la satisfaction de la pulsion de la matérialité de son résultat, Lacan éloigne la pulsion de l’organique et du besoin, à qui il va falloir trouver un autre nom.
Et c’est entre deux murailles de l’impossible celle du principe de plaisir, dont la fonction est de satisfaire hallucinatoirement la pulsion, et celle du Réel, que le sujet aura à trouver son chemin de satisfaction pulsionnelle, puisqu’aucun objet organique ne peut la satisfaire.
« C’est pourquoi la pulsion », finira par dire Lacan, « ressemble à un montage, un montage surréaliste, une hétérogénéité qui n’a ni queue ni tête ».
La source de la pulsion quant à elle se situe au niveau des zones érogènes et présente une structure de bord. Ce ne sont pas n’importe quelle partie du corps, mais ces points qui se différencient justement par leur structure de bord, et de ce fait sont pris dans le circuit pulsionnel. La bouche, précise Lacan, et non l’estomac, auquel son équipement fonctionnel, enzymatique, pourrait s’avérer plus adéquat..
La bouche qui s’ouvre dans le registre de la pulsion nous dit Lacan, ce n’est pas de nourriture qu’elle se satisfait. Elle apprend qu’aucun objet du besoin ne peut la satisfaire.
Ces orifices du corps, vont se trouver allumés en tant que zones érogènes, et dès lors prises dans le circuit pulsionnel, par le biais de l’intervention de l’autre secourable, la mère ou tout adulte responsable, dans les moments de détresse, d’hilflolisgkeit, du nourrisson.
Un allumage qui s’effectue par la coïncidence entre l’intervention dans le Réel de cet autre, ce petit autre, et sa parole, modulée, c’est-à-dire chargée de désir et de libido. Cet aspect d’allumage, d’inscription des parties du corps dans le désir de l’autre, qui devient de fait zone érogène, excluant d’autres parties du corps, a été beaucoup travaillé et étudié encore une fois, par les praticiens de l’autisme.
C’est cette satisfaction, ce nouage entre une parole chargée de libido de l’autre nourricier et secourable et ces orifices du corps présentant une structure de bord que le nourrisson va chercher à retrouver, à l’origine de son aliénation/séparation à l’autre et à la pulsion..
Avec tous ses moyens.
Avec les moyens du bord, pourrait-on dire, je ne sais pas si le jeu de mot a déjà été fait. Il est facile.
Mais il ne la retrouvera jamais vraiment totalement.
Il y aura toujours un écart, un écart entre cette parole de l’autre secourable et le Réel, du fait structurel que cette parole ne pourra jamais rendre compte totalement du Réel, et c’est cet écart qui nous intéresse, puisque c’est cet écart qui donne à Lacan la latitude de dégager le concept de circuit pulsionnel de la charnière où il se trouvait jusqu’ici assigné, entre le biologique et le psychique.
Pour finir par le concevoir, ce circuit pulsionnel, comme une articulation entre le corps, ses orifices avec leur structure de bord, chargés libidinalement en tant que zone érogène, et le signifiant, à partir de la jouissance de l’Autre, déterminant ainsi le mouvement d’ouverture et de fermeture de de la béance de l’Inconscient.
Et déterminer une fonction à ces orifices en tant que sources spécifiées pour la pulsion.
Et redessiner un corps qui, dès lors, n’est pas l’organisme, tel que nous le connaissons, mais une construction, impliquant une image totalisante, i(a), qui se construit à partir du stade du miroir, du regard de l’Autre, et de sa voix.
Dès lors, on saisit que la pulsion, s’invaginant à travers la zone érogène, n’a d’autre charge que d’aller quêter quelque chose qui à chaque fois est censé répondre dans l’Autre.
Mais qui ne s’avèrera jamais, dit Lacan, que « comme un vain détour à la pêche, à l’accrochage de la jouissance de l’autre ».
Qu’aucun objet d’aucune sorte, du fait même que le signifiant ne peut jamais dire le vrai sur le vrai, il n’est jamais qu’écart avec le Réel approché par le signifiant, sans jamais pouvoir y être atteint, ne saura satisfaire.
« Pour ce qui en est de l’objet dans la pulsion, dit Lacan, il n’a, à proprement parler, aucune importance. Il est indifférent « .
Et le trajet pulsionnel, qui part des zones érogènes du corps pour y revenir ne sera jamais que le trajet d’un manque.
Ainsi, le trou qui dessine notre image du corps n’est qu’une métaphore, métaphore topologique, et il pourra arriver qu’il soit discordant avec nos orifices naturels. Ils ne sont naturels, ces orifices, que de nos évidences de névrosés.
Lacan ira jusqu’à utiliser une curieuse expression pour évoquer l’aspect aléatoire de la coïncidence des effets du langage et de l’anatomie, dans Subversion du sujet et dialectique du désir : « La délimitation même de la zone érogène que la pulsion isole du métabolisme de la fonction, écrit-il, est le fait d’une faveur anatomique d’une marge ou d’un bord ».
Faveur anatomique.
