Quand peindre, c’est lire
L’oeuvre de Gérard Garouste est d’une richesse infinie. L’exposition qui se tient actuellement, et jusqu’au 2 janvier, au Centre Pompidou, donne l’occasion exceptionnelle d’en prendre la mesure. L’ordre chronologique y témoigne d’un progrès permanent de cet esprit torturé dans le maniement des éléments de la représentation et l’élaboration avec eux d’un propos qui confine au discours. Très vite (1980) chaque tableau est le fruit d’un dialogue avec les oeuvres les plus monumentales de la littérature universelle et se prête à la lecture comme un texte. Mythes grecs, contes et légendes, La Divine Comédie, Don Quichotte, Gargantua, Faust puis la Bible, le Midrash, le Talmud… sont non seulement sources d’inspiration mais véritable trame d’une langue picturale qui s’invente et se tisse en lisant. Indéniablement, Garouste est de ceux qui ont accepté la subordination du sujet à l’Autre, que « chez soi, c’est toujours chez l’Autre ». L’expérience de la folie et de la possibilité d’en sortir n’est pas pour rien dans cette position qui rend possible la création. C’est par la lecture que Garouste a pu faire confiance à l’Autre, c’est donc par elle qu’il peint. Grâce à elle, le peintre accède au récit. Même les épisodes délirants s’y prêtent : en témoigne le tableau « Chartres » (2007), où l’artiste figure la tête dans la jambe, bras démultipliés dans la cathédrale qui fut le lieu d’une crise souvent racontée. Mais au-delà du récit, il y a la polysémie qui donne aux tableaux de Garouste une dimension vertigineuse. Il est vrai que le visiteur qui se sera livré au jeu de déchiffrage ne sortira pas sans angoisse de ce long parcours (la taille de la plupart des oeuvres, qui donne l’impression qu’elles incluent celui qui les regarde, y participe). Richesse infinie, disais-je. Mais cet infini n’est pas sans ponctuation. Il y a de l’humour chez Garouste et l’installation rabelaisienne « La dive Bacbuc » (1998), au coeur de l’exposition, est exemplaire de la respiration que l’humour rend possible dans un dispositif pourtant sophistiqué où le spectateur doit mettre son oeil dans un oeilleton pour accéder, à l’intérieur d’un cercle de toile de plusieurs mètres de diamètre, aux parties cachées de l’histoire. Angoissante position de voyeur ? Non, car la surprise créée par ce qui est vu, tel un mot d’esprit, produit le rire et une ponctuation. Il pourrait bien en être de même devant chaque tableau de Garouste si déconcertant qu’il paraisse de prime abord : après l’angoisse, le rire.
Et tout au long de l’exposition, un texte s’écrit, salle après salle un vers s’ajoute aux précédents, attendant le suivant. Nous ne saurons pas qui en est l’auteur. Belle métaphore d’une oeuvre où l’Autre est toujours en puissance.