Le corps consent, mais rien ne l’y oblige, à mettre en adéquation et en synchronie le fonctionnement de nos orifices et de nos organes à la faveur du discours qui vient les organiser et les structurer, et sans lequel ils ne sauraient trouver leur caractère fonctionnel.
Heureux manque ordinairement chez le névrosé, qui fait à la fois son grand malheur et son bonheur, puisqu’il s’agit toujours d’un heurt, bon ou mauvais, mais raté, entretenant sur un bord la répétition et la fabrique de la plainte chez le névrosé, mais de l’autre le mouvement de la vie, par la production de signifiants toujours renouvellés, vous connaissez cette phrase de Beckett, « rater, rater encore, rater toujours, rater plus ».
Qu’en est-il dans la psychose ?
Eh bien cela ne se passe pas ainsi, et l’écart qui assure et maintient la cause du désir et de la jouissance phallique, cet écart est collabé.
L’objet a été saisi dans le Réel et vient figer tout mouvement de la pulsion, agglutinant ensemble source, trajet, et objet, dans une jouissance sans nom, celle du UN, d’où la jouissance phallique est hors-jeu.
Les conséquences en seront redoutables.
Incapable de régler le mouvement pulsionnel, l’objet rendu incapable de se détacher de ce mouvement de métonymie et de métaphore qui permet ordinairement cette approche perpétuelle, renouvelée tout au long de la vie, sans jamais pouvoir l’atteindre, de l’objet a, va redessiner un corps dont les orifices seront réduits à un seul, bouché par un objet a rendu inapte à l’échange et à la dialectisation.
« Le psychotique a l’objet a dans sa poche », disait Lacan.
A jamais incarcéré dans l’échange avec l’Autre, faute de manque, faute de castration, faute de coupure signifiante, l’objet a non chu vient se mettre en travers de la mise en place de cette conjonction entre l’orifice anatomique, sa représentation en tant que trou pulsionnel découpé dans le corps, sa fonction, ainsi que sa synchronie avec les autres orifices.
Au grand dam des biologistes.
Vous voyez combien cette discussion est contemporaine.
Faute d’avoir été mise en place par un discours, la fonction ne peut plus s’exercer, et donc la pulsion ne peut plus être un circuit.
Les orifices s’y confondent, les objets s’équivalent, les organes s’y déchainent, les fonctions s’y dissolvent, le sujet disparait.
Et le terme de déspécification pulsionnelle semble plus adapté pour décrire ces phénomènes que celui de régression ou d’archaïque, dont on use souvent par convention.
Cette présence réelle d’un objet réel, excluant de fait le symbolique, un objet qui ne peut choir, car il ne peut acquérir, de ne pouvoir se détacher, sa propriété d’interchangeabilité, entraine le corps dans un fonctionnement mono—orificiel. Tous les organes se ramènent à un seul qui assure pour lui-même toutes les fonctions. Il y a bien des orifices réels, une bouche par exemple, par lequel gloutonner le coca cola, mais cette bouche est également œil, anus, etc.. et simultanément la bouche de l’autre, de l’Autre aussi, dévorante ou rejetante, voie de passage menaçante.
L’univers du psychotique se retrouve alors un univers plein, sans trou, sans manque, et sans manque de manque, rendant compte à sa manière, des effets de la forclusion du Nom du père, et de l’impossibilité de la métaphore paternelle dans la psychose.
L’objet a se trouve aux commandes.
Un objet a réel.
Qui de fait vient dessiner une clinique qui lui est propre, et qui prend d’autres chemins que celle que les traités classiques enseignent.
Une autre grammaire clinique.
Voix, Fécès, Regard, ne témoignent plus des manifestations pulsionnelles du sujet, comme chez le névrosé ordinaire, mais plutôt d’un corps tout entier organisé sans découpe par des lieux de recel d’objet a, figeant tout mouvement pulsionnel, quand ils ne le désagrègent pas.
« J’ai été poussé/e à »… commettre ce crime, faire telle ou telle action, me défenestrer, me taillader avec tel couteau apparu dans le champ de mon regard, etc… ne signifie pas qu’il s’agisse d’une poussée provoquée par une excitation interne, inextinguible, comme dans la névrose, par exemple, mais plutôt que l’acte commis obéit à la force d’un impératif reçu d’une voix extérieure, d’ordre inconnu et absolument insaississable.
Objets a envahissants et qui appartiennent tout autant à l’Autre, qui en devient omni-persécutant et omni-présent, auquel il est impossible d’opposer la moindre parade, ou de se dissimuler.
Dans un exemple classique que citait Marcel Czermak, la réponse d’une psychotique à qui il proposait son écoute « Vous m’arlequinez ma mentalité », se déplie ainsi« Vous me faites un polichinelle, à simplement prêter votre oreille à mes propos ».
L’objet a est ici entièrement collabé dans la relation entre le thérapeute, le petit autre, et la patiente, aux prises avec un grand Autre intrusif et lubrique ».
Collapsus d’un objet incapable de se détacher, entrainant la confusion des objets entre eux, de l’interchangeabilité des orifices, de l’équivalence entre le sujet et l’objet, mais aussi entre le sujet et l’autre.
L’objet saisi transforme le sujet en objet : « J’ai appris que je devais boire, j’ai appris ça par les couleurs. C’est ça ma maladie, que les couleurs donnent des ordres ». Le message impératif de boire parvient à ce patient par le code des couleurs. Il est complètement aliéné à son regard qui discerne dans les couleurs l’ordre de boire mais aussi de briser des objets, des carreaux, des vitrines, etc.. et c’est le regard, objet a, qui commande, à la marionnette qu’est devenue ce patient.
Présence réelle d’un objet réel, où le symbolique est absent.
La parole se trouve alors totalement désarrimée du référent phallique auquel elle devrait être assujettie.
Il devient dès lors difficile d’adhérer à cette représentation d’une désintrication des pulsions pour rendre compte d’un phénomène comme la manie, classiquement décrite du côté de l’oralité, de l’avidité, de la gloutonnerie, du repas totémique, certains auteurs allant jusqu’à parler de « libération pulsionnelle ».
Il est plus simple de se représenter la disparition, pure et simple des pulsions, impliquant tous les registres de la sphère oro-digestive, à commencer par le langage, dont tout discours a disparu, entrainé par une parole qui coule à flot, sans aucun point d’arrêt, sans scansion, sans rythme, sans pulsation, et sans respiration.
Il y a des propos, il y a du blabla, mais qui n’accrochent rien, rendant indistincts le réel et l’Imaginaire, deux ronds rendu fous de ce que le rond du symbolique a sauté. Il n’y a pas de bord, pas de coupure, pas de référent, le flot précipité des mots ne constitue pas le rond symbolique d’un nœud borroméen à trois.
A la fuite des idées, souvent présentée, dans la tradition allemande, tout du moins, comme pathognomonique, la chaine signifiante n’est plus vectorisée, elle se dévide en vrac, par homophonies et par assonances, sans plus aucune métaphore, par coqs à l’âne une « métonymie infinie et ludique pure » en dira Lacan, (Séminaire sur l’Angoisse (leçon du 3 Juillet 1963).
Même le patronyme, qui est un point de capiton par excellence, est passé à la moulinette des jeux de mots, ravalé au nom commun.
Faute de référent phallique, qui viendrait constituer un point d’arrêt dans le langage, plus rien ne vient boucler la signification, et rien n’a de signification.
Le langage est devenu objet réel, un torrent sans articulation, sans coordination, sans sériation, et sans comptage.
L’objet a se trouve aux commandes d’une sphère oro-digestive qui n’est plus mise en fonction par un discours que viendrait lester la soustraction de l’objet a.
Ce n’est plus la grande gueule du maniaque, Das Grosse Maul, que l’on retrouve dans les descriptions de Binswanger, ou de Henri Ey, mais au contraire la grande gueule de l’Autre qui avale le maniaque, et qui l’assigne à parler à partir de ce lieu.
Pour le dévorer, du regard, et de la voix.
Présence Réelle d’un objet a réel, réintégré dans la chaine parlée, pulvérisant les lois du langage, puisque le sujet n’est plus représenté entre deux signifiants, il n’y a plus d’écart entre S1 et S2, et donc même plus de signifiant maitre qui viendrait ordonner ces lois, objet a réel qui exige du maniaque et le tyrannise, dans un impératif de la demande.
Le maniaque ne bouffe pas, n’exige pas, ne tyrannise pas, ne se met pas en colère, ne blague pas, ne rit pas, ne s’exhibe pas, mais CA bouffe, CA exige, CA pleure, CA rit, Ca exhibe, dans un Réel de la demande des objets, où se dévident des semblants d’affect sans consistance et dont il s’est débarrassé, et où tout le capte, les sons, les bruits les plus divers et les plus insignifiants, les regards qui le saisissent, les gestes de l’autre qu’il cherche à reproduire, etc….
Livré au festin de l’Autre, qui assure toutes les fonctions, et pour qui tous les orifices se réduisent à un seul, tandis que toutes peuvent s’enrayer au niveau du corps biologique, confer le nombre de fausses routes et de régurgitations liées à la gloutonnerie dont toute mastication est exclue, il serait faux de dire que le maniaque est à la fête.
« Tout est dehors, chez le maniaque », disait Kraepelin,
« Il ne résiste à rien », disait Valentin Magnan.
Il ne reste plus d’Imaginaire, mais un symbolique devenu entièrement réel et affolé par l’écoulement du monde, formes, regards, bruits, nourriture, etc… d’un Autre sans vanne, qui avale tout, sans pudeur et sans réserve, et où ne subsistent plus que des ébauches. Ebauches imaginaires, sous forme confabulatoire, Ebauches moïques sous forme interprétative, mais pas de Moi, et pas d’Imaginaire digne de ce nom.
L’oralité est ici déspécifiée, c’est celle d’un grand Autre atemporel et féroce, qui aspire et qui recrache, qui l’avale, et le regarde, et qui dans le même temps, le chie.
Un grand Autre cannibale, pour lequel aucune transmission symbolique ne peut s’opérer.
A l’opposé de ce trou du maniaque, caractérisé par l’impossible à border, le mélancolique témoigne pour sa part d’un corps qui ne présente aucun trou, aucune découpe, un corps sans orifices, et d’une densité devenue intolérable au sujet…
Un corps qui s’offre comme un ballon, comme une enveloppe générale de l’univers, pouvant à l’extrême se transformer en l’objet lui-même, à évacuer de l’univers pour y faire trou.
Un corps pour lequel aucune découpe phallique n’a pu soustraire le moindre objet a, d’une compacité extrême, qui se présente comme une sphère pleine, et auquel il ne manque rien, hormis le manque lui-même.
Un corps non pas torique, euclidien, le corps trique du névrosé, mais un corps non euclidien, manifestant qu’il ne manque rien au Réel, ce qui en fait l’insupportable pour celui qui en est affublé.
Un plein généralisé, sans trou, sans manque, et donc sans mort possible.
Mort de la mort, c’était l’expression d’une collègue Stéphanie Hergott.
A l’extrême pointe de la mélancolie, le syndrome de Cotard s’identifie à un objet dont les caractéristiques sont d’être infinies, dans le temps, et sans limites dans l’espace, énormes.
Lacan appelait cette configuration la mort du sujet, sujet jamais né, jamais advenu au jour du symbolique, installé dans une immortalité qui constitue la plus grande des souffrances, celle de la douleur mélancolique.
La douleur du mélancolique, en effet, n’est pas l’angoisse tel qu’on se le représente habituellement, mais cette immortalité, pétrifiante, sans vectorisation spatiale ni temporelle, et qui appelle à la mort, justement, afin de rétablir un espace et un temps.
Dans la mélancolie, c’est l’objet a le plus pur qui cause, qui parle en clair, et en énumère toutes les caractéristiques, d’un catalogue simple et limpide d’indignité, d’abjection, de perdition, et de désastre planétaire, pour lequel il serait vain d’y chercher quoi que ce soit d’une signification ou d’une posture dissimulée.
Lacan l’appellait l’abjet.
« Il se peut bien » écrivait Marcel Czermak, « que dans toute la clinique, le Cotard soit celui qui nous parle le plus explicitement, le plus limpidement, de ces caractéristiques de l’objet alors que vous aurez passé des nuits sur l’œuvre de Freud, puis de Lacan, à vous demander mais enfin, qu’est-ce que cet objet d’infamie qu’est l’objet a ? «
« Je n’ai plus d’estomac, je n’ai plus rien du tout, je suis mort, je suis damné, jamais je ne mourrai. Emmenez moi à l’Institut médico-légal»
Cette litanie des négations qui porte sur les organes du corps « Je n’ai pas de bouche, pas de vessie, je ne peux pas aller à la selle, je ne peux pas uriner », avait conduit Cotard, initialement à appeler cette forme extrême de mélancolie un délire hypochondriaque.
A bien l’entendre cependant, une telle plainte ne se présente pas tant sur le mode d’une dénégation que d’une affirmation qui utilise le mode de la négation.
Affirmation de n’avoir plus d’orifices, et que tous les conduits du corps du mélancolique sont des pleins.
Plainte et attente d’un manque, irait-elle cette attente, au souhait d’être achevé, éliminé en tant qu’objet, voire tué de manière à engendrer un trou salvateur dans ce à quoi le sujet se trouve identifié.
Tandis que simultanément, il peut passer d’une compacité pétrifiée à une expansion dans l’univers à la mesure du cosmos tout entier, allant jusqu’à décrire des expériences de morcellement du corps oscillantes et réversibles « Je m’éparpille dans l’espace comme les objets »,.
« J’avais l’impression tout d’un coup que je devenais immense, que je mesurais au moins trois mètres et bien plus encore, et puis tout d’un coup à un autre moment, j’avais l’impression que je devenais toute petite et toute ronde », dira cette patiente.
Un signe caractéristique du Cotard vient illustrer cette obstruction des orifices par l’objet.
Il s’agit de la disjonction de la vision et du regard, disjonction qui maintient d’une manière qui pourrait paraitre paradoxale intégralement leur co-existence simultanée.
Cotard avait appelé ce signe la perte de la vision mentale.
Les patients voient et pourtant n’en tirent aucune signification.
Ils se plaignent d’avoir le regard vide, de l’impossibilité de se représenter les lieux et les objets les plus familiers, de voir mentalement les objets absents, et même les objets présents au regard, de ne rien éprouver en les regardant, de ne rien ressentir.
La plainte consiste à ne pas en être affecté, que la souffrance leur fait défaut.
« Qu’on me mette devant un splendide paysage, ou devant un mur public, c’est exactement la même chose, alors qu’avant ce n’était pas pareil. Je vois les couleurs, les formes, ça n’éveille plus rien. C’est abominable comme sensation, ça ne fait pas souffrir psychiquement. »
Les choses qui se présentent dans le champ scopique du patient, perdent leur signification, et n’accrochent plus le sujet.
Cotard avait appelé ce signe l’analgésie affective.
Le regard est plein, bouché, obstrué, la vision est conservée, les patients ne sont pas aveugles, mais le regard est mort, toute jouissance scopique a disparu.
« Je n’arrive pas à enchainer. Ça ne suit pas, une idée qui sort comme ça, elle retombe, et là, je ne sais plus ce que j’étais en train de dire, je ne me rappelle plus, j’ai une idée qui perce, comme ça, quelque chose apparait, mais ça disparait aussitôt. Ça ne donne pas suite à une autre idée comme en temps normal, je lis, mais les mots ne signifient plus rien, je m’étonne même de ne pouvoir parler ».
A l’origine de ces impressions de tête vide, de cerveau à l’arrêt, l’objet a qui est venu envahir le champ scopique, rendant impossible toute symbolisation ou signification, imprégnant uniformément toute tonalité d’anesthésie affective et d’indifférence, de sentiment de vide perpétuel, et poussant, par désorganisation progressive, à l’extrême, jusqu’à l’installation de la fameuse stupeur du mélancolique.
Plus de manque, plus de concaténation, plus de signification. Les patients sont des déchets, à éliminer, implorant leur élimination, ou si celle-ci tarde, cherchant à s’éliminer par eux-mêmes.
Dans le double espoir, par cette éjection, d’une part de créer enfin le manque salvateur dont l’absence les persécute, mais aussi, d’instaurer une limite temporelle, face à l’angoisse de l’immortalité et d’un espace infini et sans bord.
La supplication du mélancolique à ce qu’on l’achève est un espoir, et non une manifestation de désespoir.
C’est par projection, par identification projective à notre propre dynamique névrotique de circulation des affects en nous-mêmes, que nous pensons que le mélancolique se suicide par désespoir.
Et pourtant nous savons que rien n’est plus dangereux qu’un mélancolique apaisé. C’est le moment où il a trouvé sa solution, et pris sa décision. Et le moment où va lui être accordée la permission fatale, qui mettra les soignants aux prises avec la justice, la famille, et leur propre culpabilité.
« Je suppose que je vais vivre éternellement sans âme, que mon corps pourrait ne pas avoir de fin. »
Mort du sujet de l’énonciation, pouvant se formuler pas cette apparente contradiction, « je suis mort, tuez moi, je n’existe plus, ma douleur est intolérable », dont Seglas soulignait que ces patients étaient susceptibles de ne plus parler d’eux qu’à la troisième personne : « Comment allez vous ce matin ? « La personne de moi-même va bien. Comment vous appelez vous ? La personne de moi-même n’a pas de nom, n’est pas une dame. Quel âge avez-vous ? La personne de moi-même n’a pas d’âge, etc, etc…
Tout l’arrimage symbolique, au nom, à la chaine des générations, au temps, a disparu, hors discours et hors lien social, dans une sphère que rien n’accroche, une sphère lisse, bien polie, et bien pleine.
Dans le séminaire sur le Moi, Lacan évoque le syndrôme de Cotard. Il dit avoir demandé à un philosophe : « Pourquoi les planètes ne parlent elles pas ? et en avoir reçu la réponse parce qu’elles n’ont pas de bouche. Ce à quoi Lacan reprend : Je n’ai pas de bouche. Elles nous apprennent qu’elles n’ont pas non plus d’estomac et en plus qu’elles ne mourront jamais, bref qu’elles ont un très grand rapport avec le monde des lunes. La seule différence c’est que pour ces vieilles dames en proie au syndrome de Cotard, c’est vrai. Ce à quoi elles sont identifiées est une image où manque toute béance, toute aspiration, tout vide du désir, à savoir ce qui proprement constitue la propriété de l’orifice buccal. Dans la mesure où se perd l’identification de l’être à son image pure et simple, il n’y a pas de place pour le changement, c’est-à-dire la mort. C’est bien ce dont il s’agit dans leur thème, à la fois elles sont mortes, et elles ne peuvent plus mourir, elles sont immortelles comme le désir. Dans la mesure où ici le sujet s’identifie symboliquement avec l’Imaginaire, il réalise en quelque sorte le désir ».
Désir de mort à l’état brut.
Il ne s’agit pas d’affect chez le mélancolique, il ne s’agit pas de la pointe extrême de la tristesse ou du deuil, mais d’un envahissement obturant des orifices du corps, qui fait disparaitre les affects du mélancolique, quitte à les faire passer du côté des soignants.
Marcel Czermak rappelait toujours à ce sujet que la compassion judéo-chrétienne dont nous pouvions nous prévaloir était un obstacle à la rencontre avec le psychotique aux prises avec un objet a impardonnable.
Quant à l’identification du mélancolique à son image, il s’agit donc de l’image de la sphère, sur laquelle, dans le séminaire sur le Transfert, Lacan va faire un long développement, en se référant au Timée : » Platon, dira Lacan, éprouve le besoin de nous faire remarquer au passage que cette sphère a tout ce qu’il lui faut à l’intérieur. Elle est ronde, elle est pleine, elle est contente, elle s’aime d’elle-même, et puis surtout, elle n’a pas besoin d’yeux ni d’oreilles, puisque par définition, c’est l’enveloppe de tout ce qui est vivant.
C’est ce que dit le Cotard, qu’il est enveloppe imaginaire de tout ce qui est vivant.
« Elle n’a ni yeux, reprend Lacan, ni oreille, elle n’a pas de pied, pas de bras, et on ne lui a conservé qu’un seul mouvement, le mouvement parfait, celui sur elle-même ». Platon semble s’amuser, nous dit Lacan au passage, « à faire une bouffonnerie, à travers Aristophane, sur sa propre conception du monde et de l’âme du monde ».
« Mais », et c’est là ce qui nous intéresse dans cette reprise par Lacan de la sphère platonicienne, est ce que nous ne voyons pas que ce dont il s’agit dans ces formes où rien ne dépasse, où rien ne se laisse accrocher, c’est de rien d’autre, que sans aucun doute, quelque chose qui a ses fondements dans la structure imaginaire mais à laquelle l’adhésion tient à quoi ? A rien d’autre que la Verwerfung de la castration ».
Dans le cas du Cotard, dans cette sphère que rien n’accroche, polie, bien lisse et bien pleine, où le sujet devient ce qui choit, sans fin, dans le Réel comme objet a, transformé en objet éternel, sans mémoire, sans vision, sans affect, et sans dialectisation, et sans bord ce n’est pas de castration dont il est question, mais de forclusion de Nom du père, dans ce qu’elle offre de plus pur et de plus net.
Après Deuil et Melancolie, il est classique de dire à la suite de Freud que dans la mélancolie, l’ombre de l’objet tombe sur le Moi.
Pourtant, cela n’a rien d’évident, c’est le cas de le dire, car dans cette sphère que présente le mélancolique, le Moi s’est volatilisé face à l’expansion hégémonique de l’objet, et n’est plus que l’ombre de lui-même.
Une ombre du Moi qui s’est diluée dans l’objet, devrait-on plutôt dire…
De fait, pouvons-nous soutenir encore que la réversion de la mélancolie est la manie ?
Et n’entretenons nous pas une illusion de toute compréhension en privilégiant la symétrie et le retournement dans la clinique, le voyeurisme contre l’exhibitionnisme, le sadisme contre le masochisme, l’amour contre la haine, l’introjection contre la projection, tout dualisme sur lequel nous nous appuyons au détriment du repérage de cette migration de l’objet a dans le corps et de son incarcération ?
Le revers de la mélancolie ne serait-il pas alors, plutôt que la manie, la paranoïa ?
Là où le mélancolique dit qu’il est une ordure, et une infection, qui doit être éliminée de la surface de la terre, là où l’objet parle en clair, le paranoïaque lui l’entend, ou le suppose, dissimulé, formulé, dans l’Autre.
On veut le réduire, on veut le traiter comme une ordure, une infection, on cherche à l’éliminer.
Et c’est à juste titre, par ce que On veut le réduire, qu’il s’insurge. Ce serait plutôt de son côté à lui, au paranoïaque, que subsiste le moi qui récuse qu’on veuille le ramener à un objet infâme, et pour qui la formule freudienne vaudrait bien davantage que pour le mélancolique.
Bien évidemment, les analogies ont leur limite, mais à l’échelle d’une nation, désireuse d’un monde sans trou, un monde de complétude, et où tout doit être prévu, et les citoyens faire du Un, que vaut l’objet a venu d’ailleurs, ordurier, dont on cherche à se débarrasser ?
Ce n’est pas ici à Strasbourg, que l’on cherchera à éluder cette question.
La paranoïa apparait donc bien plus comme l’envers de la mélancolie, ce qu’on peut illustrer cliniquement d’ailleurs, avec son avatar kretshmerien, où le moi ne résiste pas à l’attaque persécutive de l’abjection de l’objet, et le rapport entre la mélancolie et la manie pourrait plutôt se formuler ainsi : Ce que le mélancolique DIT, le maniaque, impudique et bavard, obscène et exhibitionniste, malfaisant et incontrôlable, l’EST.
Ce qui n’est pas tout à fait son contraire.
On voit ainsi les avatars d’une clinique de la psychose, ses destins, ses déterminations, de son schiksale, ce ne sont plus les destins de la pulsion, mais les destins de l’objet au travers de la pulsion, Triebe und Objektschiksale, voilà comment il faudrait réécrire l’article de Freud dans la psychose, se dessiner selon les règles rigoureuses et implacables de la migration de l’objet à travers le corps et ses orifices.
Dans le séminaire sur l’identification, Lacan avait ainsi cette formule, que chez le névrosé, le normal c’est l’Autre qui a toute son importance en tant que trésor des signifiants, chez le pervers, le normal c’est le Phallus qui a toute son importance, mais chez le psychotique, c’est le corps propre qui a toute son importance.
Un corps propre non somatique, et ignoré des traités d’anatomie, s’avérant pouvoir prendre des formes topologiques spécifiées, nullement invocables au titre de métaphores, et réelles, dont la structure dépend du trajet de l’objet a, principalement la voix et le regard.
Manie, mélancolie, paranoïa forment jusqu’ici une clinique pour laquelle l’objet se fixe.
Dans l’hypochondrie, l’obturation orificielle n’est pas fixée, mais où l’objet se balade dans le corps, migre, disparait insidieusement pour réapparaitre ailleurs et se répandre de la manière la plus sournoise, entrainant les mêmes phénomènes de comblement et de bouchage que dans la fixité de l’objet, mais migrateurs.
Diffractant par ses effets sur le corps propre et son Imaginaire les impacts laissées par les éclats de l’objet a réel.
C’est pourquoi pour ma part je recommande toujours la plus grande prudence face à une plainte somatique, surtout lorsqu’elle porte une adresse.
Il ne faut pas oublier que le délire de Schreber a commencé par une banale insomnie. De vagues céphalées occipitales.
C’est dans ce contexte qu’il s’était adressé pour la première fois à Flechsig.
On connait la suite.
A l’auto-observation scrupuleuse des manifestations changeantes de l’objet a incarcéré dans le corps de l’hypochondrie viendra répondre tôt ou tard une surveillance soupçonneuse de l’Autre dans la paranoïa, soupçon que l’Autre puisse être, par projection, sinon à l’origine du moins partie prenante, à cette incarcération, et qu’il puisse être de mauvaise volonté ou d’intérêt quelconque, à refuser cette désincarcération qui fait tant souffrir le patient.
« D’une moitié du symptôme c’est lui qui a la charge », disait Lacan à propos du médecin dans le séminaire sur les problèmes cruciaux.
Ces retournements sont loin d’être rares, et vous voyez que mélancolie, hypochondrie et paranoïa se situent dans une même continuité de retournement dépendant de la migration de l’objet à l’intérieur du corps, en fonction d’évènements extérieurs aléatoires.
L’hypochondrie est la forme minimale du Cotard, qui est l’amplification de l’hypochondrie.
Une observation d’Esquirol rapporte les propos d’une patiente qui expliquait combien il y a avait quelque chose qui se déplaçait dans son corps, quelque chose qui la faisait souffrir, et dont elle ne pouvait pas se débarrasser. Elle posait cette question essentielle : « Quel est cet objet dont je ne n’arrive pas à me débarrasser ? »
Un objet baladeur, objet a dépourvu de toute matérialité, dont la place est inassignable, et dont la capacité d’obturation orificielle négative va jusqu’au pouvoir d’enrayer les fonctions biologiques.
D’entraver la vie biologique.
On retrouve dans un certain nombre de psychoses diverses, telles que certaines formes de mélancolie stuporeuse, ou de catatonies, des fonctions vitales qui peuvent inopinément et sans explication scientifique s’arrêter net, et interrompre la vie.
Pas seulement dans les psychoses, d’ailleurs, mais on retrouve ce fonctionnement chez les personnes âgées, le syndrome de glissement par exemple.
Autre forme d’hypochondrie, le transexualisme.
Il pourrait sembler paradoxal de vouloir dénommer d’hypochondrie phallique la volonté de transexualisme, terme qu’il est nécessaire à mon sens de réserver à la psychose, afin de faire une séparation franche et sans ambigüité possible avec les manifestations actuelles des troubles de l’identité sexuée, transgenre, dysphorie de genre, incongruence de genre, pour reprendre les termes de la onzième et dernière version de la classification internationales des maladies de l’OMS.
Il n’y a pas de forclusion du Nom du Père, à proprement parler dans ces derniers, mais un congé, une « réwokation du Nom du père », dont le mouvement transgenre est un effet parmi d’autres, je ne sais pas si le terme de réwokation, qui va au delà de la récusation pure et simple, a déjà été employé, si ce n’est pas le cas, et à condition bien sur, que vous le trouviez pertinent, je vous l’offre, 6 Novembre 2021, Château d’Angleterre, Bisheim près Strasbourg, à rapprocher de la cancel culture et des mouvements woke.
Lacan avait lancé cette boutade qu’on pouvait se passer du Nom du Père à condition de savoir s’en servir, en tous les cas, il y a une indifférence complète au Nom du Père en tant que source organisatrice, Ok boomer. De fait, la référence Phallique n’a plus lieu d’être, et de distribuer les places de la sexuation.
Psychose sociale ? Les analogies ont leurs limites, comme on l’a dit. Quoi qu’il en soit ces questions ont à être appréhendées en dehors du remue-ménage militant actuel, et la clinique s’apprécie non pas sur des critères de brouhaha idéologique, mais en fonction de modes d’apparitions, de clivage, de connexions, de manifestations, de dialectisation, etc..
Dans le transsexualisme de la psychose, le sujet s’oriente vers une complétude sphérique, celle du Tout, du Tout en un, une complétude qui tend à la cloture, et qui s’oriente vers un aspect mono-orificiel, une forme de cloaque où les orifices se coaptent les uns dans les autres, et où tous les organes tendent à se ramener à un seul, qui assurerait pour lui-même toutes les fonctions, d’alimentation, d’excrétion, de fécondation, etc…
« A l’intérieur, j’ai tout l’appareil d’une femme, dit Amanda, étudiée par Marcel Czermak, je faisais pipi par le derrière, parce qu’à l’intérieur, j’ai tout l’appareil féminin avec mon anus. Mais je vous dis, euh, je n’ai jamais été un être comme tout le monde».
Le corps se sphéricise progressivement, avec un seul bord, un devant et un derrière, et un seul orifice. Un corps à un seul trou, venant relancer la question de l’adéquation de la pulsion aux orifices anatomiques du corps, et l’énigme de savoir de quel trou il s’agit.
En recherchant à incarner LA femme, le transexualisme de la psychose la cadavérise, la ramène à une enveloppe vide, hors sexe, et hors désir, juste portée par sa nomination, « je veux être dite femme », surface de femme et de beauté, lieu d’universel intérêt susceptible de se retourner en lieu d’universel déchet.
Car finalement cette exigence d’être dite femme ou homme, vient récuser chaque femme, ou chaque homme dans sa division, ses impasses, ses paradoxes, ses contradictions, ou ses embarras, au final dans sa consistance.
Pousse à la femme des psychoses où faute d’être le phallus qui manque à la mère reste la solution de se faire l’incarnation de LA femme, celle qui manque à tous les hommes et où l’imaginaire consiste avec le Réel, suppléant la castration symbolique, hors champ, réalisant un authentique nœud de trèfle psychotique.
La langue, pour finir.
C’est par le manque qu’introduit le langage que l’objet tombe.
Et lorsque ce manque a été manqué, l’objet a s’incarcère dans la langue.
Et du coup, en révèle les lignes fondamentales.
Elles tiennent à la nature même du langage, et à son pouvoir de jouer sur la métaphore et sur la métonymie, S barré, poinçonné de a, qui nait de la chute de l’objet a entre S1 et S 2, créant cet intervalle, cet écart qui anime la chaine signifiante chez le névrosé ordinaire.
Ce n’est pas le cas, comme vous le savez maintenant, dans la psychose, où faute de coupure signifiante, l’objet a s’est logé dans l’espace de cet écart entre S1 et S2, d’où il sera impossible de le dénicher, dans une inaptitude à tout échange et à toute consécution dans le dialogue.
Cette incarcération de l’objet a dans le langage désorganise celui-ci, désarrime les maillons de la chaine, et abolit toute différence entre signifiants.
Hypochondrie de la langue, aboutissant à deux types de phénomènes, deux pôles, soit de purs signifiants, desquels la signification s’absente, en partie ou en totalité, soit d’un univers de significations, d’où le signifiant maitre lui-même est absent, et où il n’y a plus que des équivalences sans hiérarchie.
Perturbations entrainant à leur suite des conséquences spatiales, corporelles, et temporelles, qui lui sont homogènes, puisque sans langue, point de corps.
Voix et parole se retrouvent disjoints, comme dans l’automatisme mental, où apparait une voix pure, dépourvue de tout caractère phonétique, surgissant dans le langage, désarticulant l’organisation de la chaine signifiante, et la rendant inapte au langage, une voix sans voix, pourrait-on dire, captant le sujet psychotique, impossible à appréhender par le sujet qui en est saisi, comblant le trou du symbolique, et faisant retour dans le Réel, émergeant concomitamment avec les autres objets a, le plus souvent l’irruption simultanée du regard qui capte le sujet psychotique.
Voix qui par sa position de commande, entraine les autres phénomènes, qui lui sont secondaires.
Irruption de la voix en tant qu’objet a, éjectant le langage dans le Réel, auquel le sujet psychotique s’identifie, et gouvernant pour finir le passage à l’acte et sa motricité, excluant la dimension phallique et réduisant le sujet à l’objet a qu’il est devenu.
Voix hallucinée, renvoyant le sujet à son être de déchet. C’est le fameux syndrome SVP Salope vache putain, cher à Henri EY, d’aspect monomorphe et stéréotypé.
Je vais conclure ici ce tour d’horizon, très succinct et incomplet des principales formules cliniques de la psychose. Certaines nous montrent accentué le versant langagier de l’équation, d’autres le versant corporel, spatial et temporel.
Toutes présentent à des degrés divers l’ensemble de ces perturbations, mais avec un relief et une proportion différente.
Et je terminerais par cette très belle formulation de Marcel Czermak : « Toutes les manifestations cliniques de la psychose sont des grossesses sans fin de ce dont la langue est enceinte au titre de l’objet a ».
Toute la difficulté réside dans l’histoire du marieur que raconte Freud dans le mot d’esprit. La langue, au même titre que la jeune prétendante au mariage, ne peut pas être un petit peu, ni même un tout petit peu, enceinte. Elle l’est ou elle ne l’est pas.
Et il n’y a aucun appareil d’échographie pour en faire le diagnostic, sauf l’écoute rigoureuse, qui se forme au fil des présentations de patients, et du verbatim travaillé mot à mot et à plusieurs, car les autres éclairent vos propres points aveugles, vos propres points d’obturation de l’objet a en vous, et vous de même.
C’est pourquoi ce travail du trait du cas représentait l’articulation majeure de toute appréhension, sinon compréhension de l’objet dans la psychose.